Sommet du système sanitaire du pays, le C.h.u (Centre hospitalier et universitaire) de Brazzaville présente, depuis quelques années, des dysfonctionnements liés à des causes endogènes et exogènes qui mettent à mal son fonctionnement et ses prestations.
Conscient du fait que la gestion d’une structure ne peut être rationnelle que lorsqu’on fait des diagnostics opérationnels, le Ministère de la santé et de la population avait ordonné un audit organisationnel et financier des exercices 2013 à 2015 du C.h.u. Réalisé par le cabinet Cacoges, l’audit, dont la restitution des conclusions a eu lieu vendredi 16 juin 2017, à l’auditorium du C.h.u, révèle de nombreux dysfonctionnements et gabegies financières qui pourraient faire tomber des têtes.
« Le CHU de Brazzaville est plus malade que ses patients »
C’est dans une salle archicomble de l’auditorium du C.h.u que s’est déroulée la restitution de l’audit, sous le patronage de Donatien Moukassa, directeur de cabinet de la ministre de la santé et de la population, en présence de Charles Bileckot, inspecteur général de la santé, Mme Gisèle Marie Gabrielle Ambiero Alliandzi, directrice générale du C.h.u, Mme Yvonne Valérie Voumbo Matoumona, conseillère du Président de la République, chef du Département de la santé, de la population et de l’action humanitaire; des représentants de la police, de l’Inspection générale du contrôle d’Etat, de la Commission nationale de lutte contre la corruption, la concussion et la fraude; de la Cellule de passation des marchés publics, etc.
D’entrée de jeu, le cabinet Cacoges a fait remarquer qu’il était, dans la réalisation de cet audit, confronté à des goulots d’étranglement qui ne lui ont pas permis de réaliser sa mission, notamment l’absence de comptes administratifs, des comptes financiers approuvés, de rapport d’activités signés. Les documents disponibles ne sont pas exhaustifs.
S’agissant de l’audit opérationnel, le cabinet Cacoges a constaté une centralisation des pouvoirs au sein de la Direction générale, l’absence de manuels de procédure, l’insuffisance de libéralisation des textes de base, la non-conformité aux normes de sécurité, d’hygiène, de qualité de l’environnement, l’insuffisance dans la procédure de recouvrement des ressources, le caractère non-opérationnel du service des archives et de la comptabilité analytique.
A la Direction de gestion des ressources humaines, il a été constaté que les états de paie ne correspondent pas aux travaux réellement effectués par les agents du C.h.u; le service administratif et technique ne présente pas systématiquement les états liquidatifs pris au niveau du fichier de la solde; le paiement des agents en situation d’absence prolongée et des agents décédés qui ne sont pas systématiquement sortis du fichier de la paie; le paiement en espèce de 800 agents. «Cette pratique peut occasionner plusieurs malversations financières et des détournements», a expliqué le cabinet Cacoges.
En outre, il a relevé une politique de formation en déphasage avec les besoins du C.h.u, des procédures non-optimales de recrutements; l’inadéquation entre les postes occupés et les occupants; les postes occupés qui ne correspondent pas aux personnes qui exécutent ces tâches. Plus grave, le C.h.u paie des primes qui, pour l’ensemble, ne sont pas justifiées ou instaurées par le comité de direction, mais, simplement, par la direction générale. Il s’agit des primes ci-après:
- prime de paiement de salaires (2.425.000 F.Cfa par mois);
- prime de fonctionnement de la Cellule de passation de marchés (6.200.000 F.Cfa/mois);
- prime de convoyage de fonds, chaque fois qu’il y a des mouvements de trésorerie (10.000.000 F.Cfa/mouvement);
- prime de rapprochement des écritures (39.000.000 F.Cfa/mois);
- prime d’élaboration de balance mensuelle (2.425.000/jour);
- prime de traitement urgent de salaires (2.700.000 F.Cfa/mois);
- prime d’encouragement fonds et valeurs (2.775.000 F.Cfa);
- prime d’arrêté des écritures (14.310.000 F.Cfa);
- prime de traitement de la paie (18.220.000 F.Cfa/jour).
«Toutes ces primes ont été mises en place par la Direction générale du C.h.u et non par le comité de direction qui doit délibérer sur le statut et la rémunération du personnel, conformément à l’arrêté portant organisation du C.h.u», révèle l’audit.
Au niveau de la Cellule de passation des marchés, il n’y a, selon l’audit, aucun respect des procédures. «Les marchés sont attribués de gré-à-gré. Plusieurs marchés ont été attribués à un même entrepreneur, au travers plusieurs structures qu’il possède».
