Au mois de février 2012, Monsieur Okiémi, ministre de la Communication de Monsieur Denis Sassou Nguesso, a déclaré urbi et orbi: « Denis Sassou Nguesso N’A JAMAIS TUE PERSONNE ».
Il répondait, ainsi, à Madame Eva Joly, présidente du Mouvement des Verts, qui ne voulait pas voir en France, en ce moment de campagne électorale, un personnage si chargé de soupçons et de procédures au niveau judiciaire : nombreuses disparitions de personnes dans son pays (Affaire du Beach), détournements de biens publics, procédures conséquentes pendantes en France depuis de longues années. De longues années non pas parce que les faits ne sont pas établis mais parce que le coupable s’accroche au pouvoir et peut ainsi opposer à la justice le fameux principe de l’immunité diplomatique. Un principe d’honneur et de respect devenu, dans certaines situations, un bouclier derrière lequel s’abritent et se protègent des dictateurs voleurs et sanguinaires.
Mais revenons à la phrase de Monsieur Okiémi. Elle a retenti au Congo comme une injure, un mépris, notamment, au niveau des centaines de milliers de mères, pères, orphelins, qui y portent un deuil éternel parce que Denis Sassou Nguesso, après avoir assassiné Marien Ngouabi, le 18 mars 1977, a jeté son crime sur d’autres, sur des innocents forcément. Cette décision a plongé le Congo dans le cycle incessant des terribles drames qu’il vit depuis trois décennies : division nationale, régime de haine, de terreur, échec de toutes les solutions de réconciliation et de concorde, guerres civiles, etc. Denis Sassou Nguesso, l’assassin de Marien Ngouabi emploie son génie depuis 30 ans, à nier son crime, à assassiner ou empoisonner ou handicaper quiconque l’accuse du crime du 18 mars 1977 et de toutes les morts que sa politique de paraître innocent du sang de Marien Ngouabi, entraîne sans arrêt dans le pays.
Les guerres post-Conférence nationale de 1991, c’est-à-dire, l’embrouillement qu’a connu le mandat de Pascal Lissouba (1992-1997) s’expliquent en partie sinon profondément par la volonté de Sassou Nguesso d’empêcher, pendant cette période, toute recherche sur le plan judiciaire, de la vérité sur le 18 mars 1977 et les nombreux assassinats qui suivirent : assassinats du président Alphonse Massambat-Débat, cardinal Emile Biayenda, Ontsou, Mboro, Tsibali, Ndoudi Nganga et ses neuf compagnons, Kikadidi, Pierre Anga, etc.
Les lendemains qu’il a donnés à sa victoire du 15 octobre 1997 s’expliquent également par le même souci. Il mit d’abord en place un Forum de réconciliation nationale et un parlement. Bien que tous les membres de ces deux instances furent nommés par lui, il s’en méfia brusquement en 1998. Il trouva la guerre mal achevée, c’est-à-dire, sa victoire peu complète, peu rassurante. Il lui fallait une situation politique au cours de laquelle on ne parle pas démocratie, justice, recherche de la vérité sur les dossiers passés. Le vainqueur ramena donc la guerre dans le pays (1998-1999). Vainqueur à nouveau, il se donna la constitution de fer qui ver-rouille toute la vie politique au Congo depuis 2002. Tous les pouvoirs sont entre ses mains. Mais tout fer finit par se rouiller, sur tout, si on néglige de s’occuper de lui. Et trop de pouvoirs tuent le pouvoir.
Le 4 mars 2012, l’explosion d’une caserne militaire sème la mort et la désolation : des milliers de morts et d’handicapés à vie. La phrase d’Okiémi (« Sassou n’a jamais tué personne ») sonne dans ce décor comme une interpellation d’actualité. Ce ne sont pas seulement les mères veuves de 1977, celles de la justice carnassière de 1978, celles d’Owando soulevées par Pierre Anga en 1987 puis révoltées en 1997 par l’entrée de Sassou Nguesso dans leur ville sur une chaise à porteurs, celles du Procès du Beach, celles des opérations génocidaires dans le Pool et le Niari en 1998 et 1999. C’est dans tous les foyers que l’on dit que Sassou Nguesso détruit le Congo, du Nord au Sud. Et l’unanimité est d’autant plus complète que l’homme ne parvient pas à dire « ce qui s’est passé le 4 mars », c’est-à-dire, à rechercher loyalement la cause de la catastrophe. Comme si d’autres, de même nature, sont au programme, comme si l’on doit s’attendre à d’autres prochaines tragédies.
