En occultant, de façon délibérée, les conditions catastrophiques de retour, d’exercice et de maintien au pouvoir de Mr Sassou-Nguesso, et surtout les violences inouïes[1] de l’heure relatives à son élection très contestée, y compris par la communauté internationale, l’article de monsieur Lucien Pambou[2], sous l’intitulé « Le président congolais relèvera t-il les défis qu’il a fixés [3], dans le Huffington Post de ce 29 avril, passe, assez largement, à côté de sa problématique. Partant, l’auteur rejoint, ou plutôt, confirme son appartenance à la catégorie, peu élogieuse, des théoriciens et militants du ‘rôle positif’ de la dictature et du crime de masse
Voilà, en substance, ce qu’il écrit d’emblée pour celui qui, après trente-deux ans cumulés au pouvoir, n’arrive toujours pas, loin de là, à assurer les besoins animaux de son peuple, et a organisé une élection parmi les plus opaques, les plus contestées et les plus violentes du monde :
« Monsieur Denis Sassou-Nguesso, chef de l’État congolais, réélu le 20 mars dernier pour un mandat de 5 ans, …veut faire du Congo une nouvelle vitrine de l’économie, de l’emploi et des politiques sociales. Après les infrastructures, fer de lance de la municipalisation pour désenclaver l’arrière pays, voici venu le temps de la nouvelle gouvernance institutionnelle et politique qui valorise l’économie, l’emploi et le social ».
En réalité, revenu au pouvoir en dehors du droit et de la démocratie en octobre 1997 et dans le sang, l’exerçant en dehors du droit, du bon sens et surtout dans un pillage industriel et décomplexé, et s’y maintenant au mépris de la Constitution alors en vigueur et des principes les plus élémentaires de l’élection[4], comme le monde entier a pu le constater ces derniers mois, sauf apparemment Monsieur Pambou, Sassou-Nguesso et son régime, comme tous les régimes de cette nature, est condamné à entretenir la corruption massive comme moteur de fonctionnement du système. Une corruption qui n’est pas, chaque année, démentie par les organismes internationaux habilités que tout le monde connaît, mais aussi par une Commission locale créée à cet effet en 2007, et qui a pondu, en juin 2010, un rapport, resté unique et sans lendemain, faisant état d' »un pillage à tous les étages…et dans les structures diverses comme l’église et les chefferies traditionnelles…[et que]…les anti-valeurs gangrènent le pays« !
Monsieur Pambou n’a, sans doute, pas aussi remarqué qu’il ne se passe pas un seul mois sans qu’il ne soit fait état, ici ou là dans le monde, de détournements de millions d’euros, essentiellement par les proches du dirigeant congolais, le plaçant ainsi, en la matière, comme le meilleur promoteur de l’histoire politique et économique du Congo! Est-il besoin de rappeler qu’il n’est pas une seule des sinistres affaires qui minent les pays africains dans laquelle le Congo ne soit cité: ‘Mallettes de la République‘ et ‘Biens mal acquis’ n’étant que parmi les plus connues, mais, on connaît déjà la position de l’éditorialiste, clairement proclamée (Africa 24), sur les BMA. Puisqu’en plein débat sur le sujet, en 2010, il avait quand même osé dire que c’est une manipulation politique ! Tout le monde sait pourtant que quand le politique était ouvertement intervenu sur cette affaire, en mai 2009, et sous la houlette du ministre de la justice garde des Sceaux, Rachida Dati, c’était au contraire pour faire appel de l’ordonnance de la doyenne des juges du pôle financier de Paris, Françoise Desset, favorable à l’ouverture d’une enquête visant trois chefs d’État, suite à une plainte du 2 décembre 2008, de Transparency International. Il aura fallu attendre une décision retentissante de la Cour de cassation à l’automne 2010[5] pour que le parquet, c’est-à-dire ou presque le politique, soit débouté et que l’instruction puisse se poursuivre. On voit bien que le politique, en France, a été plutôt en faveur de la protection des dictateurs et présumés voleurs!
La dernière et mondiale affaire, dite « Panama papers », n’a pas non plus épargné le Congo où, une fois de plus, des proches du chef de l’État, dont son incorrigible et fastueux fiston, sont encore pris la main en plein paradis fiscaux. Un autre, ancien patron de la vache à lait familiale que constitue la Société Nationale des Pétroles Congolais (SNPC), sans rendre compte du tout comme cela se passe ailleurs, vient d’être reconduit comme ministre dans le nouveau gouvernement (publié le 29 avril) du régime dit de la ‘gouvernance transparente‘ !
