L’intelligentsia française, de la lumière aux ténèbres.
Par : Patrice Aimé Césaire MIAKASSISSA

La réaction de la France vis à vis de madame Nathalie Yamb est disproportionnée, épidermique digne d’une maladie infectieuse infantile. Jadis pays des lumières, la France s’enfonce dans les ténèbres.
Voltaire n’a-t-il jamais dit dans sa célèbre phrase : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ». Le pays de Voltaire est-il devenu le pays de l’intolérance, rêveur de sa gloire d’antan du temps béni des colonies ?
La liberté d’expression est garantie par les droits de l’homme dont la France est le pays de la déclaration. Dans le même temps, la Constitution des États-Unis d’Amérique, le pays du monde libre, dans son premier amendement garantit cette liberté d’expression.
La doctrine du clair-obscur semble désormais être la ligne des intellectuelles et intellectuels de la société française en ce qui concerne l’Afrique. La collusion avec le monde politique des élites françaises, plongent ces dernières dans une cécité inquiétante. Est-ce une question colorimétrique à laquelle nous avons affaire ?
Aucune voix qui porte en France ne s’est indigné du traitement réservé à une femme noire qui se bat pour la liberté, le développement et l’épanouissement des Africaines et des Africains. Est-ce un crime que la jeunesse africaine ait les mêmes rêves, les mêmes désirs, les mêmes aspirations à la liberté et au bien-être que la jeunesse occidentale toute proportion gardée ? La Déclaration universelle des droits de l’homme stipule dans son premier article : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Apparemment à force de rêver, nous avons raté quelque chose.
L’incitation à la haine et à la violence et le trouble à l’ordre public en France dont se prévalent le gouvernement français pour justifier l’interdiction de séjour de madame Nathalie Yamb n’existent que sur les réseaux sociaux. Les Françaises et les Français qui ont du mal à reconnaitre leurs propres dirigeants, n’ont presque jamais dans la majorité des cas entendu parler de madame Nathalie Yamb. C’est un débat des riches, c’est un débat d’ego. Il est plus aisé de convaincre que de contraindre, car ceux qui ne s’expriment pas par la parole s’expriment par la force qui est le langage des brutes. N’est-ce pas que « Qui veut noyer son chien l’accuse de rage » dixit Molière.
La France donne des bons ou des mauvais points aux relations humaines des Africaines en Afrique. C’est ahurissant qu’un État se réduise à ce genre d’argument pour justifier son acte. La Fraternité chaleureuse n’est pas un vain mot en Afrique.
Les diatribes, les dialogues à visée morale, ne doivent pas être criminalisées. Alors que faire des journaux (Le Canard enchainé, Charlie Hebdo) ou des émissions de télévision (Le bébête Show) satiriques qui critiquaient et critiquent les mœurs politiques ou sociétales en France et dans le monde ? Tourner en dérision un Chef d’État fut-il Français ne constitue pas un crime de lèse-majesté dans une démocratie.
Les dictateurs au pouvoir en Afrique subsaharienne souillent quotidiennement le tapis blanc devenu le tapis rouge de sang des victimes des atrocités du palais de l’Elysée. La France est tolérante devant ces tyrans tant que ses intérêts sont garantis, et cela en dépit même des droits de l’homme qui sont oubliés au profit du business. Et le peuple africain dans tout ça alors ? Il est évident que le bonheur ne vaut que lorsqu’il est partagé. Si l’Afrique ne réussit pas, la France ne réussira jamais. C’est une équation simple à résoudre dans le respect des souverainetés et d’un partenariat économique gagnant-gagnant. « Si tu veux t’acheminer vers la paix définitive, souris au destin qui te frappe et ne frappe personne ».
En permettant un troisième mandat anticonstitutionnel à monsieur Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, en adoubant le fils de feu Président Idriss Déby Itno au Tchad au mépris de l’ordre constitutionnel de succession et en se confrontant aux dirigeants maliens, la France a définitivement brouillé son message en Afrique noire et cela de façon durable.
C’est le retour de la pensée unique, de l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française) qui rappelle le temps de la colonisation qui est révolu, mais dont certains gardent une certaine nostalgie avec des actes autoritaires excessifs au regard de la situation.
Le Président de la République en France est un monarque républicain qui a une concentration de pouvoir sans contre-pouvoir réel surtout quand il possède la majorité parlementaire dans les deux chambres que sont l’Assemblée nationale et le Sénat. C’est un pouvoir politique présidentiel avec des députés qui font la courte échelle aux gouvernements dont ils sont censés au nom du peuple contrôler l’action. Être député français de la majorité parlementaire présidentielle puis votez contre les propositions du gouvernement vous garantit une exclusion du groupe parlementaire. Ce sont là les limites d’un système politique sclérosé.
Certains gouverneurs américains ont fait de leurs États des sanctuaires afin de protéger contre les expulsions les immigrants illégaux qui travaillent et qui participent au développement de l’économie de la communauté. C’est un courage politique pragmatique des esprits éclairés. Dans d’autres pays, nous sommes tous des immigrés dans le regard des autres, mais des citoyens du monde.
La stigmatisation, le rejet de l’autre, de ceux qui ne les ressemblent pas, est le fonds de commerce qui sous-tend la politique française, si bien que le débat civilisationnel s’était invité lors de la dernière élection présidentielle. C’était nauséabond. Dans ce contexte, ce sont les minorités qui trinquent devant cette insécurité généralisée due à des regards inquisiteurs. Les Françaises et les Français n’aiment pas le communautarisme en France, mais le pratiquent en dehors de la France notamment en Afrique. C’est à ne plus rien y comprendre.
