« Les gens qui votent ne décident rien. Ce sont ceux qui comptent les votes qui décident tout » (Joseph Staline) « Le plus important aux Jeux olympiques n’est pas de gagner mais de participer…» (Pierre de Coubertin, paraphrasant Ethelbert Talbot, Évêque de Pennsylvanie, 1908)
Résumé : Quatre élections législatives pour une ‘chambre introuvable’ chronique! Un putschiste-président systématiquement élu au premier tour trois fois de suite! Un peuple qui a, depuis et de façon écrasante, résolument tourné le dos aux urnes! Si la morbidité d’un tel système politique apparaît manifeste, paradoxalement, au Congo, pouvoir et opposition y trouvent leur compte et persistent à exalter la participation! On l’aura compris, l’intérêt des parties se trouve ailleurs que dans les valeurs démocratiques…
À quoi servent, finalement et en réalité, les élections au Congo-Brazzaville ? Car, il va de soi qu’à partir du moment où le général Sassou, sévèrement débarqué dès le premier tour des premières élections démocratiques du pays en 1992, avait tout de même réussi à parachuter et se réinstaller au pouvoir en 1997 armes et sang pleins la main, à se targuer malgré cela et sans complexe d’être le représentant du peuple, à carboniser la Constitution et toutes les institutions démocratiquement mises sur pied, à nommer par décret des députés là où ils avaient été sans conteste aucun élus, à gouverner cinq ans sans mandat, à semer de milliers de deuils dans les familles congolaises, il va de soi, disions-nous, que pour cette catégorie d’individus, l’élection et tout ce qui rime avec, le droit, l’État, la raison, l’éthique et le bon sens sont aux antipodes autant de leur existence que de leur activité. Les évoqueraient-ils, ou y recourraient-ils, que ce ne serait, objectivement, que diversion et manipulation ! De Sassou-Nguesso plus particulièrement, son parcours et sa culture le démontrent à suffisance, l’obscurantisme et la barbarie politiques, sous leurs différentes formes, sont pour lui ce que sont le chien et sa queue ! C’est-à-dire, il dort, cauchemarde, se réveille, déjeune et se déplace avec!
Ainsi, de 2002 – année où le général s’est rappelé et a été contraint de s’adapter, en apparence, aux civilités internationales – au dernier épisode de ce mois d’août, dit des « législatives…de la démocratie en marche », et au contraire des lois politiques universelles établies en la matière, les consultations électorales se suivent et se ressemblent ! Aboutissant ainsi, au plan législatif, à un phénomène pour le moins insolite, mais constant : «l’incroyable ‘chambre introuvable’, au Congo le pouvoir ne s’use jamais !» (notre réflexion, 12 août 2012, Congo-liberty.com).
Si, au regard de l’image donnée par toutes les grandes démocraties du moment, et des théories les plus expertes en la matière, la force d’une société politique et de sa démocratie se vérifie autant par sa capacité à assurer l’alternance des majorités, à se renouveler politiquement et à survivre aux dirigeants et régimes politiques dans la sérénité, en Afrique centrale francophone et au Congo particulièrement, ouvertement et volontairement, c’est l’exemple et le discours contraires qui sont affichés et soutenus. Sans complexe, et sans convaincre évidemment. Tantôt, et de façon surréaliste, l’alternance entraînerait l’effondrement de la société (Michel Innocent Peya, théoricien congolais de l’apocalypse), tantôt, et au nom d’un africanisme spécieux, ces sociétés politiques seraient plus régies par des forces occultes que par le droit (Placide Moudoudou, juriste et théoricien du putsch constitutionnel), aboutissant ainsi, et paradoxalement, à l’homme-Constitution, une adaptation obscurantiste de l’homme providentiel, mais toujours au nom de la démocratie! (cf, notre article, « Présidentielles africaines : perpétuelle illusion constitutionnelle, Revue Politique et Parlementaire, 2014, numéro 1071-1072).
Toute la question, tout l’intérêt, dès lors, sont de savoir comment se comportent les forces politiques concurrentes, dites ou autoproclamées, de façon assez pompeuse, opposition, et surtout la société civile? Excellent-elles pour la restauration de la démocratie, selon les principes fondamentaux et universels connus ou, au contraire, participent-elles à la « démocratie du verbe », à la politique incantatoire?
