Congo-Brazzaville : LA LIGNE ROUGE

Nous y sommes donc. Le coup de gong tant attendu par certains et redouté par d’autres a ainsi retenti avec l’appel au référendum par le Président de la République, le 22 septembre 2015, lors de son « message à la Nation ».

Boosté par un avis favorable de l’opinion internationale sur l’organisation des 11e Jeux Africains, le Chef de l’État ne pouvait espérer meilleure opportunité pour lancer son plan rocambolesque. Se pérenniser au pouvoir coûte que coûte; reniant sa parole donnée, donc son honneur et sa dignité. Son allocution, la métaphore du gibier (comprendre le pouvoir) qui une fois pris au piège ne saurait être relâché, insinuée lors de sa rencontre de Mai 2012 avec les sages de sa tribu (sous le manguier), deux mois après la tragédie du 4 mars, laisse libre cours à toute interprétation.

Mégalomane.

Telle une mise en demeure, le message qui invite les congolais à se prononcer sur « l’évolution des institutions » est sans équivoque. Combien camouflée, la substance est celle de procéder à la modification de la Constitution en vigueur permettant ainsi au président du PCT (Denis Sassou Nguesso), déjà mathusalem dans la longévité du pouvoir (32 ans), de briguer un troisième mandat. Les points de discorde étant : la limite de l’exercice présidentiel à deux mandats non renouvelables et la limite d’âge à 70 ans. Le septennat se verrait ainsi reconduit en quinquennat, à perpétuité. Autant réinstaurer le monopartisme.

Est- ce là donc le franchissement de la « ligne rouge » tant évoquée par l’Opposition pendant la compagne anti-référendum ?

Le sujet faisant la une de l’actualité politique des mois durant, cette annonce péremptoire suscite bien des réactions passionnées. D’un côté, l’Opposition dénonce un « coup d’État constitutionnel ». De l’autre, la Majorité présidentielle se défend d’avoir engagé un processus tout à fait conforme et légal pour en avoir saisi la Cour Constitutionnelle en s’appelant à l’article 3 – alinéa 1 et à l’article 110 – alinéa 3 de la dite Constitution.

C’est donc à Thierry Moungalla, Ministre de la Communication et Porte-parole d’un gouvernement à la poursuite du vent, qu’incombe la délicate tâche de répondre aux allégations de l’Opposition. Pour cette dernière, le Président aurait soigneusement évité l’article 86 véritablement indiqué pour toute éventuelle révision envisageable de la Constitution, concurremment avec le Parlement. C’est alors que monsieur le ministre, bon oiseau de la basse-cour présidentielle, se dresse sur ses ergots pour réitérer la normale procédure relevant des prérogatives du Chef de l’État. Il proclame que l’Opposition, point intéressée au dialogue, n’a qu’une seule devise: « Tout sauf Sassou ».

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le torchon brûle. À l’opposition comme au Gouvernement, c’est branle-bas de combat.

Les sages du dialogue de Sibiti auraient donc suggéré des réformes institutionnelles, outre la révision du processus de gouvernance électorale, que le Président devrait entériner. « La poursuite harmonieuse du développement du pays en dépend ». Mon œil.

L’allusion est probablement faite à l’activité dite de « municipalisation accélérée », véritable gabegie économique qui suscite le doute quant à son efficacité en terme de gestion des fonds publiques et d’un réel impact économique à long terme tant ces opérations menées à la va-vite, sans véritable feuille de route, laissent sous-entendre une banalisation de l’approche, sinon une absence d’étude de faisabilité effective, encore moins le suivi et la maintenance post-projet.

Le barrage d’Imboulou en est un exemple flagrant. Comble de l’ironie: jamais un responsable, même pas devant un échec aussi cuisant.

L’impunité à son paroxysme

Faut- il alors rappeler que les priorités fondamentales des congolais sont encore au 21e siècle l’accès à l’eau potable et à l’électricité? Et que dire de l’insalubrité dans nos villes presqu’englouties dans les ordures, des poubelles à ciel ouvert ?

Aucun système de ramassage et de traitement d’ordures, pas même en 20 ans de Sassou II.

L’accès aux soins ? L’hôpital n’a plus rien de publique. Même pour mourir, il faut payer. Le chemin d’avenir est bien long à parcourir. « Encore faut-il déjà le bâtir, mon fils », confiait un vieux sage croisé au hasard des rues de la capitale, meurtri.

Combien touchant, le geste à l’allure paternelle du Président de la République appelant le peuple à trancher sur le débat sème le doute: jouit-il juridiquement parlant de cette prérogative ?

La réponse étant évidente pour les deux camps, l’on se demande alors comment pourrait l’Opposition arrêter la machine électorale déjà mise en route par le Pouvoir à coup de décrets présidentiels au lendemain du message à la nation? Boycottage, désobéissance civique et civile, ville-morte ?

