L’opposition congolaise, la société civile et quelques rares partis de la majorité s’étaient évertués à demander au chef de l’Etat, Denis Sassou N’Guesso, de ne pas modifier la Constitution, afin de ne pas se représenter en 2016. Ils ont été rejoints, ce dimanche, par le Rassemblement pour la démocratie et le progrès social (RDPS), quatrième force de la majorité, qui a appelé au respect de la Constitution.
Auteur d’un ouvrage intitulé Vade-mecum du parfait tricheur ou comment gagner facilement des élections au Congo, publié il y a quelque temps, le député Mabio Mavougou-Zinga, troisième personnalité du RDPS, a présenté dimanche aux militants de son parti, un essai qui porte le titre Manifeste pour un RDPS décomplexé.
Parlant de la Constitution, il a affirmé qu’il est temps de protéger celle-ci et appelle le PCT au pouvoir à soutenir le candidat du RDPS à la présidentielle de 2016 : « Lorsque le PCT venait nous présenter l’avant-projet de Constitution de 2002, il nous avait été dit que c’était la meilleure Constitution du monde, qu’elle résumait à la fois le système américain, anglais, italien et français. Depuis quand est-elle devenue mauvaise ? Si en 2002, le RDPS a soutenu le PCT, si, en 2009, je me suis investi moi-même pour la réélection du président Denis Sassou-Nguesso, en 2016, le PCT doit soutenir le candidat du RDPS. Il faut que ça soit clair ».
Madio Mavougou-Zinga refuse que le RDPS continue d’être un escabeau ou un marchepied.
Par RFI
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Lettre du Député Mabio MAVOUNGOU-ZINGA (RDPS) au Président Sassou Nguesso
Pointe-Noire, le 17 février 2015
A
Son excellence
Monsieur le Président de la République du Congo
Brazzaville
Monsieur le Président et cher Frère,
C’est avec honneur et plaisir que je me fais le devoir citoyen et fraternel de vous joindre par le cœur et par la pensée. Naturellement et très raisonnablement, j’aurais bien voulu vous parler de vive voix, mais la pertinence du sujet à traiter et votre coolitude sur la question m’obligent à en parler ouvertement. L’objet de cette correspondance est de scruter, avec vous, la ligne rouge du 14 août 2016.
Le sujet est, certes, sensible, mais je ne crains point d’être rapidement psychanalysé et tout de go blacklisté. Après tout, que ne ferait-on pas pour apporter sa modeste contribution à un frère qui, plus est, est Président de la République? Nous savons que vous avez une grande capacité d’écoute et, surtout, que vous savez, en bon «kani», qu’un petit-frère peut battre le tam-tam et faire danser les grandes personnes.
Depuis 1979, vous êtes aux commandes de ce beau pays; en vérité, longtemps bien avant. Et vous y êtes de façon continue, si l’on excepte la période de bouillonnement socio-politique de notre frère aîné commun, le professeur Pascal Lissouba.
Vous avez fait de bonnes choses; et même de très bonnes. Mais aussi de moins honorables. C’est normal, puisqu’il s’agit d’une œuvre humaine. Et même si vous aviez, tout juste, votre longévité au pouvoir est perçue comme un facteur discriminant; et comme toute discrimination, elle éteint la lumière. Cependant, nous savons tous que, seul, le souci de bien et mieux faire au bénéfice du grand nombre, toujours, vous animait.
Seulement voilà: le 14 août 2016, votre pirogue sera sur le sable et vous aurez en principe constitutionnellement cessé de ramer. C’est cette position optimiste et hautement humaniste que vous avez justement validé dans votre livre-entretiens intitulé: «Parler vrai pour l’Afrique», paru aux Editions Robert Laffont, en 2009. Dans ce livre, en effet, vous avez parlé vrai, non seulement pour l’Afrique, mais aussi et surtout pour le Congo, en libérant votre parole aux pages 89-90 en ces termes: «… Je commence à envisager la sortie, parce que notre Constitution stipule que, à plus de 70 ans, on ne peut être candidat à la présidentielle… en tous cas, la Constitution précise que le président ne peut effectuer plus de deux mandats».
Mais, depuis quelques temps, certains de vos plus proches collaborateurs et non des moindres font des sorties à haute intensité de dangerosité publique, indiquant clairement qu’il faut changer la Constitution pour vous permettre de demeurer au pouvoir ad vitam aeternam.
En ces temps tumultueux, ces prises de position sont criminogènes et suicidaires. On peut même douter de la sincérité de ce genre de discours aux relents flatteurs et rusés! Ce qui est sûr, c’est que lorsque les temps seront impétueux, ils vont tous se débiner, vous abandonnant presque seul dans le navire avec votre épouse, vos enfants, vos neveux et vos petits-enfants.
Vous devrez rentrer dans l’histoire par la grande porte et non vous retrouver dans la poubelle de l’histoire. Votre longue expérience de la gestion des hommes vous a certainement déjà conduit à conclure que personne ne vous aime plus que vous ne vous aimez vous-même. Vous êtes d’abord et avant tout, un homme libre; et que donc, rien ne dérobe votre cœur.
