L’OPPOSITION NORD-SUD DANS LA VIE POLITIQUE CONGOLAISE DEPUIS 1958 : MYTHE OU RÉALITÉ ?
Par
Philippe MOUKOKO
Philippe MOUKOKO
Le sujet est glissant et pose beaucoup de difficultés à l’analyste. Il faut déblayer le chemin avant d’aller plus loin. Ne vous attendez pas à des développements ici. Je reprends certaines idées développées dans mon dictionnaire. Mes réflexions définitives sur cette question seront dans mon dictionnaire dans l’édition à venir. Ici, je ne donnerai pas de références. Si vous voulez plus, passez votre chemin ou allez voir dans mon dictionnaire, p. 344. Facebook n’est pas une revue ou un endroit où je passe un examen.
1. QU’EST-CE QUE L’OPPOSITION NORD-SUD ?
Ce terme ne veut pas dire que les Nordistes et les Sudistes sont en confrontation dans la vie de tous les jours. Ce terme renvoie plutôt à une manifestation du tribalisme dans la vie politique congolaise. Henri Nsika, psychologue, co-auteur de « Tribalisme en question » (travaux de la journée du 21 mai 1992), écrit : « Ce qu’il faut surtout savoir à travers la notion de tribalisme, c’est la pratique d’instrumentalisation du fait ethnique par des groupes politiques en lutte pour la conquête, l’acquisition et la conservation du pouvoir politique ». De ce point, l’opposition Nord-Sud est une catégorie du tribalisme, en ce que cette instrumentalisation du fait ethnique s’est cristallisée à travers deux grands ensembles des peuples du Congo. Beaucoup d’auteurs ont consacré leurs travaux à ce phénomène politique (R. Bazenguissa-Ganga, F. Bernault, J. Mampouya, P. Decraene. H. Nsika Nkaya et A. Yila. Tsamouna Kitongo, D. Desjeux, L. Nagy, Joseph Mampouya, Jean-Pierre Missié, etc.). Ceci indique, et j’en suis certain, que ce phénomène existe, bien que son analyse soit difficile, car il est commandé à la fois par la psychologie sociale, l’histoire coloniale et la géographie urbaine, etc.
2. COMMENT LE TRIBALISME S’EST-IL RÉDUIT A L’OPPOSITION NORD-SUD ?
Cette opposition est née de la « guerre tribale » de 1959 qui oppose les partisans de l’UDDIA (Union Démocratique de Défense des Intérêts Africains) dirigée par Fulbert Youlou et du MSA (Mouvement Socialiste Africain) de Jacques Opangault, auxquels vont s’identifier les régions du Sud pour le premier et celles du Nord pour le second. Opposition politique, elle tourne à une excessive ethno-régionalisation. Les Nordistes se réduisent aux Mbochi, alors que d’autres peuples habitent le Nord du pays (Téké, Sangha, Makaa, Kota), et les Sudistes aux Kongo, alors qu’au sud habitent d’autres peuples qui ne sont pas des Kongo (Echira, Téké). Elle s’est fondée sur une différence de langues parlées d’origine coloniale (lingala pour le nord, munukutuba/lari pour le sud) et sur une occupation ethnique des espaces urbains à Brazzaville (quartiers Nord : Nordistes ; quartiers Sud : Sudistes).
3. NÉGATION DE L’OPPOSITION NORD-SUD :
Aucun pouvoir installé au Congo n’a reconnu le fait tribal dans la vie politique. Fait curieux : quand les Nordistes sont au pouvoir, ils le nient, tandis que les Sudistes le reconnaissent. Quand les Sudistes sont au pouvoir, ils le nient, tandis que les Nordistes écartés le reconnaissent. Par exemple, sous le règne de Massamba-Débat (1963-1968), les officiers du Nord affirmaient être victimes de discrimination. Quand Marien Ngouabi est arrivé au pouvoir, les officiers Kongo soutenaient avoir été écartés des postes politico-administratifs à cause de leur appartenance ethnique. La négation du fait tribal découle, à bien y regarder, d’un manque d’empathie des « jouisseurs » du moment à l’égard des « mécontents ». Quoiqu’il en soit, c’est sous le prisme Nord-Sud que les populations congolaises interprètent tous les événements socio-politiques. En effet, les matchs de football (Diables-Noirs c/ Étoile du Congo), le massacre de l’élite kongo en 1977 et 1978, les promotions ou déchéances au sein de l’armée, du gouvernement ou des entreprises publiques sont l’occasion d’y voir la consécration d’intérêts ou de rivalités ethniques.
