Le 9 novembre 2010, suite à l’appel du parquet contre l’ordonnance permettant l’enquête sur le patrimoine de certains chefs d’État africain en France, la Cour de cassation rendait une retentissante décision autorisant la poursuite de l’enquête. Ce fut l’effervescence absolue, presque un état d’exception politico-médiatique dans les États intéressés (Guinée-Équatoriale, Gabon, Congo principalement)
Texte du 30 novembre 2010 (1)
Tente d’échapper au naturel, au galop il te rattrapera ! Telle est la leçon qui transpire du discours et de l’attitude du pouvoir de Brazzaville, à travers ses thuriféraires, depuis la décision de la haute juridiction française, la Cour de cassation, en date du 9 novembre dernier (2010). Régime despotique né, rappelons-le, d’un inédit et inouï coup d’état, accompagné de l’occupation du pays par des forces armées étrangères, de dizaine de milliers morts, de l’auto proclamation comme président du général démocratiquement viré et de la débâcle de toutes les institutions démocratiques, y compris la Constitution, c’est, malgré tout cela, sous le sceau de la démocratie ou de « l’enracinement de la démocratie» qu’affectionne se présenter le régime congolais! « Enracinement démocratique… », leitmotiv du ministre congolais de la communication, juriste-publiciste, nonobstant un régime né sous le signe de l’octroi constitutionnel et qui, jusqu’à ce jour, persiste à esquiver la Déclaration de Bamako sur la démocratie dans les pays francophones…
On aura tout entendu à la suite de cette jurisprudence! Une batterie d’expressions et qualifications qui, on aura du mal à ne pas le reconnaître, dénotent l’absurdité, l’irrationalité, l’immoralité du régime et de l’équipe en place. Qu’on en juge : pêle-mêle, journalistes et parti du pouvoir dénoncent « la jalousie contre le Congo… en raison d’un taux de croissance à deux chiffres », « des intérêts économiques qui sont en jeu, parce que le Congo a ouvert le marché à d’autres et aux constructeurs chinois », « une justice qui ne veut frapper que les faibles…pour chasser les investisseurs », « décision inique et … l’expérimentation sur le Congo de la nouvelle idéologie de la Cour de cassation», « diabolisation et manipulation », « attaque ignoble contre le président Sassou-Nguesso, le Congo et les dirigeants africains » ! Et quand les juristes, proches collaborateurs du président de fait prennent le relais, c’est pour fustiger, « en pesant les mots », «une tentative de déstabilisation et d’agression du Congo… et une décision… contre l’Etat et la république » (Laurent Tengo), « une grossièreté, une cabale, un véritable complot, une agression contre un Etat souverain »(Serge Ikiemi), « une manipulation des faits…, un complot manifeste contre l’Etat congolais et les plus hautes autorités du pays »(Thierry Moungala), au motif que « l’interprétation de la loi pénale…, de l’article 2 du code de procédure pénale…, est une interprétation stricte »(Pierre Mabiala) ! La palme, comme toujours ici, revient à l’incontournable ministre de la communication, Bienvenu Okiemy qui, foulant au pied sa formation de juriste au profit du portefeuille, y a vu, conformément à la thèse du chef, « un relent de colonialisme et de racisme… » car, selon lui,« c’est l’Afrique qui est visée » ! Et, comble de contradiction, alors que ce que postule en l’occurrence la Cour de cassation, juge du droit et non de fond, c’est tout simplement et justement la poursuite de l’enquête et d’éventuelles poursuites et justifications, le ministre-juriste se demande « où sont les preuves ?», et avance que « ce bien ne constitue qu’une goutte d’eau sur le marché parisien de l’immobilier en pleine mutation », là où son chef reconnaît déjà formellement, et à titre personnel, deux biens (cf. Documentaire Arte, du 19 novembre 2010)! Pathétique!
Autant l’importance de la question portant sur de présumés et faramineux détournements est indéniable, autant la décision de la Cour de cassation est simple et sans équivoque.
