Angola: Succession douce ou far west ?

josc3a9-eduardo-dos-santos-et-joc3a3o-lourenc3a7o-c3a0-luanda-300x169-5770750 José Eduardo dos Santos et João Lourenço à Luanda,

Par  Félix BANKOUNDA MPELE 

Avec le départ anticipé de l’ex-président angolais Dos Santos de la tête du parti historique et ex-parti unique, le MPLA, celui-ci, qui avait déjà démissionné du pouvoir il y a un peu plus d’un an, prend définitivement sa retraite politique. Non sans troubles, car les tensions étaient devenues très vives avec son successeur. Quelle sera la suite de cette quasi rupture, au regard d’autres situations du passé et du même genre en Afrique ?

On s’en doutait, et on avait parié que tout ne se passera pas comme officiellement prévu par les parties, en l’occurrence le sortant Dos SANTOS et le rentrant Joao LOURENÇO, même si on est au sein du même parti.

La raison en est simple : le pouvoir reste le pouvoir et, rarement il se partage en Afrique. L’un des deux devait finir par « tuer » l’autre. Avant de partir, Dos SANTOS avait cru verrouiller le système en laissant des proches, et notamment sa famille, aux principaux postes – clés de pouvoir, militaires et finances principalement. Autrement dit, il n’avait souhaité de son remplaçant que le rôle de girouette, comme l’avaient pensé, avant lui, Sedar SENGHOR au Sénégal, et Amadou AHIDJO au Cameroun, au début des années 80. On sait comment tout cela s’est terminé, AHIDJO, dans le cas du Cameroun, authentique dictature (au contraire du Sénégal), ayant, dans un dernier sursaut, tenté même de reconquérir le pouvoir par un coup d’État. Tellement, la succession qui s’était voulue douce avait évolué en affrontement. En définitive, l’ex-president démissionnaire camerounais a terminé ses jours en exil au Sénégal, et s’y trouve enterré.

À peu près, et on n’est pas encore au dernier épisode du dénouement, le même scénario est entrain de s’opérer en Angola. Isabel, la fille de l’ex-despote laissée à la tête de la Sonangol, la grande entreprise pétrolière, et plus riche femme d’Afrique selon le Magazine Forbes, a été virée et doit répondre de plusieurs détournements de deniers auprès de la justice. Idem pour son fils, José Filomeno Dos SANTOS, qui était à la tête du Fonds souverain du pays (cf. notamment Philippe RIÈS, « En Angola, le nouveau président s’affronte au clan dos Santos », in Mediapart, 28 janvier 2018) . Il ne restait plus, dès lors, au papa-despote, qui voulait jouer les prolongations en gardant la tête de l’ex-parti unique, que de jeter l’éponge. C’est ce qu’il vient de faire ce samedi 8 septembre, après un congrès extraordinaire du MPLA, et Joao LOURENÇO a évidemment et automatiquement mis main basse sur celui-ci.

Pour autant, et on peut encore le parier, le feuilleton n’est pas terminé. On peut même prétendre que les choses sérieuses vont maintenant commencer puisque, au regard de ce qui était prévu, Dos SANTOS abandonne la tête du MPLA avant terme, retenu au départ pour avril 2019. Cela, pour une raison qui nous échappe encore, qui peut être la maladie, mais aussi et plus vraisemblablement le dépit. Tout, depuis des mois, démontrait que le crash n’allait pas tarder.

Désormais, la guerre est ouvertement déclarée entre les caciques de l’ancien despote, encore nombreux dans le système, et les partisans de LOURENÇO, qui savent à quoi s’attendre, et ce qui leur reste à faire, à partir du moment où ils avaient décidé d’essayer d’assainir l’État qui était jusque-là la ‘vache à lait’ du clan SANTOS. Jusqu’où ce dernier s’était préparé dans son indiscutable Plan B ? Ou, plus précisément, José Dos SANTOSusé et fatigué, que vont faire les pro-SANTOS, puisqu’il y va de la protection et de la conservation du fruit de leur pillage que n’a pas manqué de dénoncer LOURENÇO au cours dudit congrès, hier, de façon cash :

