Congo-Brazzaville: la partie de chasse de Sassou Nguesso

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Après avoir bombardé le Pool pendant six mois, le président Sassou Nguesso intensifie la traque du pasteur Ntumi accusé d’être à la tête d’un « groupe terroriste »

« Samedi 8 octobre, une trentaine de véhicules blindés et une vingtaine de pick-up ont quitté Brazzaville vers Kinkala, dans la région du Pool. Il y a des centaines de mercenaires. »

L’information est livrée par l’un des nombreux opposants au régime qui depuis la forêt communique sur les réseaux sociaux. Les lignes sont parfois coupées. Il lui arrive alors de parcourir plus de 20 kilomètres pour envoyer des messages.

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N’en déplaise à celui qui s’est fait réélire en ordonnant un black-out total sur son pays, l’information circule sur le réseau WhatsApp, qui serait plus difficile à surveiller que les portables. Depuis plusieurs mois, nous recevons ainsi des photos et témoignages des vagues de répressions conduisant à l’exode des populations du Pool. De la même façon, nous recevions des photos de victimes des forces de l’ordre tuées dans les rues de Brazzaville. Sujet sur lequel le procureur de la République André Oko Ngakala ne s’est, semble-t-il, pas exprimé.

Surnommé « Monsieur 8% » en référence au score qu’il aurait obtenu selon le décompte mis en place par l’opposition, Denis Sassou-Nguesso n’est pas arrivé à éteindre la contestation provoquée par la crise électorale.

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« S’il a échappé à la révolution Facebook, Sassou n’est pas à l’abri d’une révolution WhatsApp »

Dans la région du Pool, les violences ont redoublé ces derniers jours. L’origine serait un incident survenu le 24 septembre 2016 à Kinkembo, dans le district de Mindouli. Les versions diffèrent selon les sources. Les hommes du pasteur Ntumi (opposition) accusent les militaires d’avoir violé une jeune femme, partie à 5 heures du matin au marché vendre ses produits. Le régime dénonce une opération des ex « ninjas ».

Un habitant du Pool nous raconte une autre histoire: une rivalité amoureuse entre un membre de la communauté du pasteur Ntumi et un militaire qui aurait déclenché les hostilités. « Les jeunes ont tiré au calibre 12 », raconte-t-il. Quelles que soit les versions, le bilan est le même: 17 militaires tués. Depuis lors, les incidents se suivent et se ressemblent: attaques de trains et affrontements armés. Les victimes sont civiles et militaires.

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Mercredi 5 octobre, le ministre de la justice, Pierre Mabiala lance la charge. Il accuse Frédéric Bitsamou, alias le pasteur Ntumi et ses hommes de se livrer à des « actes de barbarie » et de « prendre la population en otage ». L’Etat congolais fait alors valoir son « droit de poursuite » pour justifier la traque de ces « terroristes ».

La répression commence, ou plutôt elle se poursuit puisque les hommes du Pasteur Ntumi la subissent depuis les élections. Et même avant puisqu’ils accusent les policiers d’avoir abattu à bout portant cinq membres de leur parti, le Conseil National des Républicains (CNR) dans les rues de Brazzaville le 17 mars dernier, soit trois jours avant le scrutin. A l’époque, l’affaire ne fait pas grand bruit. « Le révérend Pasteur Ntumi avait gardé le silence pour préserver la paix », explique son conseiller Rodriguez Mayala.

Depuis la même période, la région du Pool, la plus peuplée de la République du Congo subit une pression intense des forces de sécurité. Elle se veut silencieuse, mais le réseau WhatsApp turbine. Si Sassou-Nguesso a échappé à une révolution Facebook de type printemps arabe, il n’est pas à l’abri d’une révolution WhatsApp. Les bombardements se sont récemment étendus à la région voisine de la Bouenza comme l’a reconnu le sous-préfet de la région Jérôme Opambala.

« Dès le 4 avril 2016, le chef de l’Etat congolais a envoyé son armée pilonner le département du Pool, où les populations lui sont majoritairement hostiles. Le bilan est lourd : entre 2 et 3000 décès et environ 30 000 personnes ont été déplacées », explique Leslie Varenne de l’Institut de veille et d’étude des relations internationales et stratégiques (Iveris). L’auteur du rapport « Afrique centrale, l’impossible alternance » rappelle que « aucune organisation humanitaire n’a eu accès à cette zone quadrillée par les militaires, aucun soin n’a pu être apporté aux blessés, ni aide alimentaire aux enfants carencés ».

