Congo-Brazzaville : et si nous vivions un bain de sang?

L’élection présidentielle au Congo Brazzaville dimanche suscite bien des inquiétudes, alors que l’homme fort du pays Denis Sassou Nguesso (72 ans) ambitionne de se faire réélire une troisième fois et même dès le premier tour. Alimentant du coup, les craintes de fraude massive, celles qui pourraient être orchestrées par l’inamovible président après plus de trente ans au pouvoir. Ancien ministre et désormais opposant en exil, Benoît Koukébéné alerte, lui, sur les risques d’explosion au cas où Sassou Nguesso persisterait à passer en force.

C’est le risque le plus grave qui doit retenir la vigilance des organisations internationales et susciter des mises en garde fermes de la part des chancelleries africaines et occidentales.

En effet, il apparaît désormais très peu probable voire impossible que Denis Sassou Nguesso l’emporte, dès le premier tour des élections du 20 mars 2016. Car, pour y parvenir, il lui faudra réussir «sa» fraude électorale. Or, pour parer cette éventualité, l’ensemble de l’opposition républicaine vient de mettre en place une «Commission technique électorale» qui a une triple mission : surveiller le bon déroulement des élections, contrôler le dépouillement des bulletins de vote et procéder, en temps réel, à la publication des résultats.

Ainsi, dès la nuit du 20 mars, par le «sondage sorti des urnes» et consolidé par l’ensemble des photocopies des procès-verbaux de chacun des 5 800 bureaux de vote, les grandes tendances seront connues de tous.

Battu dans les urnes par le corps électoral mais victorieux par les «estimations» de la Commission nationale électorale indépendante, tel sera le paradoxe du président sortant. Pour en sortir, il n’aura d’autre choix que d’user de la force dont il est coutumier. Mais, dans cette matière, il n’est plus le maître incontesté du feu (armes) ni de la force (répression).

Victorieux dans les urnes et perdant dès les premières «estimations» de la CNEI, le corps électoral entrera en colère.

Cette élection, qui prolonge les manipulations éhontées de la Constitution congolaise par Denis Sassou Nguesso, est donc un baril de poudre. Un rien, une nervosité, une étincelle, ce sera le chaos et un affrontement sanglant entre les deux forces en présence : le peuple et le président battu.

C’est pourquoi, en responsabilité devant l’histoire, il nous incombe d’anticiper et de désamorcer tout bain de sang. Pour ce faire, j’en appelle tout d’abord au président François Hollande dont la responsabilité est grande, afin qu’il somme le président sortant de ne pas s’entêter à organiser «son» évidente fraude électorale. Au reste, le président français, à titre préventif, devrait mobiliser les forces armées françaises pour qu’elles protègent la communauté française du Congo Brazzaville et que, par cette présence dissuasive, Denis Sassou Nguesso n’ait pas la tentation de recourir aux armes pour se maintenir au pouvoir. Ensuite, je demande solennellement au Secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-moon, de mettre en garde par note verbale le président sortant contre toute utilisation de la force contre le peuple congolais, au risque de supporter toutes les conséquences juridiques qui découleraient des massacres. Enfin, je prie également le président de l’Union africaine, son excellence Idriss Déby Itno, d’organiser, dès à présent, une médiation pour la sortie en douceur du président Denis Sassou Nguesso après sa défaite électorale.

L’exemple récent du Burkina Faso, où l’insurrection populaire a eu raison des modifications intempestives de la Constitution, tout comme les élections en cours au Niger, où le peuple a porté au second tour un opposant emprisonné, et le cas emblématique du Bénin où les électeurs ont déjoué tous les pronostics, tous ses exemples sont autant de signes qui attestent d’un grand besoin de démocratie exprimé par les peuples africains.

Que nul ne vole au peuple congolais la défaite qu’il s’apprête à infliger à un président sortant. Comme disent Matthieu, Marc et Luc : Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.»

Benoît Koukébéné Ancien ministre du Congo Brazzaville, opposant en exil