Sans surprise, les dernières législatives congolaises de juillet-août dernier, comme les précédentes, confirment que, globalement, le discours, les comportements et stratégies de ‘l’opposition’, s’inscrivent, comme pour le pouvoir établi, dans la continuité, avec pour impact, l’enlisement dans la bêtise électorale et le mercantilisme politique et, plus grave, le bradage de l’ambition et de l’idéal démocratiques.
L’ENLISEMENT DANS LA BÊTISE ÉLECTORALE ET LE MERCANTILISME POLITIQUE
« J’y vais…j’y vais pas » ! Telle est la problématique, qui n’en est en réalité pas une, d’un article publié par le journal continental et historique, Jeune Afrique, dans sa parution électronique du 5 juillet, à propos de l’attitude de l’opposition congolaise. Si, presque toujours, en amont, le louvoiement est de règle, en dernière instance, se trouvent de façon constante et sans faillir aux rendez-vous des consultations, des candidats dits de l’opposition, avec des justifications pour le moins déconcertantes, et incongrues, au regard de la rationalité politique universelle.
La question se pose ainsi, au plan de l’analyse politique, de savoir quelles peuvent être les motivations des candidats, surtout ceux des grands partis classiques, de participer à des consultations qui, de façon évidente, sont à la merci du pouvoir putschiste. C’est à cette question et une série d’autres, à nous posée par le site Congo-Liberty, le 23 novembre 2011, et diffusée en janvier 2012, que nous répondions, spécifiquement, sous l’intitulé « Couvre-feu illimité sur la politique » :
Congo-liberty : Comment définirez-vous l’opposition actuelle « mcddi, upads… » à Sassou Nguesso et leur participation aux élections législatives de 2012 ?
Incroyablement, et comme si entre-temps il n’y avait pas eu le double braquage référendo-constitutionnel et électoral d’octobre 2015 et de mars 2016, la réponse que nous assurions alors reste, sur toute la ligne, d’actualité ! C’est dire combien la situation n’a point évolué ! Ainsi, et in extenso, nous répondions :
Vous avez bien dit opposition ! Cela n’engage que vous car, dans le contexte congolais actuel, l’usage de cette expression, au-delà de sa constitutionnalisation, est très impropre, discutable et insolite parce qu’elle participe à la légitimation du pouvoir autocratique qui, dans cette confusion, peut bien se frotter les mains et s’exclamer ‘stratégie réussie’ .
En effet, il ne faut jamais oublier le mode d’établissement du régime actuel. C’est très important. On l’a déjà dit, et c’est un truisme de le rappeler, l’origine et le mode d’exercice du pouvoir au Congo, depuis 1997, est essentiellement autocratique. Parce que, s’il est vrai qu’on ne peut un seul instant envisager l’efficacité du droit et l’exercice du pouvoir sans la force, au contraire, la force et le pouvoir en dehors du droit, comme il en est le cas du régime actuel, c’est la dictature. L’analyse politique déduit de ce mode de gouvernement non seulement le laminage du droit, mais aussi celui de la politique.
Autrement dit, le recours à la force dans la conquête et l’exercice du pouvoir, c’est la fin du politique dans son sens noble.
Si, au regard de leur attitude depuis 1997, les autorités actuelles du Congo en sont conscientes et l’assument, au-delà d’un discours démocratique incantatoire, il semble que ceci ne soit pas très évident auprès des autres forces politiques, abusivement appelées opposition parce que, objectivement, dans l’impossibilité d’assurer l’alternance démocratique. Dès lors, la question qui se pose est celle du rôle et des intentions des forces politiques qui, ouvertement, ne se prévalent pas du pouvoir établi, par essence autocratique, avons-nous dit.
Vous avez dit MCDDI et UPADS ? Il me semble que, au-delà d’un positionnement déroutant, parce qu’instable, officiellement, le MCDDI se réclame ouvertement du pouvoir en place et l’on a du mal à comprendre le classement que vous en faites.
Se pose plus particulièrement le rôle de l’UPADS et des autres entités politiques. Un regard rétrospectif sur la vie et l’histoire politiques congolaises est édifiant à cet égard.