« Les maux que nous devons corriger et surtout combattre sont la corruption, le népotisme, l’hypocrisie et l’impunité. Ces maux se sont implantés dans notre pays ces dernières années et ont fait beaucoup de tort à notre économie, ils ont affecté la confiance des investisseurs et ont miné la réputation et la crédibilité du pays. Ces maux que je viens d’énumérer sont l’ennemi public numéro un contre lequel nous avons l’obligation de lutter et de vaincre. Dans cette croisade, le MPLA doit prendre les devants, être en première ligne, assumer un rôle de leader, même si les premiers à tomber sont des militants ou de hauts dirigeants du parti »

Tout va se savoir progressivement, et plus ou moins rapidement, dans ce réel feuilleton, loin d »un feuilleton de cinéma. La famille SANTOS dispose d’un pactole de pillage évalué à des milliards d’euros, c’est à dire de quoi appâter les meilleurs barbouzes du monde pour leur proposer et exécuter les scénarii les plus pointus pour bousculer le pouvoir successeur, voire en découdre. Ce dernier a, de son côté, le pouvoir et donc les moyens de se préparer à différentes hypothèses. Les deux ont, comme souvent dans ce genre de système, des taupes dans le camp de l’autre, y compris de vraies ordures, d’authentiques profiteurs qui doivent se frotter les mains, et se préparer à en faire leur fond de commerce. Par ailleurs, les « pétroliers », les occidentaux principalement, qui ont l’habitude de ce jeu, doivent certainement aussi être entrain de fourbir leurs plans pour tirer leur épingle du jeu, comme ils l’ont démontré au Congo-Brazzaville et ailleurs, distribuant de la poudre à canon à gauche et à droite, n’hésitant souvent pas à claquer les allumettes eux-mêmes, et ainsi aller jusqu’à « brûler » le pays(1). Et, en la matière, comme l’a avoué sans détour une ancienne autorité de la grande compagnie Elf, « Nous ne sommes pas des philanthropes ». On y ajoutera encore, selon les derniers développements des relations internationales dans la zone, cette ‘odeur’ de Guerre Froide en Afrique, appelée par certains ‘Guerre chaude’, dans laquelle la Russie(2) et la Chine sont plus que jamais déterminées à faire main basse sur l’espace laissé libre au lendemain de la fin du « rideau de fer », mais que les ex- colonisateurs, indécrottables à jamais, tentent de se réapproprier (cf. notre réflexion: « La nouvelle forme de drague britannique en Afrique: un bouclier britannique pour l’Afrique« ).

Alors succession douce, ou pas? Les paris sont ouverts. Si l’on peut un instant penser que tout reste maîtrisé, dans la mesure où l’Angola, comme dans toute cette sous-région d’Afrique centrale (3), n’a pas encore connu de vraie alternance depuis son indépendance en novembre 1975, que tout se déroule au sein de l’historique parti unique, on n’oubliera toutefois pas que bien souvent, ce genre de structure est truffé d’hypocrites et de fumistes de tout poil, hyper doués dans la transhumance, dans la trahison et dans les coups fourrés. Si l’Angola, en raison d’une longue guerre civile qui a longtemps opposé leFNLA de Jonas SAVIMBI et le parti au pouvoir, le MPLA, a permis celui-ci de bien se souder et de se mettre à l’abri de profonds troubles intérieurs et donc des coups d’État, au contraire de son voisin le Congo Brazzaville, cette première succession intérieure au sein du parti, du vivant des acteurs, en mettant sur la place publique les profondes « plaies » du système, pourrait inaugurer un « pouvoir western ».

Ainsi vont les lendemains d’un régime post-despotique: une charanga politique, frisant le Far West. Plus jamais, aucune des parties ne sera tranquille, ne dormira sur ses lauriers, tant qu’elle n’aura pas réussi à mettre l’autre à genoux. ..

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  1. Cf. Yitzakh KoulaLa démocratie congolaise ‘brûlée’ au pétrole, Paris, L’Harmattan, 2000
  2. Entre autres, et pour les plus récents, le rappel suivant et édifiant de Laurent Ribadeau Dumas, « Le grand retour de la Russie sur le continent africain’, in Geopolis, 1er septembre 2018
  3. Jean-Marc ESSONO NGUÉMA, L’impossible alternance au pouvoir en Afrique centrale,Paris, L’Harmattan, 2010

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