Évidemment, tant qu’il a juré de gouverner à l’ombre du grand secret sur le 18 mars 1977, la vérité sur tout ce qui se produit au Congo ne sera jamais recherchée par lui en toute clarté ni diligence. Autoriser qu’on recherche la vérité en toute clarté et diligence sur le 4 mars, c’est autoriser qu’on interroge les supérieurs du colonel Ntsourou par exemple. Ceux-ci livrés aux magistrats ne manqueront pas de dire à leur maître : « Mais toi, tu n’as jamais été interrogé semblablement après le 18 mars 1977 ».
On le voit : le 18 mars 1977 bloque le 4 mars 2012 du point de vue de la libre recherche de la vérité.
Sassou Nguesso n’ayant été jusqu’ici interrogé sur le 18 mars 1977, aucun grand « responsable actuel » de sécurité n’acceptera qu’on l’interroge sur le 4 mars 2012, encore moins qu’on mette sa responsabilité en cause.
Allons plus loin : aucun grand responsable de sécurité n’ayant été mis en cause au procès de 1978 (Procès dit Ngouabi), aucun ne le sera au prochain procès sur le 4 mars 2012 (si procès il y aura).
Voilà pourquoi la vérité sur le 18 mars 1977 est une nécessité. C’est parce que Sassou Nguesso a refusé toute vérité sur cette tragédie que le Congo connait pendant trois décennies le statut qui le caractérise : rien ne repose sur aucune certitude, même les articles de la constitution, même le serment solennel du chef de l’Etat, président de la République, chef du gouvernement. Tenez, aujourd’hui, Sassou Nguesso, aux dires d’un journaliste basé à Paris, époux de sa nièce et qui traite souvent des affaires africaines, cherche comment « contourner » (sic) la constitution. Quelques dispositions considérées comme capitales au moment de l’adoption de ce texte par un référendum non étendu à l’ensemble du peuple (le Pool en fut écarté), comme hier inspirées par le progrès de la démocratie sont aujourd’hui regardées comme porteuses de tous les périls. Elles concernent : « la limite d’âge (70 ans), la limitation du nombre de mandats (deux de sept ans) et l’impossibilité de modifier le texte fonda-mental ». A en croire ce journaliste, Sassou Nguesso veut « contourner » la constitution, en clair, la considérer comme désormais impropre, caduque par-ce qu’il a « envie qu’on ait envie de lui », parce qu’à 70 ans, il trouve que, lui, est jeune, au contraire de ceux que cette limite d’âge avait éloigné du scrutin en 2002 et 2009.
Autrement dit, la valeur des lois au Congo de Sassou Nguesso est subjective. Elles s’appliquent ou ne s’appliquent pas selon le sujet qui se trouve devant elles : du Nord ou du Sud, Sassou Nguesso ou Mabiala, Makosso, Malonga, etc. Valeur, vérité, constitution, loi, tout obéit à ce que sent ou veut Sassou Nguesso. Age, bulletin d’urne, tout est sa volonté. Même l’état civil – « né vers » – devient chose flexible qu’il faut soumettre à sa volonté et décision d’être toujours l’inamovible. Hier, on lui criait : « Mvula tanu diaka » (encore 5 ans !). Depuis 2002, il veut qu’on lui crie sans fin : « Mvula sambanu diaka » (encore 7 ans !).
Ce journaliste basé à Paris et parent de Sassou (dont l’épouse est membre du comité central du Parti congolais du travail – PCT) qu’il a expressément fait venir à Brazzaville pour les besoins de la cause, pense que cette volonté de Sassou Nguesso ne sera pas difficile à réaliser en 2016. « Pour qui connait le Congo, énonce-t-il, l’hypothèse d’un nouveau (et ultime) mandat de Sassou à la tête du pays, ne devrait pas poser de difficulté majeure sur le plan inter-ne ». Depuis le 18 mars 1977, il y soumet tout à sa volonté. On peut dire que de mars en mars, depuis ce lointain 18 mars jusqu’au 4 mars 2012, la stratégie de non-vérité, de non-respect même de ce qu’il promulgue ou signe, ruine chaque jour le Congo.
Cependant, loin de moi toute attitude de désespoir, toute idée d’affirmer par là que Sassou règne tranquillement, seuls quelques bec-jaunes (comme le moineau au nid Jean Claude Nkou) pensent encore ou croient que Sassou Nguesso, qui « n’a jamais tué personne », qui n’a sur les mains le sang de personne, dort tranquille.
Les crimes de 1977 ont jeté le Congo dans un long drame que chacun voit à tous les niveaux du pays. La vérité éclatera aussi au grand jour à ce sujet.
L’avenir la fera briller un jour.
Voilà pourquoi, dans ma dernière interview parue dans le numéro 358 du présent bimensuel, j’ai promis de rendre publique ou rappeler toute source d’information ou témoignage qui prouve que l’assassin de Marien Ngouabi, le 18 mars 1977, c’est bien Denis Sassou Nguesso, alors, son ministre de la Défense et de la Sécurité, et non l’impérialisme international ou l’ancien président Alphonse Massamba-Débat comme il les a, tour à tour, mis à sa place.