« Nous sommes en état de siège depuis six mois avec des militaires à chaque coin de rue », explique le pasteur Septime Manzangou. Ce proche de Ntumi, originaire de Soumouna, un village dont il parle au passé, vit le plus souvent dans la forêt avec 32 orphelins, dont il a la charge. Les photos nous arrivent par WhatsApp. Son village a été détruit par les bombardements comme ceux de Mabaya, Sengola, Mouluango et Nganga Kobo pour ne citer que ceux-là.

« Tout ce qui nous arrive était prémédité, nous disait-il encore récemment. Pendant la campagne présidentielle, plusieurs ministres ont publiquement menacé ceux qui ne voteraient pas pour Sassou de faire fuir dans la forêt! C’est chose faite! »

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« C’est une organisation criminelle qui a pris le pouvoir », Claudine Munari

Ancien ministre réfugié en France, Benoit Koukébéné avait prévenu dans un courrier adressé le 9 septembre dernier à François Hollande l’imminence d’un recours à la force. Les responsables politiques issus de l’opposition comme le professeur d’université Charles Bowao ou Claudine Munari, ex-ministre du Commerce ne manquent pas de dénoncer les exactions du régime.

« Le Pool est devenu un terrain de chasse, nous dit Claudine Munari. On tue tous les jours soi-disant pour déloger Ntumi. Quelques heures avant les élections du 20 mars, il était encore membre de l’exécutif et il est soudain devenu un rebelle qu’il faut traquer. C’est indécent, c’est horrible, on ne sait plus comment qualifier ce qu’il se passe ! Le Président de la République est en train de déplacer le problème. Il y a une crise née de sa volonté de rester au pouvoir et voilà qu’il met toute la responsabilité sur Ntumi, un subterfuge pour détourner l’attention. »

« La communauté internationale nous laisse tomber, poursuit Munari. Mais le plus gênant aujourd’hui c’est que le crime a pris la forme d’un gouvernement. C’est une organisation criminelle qui a pris le pouvoir. C’est terrible ce qu’il se passe ici. Ces populations sont livrées à elles-mêmes. »

« Alors qu’en République démocratique du Congo (RDC), la communauté internationale a immédiatement réagi, ici un pouvoir public utilise tout son arsenal contre la population et personne ne dit rien », déplore Septime Manzangou, qui appelle la communauté internationale « à s’impliquer dans cette crise ». Répondant aux questions de Florence Morice sur Radio France internationale le 5 octobre dernier, le Pasteur Ntumi prône quant à lui un « dialogue sous l’égide d’une institution internationale ».

Etrange tout de même ces « terroristes » qui demandent l’intervention des Nations-Unies !

Un autre opposant, Maurice Massengo Tiassé est l’auteur d’un rapport dénonçant le système répressif des forces de l’ordre et leurs supplétifs, transmis à la Cour pénale internationale (CPI). En septembre dernier, cet avocat était en Suisse pour alerter le conseil des Droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies et réclamer la constitution d’une mission indépendante afin de constater la réalité sur le terrain.

Une demande évidemment peu appréciée des autorités qui préfèrent le silence et refusent toute intervention extérieure. Dans sa déclaration du 5 octobre, le ministre de la Justice Pierre Mabiala s’en prend d’ailleurs à Me Maurice Massengo Tiassé qu’il accuse… de trafic d’armes. « Qu’ils publient un contre rapport, nous répond l’avocat, qu’ils essayent de contredire les nombreux points évoqués dans mon dossier, plutôt que de chercher à me calomnier ! »

Pour Claudine Munari, la stratégie de Sassou est simple. « il fait peur à tout le monde et dans six mois, il va jouer le pacificateur et se présenter en homme de la paix. C’est ce qu’il a toujours fait. »

Mais cette fois-ci, qui le croira ?

Par François de Labarre

Source : Paris Match | Publié le 13/10/2016 à 09h45 |Mis à jour le 13/10/2016 à 12h04

http://www.parismatch.com/Actu/International/Congo-Brazzaville-Sassou-Nguesso-pompier-pyromane-1093963