A propos de détournements, et à titre indicatif, il est fait état concernant l’immobilier tout d’abord, d’un patrimoine en France estimé à 160 millions d’euros pour les trois chefs d’Etat africains, dont dix-huit propriétés pour la famille Sassou-Nguesso, puis des dizaines de comptes bancaires. Déjà, dès 1997, un rapport d’un journal parisien, (L’Evénement du Jeudi, du 22 au 28 mai 1997), annonçait que le général congolais disposait d’au moins 1, 2 milliards ff, soit 120 milliards cfa, rien que dans les banques occidentales. Depuis, avec l’impressionnant essor des recettes pétrolières congolaises, les comptes personnels auraient flambé : ainsi, selon Xavier Harel, qui se fonde sur les jugements des juridictions britannique et américaine, un « fond vautour » nommé F.G. Hémisphère et les nombreux rapports de l’ONG Global Witness, la fortune de D. Sassou-Nguesso était estimée à plus d’un milliard de dollars entre 2003 et 2005 (Afrique. Pillage à huis clos, Fayard, 2006, pp35-45).
Bref, on remarquera qu’il s’agit là d’un phénomène peu banal qui, on s’en doute, ne pouvait indéfiniment laisser une justice quelle qu’elle soit indifférente, en démocratie tout au moins. Son importance avait ainsi, auparavant, conduit la communauté internationale, à l’initiative du président nigérian O. Obasanjo principalement, au sommet franco-africain de Biarritz, à adopter une convention en la matière, la fameuse Convention de Mérida de 2003 de lutte contre la corruption, que la France a ratifiée. Autrement dit, le phénomène est de la nature même de ceux qui poussent toujours les juridictions, en s’inspirant du droit conventionnel, à une avancée, à une création sans laquelle le juge passe à côté de son rôle. Surtout quand l’autorité exécutive initiatrice est défaillante. Ce n’est d’ailleurs pas une première, on le verra.
Statuant sur un pourvoi en cassation de l’Association Transparency internationalFrance, partie civile, contre l’arrêt de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris en date du 29 octobre 2009, qui a déclaré irrecevable sa constitution des chefs de détournement de fonds publics, blanchiment, abus de biens sociaux, complicité de ces infractions, abus de confiance et recel, la Cour de cassation, réfutant tour à tour, et adroitement, les motifs de la juridiction précitée, note simplement que : « pour qu’une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent au juge d’admettre comme possible l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ».
Plus précisément, sur la question de l’intérêt à agir, question classique en droit, motif de rejet de la requête de Transparency International par la Cour d’appel, et cheval de bataille de ‘l’intellocratie’ congolaise précitée, la Cour de cassation, simplement, rappelle un principe mille fois affirmé en droit sur les prérogatives des associations, selon lequel « pour qu’une association, même non habilitée, soit recevable à se constituer partie civile, il faut et il suffit que l’infraction poursuivie porte atteinte aux intérêts qu’elle défend… », et que par ailleurs « la recevabilité… ne s’apprécie que par rapport à l’objet de l’association et à l’infraction dénoncée ». Une association régulièrement enregistrée souligne la Cour de cassation.
A vrai dire, à la lecture de l’arrêt de la Cour de cassation, du rappel et du dépeçage des motifs de la Cour d’appel, l’on reste interloqué par l’opportunisme des arguments dont a fait montre cette juridiction (la Cour d’appel)! Il est vrai qu’elle jugeait sur appel du parquet, dont les accointances avec le gouvernement sont évidentes et régulièrement dénoncées en France, et sur une affaire qui relève de la « françafrique » ! Pour la petite histoire, l’on rappellera qu’au lendemain de l’appel du parquet en mai 2009, suite déjà à la recevabilité en première instance de la requête de Transparency, la réponse du ministre de la justice à l’assemblée nationale française, suite à l’interpellation d’un député, suscita effervescence et risée dans la salle!
Sans s’étendre, puisque ce n’est pas le lieu, et pour répondre à l’argument des ‘techniciens congolais’ sur l’interprétation stricte du code pénal, l’on rappellera encore que le 19 octobre 2010, dans une affaire qui n’est ni congolaise ni africaine, la Cour de cassation a déclaré, au contraire du code de procédure pénale (art. 63-4, al.7), mais en se fondant sur le droit communautaire (art.6, al.3, de la Convention Européenne des Droits de l’Homme) comme non conformes à celui-ci, les dispositions limitant la présence de l’avocat en garde à vue, y compris pour les régimes dérogatoires…
Tout simplement, et peut-être que l’auteur congolais de l’argument l’ignore, le droit français place, conformément à l’article 55 de la constitution en vigueur, le droit conventionnel au dessus du droit national. Les plus hautes juridictions françaises, en matière administrative (Conseil d’Etat) comme en matière civile (Cour de cassation) n’en sont pas à leur première expérimentation, bien au contraire !