Mais curieusement, ces discours trouvent un écho en vous, puisque vous avez déclaré devant le Parlement réuni en congrès que le peuple souverain sera consulté par voie référendaire.
Cependant, même si cette position paraît juridiquement défendable, n’oublions pas que vous avez prêté le serment de respecter la Constitution devant le Parlement réuni en congrès, c’est-à-dire devant le peuple congolais, donc devant Dieu, le Grand Architecte de l’Univers; et faire autrement est un parjure; avec tout ce que ce mot renferme de sens et de considération pour vous, pour votre modeste correspondant et pour les autres. Car je pense, je crois et je sais que vous êtes aussi un homme d’honneur.
Le silence circonstancié du peuple n’est pas une tacite approbation; le peuple n’est pas anesthésié; c’est un volcan qui sommeille avec des cauchemars de grogne, de colère et de révolte potentielle. Les signaux que nous envoient certains de nos compatriotes à l’issue des différents matches de football de notre équipe nationale sont inquiétants: qu’il y ait eu victoire, défaite ou match nul, il y a des actes de vandalisme. Et si c’était peut-être une histoire de poupées russes?
La jeunesse du Rassemblement pour la Démocratie et le Progrès Social (R.D.P.S.) qui représente quatre-vingt-cinq (85%) de nos adhérents a donné le ton. Elle dit clairement, comme moi-même, non au changement de constitution.
Dans le même ordre d’idée, les sages de nos contrées, précisément ceux des Départements de Pointe-Noire et du Kouilou, notre fief électoral, et toutes les personnalités qui ont demandé à me rencontrer sont tout aussi catégoriques. Ils ne comprennent pas comment, alors que leurs enfants sont en chômage chronique et que Pointe-Noire est une ville poubelle, on peut leur demander d’adhérer à un projet de changement de constitution! En bons philosophes, ils pratiquent l’esquive en vous disant oui à la place du non; ils vous disent oui le regard détourné. Car, disent-ils, lorsque la vérité déserte ses chemins familiers, c’est qu’elle sortira puissamment conquérante et toujours éternelle.
J’ai interrogé les militantes et militants du R.D.P.S, notre parti. Dans leur écrasante majorité, ils sont opposés à tout changement de constitution. Ils me demandent de vous dire, très humblement, qu’en 2002, le Président Jean-Pierre Thystère-Tchicaya, contre vents et marées, vous avait soutenu à l’élection présidentielle, en application, semble-t-il, des accords de partenariat et électoral.
En 2009, je me suis investi, moi-même, pour votre réélection. Et je précisais, devant les militants en courroux, qu’il fallait vous soutenir, pour avoir raison demain. Demain, c’est aujourd’hui. Les militants de notre parti disent que si le Parti Congolais du Travail (P.C.T.) et le R.D.P.S forment une seule et même famille politique, le moment est donc venu, pour le P.C.T, de soutenir le candidat du R.D.P.S à l’élection présidentielle de 2016.
Dans la même veine de désaccords, devant vous, nombreux de nos concitoyens qui se réclament de vos amis, de vos conseillers ou de vos confidents vous encouragent à aller au changement. Ils disent qu’ils le font par crainte ou par lassitude, par prudence ou par couardise, par politesse ou par courtoisie. Car, en vérité, dès qu’ils ne sont plus à portée de votre voix, ils empruntent des sentiers diamétralement opposés, nous demandant de nous investir tous ensemble pour le NON au changement.
Dans ces conditions, se maintenir au pouvoir comme vous le conseillent certains thuriféraires serait une obstination déraisonnable. Nous avons le devoir républicain et fraternel de vous le dire et d’envisager, de concert, une passation vertueuse, car il y a aussi une vie après ce pouvoir temporel.
Monsieur le Président,
Sur un tout autre registre, je voudrais maintenant vous dire que quand bien même nous voudrions aller au référendum, avec quel corps électoral le ferait-on?
Au plan national, le dernier recensement administratif spécial a donné des résultats tout à fait troublants. Des résultats qui portent en eux-mêmes les germes de la discorde. Ceux qui ont fait ce sale boulot l’ont fait au mépris de toute considération scientifique. C’est une insulte à l’intelligence, un recul démocratique, une honte pour la République. Le verre n’est ni à moitié plein, ni à moitié vide. Il est tout à fait vide.
Au plan international, la crédibilité de nos institutions en matière électorale est rudement mise en cause. La mission de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) conduite par Messieurs Cyrille Zogo Ondo et Jean-Paul Alaterre était venue à Brazzaville, pour remettre aux autorités les conclusions de leurs travaux effectués du 30 novembre au 7 décembre 2013, notamment sur les élections. Le verdict est sans appel, le pays est infréquentable en matière électorale.
L’une des questions légitimes que vous vous posez, actuellement, est celle de savoir qui vous succédera et dans quelles conditions, Dieu étant insondable. Ce que nous voyons tous n’est que l’actualité, la réalité est toute autre. Alors, que faire? Et surtout comment faire?
