Ancien directeur du Centre national de la statistique et des études économiques (1977-1984), ancien ministre du commerce, dans le gouvernement de transition Milongo (1991-92), ancien ministre du développement industriel (1992-93), Clément Mierassa (67 ans) est le président du P.s.d.c (Parti social-démocrate congolais), parti fondé en 1990 et situé, aujourd’hui, à l’opposition I.d.c-Frocad. Dans l’interview qu’il nous a accordée, le leader du P.s.d.c parle du retrait de sa candidature à l’élection présidentielle et de la situation politique nationale post-électorale.
Il appelle à la tenue d’un «dialogue franc et sincère», pour sortir le pays de la crise actuelle.
* Monsieur le président du P.s.d.c, après l’élection présidentielle, on ne vous entend plus parler, que se passe-t-il exactement?
** Mon parti, le P.s.d.c, fait partie de l’I.d.c-Frocad. Nous avons choisi d’aller à l’élection présidentielle. Au départ, j’étais candidat. Puis, je me suis, finalement, retiré, pour soutenir Jean-Marie Michel Mokoko, avec lequel j’ai fait campagne. Nous sommes revenus et j’avoue que pendant un temps, nous avons laissé la parole au candidat. Quant à nous, nous nous préparons pour nous relancer dans le combat politique. Nous allons nous exprimer, bientôt, à travers vos médias. Donc, je suis bien là, bien présent à Brazzaville, prêt à suivre le combat politique et prêt à ce que nous allions jusqu’à la victoire finale.
* Le retrait de votre candidature avait suscité de vives réactions au sein de votre parti, qu’est-ce qui avait motivé ce retrait?
** Il s’est agi de se conformer à une décision qui était prise au niveau de l’I.d.c-Frocad, nous avions déjà suffisamment de candidatures. Il y en avait déjà quatre et celle de Jean-Marie Michel Mokoko qui s’est ajoutée. On a pensé que ça correspondait à notre stratégie. J’étais fair-play, j’ai dit qu’il n’y avait pas de problème pour retirer la mienne. D’autant qu’avec Jean-Marie Michel Mokoko, je me suis retrouvé dans les idées que je défendais.
* Mais quelle est, aujourd’hui, votre aventure électorale?
** Aujourd’hui, ce n’est pas une aventure électorale. Je suis très, très heureux de ce qu’on a fait. En tant que journaliste, vous suivez bien nos activités. Pendant longtemps, j’ai déclaré, de façon claire, qu’aucune élection libre, démocratique et transparente n’était organisée dans ce pays. En 2008, j’ai démontré que dans beaucoup de localités, le corps électoral était supérieur à la population. Ensuite, nous avons eu des débats, pour montrer qu’il n’y avait pas la maîtrise du corps électoral.
En 2012, nous avons fait ressortir qu’un candidat du P.c.t, à M’filou, avait eu plus de voix qu’il n’y avait d’électeurs et que dans un certain nombre de circonscriptions, puisqu’il s’agissait des élections législatives, le corps électoral avait évolué entre le premier et le deuxième tour. Nous n’avons cessé de dénoncer cette fraude, cette manigance, cette tricherie et que la commission nationale, soi-disant aujourd’hui électorale et indépendante, n’est rien d’autre qu’un service à la disposition du gouvernement. Puisque cette structure dépend du ministre de l’intérieur et de la décentralisation qui, lui, est responsable devant le président de la République. Il n’y a pas d’indépendance.
Aujourd’hui, je vous dis que je suis très, très content, parce que tous les Congolais se sont rendus compte que les résultats qui ont été donnés ne traduisent pas la vérité des urnes et qu’aujourd’hui, même la communauté internationale, à travers les déclarations du département d’Etat américain, du Quai d’Orsay, en France, et à travers d’autres déclarations, s’est rendue compte que ce sont des élections qui ont été très mal organisées et dont les résultats ne reflètent pas la vérité des urnes. Je vous dirais, d’ailleurs, à ce propos, et je l’ai déjà dénoncé, puisque cela n’a pas été compris, la Cour constitutionnelle est dans l’illégalité la plus totale. Ce sont des choses qui sont tolérées dans un pays où les dirigeants ne cessent pas de violer la Constitution, même la nouvelle qu’ils cherchent à mettre en application. Ils ont commencé à la violer, de la manière la plus flagrante. C’est dans ça que nous sommes convaincus de notre combat politique et nous allons continuer ce combat.
* La page est tournée. Le premier président de la nouvelle République est investi, les nouvelles institutions commencent à être mises en place, mais quelle est votre démarche politique actuelle?
