En politique, l’idée semble s’être universellement imposée qu’elle est le domaine d’élection du mensonge, de l’astuce, du dribble, du cynisme, de l’inconséquence, de la perfidie, du chantage, de la trahison, voire de la violence et de bien d’autres maux souvent jugés ou excusés comme circonstanciellement nécessaires.
Cela, particulièrement en Afrique, en raison de l’insuffisance et de l’amorphisme traditionnel des contrepoids politiques (opposition, opinion publique/médias, société civile,…), du déficit démocratique. Cependant, ces pratiques, communément résumées au machiavélisme, devenu ainsi fourre-tout et corollaire de l’exercice politique, n’ont cependant pas d’effets qu’à sens unique. Rodent ou interviennent toujours, à plus ou moins long terme, le flagrant délit et le faux-pas notamment, prémices de l’engrenage et de l’impasse politiques pour ses adeptes.
La « Lettre citoyenne » de Maître Martin Mbéri, une après d’autres, et surtout après « L’an 2016. Au cœur de la politique congolaise » (L’Harmattan, 2014), dernier ouvrage de l’auteur, vient illustrer précisément l’engrenage politique dans lequel se trouve embourbé celui-ci, et donc ses incroyables propositions aux problèmes volontairement et stratégiquement créés par le pouvoir établi au Congo-Brazzaville.
Avec plus quarante cinq ans de vie politique, dont une partie au sein de l’ancien parti unique comme membre de son Comité central, Maître Martin Mbéri, dit « Martin le terrible » selon un hebdomadaire africain, se décrit, lui-même, comme « …un homme de principe. Je ne mâche pas mes mots. Dans un pays où l’hypocrisie est institutionnalisée, je n’hésite pas à appeler un chat un chat ». Bien mieux, « en politique, je suis un modèle de fidélité. Il y a eu, certes, des hauts et des bas entre Pascal Lissouba et moi, mais j’ai toujours été à ses côtés durant les années de braise » (Jeune Afrique, n°1767, du 17 au 23 novembre 1994, p.29).
Ancien ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur sous le régime issu des urnes en 1992 dans lequel il demeurera pendant les cinq ans, cela ne l’empêchera pourtant pas de basculer, de se retrouver également ministre sous le régime autocratique successeur et usurpateur, issu du coup d’Etat de l’été 1997, et tombeur du précédent. Non sans en porter le tampon puisque, par la suite, en 2010, le dictateur l’honorera d’une décoration que Maître, sans complexe, exhibe clairement sur lesdites ‘Lettres citoyennes’, et interprète de la façon suivante : « Mon élévation à la dignité de Grand Croix par Denis Sassou Nguesso est la récompense de tout une génération » !
Clairement, au moment où ses compagnons du régime renversé, dont évidemment Pascal Lissouba son président ‘fidèle’, prennent dans leur ensemble la voie de l’exil sous le feu et les bombardements des Migs 21 angolais à la rescousse du général putschiste, lui se réinstalle immédiatement avec le nouveau, né dans le sang, de Sassou-Nguesso avec qui, dit-il, dans la même interview, « j’ai conservé de bons rapports…et je ne m’en cache pas » ! Ce qui fera dire à un de ceux avec qui il était classé dans la nébuleuse ‘Bande des quatre’, pour en contester la pertinence, que « quand nous avons quitté le pays en 1997, nous étions en total désaccord, puisque Martin Mbéri, sans sourciller, a rejoint le pouvoir de M. Sassou sans état d’âme…» (Moungounga-Nguila, Mon combat politique, Paris, L’harmattan, 2011).