Ainsi, tout esprit objectif comprend aisément qu’en décidant comme elle l’a fait, la Cour de cassation qui n’a nullement condamné ou porté atteinte « …aux plus hautes autorités du Congo », encore moins « …à l’Etat et à la République », offre au contraire la possibilité aux personnes soupçonnées, dans une affaire qui est on ne peut plus grave puisque liée au détournement de centaines de milliards cfa, la possibilité de se laver de tout soupçon, de fournir justement, s’ils sont cités, la preuve de leurs multiples acquisitions immobilières.
En recourant à de nouvelles et ridicules créations comme celles du ‘président-Etat’, du ‘président-peuple’ ou du ‘président-continent’ représentatif de la race noire, théories absurdes et hors-sujet, pour instrumentaliser la question raciale et postuler ainsi l’impossibilité de l’enquête et du jugement, la nomenklatura congolaise signe un aveu, de toute façon peu étonnant, et déjà vérifié dans les méthodes d’accès et d’exercice du pouvoir : l’obstination et l’enracinement dans l’ arbitraire.
Simplement, et en définitive, l’affaire des « biens mal acquis » et les réactions irrationnelles qui se sont déchaînées, au Congo particulièrement, participent du pouvoir mal acquis. Tout pouvoir rationnel, mû par les principes démocratiques, aurait trouvé dans cette décision, l’opportunité de démontrer auprès d’une juridiction indépendante et à l’opinion internationale, sa probité. Le quasi-mutisme du parlement congolais et des ‘opposants’, sur une affaire aussi grave, puisque choquant le bon sens, la morale et de surcroît anticonstitutionnelle, révèle le haut degré de corruption des institutions et des forces en place.
Dès lors, n’est plus innocente l’absence prolongée d’une loi prévue depuis par la ‘Constitution’ du régime de 2002, en son article 48, sur la déclaration du patrimoine des différents responsables administratifs et politiques avant la prise de leurs fonctions, et à la cessation de celles-ci. L’on se rappellera que dans le fameux mémorandum de l’opposition du printemps 1997, signé notamment par le général Sassou, se trouvaient en bonne place, avec la revendication d’une ‘force internationale’ pour organiser les élections présidentielles, la revendication de la mise en œuvre du dispositif sur la déclaration du patrimoine des autorités administratives et politiques ! C’est cela, « une jeune démocratie trop bien engagée dans la voie du renouveau », défendue par le ministre-juriste, et régie par une constitution octroyée qui, avec la domestication des partis politiques, instaure le régime le plus rétrograde de l’histoire constitutionnelle et politique du Congo !
Les réactions congolaises, dans cette affaire, révèlent par ailleurs, à ceux qui y croient mordicus, les incertitudes de la thèse du renouvellement de la génération. Certes, il le faut, mais le renouvellement ne garantit pas tout à fait contre les graves maux souvent déplorés. Ici, on l’aura constaté, c’est une nouvelle génération, élite formée, qui est montée au créneau et s’est dévoyée pour faire l’éloge de l’arbitraire, du pillage et de la bêtise au mépris de leur formation, et exclusivement pour leur portefeuille ou autres petits intérêts.
En définitive, et au contraire d’un ancien ministre français des affaires étrangères qui trouve des justifications au pillage massif de l’Afrique par ses dirigeants, au motif qu’il en était ainsi sous la IIIème République française sans que cela n’empêche le développement (Documentaire Arte, cité), on rappellera, et c’est un truisme, que « le pillage des richesses par les dirigeants et l’impunité dont ils jouissent annihilent toute possibilité de développement et de construction d’un Etat de droit (cf. Biens mal acquis, Document, Survie, 2008, p.12). Le diabolique coup d’Etat de 1997 et ses monstrueuses conséquences au Congo en est une parfaite illustration…
Félix BANKOUNDA-MPELE, Constitutionnaliste
30 novembre 2010
(1). Il intéressera ceux qui souhaitent suivre l’évolution de ce sujet, en complément de ce texte datant de 2010, de lire le texte à l’intitulé suivant, accessible sur le web: « L’AFFAIRE DES ‘BIENS MAL ACQUIS’: Quels enseignements après 10 ans de combat judiciaire ? »