Sur toutes ces affaires, comme sur d’autres plus graves que sont les crimes de sang, l’assemblée nationale congolaise, authentique ‘chambre introuvable’, comme le très spécial procureur congolais, dit « petit procureur » par les Congolais, très occupé et excité à traquer les opposants, sont toujours restés inertes! L’article 48 de la précédente Constitution qui contraignait les titulaires des hautes fonctions à déclarer leurs biens avant et après exercice, sans avoir connu un début d’exécution, a été délibérément enterré par le dernier chiffon constitutionnel du 15 octobre 2015[6] qui, fait sans équivalent ailleurs, a purement et simplement constitutionnalisé le permis de tuer et de piller (art. 96) pour celui dont les exploits en la matière ne sont plus à démontrer.
Que peut-on demander ou exiger de ses concitoyens, essentiellement dans la moralité et la probité publiques, quand c’est l’exemple contraire qui est donné au sommet de l’État! Les maîtresses de nombreux des dirigeants politiques congolais autour de la trentaine d’âge, et notamment du chef lui-même, sont depuis quelques années déjà, entrées en compétition pour des acquisitions immobilières en plein Paris et ses alentours notamment, en général supérieures à 3 millions d’euros, montant qui, comme tout le monde le sait puisque très médiatisé, a été celui du patrimoine évalué du grand héros Nelson Mandela à sa mort à 95 ans, et pour une vie tout entière consacrée à la lutte! Quel effort, quel civisme, quel sacrifice, quel patriotisme peut-on attendre ou mobiliser auprès des citoyens avec ce genre d’anti-valeurs massives et macroscopiques! Par conséquent, comment construire un développement sans l’adhésion ou avec la désapprobation de l’écrasante majorité des concernés !
Sauf si notre cher Pambou est l’un de ces rares économistes ou politistes à croire à la main invisible pour la clé de sa problématique par Sassou-Nguesso, ou peut-être encore qu’il serait expert dans l’angélisme économique et politique au Congo tout spécialement, pour y semer encore quelque espoir, en tout cas, pour toute science objective, y compris et surtout évidemment celles dont se prévaut Monsieur Pambou, la problématique posée a, depuis, reçu une réponse anticipée et visible pour tout le monde, même les non initiés. Soit dit en passant, le Congo qui a recueilli jusqu’à il y a quelques années d’immenses recettes pétrolières et sans précédents de son histoire économique, frappe depuis quelques jours déjà aux portes du FMI pour une aide dont on imagine la nature.
Par ailleurs, la question ne manquera pas d’être posée un jour, de savoir pourquoi monsieur Pambou et d’autres font du deux poids deux mesures à propos de l’action de Sassou-Nguesso. Ancien membre de l’équipe dirigeante du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires de France), dont il a consacré un ouvrage en 2011 pour regretter son inefficacité, sa dérive utopique, il connaît forcément le débat soulevé par la loi du 23 février 2005, œuvre du parti auquel il appartient, l’ancien UMP. Ce fut un grand émoi, un tollé auprès des humanistes, des intellectuels intègres, des historiens notamment pour dire que non seulement il n’appartenait pas à une loi de dire l’histoire, mais, qu’en plus, l’on ne pouvait mettre en balance les crimes qui accompagnèrent la colonisation et les réalisations matérielles quelles qu’elles soient. Le CRAN, plus particulièrement, par le biais de son président, avait alors dénoncé « une loi scélérate ». L’extrait de la loi contesté, le fameux article 4, fut purement et simplement jeté à la poubelle, en définitive.
L’exaltation des prétendues réalisations de Sassou-Nguesso, face aux milliers de crimes humains qu’il assume d’ailleurs[7] (Jeune Afrique, numéro double 1980-1981, du 22 déc 1998 au 4 janvier 1999), relève, pour tout esprit sain, d’une parfaite indécence, d’un ostracisme absolu, d’une perversité débordante. De surcroît, les différentes constitutions congolaises, y compris l’indigente dernière, proclament bien dans leur préambule que « l’être humain est sacré » ! Pendant qu’on y est, pourquoi ne pas exalter les réalisations de Pinochet et de Hitler qui sont, de très loin, supérieures et incomparables à celles du despote congolais. Et, Pinochet dont les victimes sont officiellement dénombrés autour de 3000 morts apparaît comme un enfant de cœur face à Sassou-Nguesso!
