Congo-Brazzaville : Qui sait si la crise pronostiquée en 2016 n’interviendra pas avant la fin de l’année 2015 ?

Le 30 juin 2015 dernier à Brazzaville, l’on a été surpris de voir, dans les médias télévisés, une bande passante annonçant un discours à la Nation du Chef de l’Etat.

Notre surprise est due au fait que le Président nous a habitué à deux discours chaque année : l’un, donné à l’occasion de la fête de l’indépendance, et l’autre, donné à la fin de l’année. « D’où vient donc qu’il s’adresse si tôt à la Nation quand on sait que la fête nationale aura lieu dans un mois (1) et demi ? J’ai l’impression que cette nuit, il va nous boutiquer une autre affaire », confie un officier colonel à la retraite. Mais celui-ci ne croit pas bien dire, puisqu’à la nuit tombée, le Président Denis Sassou-N’guesso convoque un dialogue national, portant sur la gouvernance électorale et l’évolution des institutions en faisant fi des propositions des autres forces vives de la nation, sur la manière dont un tel dialogue devrait être organisé.

Quelques propos sur le dialogue de Sibiti

« Cette décision, jugée arbitraire par tous les Congolais soucieux de l’avenir du Congo, a été accueillie comme un véritable pied-de-nez d’un chef d’Etat autoritaire, obstiné et dont le leitmotiv est : « le chien aboie, la caravane passe », a déclaré un cacique de l’Opposition congolaise.

D’après certains opposants que nous avons rencontrés : « pour nous, le dialogue ne devrait porter que sur un seul point, la gouvernance électorale. Si le président veut faire évoluer les institutions, qu’il le fasse en se servant de l’article 86 de la Constitution qui l’autorise à procéder à une révision de la loi fondamentale. Son changement vise à faire sauter le verrou du nombre de mandats, ce que nous accepterons pas ». A en croire Paul Marie Mpouelé, patron du FROCAD, « la vision que nous avions du dialogue national était celle d’une commission paritaire d’organisation, c’est-à-dire, si dans ladite commission, la majorité à dix (10) membres, l’opposition devrait également en avoir dix (10), tandis que la présidence devrait appartenir à une personnalité neutre. Or, la commission actuelle a été, dans son écrasante majorité, confiée à des hommes du pouvoir, y compris la présidence des débats ».

« Le gibier est déjà dans le filet », déclare Denis Sassou-N’guesso

Bien avant tout ceci, en visite dans son village natal, ayant harangué les sages de sa contrée (kani, mwené…), Denis Sassou-N’guesso a eu l’outrecuidance de se prendre pour un chasseur et de comparer le pouvoir d’Etat à un gibier. En des termes mbochi qui ressemblent un peu à ceux-ci, il déclare à ses originaires : « le gibier est déjà dans le piège, il nous appartient d’en faire ce que bon nous semblera. Soit nous le relâchons, soit nous le gardons… A cette place de Président de la République, il n’existe à ce jour personne pour me supplanter ».

Les choses sont donc on ne peut plus claires : le président Denis Sassou-N’guesso n’est pas prêt à mettre la clé sous le paillasson en 2016. « Au contraire, à l’allure même où vont les choses, la classe politique congolaise en général et l’Opposition en particulier, sera prise de court par la convocation d’un référendum constitutionnel avant les Jeux Africains », a argumenté un analyste politique. C’est une affirmation qui n’est pas burlesque. Car comment expliquer, par exemple, l’empressement avec lequel le Président Denis Sassou-N’guesso a convoqué des consultations, puis un mois après, un dialogue (du 13 au 17 juillet 2015), alors qu’il aurait pu le faire après septembre, c’est-à-dire, après les Jeux Africains ?

Réussite des Jeux Africains, conditionnée par celle du référendum avant les jeux

« Bien qu’à prendre avec beaucoup de pincettes, le président Sassou pourrait fort opportunément échanger la bonne tenue des Jeux Africains contre celle du référendum constitutionnel », confie un membre du parti au pouvoir. « La stratégie pourrait consister, à ce propos, à convoquer le référendum avant les Jeux, sachant d’avance que la communauté internationale, qui y a consentis un énorme investissement, n’aura pas intérêt à voir le Congo s’embraser et, bien plus que tout, lesdits Jeux Africains êtres annulées », poursuit-il.

Outre cet argument, Sassou pourrait faire prévaloir, auprès de ses camarades du PCT, la charte de l’Union Africaine sur les élections qui exige à tout pays souhaitant réviser sa loi fondamentale de le faire 10 mois avant les échéances. « Respecter ce timing, sous-entendrait pour le Congo-Brazzaville de tenir le référendum au plus tard le 10 septembre 2015 », soutient Hervé Mahicka de la DRD. Puisque, « le premier tour de l’élection présidentielle aura lieu, soit le 3 juillet, soit le 10 juillet 2016 », a déclaré Clément Mierassa.