L’avènement du pouvoir actuel, avions nous dit, c’est ‘l’ancien régime ressuscité ‘ et celui-ci, à l’image des autres systèmes monopartites de l’époque en Afrique, comme vous le savez, ne tolérait pas l’opposition. Le général Mobutu ne qualifiait-il pas les opposants d’ « enfants égarés de la nation » ! Au Congo, je ne vous apprends rien, les opposants étaient clairement qualifiés de « réactionnaires ». C’est parce que le contexte mondial depuis le début des années 90 contraint au discours démocratique que ‘l’ancien régime ressuscité’ se doit de sauver les apparences, tolérer ‘l’opposition’, sans évidemment, vous vous en doutez, permettre le fonctionnement réel du jeu politique dont la conséquence serait, tout naturellement, l’effondrement de la dictature. Comment donc définir ‘l’opposition’ actuelle et sa participation aux prochaines élections législatives, me demandez-vous ? Sur la base de ce que je viens de vous expliquer, la réponse s’impose d’elle-même, il me semble.
Le pouvoir, par la force, ne pouvant plus, comme par le passé, se prévaloir du socialisme pour masquer la dictature, tout comme il ne peut permettre le jeu démocratique pour des raisons évidentes, ‘l’opposition’ ne peut de ce point de vue qu’être postiche. N’existerait-elle pas qu’il aurait fallu la créer de toutes pièces. Au Congo, le pouvoir joue sur les deux tableaux. Usant à la fois de la force, des manipulations et de l’argent, il a réduit les autres forces politiques, ou ce qui en est l’apparence, en marionnettes soit par des intimidations, soit en multipliant le nombre de partis politiques.
Ainsi, c’est clair, le seul rôle de ‘ l’opposition’ ou de ce qui s’en prévaut aujourd’hui au Congo, c’est de créditer le pouvoir en place, de lui donner une apparence démocratique et, manifestement, l’ensemble de la classe politique l’a bien intériorisé, assez facilement, puisque la réminiscence au regard des pratiques sous l’ancien système monopartite a bien joué. La dictature a besoin de faux opposants pour se maintenir et ceux-ci ont besoin de la dictature pour survivre ou vivre tout simplement car, la vie au Congo, en dehors du pouvoir et de ses relais, n’est pas une sinécure. C’est la nouvelle entreprise et une entreprise florissante. Plus que jamais, se trouve illustrée aujourd’hui, la théorie, discutée par certains, de ‘la politique du ventre’ d’un auteur français, Jean-François Bayart
Illustrent cela certaines pratiques et déclarations desdits ‘opposants’, à l’occasion de l’affaire des ‘biens mal acquis’, affaire on ne peut plus grave, mais superbement ignorée par les pouvoirs publics congolais, c’est un membre de l’opposition qui a fait le tour des chaînes de télévision africaines d’Île-de-France pour contester la compétence de la juridiction française, sans préjudice de menaces pour le moins saugrenues ! Par ailleurs, plusieurs éminents représentants desdits partis de l’opposition ont ouvertement reconnu et démontré, pièces à l’appui, que le système électoral est de bout en bout maîtrisé par le régime dictatorial, sans que cela ne les empêche de briguer ! Quant au pouvoir établi, il est mille fois plus facile de réussir une manipulation électorale que de réussir un coup d’état qui est, par essence, la négation d’un vote transparent.
L’esquive, jusqu’ici, par le pouvoir en place, aussi bien de la Déclaration de Bamako sur la démocratie dans les pays francophones que des autres conventions sous-régionales et régionales, dont la Charte panafricaine sur la démocratie, conforte l’institutionnalisation de l’état d’exception et la persistance de l’esprit du coup d’état au Congo-Brazzaville.
Ceci dit, peut-on réduire toutes les forces politiques en pantins ? Pas dans l’absolu. Aucune des parties en présence n’est dupe. Ni le pouvoir, ni les autres forces ne sont tout à fait convaincus de la bonne foi et de la fidélité de l’autre partie. La situation de l’heure est, bien entendu, le résultat des rapports de forces non pas politiques mais militaro-financiers et de certains soutiens extérieurs qui sont ouvertement en faveur du pouvoir. Ainsi, tout rendez-vous politique, les prochaines législatives en l’occurrence, est l’occasion pour les parties de se jauger, de vérifier leur force ou la fidélité de l’autre, d’user de tous les stratagèmes, non pas politiques mais de tous les autres imaginables dans un état de nature pour, soit maintenir le système, soit l’accabler ou éventuellement pousser l’autre à l’erreur.