Au point que, à l’image de Sassou-Nguesso autoproclamé président de la République, lui non plus n’hésitera pas, avec son homologue de l’autre grand parti (MCDDI) également promu ministre, Hellot Mampouya-Matson à s’autoproclamer par la suite nouveau patron de l’UPADS. Au grand dam, et avec la contestation, des autorités desdits partis en exil. De cette ‘saison des auto-proclamations’ fomentée, au prétexte du consensus, du dialogue, de la réconciliation et de la paix, l’objectif, à peine voilé, ne fut que la recherche de la légitimation du nouveau pouvoir au plan national et international. Ce qui n’est pas sans lien avec le contexte actuel.
L’homme, entré en politique dans la vingtaine d’âge et dans les années soixante, « avocat peu convaincant mais redoutable politique…surnommé le porte-avion », selon la biographie de la Société des historiens du Congo, est, ainsi, un authentique baroudeur de la vie politique congolaise dont il porte largement les stigmates. Assez pertinemment, il décrit, tout en s’y excluant apparemment, l’écosystème politique congolais de manière suivante : « notre pays est un environnement où la politique qui devrait symboliser l’intérêt commun, le vivre ensemble harmonieux, le travail, la solidarité, a été convertie en un environnement où prévaut la stigmatisation, la haine, les règlements de compte, l’intoxication, l’apartheid ethnique sournois mais tenace qui rendent impossible cette volonté de construire ensemble» (p.3). Non moins significatifs, certains de « nos compatriotes…se sont inscrits à travers les générations dans une école…, celle de la facilité, de passe-droit et de l’arrivisme dans tous les domaines. Elle a lourdement et négativement impacté notre pays, notamment sur le plan politique » (p.2).
La description, ou dénonciation, de ces maux n’est pas un scoop. Ils étaient déjà largement, avec principalement « le coup d’Etat comme…seul mode d’accession au pouvoir », répertoriés et sanctionnés par la Conférence nationale de 1991, et inscrits dans le préambule de la Constitution du 15 mars 1992 carbonisée par l’actuel pouvoir de Brazzaville. Avec la compréhension de Maître qui, comme d’autres, s’alignera toutefois facilement sur les positions du pouvoir putschiste pourtant constitutionnellement condamné, et s’emberlificotera, avec l’octroi à nouveau, on l’a dit, d’un poste ministériel.
Rien d’étonnant à cela. Si le ‘jeu’ politique, bien que particulier, suppose, comme tout jeu, alternativement, victoire et échec, pour l’auteur de « Congo. Regard sur 50 ans d’indépendance nationale», qui s’affirmait, on l’a dit, « un modèle de fidélité », l’autre crédo, assumé, et devenu célèbre, en est tout à fait aux antipodes : « je ne serai jamais du côté des perdants » !
Dès lors, rien que de normal à ce que la survie politique personnelle prenant le pas sur la nature ou le profil du pouvoir, sur l’éthique politique, l’on se permette quelques arrangements, au détriment des principes fondamentaux de la démocratie, et de la légalité.
La « Lettre citoyenne », ouverte et adressée aux Congolais, est ainsi, on s’en doute, imprégnée de ces contradictions, retournements, volte-face, zigzags et incohérences politiques de son auteur, peut-être de bonne foi dans nombreuses des propositions, mais en porte-à-faux avec les principes démocratiques, curieusement invoqués par lui-même. Il n’use, par ailleurs, pas moins d’astuces, comme il va de soi tout naturellement, quand bourlinguer politiquement se mute en véritable profession.
Formellement, la Lettre se présente sous un document unique de trente-cinq pages, constitué d’un paquet de quatre lettres, toutes datées du 14 février 2015, relatives au « changement de la Constitution du 20 janvier 2002 » (1ère Lettre citoyenne), à « La révision de la Constitution » (2ème Lettre), au « Dialogue National » (3ème Lettre) et aux «Jeux Africains de Brazzaville» (4ème Lettre), dont une seule, la première, nous intéresse en l’occurrence, et principalement. Puisque, de l’argumentation de celle-ci découle les deux suivantes.
