Congo Brazzaville : Denis Sassou Nguesso partira ou partira pas ?

Voici le schéma qui risque de décourager les opposants. L’actualité brûlante est centrée autour du changement ou non de la constitution du 20 janvier 2002. Les membres du Parti Congolais du Travail (PCT) initiateurs de ce projet estiment qu’il faut changer cette constitution du 20 janvier 2002 pour permettre au successeur du président Sassou de gérer le pays sans ambiguïté. Mais, en le disant, ils ne font pas état des difficultés que pourrait rencontrer ce nouveau président.

Du côté de l’opposition, c’est une stratégie bien ficelée pour permettre au président Sassou de briguer un 3e mandat.

Car son « travaillons d’abord » cacherait un agenda.

Du côté des opposants, la question du changement de cette constitution n’a pas sa raison d’être. D’abord, elle n’est pas à l’ordre du jour au regard de la fin du mandat du président de Denis Sassou Nguesso qui arrive à terme, le 12 août 2016.

Pour les opposants, seule la question de la gouvernance électorale prime sur le débat aujourd’hui.

Du coup, les deux camps sont diamétralement opposés, chacun avec son argumentaire sur les lèvres.

En dehors de ces deux camps politiques, il y a un autre camp qui arrive avec un autre argumentaire, celui du changement de la constitution en vue de mettre en place un gouvernement d’union national.

Ce point de vu n’a pas d’échos et il n’est pas audible étant donné les tenants de ce camp s’expriment comme qui dirait en sourdine. Mais, c’est sur ce dernier groupe que les hommes du pouvoir fondent la meilleure stratégie pour arriver à se maintenir au pouvoir.

Seulement, de tout ce qui se dit, tant par les opposants que par les hommes du pouvoir, aucune de toutes ces idées n’est acceptées par le père de la nation, Denis Sassou Nguesso. Comme si l’idée du chargement ou non de la constitution du 20 janvier 2002 ne lui préoccupait pas, le président exhorte les populations en disant : « travaillons d’abord ».

En effet, le chef de l’Etat Congolais reste silencieux sur le sujet. Il ne se prononce pas pour départager les deux enfants qui se battent.

Le «travaillons d’abord», selon Guy Romain Kimfoussia, (président de L’Udr-Mwinda) «est une phrase pour endormir le peuple».

A la clameur publique, il est indiqué que «Travaillons d’abord» est une phrase qui dit presque tout. Car, en elle, existe un petit reposant que les opposants ne semblent pas discerner. Car, selon les dires, le président Denis Sassou Nguesso en disant « travaillons d’abord » oriente le débat vers une promesse indéterminée, sans aucun terme de référence qui définit la suite après ce travail.

La réflexion faite à ce sujet (qu’elle soit juste ou pas, bonne ou mauvaise) détermine la grande stratégie du président de la République pour la suite de son pouvoir qui aujourd’hui est arrivé à la fin de règne. Tout le monde sait qu’il est difficile qu’un chef d’Etat africain quitte le pouvoir à la fin de son mandat. En dehors de Nelson Mandela, de Sédar Senghor et de quelques autres qui ont laissé le pouvoir pour passer le témoin aux autres. L’actuel chef de l’Etat, rentrerait dans ce club très fermé si et seulement s’il quittait le pouvoir en respect des textes préétablis.

Mais les prises de paroles, les interviews et les conférences de presse accordées ça et là prouvent à suffisance qu’il incarne plusieurs idées au regard aussi des dossiers judiciaires qui l’attendent.

C’est l’occasion de dire que le président Denis Sassou N’guesso a quelques cartouches à utiliser pour paralyser tous ceux qui se proclament pour son départ.

La première cartouche consisterait de jouer avec le temps. Ce temps si précieux qui coure si vite vers l’élection présidentielle et qui oblige les opposants de tabler sur la gouvernance électorale en passant par le dialogue pour définir les points du recensement administratif afin d’avoir un corps électoral fiable qui découlerait d’un découpage électorale fait sur la base des règles de l’art.

Pour les opposants, il faut finir avec ce système de 15.000 habitants pour une circonscription et un peu moins d’habitants pour plusieurs circonscriptions. Cela relève d’une tricherie. Et il faut enlever aussi ce favoritisme qui fit que le village Ongogni, par exemple, (au nord du pays) avec 20.000 habitants compte deux circonscriptions et Kinkala (au sud du pays) avec 30.000 habitants n’a qu’une seule circonscription.

Pour les opposants, il faut détruire aussi ce que révèle Clément Mierassa quand il dit «depuis le retour du président au pouvoir en 1997, aucune élection crédible, libre et transparente n’a été organisée dans ce pays.

Cette magouille est orchestrée par le président Sassou lui-même, en donnant l’organisation des élections au ministère de l’intérieur enjambant du coup le rôle de la CONEL.

De l’avis de tout le monde, toutes les élections ont été chaotiques. Elles ont fait découvrir des taux d’abstention extrêmement élevés avoisinant 90 à 95%.

Les preuves flagrantes de la machine à tricherie ont été mises à nu. La réalisation du recensement général de la population et de l’Habitat de 2007 a permis de faire découvrir des choses scandaleuses.»

