CHRONIQUE D’UNE CRISE EVITABLE AU CONGO : Le monologue de Sibiti n’a pas dégagé de consensus

Ce qui ressort du dialogue de Sibiti est que le pouvoir de Brazzaville a pu rendre public sa vision pour une nouvelle Constitution. En revanche, cette rencontre n’a pas pu être le cadre inclusif pour la recherche du consensus qui a avait été appelé et souhaité par l’opinion nationale et internationale.

Etait-ce intentionnel, dans le but de se prévaloir d’un consensus fabriqué ? Ou alors des maladresses d’organisation ont abouti à ce résultat monocolore ? Ce qui est sûr, c’est que les organisateurs n’ont pas mené la diplomatie de couloir nécessaire pour aplanir tous les préalables avouables et inavouables en vue du succès de la rencontre. Les points d’accords et de consensus existaient malgré les apparences. Quelques indiscrétions dans le milieu UPADS faisaient déjà savoir qu’ils ne s’opposeraient pas au référendum à condition que le processus électoral soit irréprochable, avec notamment une reprise du recensement électoral. Ces brèches n’ont pas été exploitées. Qu’il s’agisse des consultations comme du dialogue, les invités ont été surpris par les annonces, déboussolés par les cadenciers, rendus méfiants par les commissions préparatoires imposées et les ordres du jour établis à l’avance, pour une finalité annoncée. Le dialogue s’est alors résumé en « inter-majorité et amis » pour accoucher de plusieurs non-sens.

Non-sens parce que principalement, ce dialogue n’a pas répondu à la question essentielle posée par le Président de la République sur l’évolution des institutions, à savoir, « si oui, comment ? ». Le rapport final ne donne en effet aucune piste de faisabilité juridique de leurs propositions pour aller vers un nouveau texte fondamental.

Il faut savoir à cet effet que pour qu’il y’ait un projet constitutionnel à soumettre à référendum, il faut une assemblée constituante pour composer ce texte. Le parlement actuel et le Président de la République et moins encore le « dialogue » n’ont pas les pouvoirs d’une assemblée constituante. Et c’est là le témoignage d’une certaine improvisation dans ce débat confié à des « sages » et à des opportunistes car si les tenants du changement de la Constitution avaient de la ressource, ils auraient commencé par proposer un référendum accordant au parlement un pouvoir constituant. Le changement serait alors légal et conforme. Quoique, même dans ce cas, le consensus s’impose.

Ainsi donc, l’ébauche de pistes de réformes constitutionnelles proposée dans le rapport du dialogue de Sibiti n’est pas un projet constitutionnel ; il n’a pas plus de valeur que la réflexion d’un parti politique. D’où viendra alors la constituante ? Rien n’a été dit.

En outre, les clauses de la « Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance » considèrent comme anticonstitutionnel tout changement de la loi fondamentale à moins de 10 mois de l’élection à venir. Ce qui signifie que, si par une acrobatie qui reste à démontrer le référendum se tenait, il devait avoir lieu au plus tard le 10 septembre 2015 et qu’avant cette date, l’ensemble des mesures à mettre en place pour une meilleure gouvernance électorale conformément aux consensus de Sibiti soit opérationnel. Ce qui est impossible.

Politiquement, le peuple congolais veut d’un renouveau, oui. D’une nouvelle république, c’est sûr. Mais cela signifie pour lui, la fin du pouvoir inique et léonin des vainqueurs de la guerre, qui 18 ans après celle-ci, ne se justifie plus. Surtout auprès de la jeune génération, majoritaire, qui ne se sent pas protagoniste de ces conflits originels et justificatifs et encore moins ne se considère dans le camp des vaincus, pour encaisser avec résignation les privations qu’elle subit, et regarder la jouissance des victorieux.

A côté, le Président Denis SASSOU NGUESSO semble ramer à contre sens, même de ses propres intérêts. Au moment où il sollicite une nouvelle confiance, le système reste aussi verrouillé et exclusif qu’au lendemain de la guerre, ce qui laisse présager la continuité dans la nouvelle République. Les cadres des pays du Niari sont toujours exclus de la gestion du pays, punis d’avoir soutenu Pascal LISSOUBA. Ceux du Pool réduits en porteurs d’eau. Il s’est aliéné les Plateaux, la Likouala, la moitié de la Cuvette, jusqu’au Kouilou très conciliant d’habitude, mais dont les principaux partis appellent désormais au non changement de la Constitution : le RDPS après plus de 15 ans d’alliance et une dissolution au RMP n’a pas pu avoir un seul ministre, comme si la seule règle qui compte toujours, c’est d’avoir gagné la guerre avec eux. Au sein même de la majorité, en dehors de son propre parti et celui de son neveu, tous les autres partis parlementaires ont refusé le changement de la Constitution.