Pour l’infatigable théoricien d’une improbable 3ème voie, qui, partant et de façon répétitive, oppose le PCT et l’opposition radicale pour se frayer et justifier sa « voie », l’essentiel de ses propositions, face au manège du pouvoir, se résume ainsi :
« Tout nous montre qu’il faut arrêter le débat du PCT et de l’opposition radicale sur le changement de la Constitution. C’est une impasse dans tous les sens qui ne peut que rendre plus brumeuse la situation politique du pays… Continuer ce débat PCT-Opposition sur ce thème constitue un barrage quasi infranchissable à l’avancée vers l’élection présidentielle de 2016. Un débat non productif » (p 11)
« Devant cet échec annoncé, je déclare une fois de plus quant à moi que la solution de la question constitutionnelle se résume en deux points : la tenue d’un Dialogue National seule alternative au désordre possible qui nous menace ; la révision de la Constitution et le recadrage de notre système politique comme thème d’échange et de consensus au cours du Dialogue National. L’implication et l’engagement de la société civile comme médiation dans la préparation du Dialogue National sous le haut patronage du président de la République » (p 11).
A priori cohérente, honnête et objective, ces propositions n’en cachent moins l’alignement, les contradictions, les incertitudes et donc la stratégie.
Tout, ou presque, est dans l’implicite : la validation et la reconnaissance par Martin Mbéri du régime établi, c’est-à-dire, de l’ordre politique issu du putsch et, paradoxalement, le refus d’en lire ou d’en assurer les conséquences.
Certainement parce qu’il s’y est associé dès le départ, au mépris des dispositions de la Conférence nationale et de la Constitution du 15 mars 1992 régulièrement adoptée qui condamnaient de manière expresse le régime issu d’un coup d’Etat, pas un seul instant Maître ne discute de la validité de la Constitution de 2002, et de son mode d’établissement ; faisant ainsi apparaître la première, celle de 1992 et sa répudiation, comme une simple parenthèse ou une banalité. Une situation qui était constante avant 1991, puisque l’histoire constitutionnelle du Congo est une perpétuelle histoire de changements constitutionnels. Qu’ainsi, en procédant comme il l’a fait en 1997 (Acte fondamental) et en 2002, Sassou Nguesso déniait la volonté populaire et les principes nés des années 90, et optait pour les pratiques du système politique d’avant 1991. L’ex Secrétaire général de son parti (PCT), feu Noumazalay, ne souligne-t-il pas, clairement, dans la foulée du putsch, que « la Conférence nationale…a été un coup d’Etat civil contre le président Denis Sassou Nguesso » ! (La Semaine Africaine, 8 janvier 1998)
Autrement dit, en voulant et demandant le changement de constitution aujourd’hui, Sassou Nguesso, qui a ainsi fonctionné durant tout le monopartisme (changement de Constitution en 1969 et 1973), et principalement en 1979 (à la suite de son coup d’Etat), est égal à lui-même, au-delà du discours incantatoire sur la démocratie congolaise. Martin Mbéri, manifestement, se méprend donc apparemment sur le contexte politique, et donc sur l’enjeu actuel qui ne consiste objectivement pas, comme il l’écrit et le soutient, à « la révision de la Constitution… et la continuité de l’Etat » (p 16), mais plutôt au rétablissement de la démocratie dont la fin constitutionnelle du règne de Sassou-Nguesso est une opportunité de débarras, aussi bien pour lui que sa très personnalisée et rétrograde Constitution, parallélisme politique oblige. Si ce n’est pas ainsi, c’est-à-dire si le contexte n’est pas autocratique et que la Constitution de 2002 n’est pas qu’une simple façade, il faut alors expliquer pourquoi son application sur le dispositif relatif à l’alternance, selon le discours du pouvoir, fait l’objet de chantage, de menace d’instabilité et de guerre !