Dans le processus d’approvisionnement, le receveur hospitalière, indique l’audit, est lui-même fournisseur du C.h.u. «Les prix pratiqués par certains fournisseurs étaient supérieurs à ceux du marché, les ruptures de stocks sont constatées surtout au niveau de la pharmacie», poursuit l’audit qui a révélé plusieurs anomalies dans la facturation, notamment les consultations gratuites de plusieurs personnes qui seraient des membres des familles des agents du C.h.u, sans constitution d’un dossier véritable; des réductions accordées par certains agents, sans en être habilitées. Par ailleurs, la comptabilité ne se tient pas de façon régulière, «la recette hospitalière ordonne les paiements sans titre et visa de la D.c.b; les ordres de paiement payés sans aucune justification».
S’agissant de l’examen des comptes, des écarts importants sont constatés entre les montants encaissés et les reçus compilés au service des admissions, soit 388 millions de francs Cfa (2013), 400 millions de francs Cfa (2014) et 68 millions de francs Cfa (2015). «Les comptes financiers provisoires laissent apparaître des montants différents. Plusieurs paiement sont exécutés sans la signature de la Direction générale et du délégué du contrôle budgétaire, sans pièces justificatives (1 milliard 72 millions de F.Cfa, en 2014; des retraits en espèce d’argent dans le compte du C.h.u sans justification; des trop payés dans les travaux de peinture réalisés au C.h.u», dénonce cet audit qui devrait interpeller les autorités nationales quant à la gestion de cette structure sanitaire.
Depuis onze mois, le C.h.u ne bénéficie plus de cette subvention. D’où le cri du cœur de sa directrice générale aux pouvoirs publics. «Je sais que nous sommes dans une situation financière difficile et délicate. Mais, je pense que le gouvernement devrait avoir un regard plus attentif face aux hôpitaux, parce que les besoins ne peuvent pas attendre», a-t-elle expliqué.
Le C.h.u est vraiment malade de ses gestionnaires, ses services et ses bâtiments. Depuis le 6 juin 2017, le service de stérilisation est paralysé. Et pour cause, les trois machines stérilisantes sont en panne.
A l’imagerie médicale, le scanner n’est plus en fonction, depuis décembre 2016. Même la centrale d’oxygène, dont la production a été relancée en novembre 2016, est en arrêt technique. Le manque d’entretien et de maintenance serait, selon la directrice générale, à l’origine de cette situation. Il n’y a, donc, plus d’opérations chirurgicales au C.h.u.B.
Pour elle, l’heure de vérité a sonné. En effet, dans une correspondance, la patronne du C.h.u.B a décrit un tableau déplorable et un fonctionnement malheureux de sa structure. Elle a dénoncé l’«adversité féroce d’un grand réseau maffieux» qui, bien avant elle, a «toujours tué le C.h.u.B». «C’est un grand réseau subtile et rusé, aux tentacules très profondes et médusées, qui vole, qui pille, qui mente, désoriente et désinforme; et ayant des aspirations qui sont dirigées chaque jour vers le mal et la cupidité démesurée…Ma personne à la tête du C.h.u.B dérange les lobbies, parce que j’ai refusé de me faire corrompre et de faire leur funeste volonté habituelle. ..On refuse de me donner les moyens de ma politique », a-t-elle écrit.
Nous espérons que cet audit, qui devrait être un outil d’aide à la décision, va vraiment révolutionner les choses et redorer le blason terni de cette structure hospitalière de référence dans notre pays. D’autres structures publiques devraient, d’ailleurs, suivre cet exemple, en réalisant des audits de leurs gestions, afin de corriger les dysfonctionnements qui les affectent.
Cyr Armel
YABBAT-NGO
Source : La Semaine Africaine
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Lettre du directrice du CHU de Brazzaville à Sassou Nguesso
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Hôpitaux publics : on tente de mettre de l’ordre
Invité du journal dominical de Radio-Congo, l’inspecteur général de la santé, le professeur Roger Richard Bilecko, a annoncé une mesure destinée à remettre un tant soit peu de l’ordre dans les finances des hôpitaux généraux. Ainsi, il est interdit aux agents comptables, aux receveurs et délégués des hôpitaux généraux de programmer les dépenses et de les exécuter sans en avoir reçu mandat de l’ordonnateur habilité. Cette mesure a été prise au lendemain de la présentation de l’audit fait par le Cacoges (Cabinet d’audit du Conseil et de gestion d’entreprise) sur le C.h.u (Centre hospitalier et universitaire) de Brazzaville, commandé par le ministre de la santé et de la population. Cet audit met à nu de gros dysfonctionnements financiers dans le plus grand centre sanitaire du pays où, malheureusement, tout l’appareillage de pointe est actuellement en panne. Il faille donc prendre de bonnes décisions pour assurer le fonctionnement normal de ce centre hospitalier en état de déliquescence. L’interdiction d’agir en solitaire faite aux agents visés par la mesure annoncée serait une bonne décision.