C’est dans ce sens qu’il faut comprendre, localement, l’intérêt du rendez-vous des prochaines législatives, sans préjudice d’une opportunité d’enrichissement pour certains.
Il faut se rendre à l’évidence. En ayant accédé au pouvoir par la force, et en maintenant cet esprit par le refus obstiné tant du retour à l’ordre démocratique que de la ratification des diverses conventions du continent sur la démocratie, le pouvoir de Brazzaville a, tout naturellement, laminé les règles du jeu politique, opté pour la force brute, et donc, délibérément, banni la politique au profit du plus vieux système politique au monde : l’état de nature où tout est dicté par le plus fort.
Ce n’était, on s’en doute, pas gratuit. Ce choix pour le moins grave, avec ses lourdes conséquences, n’a pu s’opérer que parce que ses instigateurs étaient convaincus de l’impossibilité d’accès au pouvoir par la voie rationnelle qui est celle des urnes.
De ce point de vue, il n’est point besoin d’être un as de la science politique pour comprendre que le principe, le seul valable pour l’accès au pouvoir au Congo ou gagner une quelconque élection, sauf à croire à la main invisible en politique ou à faire preuve d’une naïveté exorbitante ( [ndlr : cf. « L’incroyable naïveté électorale », en ligne, de l’auteur, sous le pseudonyme, L’éclaireur]), c’est celui que le pouvoir établi a défini, et que le reste n’est que diversion, manipulation, cafouillage et stratégie. Toute la classe politique congolaise le sait puisque les fraudes électorales massives et répétées sont manifestes.
La pérennisation et l’affermissement de ce système a entraîné sa déconcentration qui n’oblige plus nécessairement le pouvoir central à se ‘mouiller’, à intervenir pour imposer la mise en veilleuse du droit et de la politique. Désormais des organes secondaires dictent et imposent les comportements nécessaires à la sauvegarde du système : c’est le couvre-feu illimité sur la politique… corollaire de l’état d’exception institué, dont les restrictions régulières à certaines manifestations, meetings et réunions, pourtant constitutionnellement reconnus, en sont les symptômes…
Telle fut notre réponse, complète, en novembre 2011, et dont on peut se rendre compte qu’elle n’a été démentie ni par les législatives suivantes d’août 2012, ni par celles récentes de juillet-août 2017.
Ces évidences, auxquelles s’additionnent les graves événements d’octobre 2015 (putsch constitutionnel) et de mars 2016 (braquage et fraude électorale), accompagnés de morts, mais aussi, consécutivement, des crimes massifs et de la crise humanitaire dans le Pool, auraient pu convaincre toute opposition conséquente que la restauration démocratique seule, et non la participation à des législatives totalement contrôlées par le pouvoir putschiste, peuvent assurer une issue positive ! C’est parce que c’est la position inverse qui a été adoptée, avec des arguments plutôt situationnistes, opportunistes – qui, une fois de plus, ont consacré la victoire de la bêtise électorale et du mercantilisme politique – que l’on en déduit, forcément, le bradage de l’idéal démocratique
LE BRADAGE DE L’AMBITION ET DE L’IDÉAL DÉMOCRATIQUES
Par ricochet à ce qui précède, et par le biais d’une batterie de stratégies, sous forme de discours et d’initiatives concrètes, les différentes parties, principalement les acteurs du pouvoir et ‘l’opposition’, participent de façon consciente au laminage des principes essentiels de la démocratie, au profit des ambitions et objectifs individuels et immédiats. Rien de vraiment étonnant : depuis la réinitialisation de la démocratie au début des années quatre-vingt-dix, l’observation des comportements de l’écrasante majorité de la classe politique congolaise, et de l’élite dans sa diversité, est l’aveu constant du primat du désir du pouvoir sur les principes et valeurs démocratiques ! S’exposant ainsi en autant de déboires, de retournements que d’incongruités devenus banals et monnaie courante.