Maître n’est pas si dupe du contexte politique, comme il veut bien le faire paraître. La preuve : quand il envisage l’hypothèse de l’élection d’un candidat de l’opposition à la présidence en 2016 face à une assemblée dominée par le PCT jusqu’en 2017 (2018 pour le Sénat) dans un régime présidentiel (avec ainsi impossibilité de dissoudre l’assemblée), et donc justifier la nécessité d’une révision qu’il demande ardemment « pour ne pas bloquer le fonctionnement régulier de l’Etat…[et donc favoriser] l’intervention de l’Armée nationale pour stopper la descente aux enfers du président de la République élu » (p.10), il ne manque pas de mentionner, in fine, que « cette proposition n’est qu’une vue de l’esprit » (p.11).
En clair, et en résumé, Maître coule lui-même l’argument de la révision de la Constitution justifiée par le fonctionnement régulier des institutions (post-Sassou) dans l’hypothèse de la cohabitation, parce qu’il n’est pas vraiment convaincu de la victoire d’un candidat de l’opposition, en raison du contexte politique ! Pourquoi alors l’avoir évoqué ? Possiblement par astuce pour persuader l’opposition d’accepter ou de discuter de la révision de la Constitution pour, second appât, « le recadrage de notre système politique comme thème d’échange et de consensus au cours du Dialogue National…sous le haut patronage du président de la République » (p. 12) ! Là, Maître devient amnésique sur la façon dont la révision a été utilisée comme prétexte au Togo, au Tchad, au Cameroun, au Burkina (en 1997 déjà puis la dernière séquence loupée de fin octobre dernier), au Niger et d’autres pays africains pour déverrouiller la limitation des mandats ; que le seul argument de l’article 185 qui l’interdit ne tiendrait pas longtemps, face aux relents putschistes du pouvoir en place, face à une ‘chambre introuvable’, au système réel de quasi confusion des pouvoirs qu’est le régime constitutionnel congolais, à la vénalité de l’élite, la mercantilisation de la société, au fait par lui-même mentionné de « l’école de la facilité, de passe-droit et de l’arrivisme dans tous les domaines …qui a lourdement et négativement impacté notre société, notamment sur le plan politique » !(p.2).
Bizarre et curieuse proposition, surtout quand celle-ci intervient après que le PCT lui-même ait, dans le même sens, déroulé sa stratégie (Déclaration du B.P. du PCT, 28 déc. 2014, p.21)
Il est vrai que Maître, comme il l’a démontré, est plutôt particulièrement doué et pugnace dans les propositions alambiquées et à contretemps qui, bien souvent, sous prétexte de l’expertise et de l’expérience, finissent par se révéler politiquement peu philanthropiques. La séquence suivante, connue de tous (parce qu’ayant suscité un tollé en décembre 1990) et rappelée par la Société des historiens du Congo Brazzaville, est assez éloquente : « Dans les années 1980, il connaît une traversée du désert. C’est à l’approche du multipartisme [en décembre 1990] que ses amis du PCT se souviennent de lui, en le chargeant de défendre la continuité de la Constitution de 1979, notamment pour permettre au président de la République élu par le parti, de demeurer en poste jusqu’en fin de mandat [1994] fixé par l’ancien régime… A la fin de la conférence nationale, sentant que Sassou Nguesso ne peut plus être sauvé, il s’alliera avec d’autres pour créer l’UPADS et propulser Pascal Lissouba à sa tête». Sans doute, précisera-t-on a posteriori, et sur sa profession de foi de ne jamais être avec les perdants, qu’il misait à la fois sur l’un (le PCT), et sur l’autre (l’UPADS).
Certes, Maitre n’a cessé de répéter le caractère intangible du verrouillage des mandats. Sans doute encore il est constant sur son opposition au changement de la Constitution. Mais Maître est aussi conscient, même s’il donne l’impression de ne pas s’en apercevoir, de la nature autocratique du système et donc des batailles politiques qui vont se jouer, et dans lesquelles les stratégies et les manipulations, plus que la légalité d’exception de l’heure, seront prépondérantes. Il n’est pas sûr, dans ce sens, que les propositions ici formulées par lui, soient les plus idoines pour le triomphe des principes démocratiques.