4. MANIFESTATION DE L’OPPOSITION NORD-SUD :
4.1. Au moment de la conquête et l’acquisition du pouvoir : Dans la perspective d’élections présidentielles, les partis politiques se forment ou existent sur une base régionaliste. Le sentiment d’appartenance à un groupe ethnique est exacerbé. Toutes les énergies juvéniles sont canalisées vers un seul but : prendre le pouvoir sur le groupe adverse par tous les moyens, y compris par la violence.
4.2. Au moment de la conservation du pouvoir : Lorsqu’un Sudiste ou un Nordiste devient président de la République, l’organisation administrative de l’État se restructure en conséquence pour favoriser la conservation du pouvoir. Par exemple, depuis le retour de D. Sassou Nguesso au pouvoir (1997), des Nordistes, reconnaissables le plus souvent par leurs noms commençant par une voyelle, occupent les postes les plus stratégiques de l’appareil administratif (gouvernement, police, Trésor, armée, ambassade, etc.). Ils sont aussi favorisés dans la vie courante (recrutement, attribution de bourses d’études pour l’étranger, marchés publics, etc.), de sorte que certains Sudistes, pour échapper à cet ostracisme, prennent des noms à consonance nordiste. Selon que le pouvoir est aux mains des Sudistes ou des Nordistes, leur langue (munukutuba/lari ou lingala) devient prédominante en ville et dans l’administration, éclipse même le français. Leur mets (« ngouri yaka » ou « yaka dia mama » sous Massamba-Débat / « ngulu mu mako » sous Pascal Lissouba) s’impose partout, de même que leur mode d’expression (« Ya ba colère vé » sous Pascal Lissouba). S’ensuit aussi l’avènement de « nouveaux riches » (affairistes plutôt) qui tirent profit de l’accession de leurs « frères » au pouvoir.
Par exemple, sous Marien Ngouabi, de la haute fonction politique (PCT), l’élite la plus représentative des Mbochi investit peu à peu la haute fonction publique, les postes les plus importants de l’armée et des entreprises d’État. Après la présidence de deux Kouyou (Marien Ngouabi et Joachim Yhombi-Opango), Denis Sassou Nguesso parachève la domination nordiste et surtout du sous-groupe ethnique mbochi proprement dit. Ce dernier recueille au sein même du groupe mbochi le plus grand nombre d’avantages politiques. Des oncles, des cousins, des frères du président viennent massivement au pouvoir. Des noms additifs et prestigieux symbolisent leur fierté : Antoine Ndinga devient en 1979 Ndinga Oba, Paul Gatsié devient Gatsié Obala, Justin Lékoundzou devient Lékoundzou Iti Ossetoumba, etc. Depuis le retour de Denis Sassou Nguesso au pouvoir en 1997, resurgit ce phénomène d’accaparement progressif par ce groupe des postes d’État les plus importants, rendant l’élite kongo, manifestement la plus nombreuse et à coup sûr la plus diplômée du pays, invisible dans la haute fonction publique.
Même la diaspora congolaise est « impactée » par ce phénomène. Dès qu’un président du Nord ou du Sud accède au pouvoir, une grande partie des Congolais de l’étranger sudistes ou nordistes rentrent au pays pour occuper des postes dans l’appareil politique ou dans l’administration. Ceci a été constaté lors de l’accession de P. Lissouba au pouvoir (1992), puis de D. Sassou Nguesso (1997).
