C’est dans une longue interview accordée le 22 novembre à Ziana TV, diffusée et ‘feuilletonnée’ à partir du 4 décembre que Félix Bankounda Mpélé a répondu à près d’une trentaine de questions du journaliste Cyr Makosso. Tout y passe : un rapide cursus de l’interviewé, le débat constitutionnel, l’avis de la Cour constitutionnelle congolaise, son issu et ses conséquences, la position du pouvoir et celle de l’opposition, l’histoire constitutionnelle et politique congolaise, l’élite congolaise, la diaspora, la position de François Hollande, la communauté internationale, la communauté africaine, les perspectives du pays… Bref, loin des sentiers battus, Félix Bankounda Mpélé, sans langue de bois, ‘crâche’ ses vérités.
De lui-même, et d’emblée, à la question posée par le journaliste de savoir qu’est-ce qui l’anime, il répond qu’il est guidé « par les valeurs, les valeurs intellectuelles. Je crois à l’éthique, à l’honneur…à mes risques et périls » et souligne que si le Congo en est dans la situation d’aujourd’hui, c’est parce que l’élite est majoritairement inspirée plus par l’intérêt matériel que par les idées : « que veut dire l’être s’il n y a pas les convictions ! C’est le ballottage, cela va dans tous les sens »
Du pouvoir congolais, il en dresse un portrait sévère : « Un leader, un pouvoir qui confond ses concitoyens avec du bétail. Un pouvoir qui confond la Constitution avec du kleenex. Un pouvoir qui curieusement semble prendre du plaisir à intimider et à humilier les Congolais ». Et de terminer vers la fin de l’interview, à propos du pouvoir, par l’affirmation que « les derniers événements du Congo ont démontré que le pouvoir congolais se moque du Droit, de la Constitution se fout de la Communauté internationale et des valeurs internationales…Nous avons ainsi un pouvoir voyou, un pouvoir indigne et les Congolais doivent le considérer comme tel… »
Revenant sur l’avis de la Cour constitutionnelle, sans détours, il souligne, après certaines anecdotes, que « il n y avait pas besoin d’interprétation… Tout était clair et sans équivoque…C’est une honte, c’est déguelasse ! Cette mesure, cet avis de la Cour constitutionnelle est absurde, stupide, abjecte….C’est parmi les mesures les lus imbéciles de l’histoire du droit constitutionnel dans le monde » parce que, « Les juges de la Cour constitutionnelle ont préféré assumé le devoir de gratitude à l’endroit de celui qui les avait nommés et dont ils connaissent aussi bien les ambitions que le passé pour le moins accablant ».
Lorsque le journaliste lui demande d’être clair à cet égard pour les compatriotes face à un débat qui est resté technique, il explique que « la Cour constitutionnelle est une création spécifique de la Constitution de 2002 et son rôle principal, dans tous les pays, est de veiller au respect de la Constitution. Or, non seulement la Cour n’a pas assuré ce rôle primordial, mais en plus il a avalé son acte de naissance puisque celui-ci est constitué par cette Constitution de 2002 qui l’a crée »
L’insistance du journaliste de savoir s’il ne parlait pas comme un opposant a connu une réponse imparable de Félix Bankounda Mpélé : « au fond d’eux-même ils savent qu’ils ont commis une forfaiture…puisqu’ils connaissent la jurisprudence nigérienne de juin 2009 dans laquelle, dans le même sens et dans les mêmes circonstances, les juges ont dit non au président Mahmadou Tandja ».