Le meeting du 27 septembre 2015 au boulevard Alfred Raoul, noir de foule, toute ethnie confondue, en est la réponse. Foudroyante! C’est une foule galvanisée par la soif de Justice qui a convergé vers le lieu de revendication de sa liberté, malgré d\’horribles barricades posées ça et là par les agents de Ndenguet. Ce peuple martyrisé a décidé plus que jamais d’en finir avec la tyrannie, criant à tue-tête son désarroi et sa ferme opposition à tout projet d’abrogation de la Constitution. Plus de 500 mille sympathisants sont au rendez-vous; à peine trois mille selon Télé Congo, la chaîne nationale pro-gouvernementale.

L’ambiance y est comme au stade lors d’un derby de football, réchauffée par une foule débordante qui scandait un « ça suffit » déguisé en « Sassou-fuit », puis entonnait ça et là des slogans rappelant sans ambigüité au Président de la République de se méfier comme en 1990 de la colère du peuple. « Sinon nous allons nous fâcher », clamait un des leaders de l’Opposition. La stratégie du peuple est donc unilatérale: descendre dans la rue à l’instar du Burkina Faso.

Depuis que l’opinion publique s’est érigée contre toute abrogation de la Constitution au Congo, des manœuvres visant à redorer le blason du Cobra royal se multiplient, à dessein, côté gouvernement, à l’instar du programme sans précédent d’assistance financière aux personnes âgées qui commence (pur hasard) à Owando. Côté diaspora, c’est à dire les congolais de l’étranger, une spéciale task-force dotée d’un porte-monnaie bien garni a été furtivement instituée dans le but d’acheter des opinions.

Paris, Bruxelles, Washington, Montréal sont certaines des destinations visées. Pour accroître l’électorat pro-Sassou, le Beach de Brazzaville a été grandement ré-ouvert aux kinois; les autorités s’excusant presque pour l’opération « mbata ya mokolo » très vite jetée dans les oubliettes. L\’obtention du permis de conduire au profit de jeunes brazzavillois financée par la fondation de Christel Sassou Nguesso, fils de son père.

Plus délectable, l’initiative du Ministre de la Justice, Emmanuel Yoka, convoquant les ambassadeurs étrangers pour leur faire l’historique des épisodes sanglants que le pays a déjà connus, priant « de grâce » ses hôtes de ne point ébranler la paix et la stabilité du pays. Le sourire affiché aux lèvres des participants en disait long sur ce qu’ils en pensaient réellement. Pour le moins goguenard.

Après avoir longtemps dormi sur leurs lauriers, le réveil est plutôt brutal maintenant que l’échéance, tel un coup de tonnerre, est tombée, tirant les dirigeants du pays de leur oisiveté. S’en est enclenchée une vraie course contre la montre car 2016 c’est pour demain. Il va sans dire que l’enjeu et l’exploit sont de taille. Cependant, prétendre faire en 10 mois ce qu’on n’a su faire en 20 ans…

Ma foi, même Hercules renoncerait à un tel défi. Mais ce serait sans compter le zèle de nos vaillants dirigeants, poussé jusqu’à insinuer la nécessité d’une pseudo-démocratie à l’africaine sous fond de dictature.

Ignominieux.

C’est alors que Télé Congo (Journal de 20 heures du 10/09/2015) médiatise la visite du néo Ministre de la Communication, Thierry Moungalla, au site de l’ACI (Agence Congolaise de l’Information). Matériel vétuste, locaux vieillissants hérités de l’AFP (Agence France Presse) en 1961, au lendemain de l’indépendance…

Pendant le plaidoyer des agents, une employée, de guerre lasse, décria au ministre que « si l’ACI était une personne, elle se trouverait alors dans un état comateux de troisième degré ». Conscient du but de sa visite, monsieur le Ministre salua l’abnégation de ces agents de l’information qui à l’heure du numérique travaillent sans connexion Internet. « Une aberration », a-t-il reconnu; comparant cette réalité à « un prêtre sans soutane »; mais oubliant sans doute au passage que l’habit seul ne fait pas le moine car outre l’équipement, la formation, la qualification et le recyclage s’imposent. Habitué à régler les problèmes du pays à coups d’expédients, comme de coutume au Gouvernement, d’emblée monsieur le Ministre esquissa une offre bienveillante: « un plan d’urgence afin de préparer les lignes budgétaires pour 2016 ». Certainement pas la panacée.

Comme décidée à me ruiner la santé, Télé Congo enfonça le clou en diffusant ensuite la visite du ministre à l’Imprimerie Nationale que l’on découvre dans un état piteux. Le site parait sortir d’un enfer dantesque.

Les ruines de Pompéi seraient paradisiaques, comparées aux locaux de l’Imprimerie Nationale hérités de l’AEF (Afrique Équatoriale Française) en 1909. Le constat est triste et amer: un personnel vieillissant, 70 agents au total, dont près de la moitié assignée à la retraite dans les trois mois à venir. « Les structures ne sont pas simplement à améliorer, mais à recréer complètement », telle est la litanie des employés. Hardi, monsieur le Ministre esquissa là aussi un plan de relance pour 2016: Analyse du personnel, les partants, recrutement de pigistes, réparation des machines… Encore un expédient.

