Arrêtez de « faire Bagdad » dans nos vies parce que le sang versé n’est pas celui des vôtres (Journal La Griffe du 11 octobre 2018)

pool-2021-300x211-2757207Par :  Laurent DZABA

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Tenter de comprendre les crises successives au Congo-Brazzaville en tournant le regard sur la réalité et en faisant l’économie d’une réflexion sur le comportement des acteurs politiques et le mépris avec lequel ils traitent le peuple et la vie humaine, serait une entreprise impossible.

Cela est devenu un rituel, le même scénario qui se répète depuis plus de vingt (20) ans de façon décuplée, à l’approche de la « N »tabasky politique « élection présidentielle ». La longue épopée macabre des distributeurs de la mort démarre toujours par des refrains sur la paix chèrement acquise, ensuite les seigneurs de guerre sortent de leurs tanières, reprennent du service et menacent d’agir au cas où leurs exigences ne seraient pas respectées, s’en suivent des intimidations à la pelle, les prophéties de malheurs, etc … On connait la suite.

Malgré cet enchainement diabolique connu de tous, le sang finit toujours par couler. Les populations civiles, principales victimes de cette barbarie sans nom, fuient dans les forêts et deviennent des refugiés dans leur propre pays. Pour les moins chanceux, la course se termine dans les tombes de fortune comme des chiens.
En parlant des conflits armés, Paul Valery avait dit un jour que « la guerre, un massacre de gens qui se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent, mais ne se massacrent pas ». Il est donc aisé et assez facile, pour des esprits malhonnêtes et manipulateurs, de faire croire à certains congolais que ce qui arrive tous les cinq (5) dans le département du Pool et les quartiers Sud de Brazzaville par exemple, soit un conflit d’ordre tribal ou encore le résultat d’une réaction épidermique d’une ethnie de résistants qui aurait maille à partir avec l’autorité. Les congolais se souviennent encore de l’accord entre le Président Fondateur du MCDDI, Bernard Kolelas et le Président du PCT Denis Sassou Nguesso. Dans la période qui avait suivi cette alliance, les citoyens originaires du même département que Denis Sassou Nguesso pouvait se pavaner dans les quartiers Sud, sans que cela ne puisse poser de problème à personne. La réalité est toute autre. Il s’agit simplement d’une question bassement matériel de partage de gâteau et d’intérêts personnels entre une poignée de pieds nickelés qui n’ont pas le courage de dire aux congolais qu’ils ne croient pas au système démocratique. Pourquoi, diable, vouloir créer des conflits artificiels, instrumentaliser et opposer les enfants d’un même pays pour des intérêts personnels ?

Si la classe politique dans son ensemble, majorité comme opposition, avait du respect ou la moindre considération pour le peuple congolais et si l’Etat n’était pas pour elle qu’une construction militaire et artificielle qui n’avait aucun lien avec l’humanité, alors ces membres se battraient tous afin de ne pas susciter et maintenir des peurs et des pleurs irraisonnées.

En agitant à chaque fois, en période pré ou post électorale le spectre de la guerre par des discours hystériques qui attisent une haine populaire féroce, en exhibant des armes de tout calibre pour prendre l’ascendant psychologique sur des adversaires, en inondant les centres urbains de banderoles qui prédisent l’apocalypse avec des messages du type « si vous voulez la paix, voter pour Mr Tartempion » et s’en servir par la suite comme rampe de lancement d’une chasse à l’homme impitoyable qui se terminent toujours par des résidences pillées, des personnes atrocement abattues et des scènes effroyables qui pincent le cœur, les hommes politiques de tous les bords ne peuvent imaginer le supplice et le calvaire qu’ils imposent à un peuple qui croupit déjà sous la pauvreté et la misère.

Il est vrai qu’on ne saura peut être jamais le nombre exact de victimes de cette machination diabolique. Néanmoins, si nous tenons une comptabilité macabre des personnes innocentes qui aimaient leur famille, qui avaient encore pleins de rêves et qui se retrouvent dans les cimetières en raison des manigances indignes des hommes politiques, il serait possible de remplir vingt (20) fois le palais des congrès de Brazzaville.

Alors, pourquoi tant de mépris pour des citoyens qui ont déjà leurs âmes mutilées, leurs corps meurtris et qui aimeraient simplement vivre en paix comme d’autres peuples à travers le monde ?

