Congo-Brazzaville : « Peut-être vont-ils me tuer, mais je ne regrette rien »

Candidat malheureux à l’élection présidentielle qui s’est déroulée le 20 mars au Congo-Brazzaville, le général Jean-Marie Michel Mokoko est aujourd’hui assigné à résidence et accusé par le pouvoir d’avoir ourdi un coup d’Etat.

Le président Denis Sassou-Nguesso, réélu lors d’un scrutin controversé et critiqué par la communauté internationale, qui a eu pour conseiller M. Mokoko de 2005 à 2016 (il a démissionné le 3 février), ne s’est pas exprimé sur le sort qu’il lui réserve. Cette semaine, des opérations militaires se sont déroulées dans la région du Pool. Toutefois, peu d’informations fiables ont filtré sur la situation.

Dans quelle situation vous trouvez-vous actuellement ?

Jean-Marie Michel Mokoko : Je suis encerclé par l’unité anti-terroriste depuis plusieurs jours. Des soldats sont postés devant mon domicile, interdisant toute entrée et toute sortie. Ils sont également chez mon voisin, dans une parcelle encore inoccupée. Je n’ai plus aucun droit de mouvement. Et je suis désormais dépourvu de toute protection. J’ai reçu jeudi 7 avril une note de service du chef d’état-major des armées m’annonçant que la solde des quinze soldats affectés à ma sécurité ne sera plus versée. Je suis donc désormais seul, comme pris au piège.

Vous êtes soupçonné d’avoir fomenté un coup d’Etat pour empêcher la tenue de cette élection et pour renverser le pourvoir de Denis Sassou-Nguesso. Que répondez-vous ?

Le procureur de la République m’a accusé d’avoir recruté des éléments de la Séléka, l’ancienne rébellion en Centrafrique. Puis j’ai été soupçonné d’avoir pris contact avec des factions des anti-Balaka (milices d’autodéfense en Centrafrique). Ou encore d’avoir orchestré un complot avec l’appui d’une grande puissance étrangère. Soyons sérieux, tout cela est grotesque ! Et je suis peiné de voir que le pouvoir tombe dans de telles manipulations vulgaires qui attisent les tensions dans le pays.

Regrettez-vous votre appel au peuple de se lever pour « barrer la route à l’arbitraire » lancé le 24 mars ?

Je ne regrette rien ! Car j’ai agi en démocrate face à un régime qui a truqué cette élection présidentielle, menti sur les résultats et muselé l’opposition ou toute voix discordante. Nul n’ignore que les résultats annoncés sont biaisés. Je l’ai dit, comme d’autres. Me voilà désormais pris au piège, une cible à abattre pour le pouvoir qui n’a de cesse de m’intimider, de me menacer, de m’oppresser. Je suis à leur merci.

Comment puis-je me défendre face à des miliciens et à des soldats armés et cagoulés qui m’entourent ? Je ne compte plus que sur une intervention de la communauté internationale pour que l’on me sorte de ce trou. J’espère une solution diplomatique, une médiation. A condition que le Congo ne tombe pas dans l’oubli. Car j’ai beau être un peu coupé du monde, j’entends que l’armée a ouvert le feu dans le Pool, que des hélicoptères ont été mobilisés et que des civils tombent sous les balles.

Votre appel n’a pas été suivi par le peuple dont vous espériez une mobilisation pacifique et massive. N’avez-vous pas surestimé votre popularité et votre influence ? Vous êtes rentré de votre mission en Centrafrique seulement un mois et dix jours avant la présidentielle ?

Je ne crois pas. Sans prétention, je pense avoir bénéficié de l’onction populaire et avoir été réclamé par une grande partie du peuple. Il n’y a en effet pas eu la mobilisation que j’espérais à la suite de mon appel. Je l’explique par la brutalité du pouvoir qui a déployé un dispositif militaire effrayant et a multiplié les menaces et intimidations sur les candidats de l’opposition comme sur la population. Et cette violence du régime, je l’ai sans doute sous-estimée. Je ne l’imaginais pas capable de cela en 2016.