Ainsi, du pouvoir autocratique, et sur la question électorale, tout a consisté depuis la conquête armée du pouvoir en 1997 et les premières consultations en 2002, à prospecter, expérimenter et affiner toutes les voies possibles pour confisquer à jamais le pouvoir, à réduire toute consultation en banales formalités où les autres forces politiques participent mais ne gagnent jamais ! Un authentique jeu politique illustratif du ‘coubertinisme‘ dont les formes, classiques, inaugurées en 2002 et identifiées par la FIDH dans un rapport publié quelques jours avant la présidentielle de cette année, intitulé « Élections en trompe l’œil au Congo-Brazzaville», vident l’élection de toute sa substance, de toutes ses vertus ! Sont, partant, ancrés et/ou inaugurés, pour l’essentiel :
– L’apartheid territorial et ethnique par le biais d’un découpage électoral loufoque et défiant la raison et les règles de l’art les plus élémentaires en matière électorale. Inaugurée dès les premières consultations électorales par le régime dictatorial en 2002, et jamais remise en cause, la technique, aveu clairement assumé d’une obscurantiste discrimination positive ‘à la Congolaise’ au plan territorial, consiste à doter les localités territoriales fiefs du pouvoir (clairement celles du nord du pays), objectivement connues de tous comme moins peuplées que celles du sud, de plus de circonscriptions électorales (et donc de députés), de façon à s’assurer, se garantir toujours une majorité ou une sérieuse avance ! Surtout en répercutant la même technique dans Brazzaville la capitale, avec ses fameux quartiers nord et sud. Ainsi, et à titre indicatif, les districts d’Ollombo et de Ewo ( proches du président), avec moins de 22 000 habitants chacun, ont chacun deux circonscriptions (députés) tandis que les districts de Madingou et de Mouyondzi (dans la Bouenza et au sud du pays), avec respectivement 62 800 et 36 815 (en 2011) n’ont qu’un député chacun !
On l’aura remarqué, Sassou-Nguesso qui ne loupe pas une occasion pour se targuer d’avoir été l’un des soutiens du grand héros de la lutte anti-apartheid, Nelson Mandela, dont le noyau dur de la philosophie politique est l’égalité des droits, ‘One Man One vote‘ notamment, a tranquillement instauré dans son pays un apartheid territorial et ethnique, dans les différents grands corps de l’État (principalement l’armée) et en matière électorale !
Préoccupante, cette question du découpage électoral a ainsi fait l’objet d’un traitement assez sérieux et approfondi qui ne dément pas les incongruités ci-dessus soulignées ( cf. notamment C-R M’Bissa, Les élections législatives au Congo. Les enjeux du découpage électoral, L’Harmattan, 2013)
– Une assiette électorale élastique ! Presque un secret d’État comme l’a été la dette extérieure jusqu’à une date toute fraîche, à la merci du pouvoir établi et donc manipulable à souhait, selon les nécessités du pouvoir. De telle sorte que, bien souvent, lors de la proclamation des différents résultats, le Ministre de l’Intérieur, imperturbable, se garde bien de donner les statistiques ! Avec souvent, et très cocasse, de nombreuses circonscriptions où le corps électoral est supérieur au nombre d’habitants, et démontrant ainsi sans équivoque le gonflement et la manipulation de l’assiette électorale. Ainsi, dans les circonscriptions du nord du pays justement, et comme par hasard, pas moins de douze districts se sont retrouvés dans cette situation. À titre indicatif, les districts de Souanké, Ollombo, Tchikapika et Enyellé, avec respectivement (et officiellement) 9712 habitants, 21267, 5978 et 21174, se retrouvent avec un corps électoral de 11573 inscrits, 25755, 8423 et 22474 !