C’est alors que le Ministre de l’Enseignement primaire et secondaire, A. Collinet Makosso, prépare sa rentrée, sous le même élan fanatique d’un louveteau. Il est en visite au lycée Pierre Savorgnan De Brazza; ou plutôt ce qu’il en reste.

Exécrable serait pur euphémisme pour définir le délabrement des lieux, vestige d’un système éducatif caduc, naguère fleuron de l’élite locale à l’avant-garde de la formation en Afrique Sub-saharienne. Ce lieu, jadis de culte de l’intellect, qui a forgé à l’excellence certains cadres du pays de la trompe des ministres Isidore Mvoumba, Rodolph Adada, Henry Ossebi, des icônes du football national tels le docteur Fortuné Mayanda et Maurice Filankembo, alias Lipopo… La liste peut s’élargir en incluant le Prof. Ekounzola et l’actuel Ambassadeur du Congo en Italie, M. Kamara Dekamo, pour ne citer que ceux-ci.

Monsieur le ministre de l’Éducation parut lui-même surpris sinon affecté par l’indécence des lieux, vides d’outils et de toute ressemblance scolaire, aux murs nauséabonds qui suintent la crasse et le dégoût. Une porcherie à côté ferait figure de palais royal. Mais c’est pourtant là, dans ces égouts, que les congolais « les enfants des autres » beaucoup moins chanceux que leurs aînés cités plus haut, se rendent à, ce qu’ils appellent, « l’école ». À défaut de gale ou de typhoïde, on a vite fait de choper une amibiase. « À notre époque, il y avait encore les blancs », me confiera plus tard un ancien du lycée.

Mais le bilan est plus lourd : bâtiments dépravés, nombre d’élèves exorbitant « 7000, au lieu de 2000 », déficit du corps enseignant… À croire que ce secteur clé du développement n’a jamais eu un ministre de tutelle. Les mauvaises langues ont longtemps insinué que l’homme fort de M’Pila n’aime pas l’école. Serait-ce donc vrai?

L’offre du ministre est celle de délocaliser momentanément seul le collège S. De Brazza au sein de l’école primaire Joseph Nkewa, moins sinistré, et dans la même circonscription scolaire, tandis que le lycée demeurerait, quelques travaux de restauration démarreraient, permettant ainsi de ressusciter Savorgnan De Brazza. Après le mausolée, un deuxième hommage à titre posthume lui est bien dû à ce pacifiste libérateur d’esclaves.

La suite arrive avec le télé-journal du 11 Septembre 2015. Monsieur le Ministre coordonne alors la clôture de la 11e semaine nationale de l’alphabétisation. « Cerner les contours de l’analphabétisme. Le Congo est en train de s’inscrire dans le carré des pays émergeants et celui des grandes nations du continent. Or, il n’y a ni émergence ni développement avec un peuple analphabète… Il faut donc revaloriser le corps enseignant en lui rendant sa dignité et ses lettres de noblesse », conclut- il, l’allure d’un néophyte.

Ce constat révélateur saute bien aux yeux sur un autre recoupage de Télé-Congo. On y voit le Président du jury des examens et concours, Nicolas Toumbou, rendre un verdict hélas déplorable: à peine 34% de réussites au BEPC (contre 47% en 2014); plus catastrophiques les résultats du BAC: 10% d’admis.

Les commentaires du Président du jury sont tantôt sous fond d’accusation, par ci indexant la paresse des étudiants « qui font de l’école une simple formalité. Ils attendent l’approche des examens pour contacter les bébés-Lili, les mercenaires » espérant ainsi s’acheter le diplôme convoité.

« Mais comme tout cela a été verrouillé cette année. Et bien, les résultats sont là… »; tantôt sous fond de mea-culpa, par-là reprochant le désengagement du corps enseignant: « Au nom d’une condition enseignante médiocre, nous ne croyons plus en notre métier… » finit-il par avouer, l’âme en peine.

Lieu commun d’un monde imbu de corruption, ces antivaleurs qu’avait dénoncées le Prof. Marion Madzimba lors d’une émission télé (…). La suite, nous la savons. Ce brave homme a eu en prime la destruction pure et simple de son habitation. Pas de coupable ni d’enquête officielle à ce jour. Anthologie d’une répression annoncée.

Morale de la fable :

La lassitude d’un peuple réduit en parias semble avoir atteint le point de rosée. Et les raisons sont pour le moins palpables: 19 ans plus tard, depuis le commencement de Sassou II, les congolais n’ont vu que s’empirer leur condition de vie alors que paradoxalement le pays n’a jamais été aussi riche alignant des taux de croissance à deux chiffres des années durant; leur liberté et leur futur pris en otage par un régime clanique au timbre monarchique et au profile dynastique…

Faut-il alors crier haro sur le baudet? Le peuple ira-t-il à la reconquête de la Bastille ? Le Cobra royal abdiquera-t-il ? Qu’à cela ne tienne, le vin est déjà tiré. Touche pas à ma Constitution !

– SEULE LA LUTTE LIBERE –

Par Monique Bilendo Bikuti, Moni-Bilé