Peut-il s’appuyer sur le peuple ? Les fonctionnaires congolais ont les plus bas salaires d’Afrique centrale avec des disparités astronomiques entre eux et leurs dirigeants ; ils ne bénéficient d’aucune couverture sociale, leurs carrières sont soumises aux humiliations et aux allégeances. Les étudiants et les chômeurs sont au même régime des allégeances et des cercles des vainqueurs ; il n’y a aucune industrie en construction qui aurait pu leur faire espérer de lendemains meilleurs. Les commerçants et les hommes d’affaires n’ont aucun soutien bancaire, quand d’autres, fonctionnaires et militaires du bon camp, sortent des milliards du trésor public pour leur faire concurrence et raflent les marchés publics. Les grands cadres sont dépités de voir que ce sont toujours les vainqueurs de la guerre qui occupent les meilleurs postes, et y restent à vie. Pourquoi auraient-ils besoin de continuer ainsi ?

C’est long 18 ans à courber l’échine, à presque s’excuser d’exister, à n’être servi que de miettes, à être dominés parfois par des cancres notoires qui n’ont pour seul mérite que d’être dans les rouages des vainqueurs d’une lointaine guerre. Si les caciques de la continuité croient que cela a suffi de convaincre ces malheureux d’accepter leur rang de citoyens inférieurs, ils doivent savoir que même 500 ans d’esclavage n’ont jamais entamé l’aspiration des hommes à la liberté et l’égalité. Les plus conciliants comme nous qui ont œuvré pour ramener le régime à plus d’égalité et de considération, avons fini par perdre espoir.

L’image de la nouvelle République prônée par le PCT est encore plus ruinée dans le fait que les deux associations de propagande créées à grands frais aux fins de soutenir ce changement de la Constitution, sont dirigées par des neveux et enfants du Chef de l’Etat (M2NR et DNR respectivement des « princes » Edgard et Kiki), qui apparaissent ainsi comme premiers bénéficiaires du soit disant nouvel ordre. C’est l’avant dernier pas avant la monarchie absolue et héréditaire, consacrant à tout jamais la structure clanique et impériale du régime à venir. La proposition d’abaissement de l’âge des candidats à l’élection présidentielle, élimine tout doute quant à la succession programmée.

Est-ce là le comportement d’un régime qui veut donner confiance ? Titiller le goût du sang, la peur, l’exclusion, la censure au lieu de l’ouverture et l’intégration ? Sortir les blindés, les chars de combats dans les rues et faire survoler les hélicoptères de guerre pour annoncer qu’un consensus national a été obtenu à Sibiti ? Le PCT lui-même restera-t-il le parti au pouvoir après le changement ou bien le clan va-t-il se resserrer vers un clientélisme plus biologique ? Me fiant aux réflexions du Bureau Politique du PCT qui ont fuitées, je me laisse croire qu’il y a au sein de ce parti des personnes censées qui vont savoir arrêter ce cauchemar.

Tous les soucis de fin de mandats peuvent en réalité être réglés par des lois. Par exemple, une loi portant statut particulier des anciens chefs d’Etat pour garantir l’immunité du président. Une autre, portant création d’une commission de surveillance des fonds de campagne et de fonctionnement des partis politiques afin de renforcer le contrôle paritaire de la démocratie au profit de tous. Encore une, portant création d’une commission des nominations aux grandes fonctions de l’Etat pour dépolitiser et rendre égalitaire avec des critères de compétence approuvés, l’administration, l’armée et les institutions du pays. Il y’a également nécessité de renforcer le rôle du Conseil économique et social dans la création et la distribution des richesses. Enfin, pour mettre fin aux arrestations arbitraires, aux interdictions de manifester, de voyager et de se réunir, aux abus de pouvoir, aux restrictions à la liberté de communication… le Congo a besoin d’un Tribunal administratif permanent, capable de casser promptement des décisions administratives iniques.

Tout ceci pourra garantir une alternance protégée, car un jour, les tenants du pouvoir d’aujourd’hui seront de l’autre côté de la barrière et seront heureux d’être protégés par un bon dispositif.


Sibiti n’a rien réglé aux antagonismes politiques graves qui déchirent notre pays. Mais l’heure des arguments n’est pas terminée, et celle du rapport de force ne doit pas exister. Le dialogue est toujours impératif, et il est encore possible.

Prenons alors Sibiti comme un point de vue. Ensuite, que ceux qui n’y sont pas allés formalisent aussi le leur. Au final, organisons une médiation entre les représentants des deux points vue, arbitrée par la communauté internationale parce que le Président de la République du Congo étant l’enjeu du débat et le bénéficiaire de l’opinion d’un des camps, il ne peut plus incarner l’impartialité dans ce débat.

Nous devons être des gentlemen capables de respecter les règles du jeu, et des gens civilisés et ingénieux qui peuvent contester sans en arriver au sang.

Marchons ensemble pour un consensus. Sans vote. Sans référendum. Sans armes.

Patrick Éric Mampouya