– L’institutionnalisation d’un cens électoral, c’est-à-dire d’une élection de nantis financièrement dont on sait qu’il fut l’une des trouvailles de l’Abbé Sieyes, de la bourgeoisie rayonnante au lendemain immédiat de la Révolution française de 1789, et inscrit dans la première Constitution de 1791, pour écarter les classes populaires du processus électoral ! Au Congo, de 100 000 fcfa (154 euros) précédemment, la caution électorale, non remboursable, a été multipliée par 15, et est passée en 2017 à 1 500 000 (2 300 euros). Ainsi, peut-on constater que le PCT, parti au pouvoir et plein aux as, a fait le plein de toutes les candidatures, tandis qu’on peut lire le secrétaire général de l’UPADS (principal parti de l’opposition), face au vide de candidatures, y compris dans ses fiefs habituels, arguer que c’est « parce qu’il n’y en avait pas. Il ne faut pas oublier que ces scrutins se révèlent être les plus chers de l’histoire du pays » (Jeune Afrique.com, 30 août 2017)
– Le décompte électoral ou l’arme fatale du pouvoir congolais, authentique survivance du stalinisme et constant ici depuis 2002, a solennellement démontré ses ‘vertus’ lors de la dernière et rocambolesque présidentielle de mars 2016. Ainsi, Sassou-Nguesso qui a été sévèrement mis en minorité dans les trois plus grandes villes du pays (Brazzaville, Pointe-Noire et Dolisie) et dans tous les départements du sud du pays, jusque-là statistiquement et officiellement reconnus comme plus peuplés que ceux du nord, s’est quand même retrouvé, avec le jeu combiné de l’élasticité de l’assiette électorale et du décompte électoral discrétionnaire, vainqueur à plus de 60 pour cent dès le premier tour, par merveille politique ! Une créativité sui-generis qui a inspiré le pouvoir gabonais voisin cinq mois après, en août 2016…( Cf. « Congo: la victoire anachronique de Sassou-Nguesso », Le Monde, 24 mars 2017)
– La corruption, subtile ou crue, n’est évidemment pas absente! Aux précédentes législatives de 2012 par exemple, de bonne foi et ouvertement, la députée sortante PCT (parti au pouvoir) de la zone de la localité de Djiri, pouvait ainsi déclarer à la télévision nationale, le 15 juillet 2012, jour du premier tour, que l’on a distribué marinières, casquettes, argent et autres objets, mais les citoyens se sont tout de même ‘débinés’ au moment du vote, au motif qu’ils avaient faim ! Plus concrètement, au vu et au su de tous, c’est par billets de banque de 5000 ou 10 000 cfa (7,5 ou 15 euros) que certains candidats plus nantis incitent les électeurs à se mobiliser pour eux ! Le général–président lui-même, à certaines occasions, ne manque d’ailleurs pas de mettre le pied à l’étrier, en distribuant devant caméras et de façon complexée, des billets de banque auprès de sa clientèle régionale et tribale…
– L’inauguration des dynasties autocratiques est sans nul doute la plus originale des innovations du système autocratique érigé depuis 1997 ! Conscients de l’épuisement progressif des manipulations classiques devenues trop visibles, de la tendance à la généralisation de la contestation y compris dans ses propres rangs, des risques réels de ‘balkanisation’ du pays, les tenants du régime n’ont pas trouvé meilleure recette au rendez-vous de 2017 que de susciter de toutes pièces une nouvelle catégorie socio-politique, dans un pays sans idéologie et astreint à l’enfermement régionaliste, qui est celle des ‘fils de…‘ . Celle-ci, au vu des profils, engloberait les rejetons des anciennes personnalités politiques éminentes de plusieurs régions. Ce qui laisse clairement penser qu’il s’agirait de donner une nouvelle assise, de créer un nouveau groupe d’intérêt trans-tribal ou trans-régional, une soupape de sûreté politique à une future dynastie présidentielle elle-même, mais sans légitimité nationale, par la création et la coalition des dynasties tribalo-régionalistes à celle de Sassou-Nguesso.