Aujourd’hui, il y’a un fossé qui s’est creusé entre la volonté du peuple et celle de ceux qui sont sensés les représenter. Ce fossé est bien plus grand qu’on ne l’imagine et il continue de s’agrandir. Chaque jour qui passe consacre au Congo une coupure profonde entre une élite arrogante qui brille par un complexe de supériorité mais qui est incapable de mesurer le sentiment de frustration que vit un peuple qui considère la classe politique comme la source de ses malheurs.
La classe politique congolaise dans son ensemble est inaudible à l’image d’un pasteur qui prêche la parole de Dieu, le dos tourné aux fidèles. L’incapacité chronique à défendre les intérêts du bas peuple et les rabâchages médiatiques simplificateurs à travers des communiqués de presse, ne suffisent plus pour ôter le doute sur la suspicion de connivences entre ses différentes composantes.

Chers politiques, un peu d’empathie et d’amour du prochain ne nuit pas aux ambitions politiques.
Il est plus que temps que les politiciens comprennent que la possibilité de réinstaurer un climat de paix et de fraternité entre les enfants appartenant au même espace géographique existe encore. Ils doivent comprendre que la disparition inexorable des moments de partage, de rencontre, de fraternité qui tend à renforcer l’individualisme agressif, n’est pas la solution privilégiée par les congolais.

La prochaine « N »tabasky politique au Congo-Brazzaville, c’est dans trois (3) ans. Malheureusement personne ne prend le temps de réfléchir sur les solutions durables et définitives au dénouement tragique dont la classe politique nous a habitué ces dernières années.

Il est triste de constater que le parlement congolais qui devait véritablement jouer le rôle de modérateur dans ce qui apparait aux yeux de tous comme un débat sans fin, soit composé en majorité, d’élus millionnaires et peu instruits, sans expérience professionnelle et incapables d’être force de proposition quand le niveau des sujets à aborder s’élève un peu. Il est évident que s’il y avait, comme dans le football, un mercato « marché des transferts » des élus, les nôtres seraient condamnés à rester sur le banc de touche, dans n’importe quel pays dans lequel ils seraient transférés.

Ce ne sont pas les conseils des sages, de la société civile et du dialogue qui trouveront des solutions adéquates à ce phénomène récurrent. Prévus pour caser les aboyeurs et animateurs de réunions publiques, certains vieux grognards de la politique en perte de vitesse et rompus à la langue de bois, des personnalités proches du président, du Premier Ministre, des leaders des partis politiques qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, des syndicalistes alimentaires et des membres de la société civile nourris au biberon par les politiques, ces conseils ne sont que des caisses de résonnance qui ne servent qu’à taire et acheter le silence des courtisans un peu encombrants, en leur permettant de disposer des moyens d’existence.

Il est temps que le peuple congolais et pas seulement les politiques, réfléchissent à cette question avec beaucoup d’intelligence. Les dialogues de Brazzaville, Dolisie, Ewo, Sibiti et Diata qui ont travaillé exclusivement sur les questions inhérentes à l’organisation des élections, n’ont pas pu éradiquer cette tare qui empêche toute la population de vivre en toute quiétude. L’argument qui consiste à dire, près de 30 ans après la conférence nationale souveraine, que nous sommes toujours dans la phase d’apprentissage de la démocratie est une escroquerie intellectuelle parce que cette démocratie naine et rabougrie semble convenir à certains.

Que des blancs-becs politiques, des mafieux en col blanc et de vils journaleux affirment d’un air badin que les dialogues successifs, organisés par le ministère de l’intérieur, aient pu contribuer à la bonne marche de la nation, je peux comprendre. Mais, que des intellectuels lucides, des élus ou encore des leaders d’opinion qui sont capables de faire une analyse approfondie, sortent de telles inepties avec un air sérieux mais aussi avec beaucoup d’assurance, cela nous sidère et nous rend fielleux.

Le peuple congolais qui n’a pas les mêmes valeurs et les mêmes priorités que la classe politique dans son ensemble est conscient des maux dont souffre notre pays mais n’a jamais eu la possibilité de donner son point de vue et de proposer ses solutions. L’heure est donc arrivée pour le peuple de construire son avenir selon ses propres idées. Il n’y a pas de juste milieu entre le patriotisme et la trahison. Fini donc le temps du double jeu et de la dérobade. L’heure est à la clarté et au devoir citoyen.

C’est pour raison qu’une concertation nationale et citoyenne entre les vrais leaders d’opinions, ceux qui ont un impact réel avec les citoyens, doit être convoqué par le gouvernement, afin de jeter un regard prospectif sur l’état de la nation et d’opérer des choix novateurs susceptibles de conduire notre pays sur les chemins du développement.