Toujours, selon lui «on a découvert que dans beaucoup de localités, le corps électoral était supérieur à la population. Ce qui veut dire que même les bébés votent dans ces localités. La fraude électorale ayant atteint son paroxysme, on a constaté que le département des Plateaux, de la Cuvette et de la Cuvette Ouest, favorables au pouvoir étaient plus peuplés. Abala, par exemple, avec un corps électoral de 19.484 électeurs n’avait que 11.296 habitants; Ollombo avec un corps électoral de 25.757 électeurs n’avait que 12.184 habitants; Tchikapika avec un corps électoral 8.423 électeurs n’avait que 5.970 habitants. Bref, la réalité est qu’il y a eu gonflement de chiffre dans des zones qui sont favorables au président Sassou » et d’ajouter ; « la situation est préoccupante.»

Or, toute cette fraude ne peut être balayée que lorsque les deux camps trouveront une solution d’éradication.

C’est autant dire qu’avec le jeu de temps auquel jouerait le chef de l’Etat, le programme proposé par le FROCAD qui projette l’organisation du dialogue courant Juin-Juillet 2015, le recensement administratif spécial, la mise en place du nouveau fichier électoral en ligne entre Septembre-Octobre 2015, l’établissement des cartes biométriques en Décembre 2015 et Janvier 2016, l’établissement des listes électorales par bureau de vote en Février-Mars 2016; le dépôt des candidatures en Avril 2016; l’établissement d’un bulletin unique en Mai 2016; le lancement de la campagne en Juin 2016; le premier tour de l’élection présidentielle Juillet 2016, Bref, tout ce programme accoucherait d’un mort-né d’autant plus qu’un recensement fiable de la population peut durer un voire deux ans. De ce qui précède et à la date d’aujourd’hui, il ne serait donc plus possible d’être dans le délai et installer le nouveau président le 12 août 2016.

Ce n’est pas tout. Le « travaillons d’abord » du chef de l’Etat tient aussi sur le déroulement de la compétition continentale dont le Congo est organisateur. A cet effet, ce fameux dialogue ne peut se tenir avant les jeux africains qui auront lieu du 4 au 19 septembre 2015.

Le Chef de l’Etat n’acceptera pas de se brûler le sacrum avec les revendications politiques ou populaires qui éventuellement pourraient subvenir, au cas où le dialogue accouchait d’une souris.

Ainsi, on peut dire sans risque de se tromper que le chef de l’Etat pourra convoquer le dialogue après avoir digéré les jeux africains, c’est-à-dire, en novembre ou décembre 2015 à l’image du dialogue d’Ewo où certains hommes politiques s’étaient précipités pour bénéficier d’une petite enveloppe de fin d’année.

«Ventre affamé n’a pas point d’oreilles» dit-on. Plus grave encore, ce dialogue organisé on ne sait dans quelle localité, pourrait «consommer» deux, voire trois mois au regard de la complexité des sujets, de l’ordre du jour à traiter et de la pertinence des débats.

Tenant compte de la durée de ce dialogue, il ne restera plus de temps pour organiser le nouveau recensement exigé par l’opposition. En vue d’être conforme avec l’histoire, le délai imparti poussera alors les hommes politiques congolais d’inscrire légalement une transition au calendrier. Or, les transitions sont souvent aussi flexibles. Et qui dit transition flexible au Congo dit rallonge sur la durée du mandat.

En pareille circonstance, la flexibilité de cette transition pourra conduire le nouveau gouvernement composé de toute la crème politique congolaise jusqu’en 2018 voire 2019. Les périodes du recensement, de la cartographie du découpage électoral et de la présidentielle obligeront aussi de bousculer le calendrier des élections législatives.

Voilà ce qui pourra faire gagner un peu de temps au président Denis Sassou Nguesso de rester au pouvoir au-delà des limites constitutionnelles.

Un autre angle d’attaque de la stratégie du pouvoir consiste à pousser les opposants d’aller jusqu’au changement de la constitution. Ayant introduit la période de transition, (si cette période est acquise) cela voudrait dire que le Congo entrera dans une autre République. Car, on ne peut pas parler de transition dans un pays, sans effacer les textes de l’ancienne République.

L’exemple de 1991 est illustratif avec pour premier ministre André Milongo. Ainsi, le gouvernement de transition aura un premier ministre (c’est le souhait de Mathias Dzon) qui formera un gouvernement d’union nationale. Etant donné les coups d’Etat sont monnaie courante au Congo-Brazzaville, un autre larron pourra précipiter les choses pour faire basculer le pouvoir de transition mis en place. On se rappellera aussi comment le premier ministre André Milongo avait essuyé, à son époque, un coup d’Etat manqué quelques-mois après son investiture.

Ce ne sera donc plus la faute au président Denis Sassou N’guesso qui veut bien pérenniser la paix dans ce pays, mais ce sera la volonté du nouvel homme fort du moment. Suivez mon regard.

Au finish, le gouvernement de transition sera basculé. Le nouvel homme fort s’autoproclamera «président de la République», dictera sa ligne de conduite à respecter en faveur du Président de la République. Alors, tous les efforts consentis par l’opposition seront vains. La République poursuivra son chemin, certainement sous une nouvelle République avec une nouvelle constitution et des nouvelles institutions.

Qui ne dit pas que le nouvel homme fort déshabillera Pierre, pour habiller Paul. Ce sera alors la fin de l’épisode.

Robert Gaillard

Source La griffe N° 198