Malgré ma situation actuelle, je reste confiant envers les Congolais, car je sais combien ils souhaitent une alternance, une démocratie et un autre président que celui qu’ils ont connu depuis plus de trente-deux ans. La machine du pouvoir fait tout pour me broyer. Ils ont peut-être réussi, peut-être vont-ils me tuer ou m’emprisonner. Mais je ne regrette rien, et ce que j’ai fait, je l’ai fait pour les Congolais.

Propos recueillis par Joan Tilouine et Elise Barthet

Source : Le Monde Afrique

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Général Mokoko : « Je suis cloîtré chez moi, tout peut m’arriver »

De sa maison encerclée par les forces de l’ordre congolaises, le général Jean Marie Michel Mokoko a donné un entretien exclusif à La Croix. Arrivé troisième à l’élection présidentielle du 20 mars, il s’attend à être bientôt arrêté par les hommes du président du Congo-Brazzaville, Sassou Nguesso.

Dans quelle situation vous trouvez-vous ?

Jean Marie Michel Mokoko : Depuis mardi, ma maison est encerclée par des hommes de la brigade antiterroriste. Têtes encagoulées, armés, ils ont pris position dans tout le quartier, isolant complètement ma maison. Personne ne peut me rendre visite et je ne peux pas sortir. Je suis cloîtré chez moi. Depuis jeudi après-midi, les quinze gardes du corps qui me sont affectés par l’armée pour assurer ma sécurité m’ont été retirés. De sorte que je suis désormais seul et sans défense.

Pourquoi êtes-vous dans cette situation ?

J.-M. M. M. : Personne ne m’a expliqué les raisons de cette situation, personne ne m’a notifié que j’étais en résidence surveillée. Mes ennuis avec les autorités ont commencé dès que je me suis présenté à l’élection présidentielle, à mon retour de Centrafrique, au début du mois de février. Pour me disqualifier, le régime m’accuse de préparer un coup d’État avec une puissance étrangère et des éléments anti-balaka de République centrafricaine.

Le régime s’appuie sur une vidéo qui vous montre en train de parler de ce coup d’État…

J.-M. M. M. : Effectivement. Mais cette vidéo date de 2007. J’ai été piégé. Les gens qui m’ont tendu ce piège sont venus me voir pour parler à bâtons rompus de plein de choses. Ils ont conduit la discussion sur la situation du Congo. Les propos que l’on entend dans cette vidéo sont extraits de cette discussion passionnée et privée. Il n’a jamais été de mon intention de faire quoique ce soit contre le pouvoir. Ce que j’ai fait depuis 2007 prouve que je n’ai jamais porté atteinte à la République, à nos institutions. J’ajoute que cette vidéo a été projetée à des membres du gouvernement en 2012. Je m’en suis expliqué avec eux à ce moment-là. Pourquoi ressortir cette vieille vidéo aujourd’hui ? Pour préparer l’opinion au sort que le régime me réserve.

Craignez-vous d’être arrêté ?

J.-M. M. M. : Désormais, toutes les conditions sont réunies pour que je le sois très prochainement. Cela peut arriver à tout moment. Ma seule protection, c’est vous, les médias. C’est pourquoi, il vaut mieux que mon arrestation se fasse au grand jour.

Craignez-vous pour votre vie ?

J.-M. M. M. : Nous sommes dans un pays où tout peut arriver. Ici, c’est le règne de l’impunité. Il ne faut s’étonner de rien. Si j’avais tenté de fuir, de quitter clandestinement ma maison, quelque chose me serait arrivé sans que l’on sache exactement qui l’aurait fait. Je suis victime, comme bien d’autres, de l’arbitraire. J’ai certainement commis un crime de lèse-majesté en décidant de me présenter à l’élection. Que l’opinion internationale voie qu’au Congo, une personne pour le seul fait qu’elle a le pouvoir, dispose de la vie des gens et fait ce qu’elle veut dans notre pays.

Recueilli par Laurent Larcher

La Croix -Afrique