Lorsqu’il y a un peu plus de vingt ans, on l’interrogeait sur ses ambitions politiques, il répondait clairement « Pourquoi le nier ? J’ai des ambitions politiques légitimes. Parce que je suis un homme entier, je crois en ce que je fais et je cherche à m’améliorer » (J. Afrique, cité).
Si on ne peut lui discuter ses ambitions, on peut cependant lui opposer les contradictions, incohérences et obscurités de ses propositions.
Cher Maître, si la Constitution du 15 mars 1992, la première et unique constitution impersonnelle de l’histoire politique du pays, avait été régulièrement adoptée et personne ne le nie ; si celle du 20 janvier 2002 est le résultat de la volonté personnelle de Sassou et ses sbires dans les conditions que tout le monde connait ; si elle est, comme vous le reconnaissez, après d’autres, « une Constitution fermée, faite par le PCT et pour le PCT , sans aucune flexibilité » (p.10), pourquoi alors lier ou vouloir faire dépendre l’avenir de tout un pays de la volonté, des désirs et caprices d’un groupe d’individus, ayant de surcroît démontré brillamment leur sens antipatriotique, antiétatique et antirépublicain !
De la même façon que les Congolais n’ont jamais demandé la répudiation de la Constitution du 15 mars 1992 et l’initiation d’une nouvelle, devenue celle du 20 janvier 2002, ils n’ont, dans le même sens, pas demandé la révision ou le changement de cette dernière qui apparaissent ainsi, exclusivement, comme des mises en scène et préoccupations du pouvoir en place. Ignorer cela, c’est déjà se faire instrumentaliser, ou s’ériger en complice ! Et, c’est si vrai que vous le soulignez vous-même : « le débat sur le changement de Constitution est une impasse dans tous les sens ». Mais cela est aussi vrai pour la révision que vous soutenez au contraire.
Et, de ce point de vue, consciemment ou inconsciemment, en ne revenant pas à la croisée des chemins, c’est-à-dire au contexte d’avènement du régime de l’heure, et en vous situant plutôt dans le sillage des thèmes et préoccupations vacillants du régime, vous participez à son prolongement, à la consolidation de ce qui n’est objectivement qu’une dictature. La preuve : depuis le forum du printemps 1998 qui a validé, sans remettre en cause une virgule du très personnel Acte fondamental du 24 octobre 1997, toutes les initiatives, tous les rendez-vous, toutes les consultations se sont soldés, comme par enchantement, par la confirmation de la volonté de ‘l’homme fort’ !
La question logique et fondamentale qui se poserait, dès lors, est celle de savoir, quelle est la clé ou la garantie qu’un nouveau rendez-vous, « la préparation du Dialogue National sous le haut patronage du président de la République » comme vous le dites (p.11) ne ressemblerait pas aux précédents ? A cette question, vous n’esquissez aucun début de réponse et vous contentez des formules classiques, qui ont déjà démontré leur inopérance, du genre : « Du point de vue du Dialogue, nous n’avons rien à redouter a priori, l’adoption de nouveaux principes constitutionnels comme leur retrait devront avoir lieu dans un cadre maîtrisé et régi par quelques principes démocratiques simples…» (p20) ! Si simples que l’on se demanderait alors pourquoi l’application des termes de la ‘Constitution’ du moment, relatives à l’invalidité objective d’une nouvelle candidature de Sassou-Nguesso, intoxique la vie politique depuis presque deux ans !