5. ATTENUATION DE L’OPPOSITION NORD-SUD :
Cette dichotomie n’est pas permanente. Elle est souvent atténuée (Jacques Opangault s’allie à l’abbé Fulbert Youlou et soutient le monopartisme projeté), oubliée lors de la Révolution des « Trois Glorieuses ». Quand bien même les dirigeants eux-mêmes nieraient ce phénomène, elle est toujours prise en compte pour des besoins d’équilibre géopolitique, amenant souvent le président de la République à former un « gouvernement d’union nationale » ou à désigner le second du régime dans l’autre groupe. Ainsi, le poste de Premier ministre ou de second du régime est dévolu à des Sudistes sous les présidences de Marien Ngouabi (Alfred Raoul, Louis Sylvain Goma), de Jacques Joachim Yhombi-Opango (L. S. Goma), de Denis Sassou Nguesso I (L. S. Goma, Jean-Pierre Thystère-Tchicaya, Ange Édouard Poungui, Alphonse Souklaty-Poaty) et Denis Sassou Nguesso II (Isidore Mvouba, Clément Mouamba). Cette même logique amène des Nordistes aux postes de Premier ministre sous les présidences d’Alphonse Massamba-Débat (Ambroise Noumazalaye) et de Pascal Lissouba (Stéphane Bongho-Nouarra, Joachim Yhombi-Opango, Charles-David Ganao).
6. L’OPPOSITION NORD-SUD N’EST NI RADICALE NI AVEUGLE :
6.1 Quand un groupe sort vainqueur de la course au pouvoir, il ne nie pas le groupe défait : quand un dirigeant du Sud ou du Nord accède au pouvoir, il est souvent obligé de constituer une « clientèle » dans le camp adverse. Les deux Sudistes (Fulbert Youlou, Alphonse Massamba-Débat) qui gouvernent le pays jusqu’en 1968, suivis par les Nordistes jusqu’en 1992 (Marien Ngouabi, Joachim Yhombi-Opango, Denis Sassou Nguesso) recrutent dans des ethnies supposées adverses une clientèle solide et fidèle pour apporter à leurs régimes légitimité et stabilité politiques.
6.2. Un groupe régionaliste au pouvoir n’est toujours pas clément envers les opposants appartenant à son ethnie : les pouvoirs en place ne lésinent pas sur leurs moyens répressifs lorsque la menace politique provient de personnes appartenant ethniquement à leur camp. Par exemple, il y a eu le massacre des matsouanistes sous la présidence de leur frère ethnique Fulbert Youlou, des intellectuels kongo sous la présidence du kongo Alphonse Massamba-Débat, ou du Kouyou Pierre Anga sous la présidence du Mbochi D. Sassou Nguesso, alors que la victime est classée dans le groupe Mbochi. De même, à la suite des changements politiques intervenus à la Conférence nationale, les Sudistes se divisent, pour des motifs électoralistes, en « Niboleks » (alliance des départements du Niari, de la Bouenza et de la Lékoumou) ayant voté pour Pascal Lissouba et en « Tcheks », désignant les ressortissants du Pool, soutiens de Bernard Kolélas. En 1992, les deux groupes se font la guerre qui se termine avec un bilan de 4 000 à 10 000 morts.
7. L’OPPOSITION NORD-SUD OCCULTE D’AUTRES OPPOSITIONS PLUS PÉRIPHÉRIQUES :
Sur cette opposition devenue classique se greffent d’autres oppositions mineures, nées des rivalités d’intérêts personnels, entre les élites d’une même origine ethnique (Yombé contre Vili ; Kongo contre Lari ; Mbochi contre Kouyou; « Tcheks » contre « Niboleks »).
8. CONCLUSION : En dépit des constitutions des « gouvernements d’union nationale » ou de la négation de ces enjeux par les autorités politiques, l’opposition Nord-Sud ainsi que les oppositions périphériques restent la force motrice de la vie politique congolaise contemporaine.
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