La France ne doit pas oublier son histoire, celle d’avoir été une puissance coloniale. La colonisation constitue un crime contre l’humanité et ne comporte aucun bien fait. En cela, la France doit faire son introspection pour comprendre les mécanismes qui aboutissent à la révolte de cette jeunesse africaine non colonisé qui aspire à un bien-être meilleur que celui hérité de la colonisation avec tous ses travers. Sans repentance ni réparation et sans un dialogue franc sur cette partie de notre histoire commune, le malentendu persistera.
Avec l’interdiction du territoire français faite à madame Nathalie Yamb, le gouvernement français vient de créer un fâcheux précédent qui fera gloser sous les chaumières avec des cris d’orfraie lorsqu’un citoyen français sera interdit de séjour dans un pays africain. L’on aura alors droit à une indignation sélective. Ce traitement du deux poids deux mesures entre les Présidents africains qui ne tiennent leur légitimité que du gouvernement français et des peuples d’Afrique dont le sort peu envieux laisse à désirer, est regrettable dans la perspective du mieux vivre ensemble. Seul le peuple souverain a la légitimité dans un pays. La jeunesse et la société civile africaine sont avides de bien-être social, politique, économique, et de liberté pour leur développement. Ne pas y prêter attention conduira forcément à une confrontation. Aucun peuple ne veut être esclave sur la terre de ses ancêtres.
« Ce qui menace la démocratie, aujourd’hui comme hier, ce n’est pas la désobéissance civile, mais l’obéissance servile » que certains autocrates nous imposent, découle de la réflexion de Stéphane Hessel.
Le monde change, et l’Afrique, ce géant oublié, se réveille après des siècles de traite négrière, de colonisation, de Françafrique et de Francophonie qui confine à la Francofolie. Le mouvement de revendication d’un good deal et respectueux des uns et des autres doit être entendu. Tel un tsunami, aucune armée dans ce monde ne pourra arrêter cette prise de conscience. Est-il normal que les populations d’Afrique subsaharienne, après plus de 62 ans d’indépendance comme le Congo-Brazzaville, n’ait pas accès à l’eau potable tout le temps, à l’électricité, à la Wifi, à une éducation et des soins de santé de qualité, à la liberté d’expression, enfin à la démocratie ? Le phénomène des « bidons jaunes » doit disparaitre de l’Afrique qui ne doit plus être un gruyère ; L’on évitera ainsi nombreuses de maladies diarrhéiques qui emportent nos enfants.
Force et de constater qu’au lieu de construire des écoles, de maternités, des hôpitaux, des universités, des infrastructures de base nécessaires à la vie dans la cité, l’on est réduit à armer l’Afrique pour des conflits contre « des supposés terroristes » ou « rebelles » qui viennent de la déconstruction de la Libye par les Occidentaux et qui se battent pour les intérêts de ces derniers.
Après le génocide rwandais, il y a eu la guerre civile du 05 juin 1997 au Congo-Brazzaville passée sous silence avec 400 000 morts soit un dixième de la population congolaise ; Les intérêts de la France étaient sauvegardés. Actuellement se déroule dans l’Est de la RDC (République démocratique du Congo) un conflit armé qui continue à faire des millions de morts sans pour autant faire la Une de la presse occidentale. Les Occidentaux, surtout les Européens, sont préoccupés par la guerre en Ukraine.
La France en tant qu’ancienne puissance coloniale se devrait de faire son introspection car la colonisation a été une violation flagrante des droits de l’homme. Dans ce contexte, il n’y a aucun bienfait à y attendre. Sans repentance ni réparation, sans un dialogue franc sur cette partie de notre histoire commune, le malentendu persistera. Il va de même que les Africains à travers l’Union africaine doivent se rassembler pour mettre fin à cette tragédie qui sévit sous nos yeux en RDC.
Aux Africaines et aux Africains de s’occuper de l’Afrique. Ces paroles de l’ancien Président de la Tanzanie Julius Nyerere doivent nous inviter à la sagesse : « Aucune nation n’a le droit de prendre des décisions pour une autre nation ; aucun peuple pour un autre peuple ».
Nous sommes peinés, interloqués devant cet acte souverain de la France à l’endroit d’une militante africaine, qui est un mauvais signal adressé à l’endroit des diasporas africaines de France et aux lanceurs d’alerte comme dans une cour d’école afin de sonner la fin de la récréation : C’est l’expulsion ou le silence ! Est-ce tenable ?
Le caractère que nous avons n’est pas fruit du hasard. Il est souvent dû à notre passé, nos déceptions et les trahisons qui font qu’aujourd’hui nous avons une carapace. Ce n’est pas de la méchanceté ou être anti-sociale, mais désormais on se méfie pour mieux se protéger.
Toutes les voix tues quels que soient les moyens sont une atteinte à la liberté d’expression qui fait partie des droits de l’homme garantit par la Constitution française. Il ne faut pas rajouter de la confusion à la confusion dans ce monde si trouble.
C’est Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, qui disait : « Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous ».
Nous nous indignons contre cette injustice qui bafoue les droits de l’homme et du citoyen, et les valeurs de liberté, égalité (égalité devant la loi), fraternité communément partagées.
………………………
Patrice Aimé Césaire MIAKASSISSA
Commentaires récents