Le document d’aujourd’hui (pages 20 à 23) est un « aveu et témoignage qui a circulé au Congo au moment où Sassou Nguesso a voulu en finir avec le PCT, le parti héritage de Marien Ngouabi. C’est Lékoundzou Itihi Ossetoumba qui l’a rédigé et signé. Il dit clairement que c’est Denis Sassou Nguesso qui a tué Marien Ngouabi. Il dit tout aussi clairement que le même Sassou Nguesso a tenté de l’éliminer, lui, Lekoundzou, à l’aide d’un poison, mais qu’il n’a réussi qu’à le rendre impotent au premier degré. Un premier degré qui lui a ôté l’usage de ses membres.
Si après lecture de ce témoignage, d’autres jeunes bec-jaunes soutiennent toujours que Sassou Nguesso n’a jamais tué personne, nous leur mettrons devant les yeux d’autres aveux et témoignages accablants.
Bonne lecture, compatriotes qui veulent faire de la vérité l’arme qui nous sorti-ra de l’aveuglement et nous conduira à une réconciliation sincère, parce que décidée en pleine connaissance de cause, parce que les originaires du Nord auront enfin su que ce ne sont pas ceux du Sud qui ont assassiné Marien Ngouabi le 18 mars 1977, mais bien Sassou Nguesso. Comme ils sauront que ce ne sont pas eux non plus qui ont renversé Yhombi Opango en 1979 et l’ont maintenu en prison pendant plus de 10 ans, mais bien Sassou Nguesso. Comme ils auront su que ce ne sont pas eux non plus les originaires du Sud qui ont assassiné Pierre Anga et son frère, mais bien Sassou Nguesso. Que ce ne sont pas eux non plus qui ont ensanglanté Owando au mois de mai 1997 mais bien Sassou Nguesso. Que les massacres du Beach et les Opérations Mouébara qui ont fait des milliers de morts dans le Pool et les pays du Niari en 1998 et 1999, n’ont pas été déclenchées par Sassou Nguesso pour répondre à une provocation ou attaque contre son pouvoir, mais uniquement pour réduire la population dans cette partie du pays, à ses yeux dangereuse-ment plus peuplée que le Nord.
Oui, seule la vérité sur tout nous permettra de vivre ensemble en toute tranquillité et assurance dans notre marche commune vers le futur, et non, et non, et non le mensonge ou la jonglerie comme Sassou Nguesso s’y livre et applique depuis des décennies.
Me Aloïse Moudileno Massengo, Ancien ministre de la Justice
© Afrique Education – Numéro 364 du 16 au 31 mars 2013
*** Yomby et Jacques Okoko confirment la responsabilité de Sassou dans l’assassinat de NGouabi et du Cardinal Emile Biayenda…
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Le mois de mars avait été, en 1977, un mois de grande douleur au Congo-Brazzaville. Pendant plus d’une semaine, à partir du 18e jour, le sang avait abondamment coulé : sang de Marien Ngouabi au début de l’après-midi, sang de l’ancien président Alphonse Massamba-Débat à la tombée de la nuit, sang du Saint Cardinal Emile Biayenda, sang à chaque aube suivante, de tous ceux qui pouvaient dire ce qui s’était réellement passé le 18 mars. Parmi ces témoins vite empêchés de témoigner : Ontsou, Mboro.
A la veille du mois de mars de l’an-née suivante, un procès de 50 faux assassins désignés par Sassou Nguesso et inculpés avec ardeur par le magistrat Jacques Okoko, envoya à la mort 10 d’entre eux : Dominique Sambadia-Nkumbi, Daniel Kanza, Ndoudi Nganga, Etienne Kinkouba, Simon Sissoulou, Germain Mizélet, Albert Konda, Grégoire Kouba, Daniel Kianguila, Pierre Dianzenza.
En 2012, le mois de mars, exacte-ment, au matin de son 4e jour a encore jeté notre pays dans la tragédie : une grande caserne militaire, sans cesse alimentée en armes les plus dangereuses, a explosé : des dizaines de milliers de morts, d’handicapés à vie, d’orphelins. Ces armes, irresponsablement stockés en pleine ville devaient assurer la sécurité du régi-me et les quartiers Nord de Brazzaville contre toute entreprise des originaires Sud du pays.
Aujourd’hui, soit un an après, cette tragédie paraît oubliée en termes de recherche des responsabilités et de leçons à tirer afin que semblable catastrophe ne se reproduise plus. Le 4 mars 2012 n’est plus une actualité au niveau de ceux qui gouvernent le pays comme ne l’est plus ce qui s’était abattu sur le pays le 18 mars 1977.