** Vous dites que le président est investi, mais le Congo connaît un malaise. En 2012, j’ai fait partie de ceux qui disaient que le pays traversait une grave crise multidimensionnelle et qu’il fallait s’asseoir et tenir les états généraux de ce pays. On n’a pas voulu nous suivre. Aujourd’hui, investi ou pas, il y a un malaise, parce que les Congolais savent que ça ne traduit pas la vérité des urnes. Et je sais que les dirigeants, eux-mêmes, ne sont pas à l’aise. Je ne vous apprends rien, en vous disant qu’ils ont fait pression sur le général Jean-Marie Michel Mokoko, pour que le 26 avril dernier, qu’il fasse une déclaration, pour reconnaître les résultats publiés par la Cour constitutionnelle, alors qu’il ne les a pas reconnus. Mais, s’ils étaient si sûrs de ça et si confiants en eux, pourquoi de telle démarche? Vous voyez bien qu’il y a un malaise. Mais en plus de ça, le Congo connaît quoi? Il y a une crise, une grave crise multidimensionnelle, il y a une crise électorale, il y a une crise financière et on n’en parle pas beaucoup. Vous voyez que le président de la République a essayé de se rattraper, dans son discours d’investiture, en parlant de changement et de rupture. Mais, c’est un discours qui n’est pas crédible, parce qu’il a eu le même discours, en 2009, en épinglant les dirigeants de ce pays, dans la corruption, dans les détournements de fonds, dans la concussion, dans le népotisme, dans la fraude et autres. Rien n’a bougé, en ce temps-là.
* Etes-vous convaincu que cette fois-ci, les choses ne vont pas bouger?
** Je suis convaincu que rien ne bougera. Je ne vous apprends rien, vous savez bien, aujourd’hui, ni le président de la République, ni les membres du gouvernement n’ont déclaré leurs patrimoines à leur entrée en fonction. Donc, nous recommençons encore avec cette situation où le premier magistrat ne respecte pas son serment et les lois et règlements de la République. Ajouter à ça la crise et le manque de rayonnement au plan international du Congo, à cause de ce que vous connaissez au niveau de l’Union européenne, au niveau du département d’Etat américain et la situation du Pool, etc.
Nous disons, modestement, que le pays n’avancera pas, si les Congolais ne s’asseyent pas, pour un dialogue franc et sincère. Les Congolais ont, maintenant, la preuve que non seulement la Commission nationale électorale n’est pas indépendante, mais en plus, ils n’ont pas besoin de la crise dans le Pool, ils n’ont pas besoin des autres aspects, ils ont besoin de vivre en paix. Et avec les difficultés financières qui se pointent! Je vous dirais, modestement, si je parle de moi: je suis retraité, mais je touche, péniblement, ma pension. J’espère que ça ne touche pas que les retraités. Vous avez suivi, jusqu’aujourd’hui, on n’a pas tenu les commissions d’attribution et de renouvellement des bourses des étudiants. Vous imaginez ce que ça fait? Comment vivent les étudiants qui sont à l’extérieur, dans les pays d’Europe, dans les pays africains? C’est extrêmement grave.
Il faut que ce gouvernement se ressaisisse, œuvre pour la réconciliation nationale et pour une véritable lutte contre les antivaleurs, parce que le Congo est classé parmi les pays les plus corrompus du monde; que ce gouvernement lutte contre les détournements de fonds; qu’il y ait une attention particulière qui soit accordée à la qualité de la dépense publique, au choix judicieux des projets économiques et autres. Sinon, nous en avons encore pour longtemps. Mais moi, je suis pour le changement et la rupture et nous allons continuer ce combat.
* Puisque vous soutenez la vision du président de la République, «changement et rupture», quel message lancez-vous au peuple congolais?
** Nous utilisons les mêmes mots, sans parler de la même chose. Quand je parle du changement et de la rupture, le premier constat que je fais, je vous le dis, franchement, c’est que le président de la République a lamentablement échoué. Je suis très heureux que ce soient ses propres ministres qui font le constat, maintenant. Suivez toutes les déclarations du ministre Mabiala, au niveau de la justice, pour vous rendre compte que la situation du pays est extrêmement grave. Quand vous suivez les autres ministres, rien qu’à déclarer que les Congolais n’ont plus la volonté d’arriver à l’heure au travail, il faut chercher les causes structurelles.
Quand vous avez opté pour la médiocrité; quand vous faites la promotion des gens qui ne sont pas compétents; quand vous faites la promotion de la gestion clanique; quand vous faites la promotion des antivaleurs pour la gestion de l’Etat, vous aboutissez à l’auto-destruction que nous vivons, maintenant. C’est en ça que nous parlons de changement et de rupture.
Propos recueillis par Pascal Azad DOKO
La Semaine Africaine