Car, dans tous les rendez-vous et organisations juridiques et politiques, demeurent déterminants, autant l’auteur de l’initiative que la procédure du déroulement de ce rendez-vous qui, eux-mêmes, détermineront la portée des mesures qui en ressortiront. A cet égard, la vie politique congolaise post-90 est assez édifiante : la conquête, par les forces vives, du pouvoir d’organiser la Conférence nationale de 1991, contre la volonté première du pouvoir établi contraint, par la suite, de s’y plier, a déterminé aussi bien l’indépendance de ladite conférence que les décisions qui s’ensuivirent. De même, mais dans une situation inverse, le Forum du printemps 98, organisé à l’initiative du pouvoir issu du putsch de 1997, a aussi démontré que celui-ci n’avait été qu’une formalité pour valider le coup d’Etat et son Acte fondamental du 24 octobre 1997 élaboré par Sassou et ses sbires seuls dans la foulée de la prise sauvage du pouvoir, sans que ‘les forces vives réunies’ (selon le putschiste) n’y enlèvent absolument rien !
Cette récente histoire, rappelée, n’est-elle pas significative de ce qui se tramerait dans l’option d’un « Dialogue National sous le haut patronage du président de la République » (p11), par ailleurs déjà dessiné par le PCT qui, dans la déclaration de son Bureau politique du 28 décembre 2014, comme on le sait, l’a déjà intégré dans sa stratégie comme moyen de faire passer le changement de Constitution !
Par delà Maître et ses propositions, se révèle un courant, fort important, d’hommes, souvent anciens compagnons de Sassou-Nguesso pour la restauration autocratique, ou simplement pataugeant par habitus dans les démons du passé, qui ont perdu ‘la boule’, le sens du discernement, et participent ainsi, consciemment ou inconsciemment, à la reproduction du vieux et toxique système.
Ainsi, à l’image de Maître Mbéri qui, de façon décomplexée, exhibe à la fois son statut de ministre d’Etat sous le régime issu des urnes et sa décoration de ‘Grand-croix dans l’ordre du mérite Congolais’ par le dictateur, Maître Martin Mbemba, en mai 2013, ne se gênait pas, suite à l’attaque de sa résidence par les forces du général, à se vanter et brandir son statut de Ministre de la Justice sous la transition démocratique de 1991, mais aussi sous la transition autocratique issue du coup d’Etat et du sang. Autrement dit, pour les deux, ces deux régimes se valent. Par leur statut politique, ces hommes influencent négativement une large partie de la communauté nationale. Ainsi, en faisant de la question constitutionnelle, quoi qu’importante, une question principale, ils détournent de la réelle et prioritaire question, qui est celle du rétablissement de l’ordre constitutionnel et démocratique pro-conférence nationale.
Car, objectivement, dans l’histoire politique congolaise, avec ses hauts et ses bas, la Conférence nationale, à laquelle quasiment tous se réfèrent, y compris curieusement le préambule de la Constitution de 2002, demeure un repère indélébile, en raison des principes fondamentaux posés. Or, ceux-ci sont, hormis vernis du nouveau régime, intégralement aux antipodes de l’ordre politique et juridique issu de 1997.
Mais cette situation confuse, voire obscure, est également le résultat de la complicité innocente des forces nouvelles, de leur incapacité à lire, à expertiser la situation de l’heure, à théoriser des principes actifs et nouveaux pour aider à restaurer et asseoir durablement la démocratie. Reste, sur ce point, à faire et démontrer le génie des Congolais et de l’élite, ou plutôt de la contre-élite, pour en finir avec les forces rétrogrades, conjoncturellement maquillées en démocrates, et en voie de reproduction, comme l’auront démontré les propositions, plus que brumeuses, ici analysées.
Car, et en définitive, le changement et/ou la révision projetés aujourd’hui, ne sont que le prolongement, la modalité génétique de fonctionnement du système restauré en 1997, et dont les compagnons du système, quelles que soient les nuances, tiennent mordicus à pérenniser, même s’il faut, pour cela, sacrifier le maître d’œuvre.
Félix BANKOUNDA-MPELE