Mais est-ce un oubli ? Est-ce une propension de notre peuple à ne plus vite se souvenir de ce qui l’accable ? Non. L’oubli des tragédies qui se succèdent dans notre histoire est une stratégie de la part de ceux qui nous gouvernent. Comme ce sont eux qui en sont à l’origine, qui les génèrent, ils forcent, tout de suite après, le peuple à ne plus s’en souvenir, sous peine d’autres tragédies.
Quelles tragédies notre peuple n’a-t-il pas été forcé à oublier à sa mémoire dépendante ? Oublier vite ce qui devait être utile à méditer longtemps et utilement. Comme les massacres gratuits après le putsch manqué de Kingaga le 23 mars 1970. Comme l’assassinat de Diawara et de ses 30 compagnons en 1973, après un autre putsch manqué. Comme l’assassinat de Pierre Anga en 1988 dans la forêt d’Ikonongo où il s’était réfugié après avoir publiquement accusé Sassou Nguesso d’être l’assassin de Marien Ngouabi le 18 mars 1977. Ces trois dates de sang – 1970, 1973 et 1988 – ne doivent pas être plongées dans l’oubli car elles illustrent de comportements inadmissibles de la par t d’un gouverne-ment, à savoir : se livrer à des châtiments de sang, à des exécutions là où ceux qu’on veut punir n’ont versé aucune goutte de sang, n’ont supprimé la vie à personne.
Chers Compatriotes, les nombreuses tragédies passées (assassinats de 1965, assassinats de Miawama, Kiyindou (1970), Diawara, Ikoko, Bakekolo (1973), Marien Ngouabi, Alphonse Massamba-Débat, Cardinal Emile Biayenda, Ontsou, Mboro, Tsibali (1977), Ndoudi Nganga et ses 9 compagnons (1978), Kikadidi (1978), Pierre Anga (1988), première guerre civile de 1993-1994, deuxième guerre civile dite d’Owando en 1997, troisième guerre civile (5 juin – 15 octobre 1997) quatrième guerre civile en 1998-1999, massacres en 1999 d’exilés qui tombent dans le piège d’une fausse promesse d’amnistie « disparaissent » une fois la frontière de leur pays franchie, procès sans lumière sur toutes ces tragédies depuis 3 décennies, sont l’œuvre d’une même main qu’on a qualifiée de noire et rouge. Cette main rouge et noire, c’est Denis Sassou Nguesso, l’homme qui vient de se faire appeler « (la main qui) n’a jamais tué personne ».
L’éternel président dont le peuple a toujours envie, comme le disait un slogan des années 80 : «Kaka Ngué »(1).
Autrement dit, le 4 mars 2012, c’est oublié, c’est fini comme l’indique la toute récente blague du ministre de la Communication, Bienvenu Okiémi: « au mois d’avril prochain, on saura toute la vérité sur le 4 mars ». Or tout le monde sait que le mois d’avril est celui des blagues, des informations fantaisistes. On peut nous annoncer des vérités totalement contraires à la réalité, des simples poissons d’avril.
Bref, la vérité, la justice traîne à propos de la tragédie du 4 mars. Non pas parce que ce qui s’est passé à Mpila est rempli de mystères mais parce que cette tragédie répète celles qui se sont succédé dans notre pays depuis le 18 mars 1977 et les mandats dont s’est investis Sassou de 1979 à 1992 et de 1997 à nos jours.
Au Congo, la tragédie, les explosions, la foudre, la mort subite ou massive dépendent d’un homme qui y règne comme jadis sur l’Olympe. Il y exerce les mêmes droits et lois fantaisistes que lui. Droit de mort sur tous, constitution flexible ou révisable à chaque moment, selon ses humeurs de l’heure.
Au Congo, Sassou Nguesso, c’est l’antique Zeus ou Jupiter. C’est plutôt Andzimba, le génie malfaisant des contes de nos pères : gardien apparent des coutumes le jour, brigand dès la tombée de la nuit ou semeur de terreur dans tous les endroits solidaires.
Chers Compatriotes, tous ces puissants ambigus – Jupiter, Andzimba – sont passés, ne sont plus de ce monde. Main noire et rouge Denis Sassou Nguesso passera aussi même si, « né vers 1943 » ou (1937 selon certains), il se croit destiné à vivre éternellement en s’abreuvant, comme d’un élixir, du sang de son propre peuple.
Me Aloïse Moudileno Massengo
(1) Slogan abandonné par la suite, son premier mot ne sonnant pas très agréablement à toutes les oreilles.
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*** La tombe de Marien Ngouabi à Brazzaville est un caveau vide.