La période des vacances scolaires favorable à l’organisation du référendum

Au-delà de tous ces arguments, qui ne sont pas saugrenus, il faut aussi noter que Sassou pourrait s’appuyer sur le fait qu’aucune période ne se prête mieux à la tenue d’un référendum que la période des vacances scolaires. Pour épargner le système éducatif d’un risque énorme de perturbation des cours, voire d’une année blanche dans le cas où le référendum culminait à des échauffourées.

Par contre, ils sont aussi nombreux ceux qui croient dur comme fer que le référendum viendra juste après les Jeux. « Le président ne prendra jamais le risque de tenir le référendum avant les compétitions. Ce projet donnera lieu à des controverses qui pourraient occasionner l’annulation définitive desdits Jeux », soutiennent-ils. Ces derniers n’ont peut-être pas tort, d’autant plus que nul ne peut prévoir la capacité de réaction des populations hostiles au changement de Constitution. Une chose est sûre, après Sibiti, les choses iront très vite.

Des dispositions seraient en train d’être prises pour le passage en force de Sassou

Des spéculations vont bon train sur les dispositions prises par le pouvoir à ces temps de grandes décisions. A part les 1500 jeunes en formation commando dans le district d’Igné, le Directeur général de la sécurité présidentielle, le colonel Serge Oboa, procède actuellement au recrutement de 800 autres jeunes, tous originaires de la partie Nord du pays et acquis au sassouïsme. Ces jeunes seront formés par des instructeurs d’origine diverses, en particulier, par les israéliens. A en croire un proche du dossier, « à une année de l’élection présidentielle, la GR va recruter plus de 2000 éléments. Pour quoi faire et avec quel budget les paierait-on ? ». Et, surtout, lorsqu’on sait que les éléments déjà intégrés dans la GR et la DGSP sont très mal entretenus et voient leurs primes et autres frais de missions détournés par la hiérarchie.

Hormis le recrutement du personnel militaire, « Denis Sassou-N’guesso, aurait fait venir de Tsambitso et des environs, un important arsenal militaire actuellement stocké dans le sous-sol du camp militaire de la Case Barnier. Là-bas, si tu n’es pas un partisan du chef ou de sa contrée, tu ne peux pas y être caserné », renchérie un homme du sérail. Selon lui, « de ce camp où on voit tout l’aéroport, quelques canons seraient déjà pointés en direction de Maya-Maya pour parer à toute éventualité, notamment, à son éventuelle attaque ». Dans la même veine, « un retrait de toutes les armes disponibles dans les commissariats voire même dans les casernes « incontrôlés », aurait été recommandé par le Commandant suprême. Pour éviter qu’à la moindre incartade, « les populations ne s’emparent des postes de police et partant, des armes en permanence », a confié un colonel en poste à l’Etat-major. Il y’en a même qui affirment, sans en apporter la moindre preuve que, « des remorques sortent nuitamment du domicile privé du chef de l’Etat à Mpila, pour y extirper des objets de valeur en direction d’Oyo ».

Plusieurs dignitaires font voyager leurs enfants

Aussi, selon certaines informations qui circulent sous le manteau à Brazzaville, les caisses de l’Etat et certains comptes bancaires des dignitaires seraient vidés et l’argent transporté dans la partie Nord du pays. En outre, des membres du gouvernement ont déjà fait voyager leurs familles en prétextant, pour certains, les vacances scolaires. « J’avais prévu que mon fils qui vit en France passe ses vacances avec moi à Brazzaville, mais au regard de la situation politique actuelle, j’ai décidé de l’envoyer en vacances aux Etats-Unis ou ailleurs », nous a confié un ministre du gouvernement que nous avons pris le soin de rencontrer.

L’opposition se prépare

En réponse au dialogue convoqué par le président de la République à Sibiti, du 13 au 17 juillet 2015, l’opposition a décidé d’organiser un autre dialogue dit « alternatif » à Brazzaville. Celui-ci pourrait débuter au courant de la semaine. Et si l’ordre du jour fixé par le président de la République porte sur la gouvernance électorale et l’évolution des Institutions, celui de l’opposition portera sur le respect de l’ordre constitutionnel et la gouvernance électorale. Reste à savoir si ledit dialogue « alternatif » se tiendra en toute sérénité, à l’instar de celui de Sibiti, ou si le pouvoir n’enverra pas les hommes de Jean François Ndengue, pour le disperser. Il est donc à craindre qu’à ce moment ne se déclenche les hostilités. Où qu’ayant pris acte, que l’opposition ne passe à son plan B qui consiste à soulever le peuple.

Sur ces entrefaites, un leader de l’Opposition, que nous avons pris la précaution de rencontrer, n’y est pas allé de main morte pour dire d’un ton sévère : « Sassou s’entête. On va lui offrir le Burkina ». A ce qu’il paraît, de ce côté-là, les gens s’apprêtent également. Alain M., faisant partie de la garde d’un opposant radical nous a confié : « il semble que mon chef est sur le point de mettre les gens dans la rue ». Un leader, cette fois-ci, de la société civile à dit : « Nous sommes déterminés. Sassou pourra massacrer le nombre qu’il voudra, mais jamais il gagnera encore l’estime du peuple ». En fins observateurs, nous sommes donc sur le qui-vive.

Guy Milex M’BONDZI