Le dialogue constitutionnel promut par le gouvernement qui ne rassemblera que des femmes et d’hommes politiques peu crédibles, ne permettra pas de trouver des solutions définitives au problème qui taraude les citoyens, celui qui conduit des milliers de nos frères et sœurs dans les couloirs de la mort.

Nous avons beaucoup de respect pour ceux qui passent leur temps à chercher des voies de sortie de crise, mais les échecs chroniques font que le peuple congolais considère les formations politiques avant tout comme des mafias au service d’intérêts particuliers et pense qu’elles sont composées le plus souvent d’hommes et de femmes dont l’honnêteté n’est pas la vertu la plus partagée. C’est aussi pour cette raison que la majorité des citoyens pensent que le dialogue porté par le conseil national du dialogue présidé par Maitre Martin MBERI revêt avant tout un caractère théâtral, dépourvu de sentiments sincères.
Mais, au-delà de l’émotion que peut susciter nos interrogations, les citoyens doivent comprendre la nécessité de s’élever à la hauteur du destin de notre pays, pour lequel les principaux dirigeants ne devraient avoir qu’un seul objectif, le bonheur et le bien-être de ses enfants.

Si la classe politique veut continuer à se regarder le nombril à travers des dialogues politiques sans fin et improductifs, alors ils peuvent toujours plancher sur des sujets tels que la réduction du pouvoir de chef du Président de la République, le renforcement du pouvoir du Premier Ministre et la mise en place d’une dose proportionnelle aux législatives. Car, si le pays est instable et en difficulté permanente, c’est uniquement parce que chacun d’eux veut sa part de « Nkossa », y compris par la force.

De notre point de vue, une concertation nationale et citoyenne serait plus à même de traiter toutes les questions politiques et sociales. Cette concertation qui pourrait rassembler des personnalités qui ont un impact et un lien direct avec le peuple (anciens présidents, anciens premiers ministres, responsables des communautés religieuses, universitaires, responsables d’associations, congolais de la diaspora, citoyens tirés au sort sur les listes électorales) serait plus efficace pour trouver des solutions qui permettraient d’installer durablement un esprit de concorde, de solidarité et de partage. Aujourd’hui, l’urgence commande de traiter de tous ces sujets car la pauvreté n’est pas un destin pour notre peuple. Les questions concernant le bien-être du peuple ne sont pas des options mais doivent être au cœur de toutes actions publiques.

Puisque les politiques « pourrissent » la vie des millions de congolais pour leurs intérêts personnels, la concertation nationale et citoyenne devrait auditionner les délégués de toutes les composantes politiques sur les points cruciaux de la vie de la nation à savoir : politique, santé, éducation, social et partage de richesses. Notons en passant que les politiques qui se lamentent depuis quelques années sur la baisse du prix du baril de pétrole (autour de 35 dollars) qui serait à l’origine de la crise, sont curieusement muets depuis que le prix du baril de pétrole flambe (76 dollars pour le WTI et 85 dollars pour le Brent).

C’est parce que la recherche des solutions à ces problèmes complexes ne peut être laissée aux seuls politiques que nous devons tous adopter une attitude responsable. Si nous souhaitons éviter que chaque victime ou parent de victime aille porter plainte aux quatre coins de la planète et d’internationaliser davantage les problèmes congolais, nous avons tous le devoir patriotique de nous mettre autour d’une table.

Il est plus que temps de dépasser la revendication patriotique d’un seul jour pour mieux ancrer dans la société, la nécessité pour les dirigeants d’intégrer et de prendre en compte les besoins des citoyens. Les congolais ont tout pour réussir, ne laissons donc pas l’âme de notre pays tomber aux mains d’une horde d’opportunistes égoïstes.

L’espoir, écrivait Verlaine, luit comme un brin de paille dans l’étable. Ensemble, refusons d’accepter les entourloupes de nos élites qui depuis des décennies ne font plus de la lutte contre la pauvreté et la misère une priorité.

Personne ne pourrait reprocher à un congolais d’aimer son pays, d’en être fier et d’exprimer avec zèle son désir de vouloir profiter des ressources du pays. Que le slogan « Tout pour le peuple, rien que pour le peuple » connaisse pour une fois son heure gloire.
Soyez en sûrs, nous avons choisi le camp du peuple et sans nous rien ne sera possible dans notre pays. Nous devons tous croire en notre capacité à porter haut les idées qui nous animent.

Patriotiquement !

laurent-dzaba-3533547 Laurent DZABA

Laurent DZABA
Ingénieur Numérique, Innovation & Intelligence Artificielle Diplômé en Economie Financière Membre de l’Association française pour l’intelligence artificielle (AFIA) Contact : eveilcongo@gmail.com