Ainsi, après les fils Kolélas, Yhombi, Ngouabi, Thicaya et autres tombés depuis dans l’escarcelle présidentielle, a-t-on vu, à l’occasion de cette législative de 2017, le fils du charismatique président Pascal Lissouba – le seul président démocratiquement élu de l’histoire du pays mais violemment chassé par les armes par le pouvoir établi – faire irruption comme candidat à la députation dans la région d’origine de son père ! La légitimité régionale de ces ‘fils de…‘ soutenus et dépendants financièrement du pouvoir despotique conférerait ou faciliterait, par ricochet et selon le calcul escompté, l’accession et la légitimité de la dynastie présidentielle des Sassou…
– L’abstention, elle, longtemps occultée, surtout à l’occasion des élections présidentielles successives pour cacher la profonde impopularité, le rejet de Sassou-Nguesso, puisque seul, vrai et universel baromètre politique dans un système politique fermé comme celui du Congo, a cette fois, bien que manipulée encore, fait l’objet d’un aveu clair par l’autorité compétente : « nous assumons le fait qu’il y a un grand désintérêt. Nous ne savons pas comment les gens vont se mobiliser », déclare Antoine Évoundou, le préfet et chef de la DGEA (Jeune Afrique.com, 16 juillet 2017). C’est à 40 pour cent qu’a été en définitive et officiellement évalué la participation aux législatives de 2017. Mais quand on sait qu’aux précédentes de 2012, le pouvoir les avait évalué à plus de 70 pour cent alors que les organisations de la société civile l’arrêtaient à 15 au maximum, on peut tout à fait légitimement douter de celle affichée aujourd’hui, conséquence du hold-up de la présidentielle de mars 2016, qui a définitivement convaincu et démobilisé les électeurs sur la véracité de ces consultations, mais aussi sur les inconséquences de l’opposition (cf. Félix Bankounda Mpélé, « La balle est dans le camp de l’opposition », 23 mars 2016)
— Une juridiction constitutionnelle, chargée de juger la vérité électorale, mais authentique et décomplexé ‘garçon de course’ du général-président et du pouvoir en place ! Elle l’a magistralement démontré lors du référendum anti-constitutionnel de l’automne 2015, en faisant dire à la Constitution de 2002 le contraire parfait de ce qui y était mentionné, et reconnaissant ainsi et désormais un nombre élastique de mandats au dictateur-président, alors que la loi fondamentale les limitait hermétiquement à deux ( cf. nos réflexion et article: « Quiproquo et euthanasie constitutionnels au Congo », Dac–presse et Congo–Liberty, en ligne ; « Présidentielles africaines : perpétuelle illusion constitutionnelle », Revue Politique et Parlementaire, 2014, numéro 1071-1072. Et surtout, pour les spécialistes, Jean–François Akandji–Kombé, Avis juridique, du 29 octobre 2015)
Le solde, au plan électoral et législatif strictement, c’est, une fois de plus, la confirmation d’une ‘chambre introuvable‘, phénomène pour le moins insolite en démocratie, mais qui laisse pratiquement tous les acteurs imperturbables ! Totalisant officiellement 103 députés sur 151, dont 90 pour le seul PCT (13 pour les alliés), le pouvoir détient ainsi plus des deux-tiers des sièges à l’assemblée !
–Politiquement, le plongeon dans l’inaptocratie s’impose de lui-même et à vue d’œil. Ne l’a pas démentie, notamment, la médiocrité de nombreuses affiches électorales qui ont fait la risée sur les réseaux sociaux, jusqu’à gagner un reportage spécial auprès de « Les observateurs » de la chaîne internationale française France 24 (Cf. « Congo-Brazzaville : florilège de fautes de français sur les affiches électorales », 10 juillet 2017).
Rarement, avec la décrépitude combinée et accélérée de la situation politique et économique, un pays africain aura aussi bien illustré ce phénomène d’inaptocratie (ou ineptocratie selon ses origines anglaises) défini comme « un système de gouvernement où les moins capables de gouverner sont élus par les moins capables de produire et où les autres membres de la société les moins aptes à subvenir à eux-mêmes ou à réussir, sont récompensés par des biens et des services qui ont été payés par la confiscation de la richesse et du travail d’un nombre de producteurs en diminution continuelle».
Au Congo, s’il est un principe désormais bien intériorisé par quasiment toutes les catégories sociales, les élites en tête, c’est qu’il ne fait point bon d’être vertueux dans quelque domaine que ce soit, au risque d’être débarqué ! Les temps, la vogue sont à la bêtise, la médiocrité, le mercantilisme érigés en systèmes, entretenant ainsi de rafales de contradictions et incongruités que valident bien les assertions suivantes : alors que tout ce qui précède démontre bien et ouvertement l’iniquité du système électoral et politique congolais, le préfet et éternel directeur général des affaires électorales, Antoine Évoundou, universitaire, affirme imperturbablement que « depuis 2011, il y a une transparence totale au niveau des bureaux de vote » (Jeune Afrique.com, 16 juillet 2017) ! Autrement dit, avant 2011, soit au moins deux élections présidentielles (2002 et 2009) et deux élections législatives (2002 et 2007), cette transparence n’existait pas ! Ce que soutient au demeurant Placide Moudoudou, ancien doyen de la faculté de droit de Brazzaville, président de la Commission constitutionnelle de 2015, pour maintenir au pouvoir Sassou-Nguesso arrivé au terme de ses deux mandats, qui écrit la même année 2011 que « Les autorités congolaises brillent par l’organisation d’élections truquées dont les résultats sont quasiment connus d’avance…il en a été ainsi pour les présidentielles de 2002 et 2009, et pour les législatives de 1993 [!], 2002 et 2007 » ! ( RJPIC, 2011).