Vous avez donné toute votre vie à ce pays et ce pays vous l’a si bien rendu. Vous ayez parfois commandé dans la douleur, de telle sorte que toute vilénie s’est faite chair en vous.
J’en appelle donc au Sassou-Nguesso intérieur, le vrai Sassou, l’humaniste forcené que vous êtes, celui qui a toujours apporté sa pierre à l’édifice, pour la construction d’un Congo uni dans le travail et le progrès.
J’en appelle au Sassou-Nguesso d’une «ère nouvelle», celui qui, clôturant la Conférence Nationale Souveraine, déclarait qu’«ainsi réconciliés sur le fond, avec sagesse et humilité, nous aurons tous bien compris cette vérité fondamentale, incontournable… personne n’est au-dessus du peuple, personne ne saurait se substituer au peuple».
Monsieur le Président,
Comme vous le savez, les institutions juridiques sont rebelles à l’immobilisme. C’est pour cela, justement, que le peuple congolais, dans sa Constitution du 20 janvier 2002, a posé les conditions de sa révision; mais rien que sa révision. Sans toucher aux matières portant sur la limitation du nombre de mandats, la forme républicaine de l’Etat et les libertés et droits fondamentaux. La révision constitutionnelle tout comme l’alternance politique, est donc une sorte de respiration profonde de nos institutions.
Le Congo n’a pas besoin d’un homme fort, mais d’un grand homme. Cet homme, c’est celui qui nous avait produit le discours: «J’assume» à l’issue de la Conférence Nationale Souveraine.
Dans votre vie militaire, soyez le Général De Gaulle: libérez le Congo. Vous pouvez aussi vous identifier au Général Koutouzov de Russie, l’un des héros de guerre et paix.
Dans votre vie civile, imitez Mandela: rendez l’espoir au Congo et soyez le dernier des géants.
Dans votre vie spirituelle, soyez Noé: Amarrez votre arche de Nautonniers, je veux dire de Noé au port de Pointe-Noire, havre de paix, pour sauver votre peuple. Poursuivez votre mission de sauvetage aux ports de Brazzaville, Mossaka, Ouesso, Impfondo et autres.
Nous ne pouvons pas hypothéquer ou sacrifier l’avenir de nos enfants, pour satisfaire nos besoins du présent. C’est pourquoi il serait souhaitable de trouver le compromis national, car vous ne pouvez pas laisser le Congo plus dangereux que vous l’avez trouvé en 1979.
Vous devez réconcilier le Congo avec lui-même, avant votre retraite bien méritée en août 2016. N’avez-vous pas vous-même déclaré que quel que soit le feu des passions, ce qui nous unit est plus fort et plus cher que ce qui nous divise?
Pour éviter de laisser notre pays entre les mains de revanchards qui n’aspireraient qu’à la pratique de la chasse aux sorcières, je vous suggère, donc, tenant compte de l’urgence de la situation, de mettre en place les mécanismes d’un atterrissage en douceur qui pourrait se décliner de la manière suivante:
1- Garder le statu quo, puisque toutes les institutions de la République tournent sans crise: dans ce cas, il appartiendra à votre successeur de proposer au peuple congolais son package sur les réformes institutionnelles;
2- Convoquer les états généraux inclusifs de la Nation bien encadrés dans le temps et le contenu, pour éviter les errements du passé. Ces états généraux puiseront leur source dans notre jurisprudence politique et dans notre sociologie.
Et cela ne peut se faire que de façon communément vraie, c’est-à-dire avec le consentement de l’ensemble des acteurs politiques.
Dans l’un et l’autre cas, il serait souhaitable d’adopter une feuille de route tout à fait consensuelle et sans divertir à d’autres activités:
1- Mettre en place une Commission Nationale d’Organisation des Elections véritablement indépendante;
2- Reprendre le recensement administratif spécial sous l’égide de cette commission, pour donner plus de cohésion sociale à notre action commune;
3- Déterminer la nature et l’étendue de l’amnistie dont vous devrez bénéficier, vous et vos plus proches collaborateurs.
Au nom de la paix que Jésus nous a tous légué en héritage, je vous suggère de laisser tous vos louveteaux politiques ainsi que tous les autres Congolais qui en sont capables, se soumettre à la volonté populaire.
L’élection présidentielle à laquelle vous ne devrez plus prendre part, une fois terminée, vous passerez le flambeau à votre successeur dans la sérénité. Après tout, ne l’avez-vous pas déjà fait en 1992?
Nous devons rechercher le consensus le plus large possible et avoir une seule devise à savoir: «Tous pour le Congo, le Congo pour tous». Il s’agit véritablement ici, pour vous et nous, de sauver notre patrie, de prouver au reste du monde, que nous sommes capables de sursaut national. Sauvons-le Congo. Telle est la pierre que j’ai voulu très modestement vous apporter pour la construction de notre maison commune, le Congo.
Veuillez agréer, Monsieur le Président et Cher frère, l’expression de ma très haute et fraternelle considération.
Mabio MAVOUNGOU-ZINGA
Député à l’Assemblée Nationale,
Deuxième vice-président du R.D.P.S.
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