Et pourtant le pouvoir a appelé des juristes internationaux qui tous ont dit qu’il pouvait changer la Constitution insiste le journaliste. « C’était d’abord et avant tout pour leur intérêt qu’ils étaient venus et non pour le Droit. Ce sont les mercenaires du XXIème siècle, des Bob Denard en plume, je sais ce que je dis…Je suis venu à Paris pour un colloque et j’ai rencontré d’autres juristes qui m’ont dit qu’ils avaient été invités à Brazzaville pour leur expertise sur l’interprétation de la Constitution. Je leur ai dit (rires) qu’il n y avait rien à interpréter au Congo…Les textes étaient clairs et sans équivoque »
De l’opposition, dit-il, « le seul point commun de l’opposition c’était d’en finir avec le général Sassou, la prise du pouvoir et qu’en dehors de cela, les leaders n’ont rien de commun et l’opposition se serait renversé si, par hypothèse, Sassou-Nguesso avait choisi de ne pas se présenter et de ne pas modifier la Constitution. Alors que les deux textes constitutionnels de 2002 et 2015 répondent au même régime, sont adoptés dans le même contexte autocratique, dans la violence et dans le sang, ils étaient tous en train de défendre la Constitution de 2002 alors que certains l’avaient longtemps criblé ». Et de conclure, « Ce qui manque à l’opposition c’est des convictions… Si l’opposition était honnête, elle aurait dit et reconnu que la Constitution qui reste valide c’est celle de 1992 qui est la seule consensuellement et démocratiquement adoptée »
Comment expliquer l’échec d’octobre ! « Tout simplement que l’opposition, se fondant sur le précédent Burkinabè et le discours de François Hollande, avait fondé tous ses espoirs sur la dissuasion et ne s’était pas véritablement préparée à l’action à mener le 20 octobre… j’entendais qu’ils mèneraient la désobéissance et je me demandais sincèrement qu’est-ce qu’ils connaissaient de celle-ci puisqu’elle connaît plusieurs formes et modalités. Je le dis parce que j’ai mené des études autant sur la résistance à l’oppression que sur l’une de ses modalités qu’est la désobéissance civile »
François Hollande n’a-t-il pas trahi les Congolais et les Africains ? « Je pense que l’on a exagéré, avant comme après, le rôle de François Hollande. Si les Burkinabé avaient attendu Hollande, ils n’auraient jamais chassé Compaoré. Ici Hollande n’est intervenu qu’après coup, pour aider le président Compaoré à sortir du Burkina – ce qu’il a reconnu –, et par son discours le 29 novembre pour tenter lui-même de dissuader les dictateurs d’entreprendre les modifications. Donc Hollande, comme les Congolais, me semble-t-il, ont joué plus la dissuasion que l’action ! Et de toute façon, même en politique nationale, Hollande a l’habitude des rétropédalages, comme le démontre notamment la question du ‘mariage pour tous’ où Hollande, malgré l’adoption de la loi, a reconnu aux maires réticents la clause de conscience. Ce qui a suscité un tollé… ». Mieux, explique Félix Bankounda Mpélé, « Hollande n’a parlé que le 21 octobre, mais le 20 l’opposition était déjà entrain de perdre pied ! J’ai bien peur qu’ici, comme souvent, on ait cherché des boucs émissaires pour cacher, occulter nos propres défaillances… »
A propos de la diaspora, « nous ne sommes toujours pas sorti des méfiances, des réserves à l’égard des autres, des ambitions personnelles, de l’absence de vue profonde de la réalité politique et des impératifs politiques congolais, et restons à la remorque de l’agenda du pouvoir congolais, même s’il faut regarder de temps en temps ce qu’il fait ! »
Lorsque le journaliste lui parle de Mr Bowao, Félix Bankounda Mpélé dit, « C’est un collègue, un aîné, j’ai de l’estime pour lui, même si je me suis insurgé contre lui à l’occasion de sa première Lettre ouverte. Nous nous rejoignons sur plusieurs points, mais il est de cette élite qui a commis une grande faute au départ en 1997, en soutenant quelqu’un qu’il savait dangereux pour le pays. Et il est très dangereux ! Il doit commencer par s’excuser auprès des Congolais et sortir d’un langage convenu du genre ‘le président Sassou’ pour permettre aux Congolais de se désinhiber et dire et faire ce qu’ils pensent de Sassou-Nguesso. Au fond, Sassou lui n’a pas changé puisqu’à propos du changement de la Constitution, il l’avait déjà fait en 1977 , en 1 979 trois fois, en 1997. Sassou doit d’ailleurs se demander pourquoi Bowao et d’autres lui en veulent puisqu’il a toujours procédé ainsi…Tout ce que nous vivons aujourd’hui était déjà écrit dans le mode d’arrivée, de retour de Sassou au pouvoir en 1997…
Que faire en définitive pour que les Congolais s’en sortent ? C’est une batterie de propositions que Félix Bankounda Mpélé a proposé et que j’invite ceux qui le veulent à suivre cette superbe interview puisqu’en dehors de sa théorie de refonte de l’institution présidentielle, il parle de l’impératif de la mise sur pied d’une Contre-élite, du répertoire et de la responsabilisation de l’élite qui accompagne les crimes multiformes au Congo, des principes et stratégie de désinhibition des Congolais dans leur ensemble pour qu’ils pèsent sur la politique congolaise. Pour lui, entre autres, « Sassou-Nguesso a foncièrement souillé l’institution présidentielle qui est, pour longtemps, grillée et ne pourra que desservir le pays et ceux qui en auront la charge….Les futurs présidents après lui,seront harcelés par la famille, les proches, la trbu et la région pour devenir eux aussi milliardaires, comme Sassou l’a fait de ses enfants, neveux, frère et proches !… En déverrouillant la limitation des mandats, il a signifié que pour lui, pour le PCT, la conquête, l’exercice et la sortie du pouvoir doit demeurer un Far-West, alors que dans l’histoire du pays, la sortie des présidents, de tous les présidents, a été une grande épreuve de honte, d’humiliation, de barbarie, de sang dont lui seul a échappé grâce à la pédagogie et à l’initiation des principes démocratiques par la Conférence nationale. Paradoxalement, le seul qui y a échappé est celui qui ramène la barbarie ! »
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Par Leonardo Dia Kongo