Mais, par dessus tout, c’est l’argumentation développée par ceux qui se présentent comme relevant de l’opposition qui détonne à la fois par sa docilité au système et la validation des pratiques autocratiques : « Nous devons assurer et construire l’opposition », assène Tsati-Mabiala, le secrétaire général de l’UPADS, principal parti de ‘l’opposition’ ! Une opposition dont il est sans équivoque que le rôle est exclusivement de participer, de donner une apparence démocratique au système ! « Participer aux élections vous donne la crédibilité de contester les résultats » ! affirme hypocritement Moussodia, le représentant du Yuki de Parfait Kolélas, alors que la grave et violente séquence politique de 2016, qu’il rappelle d’ailleurs en notant que « le hold-up électoral de 2016 est aujourd’hui révolu », a de façon indéniable démontré que le système est fermé de bout en bout, et que le pouvoir établi est imperméable au droit, à la transparence, à la contestation et à la démocratie ! Non moins curieuse est une autre assertion selon laquelle « Le boycott est stratégiquement inefficace et politiquement suicidaire » (Manangou) ! Une argumentation qui frise l’arnaque politique pure et simple : la vérité est que, en dehors de 2002 où le despote sans charisme avait choisi par le biais de sa Constitution et de ses juges d’interdire les vrais et sérieux candidats politiques qui l’avaient sèchement battu à la seule élection démocratique de 1992, et qui n’avaient alors eu d’autre choix que de demander le boycott, la prétendue opposition a toujours participé aux différentes mises en scène électorales ! Même à celles inaugurales de 2002, le pouvoir avait réussi à initier et promouvoir des opposants de circonstance au sein de ce qui fut les grands partis de l’orée démocratique des années quatre-vingt-dix ! (cf. notre réflexion : « K.K.M., l’éternel ‘idiot du roi !’ », en ligne).
Les partisans de la participation pour des raisons et intérêts individuels, confondus par la lassitude de rares électeurs qui se mobilisaient encore mais en vain, et inversant totalement la réalité politique, ont du mal à dire, à démontrer et convaincre exactement en quoi vingt ans de participation constante de l’opposition au festin ont fait évoluer le système ou contribué à bousculer la nature autocratique du système ! Il va de soi que dans ces circonstances l’on ne saurait y espérer autre chose que l’enlisement dans la bêtise électorale et le mercantilisme politique, le discours démocratique n’étant ainsi que appât, affabulation, mauvaise foi, ou folie au sens d’Einstein qui, magistralement, souligne que « La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent » !
En quoi les stratégies individuelles à la participation politique ont fait avancer la démocratie congolaise, sauf à réduire celle-ci à la consolidation d’un pouvoir dont la nature despotique est sans équivoque ! Combien de régimes dictatoriaux au monde ont été transformés ou renversés par la voie des règles qu’ils se sont eux-mêmes établis ! La classique et bonne philosophie d’Albert Einstein, encore lui, selon laquelle « on ne résout pas un problème selon les modes de pensée qui l’ont engendré » est, en l’occurrence, si pertinente que l’on se demanderait, en dernière instance, si le choix, la prétention et l’acharnement de certains politiques congolais à une opposition factice ou à ‘l’entrisme’ dont on connaît par ailleurs les convergences dans l’histoire politique congolaise, ne constituent pas l’aveu de la conformité de leurs pensée et pratiques politiques à celles du régime politique établi !
En définitive, si, comme tout le monde peut le constater, la nature et l’exercice autocratiques du pouvoir au Congo est sans équivoque, que ses dirigeants depuis leur avènement n’accordent aux prétendus membres de l’opposition, et de façon délibérée, que le rôle d’accessoire et de consolidation du système, de participation dont on sait qu’il est tout à fait aux antipodes d’une réelle opposition dans la conception universelle et libérale de l’opposition, alors celle-ci, quelles que soient ses affirmations, ses prétentions, ne réussit qu’à dégrader, rétrograder et brader l’ambition et l’idéal réellement démocratiques…
Félix BANKOUNDA MPÉLÉ
Juriste et politologue