Non Monsieur Pambou! Apprenons à être sérieux et honnête. Démontrons que nous sommes dignes de Bachelard qui esquisse les conditions de l’objectivité et de l’analyse scientifique. Cette priorisation des sentiments et de petits intérêts dans l’approche du politique ne rend pas service à l’Afrique, bien au contraire vous le savez. Sassou-Nguessso, à plusieurs égards, par son comportement maintes fois répétés (patrimonialisme viral, violences récurrentes, allergie au droit, à la transparence et à la démocratie) dans son cursus, aura magistralement démontré, de façon essentielle, un profil de truand déguisé en homme politique pour satisfaire ses fantasmes plus que détestables.
Cela, aujourd’hui au Congo, même les enfants de dix ans le savent. Alors n’entachez pas votre noble formation et votre métier, ne le ‘mercenarisez’ pas comme cela est devenu la mode auprès d’une large partie de l’élite congolaise. Cela se paie en sang, beaucoup de sang des innocents au Congo que ne cessent de dénoncer les organisations humanitaires[8]… et que vous ignorez superbement en ne parlant que de simples ‘tensions partisanes‘ ; qu’ainsi, le défi, le vrai est moins celui de Sassou Nguesso – qui n’a pas trouvé mieux, comme valeur cardinale pour inaugurer et accompagner sa ‘Nouvelle République‘, que de ressusciter et recycler son message lors du congrès extraordinaire de son parti en 1979 – que celui des braves Congolais pour trouver les moyens d’en finir avec l’éternel despote…
Par Félix BANKOUNDA MPELE
Juriste et diplômé de Sciences politiques,
[1]CF. notamment la déclaration d’Ilaria Allegrozzi, chercheuse à Amnesty international, le 18 avril à RFI, mais aussi les dénonciations et appels de l’Union européenne, des USA et du SG de l’ONU qui a dépêché sur place l’envoyé spécial pour l’Afrique centrale. Auparavant, et relativement aux suites de sa prise violente du pouvoir en 1997, Le Monde, 20 février 2000, p.2, Libération, 16 juin 1999, Rapport FIDH, juin 1999, 34 p. ; Rapport FIDH, avril 2000, numéro 291, 23p ; Rapport Médecins sans Frontières, octobre 1999, 12 p. ; Amnesty international, 25 mars 1999, 36 p. [2]Selon sa propre présentation, ancien secrétaire général du CRAN, franco-congolais, professeur des sciences économiques et politiques, chargé d’enseignement à l’Université Paris XIII [4]Pour une vue générale et détaillée de toutes les étapes de ‘l’élection’ de Sassou-Nguesso, cf notamment « La victoire anachronique de Sassou Nguesso », Le Monde.fr, 24 mars 2016 ; mais aussi nos réflexions à cet égard : « Présidentielles africaines : perpétuelle illusion constitutionnelle », in Revue Parlementaire et Politique, 2014, 116ème année, numéro double 1071-1072 ; ensuite, en ligne : « Quiproquo et euthanasie constitutionnels au Congo », « Des chemises et des Constitutions kleenex au Congo », « La deuxième mi-temps référendo-présidentielle au Congo : une nouvelle arnaque politique ?», « La balle est dans le camp de l’opposition », « Quelques évidences choquantes : l’opposition circonstanciellement laminée et humiliée » [5]Notre réflexion : « Biens mal acquis….participent du pouvoir mal acquis », novembre 2010, en ligne. [6]Cf. notre réflexion générale : « Des chemises et des Constitutions kleenex au Congo », en ligne [7]« Je n’ai pas hésité à faire tirer à Owando [en été 1997] même si c’est un peu chez moi », trouve, comme argument pour le moins saugrenu, le dictateur à la question très lancinante alors, comme aujourd’hui, de la concentrations de meurtrières et massives répressions dans Brazzaville sud principalement habité par certaines communautés. Aveu manifeste d’autres crimes objectivement, dans son entendement et sa culture, cet argument l’absout des accusations de crimes ciblés !