DES CHEMISES ET DES CONSTITUTIONS KLEENEX AU CONGO-BRAZZAVILLE

Vers une neuvième Constitution sous Sassou-Nguesso ?

Après avoir, d’urgence, formellement mis sur pied, le 21 septembre, une commission chargée d’élaborer une nouvelle Constitution, le gouvernement, après un conseil des ministres tout aussi pressé, a annoncé un référendum constitutionnel pour le 25 octobre 2015. L’opposition, quant à elle, qui a auparavant et plusieurs fois rôdé des meetings et manifestations géantes, a répliqué à cette annonce par un ultimatum demandant le retrait de ce projet au plus tard le 19 octobre, sinon elle embrayerait le 20 octobre suivant par « la désobéissance civile et en mettant le peuple dans la rue » pour la destitution du président ;  tandis que le Secrétaire général des Nations unies a dépêché sur place, le dimanche 11 octobre et le vendredi 23, son représentant sous-régional auprès de Sassou-Nguesso, suite aux altercations entre manifestants et ‘forces de l’ordre’ qui ont entraîné morts (quatre selon le pouvoir et une vingtaine selon l’opposition) et divers autres saccages.

Finalement, « A quoi servent les Constitutions africaines? [1]. Telle est la question que se posa, las des crises constitutionnelles, après d’autres, à la fin des années quatre-vingt, l’éminent universitaire français, professeur émérite, africaniste et spécialiste des droits africains, Pierre-François Gonidec. Et d’admettre in fine que, loin de refléter la réalité du pouvoir,  moins que de limiter l’exercice du pouvoir, la Constitution, ici, exprime les intentions et les aspirations sociales, telles que canalisées par les dirigeants.

A cela, le mouvement démocratique des années 90, dit ‘printemps africain’, n’y a, jusqu’ici, pas fondamentalement changé les choses[2], au-delà d’un discours curieusement ou hâtivement optimiste[3]. Car, des rechutes autocratiques guettent ou rodent toujours en Afrique, qu’illustrent parfaitement la situation et le contexte actuel du Congo-Brazzaville.

La Constitution indésirable

« ‘L’idée de constitution’, corollaire de l’État de droit, on le reconnaîtra, n’emballe pas, et n’habite pas une large partie de la classe politique congolaise. Partant, l’histoire politique et constitutionnelle congolaise, depuis l’indépendance, apparaît comme l’aveu d’une Constitution autant indésirable qu’introuvable… Le politique n’est nullement lié par la Constitution, qu’il détermine unilatéralement et s’en délit n’importe comment et quand bon lui semble »[4].

D’où, une inflation constitutionnelle : quatorze texte constitutionnels, dont sept régimes provisoires, en quarante-deux ans d’indépendance, de 1960 à 2002, date d’adoption du dernier texte

Ce constat que nous faisions il y a quinze ans, dans l’analyse du projet constitutionnel congolais octroyé par Sassou-Nguesso lui-même, suite à son retour sanglant au pouvoir en octobre 1997, et qui sera adopté le 20 janvier 2002, se répète tout à fait aujourd’hui.

Comment convaincre ou démentir auprès de la communauté internationale post guerre froide, plus regardante, du profil peu démocratique qu’affichait son passé politique? Car, si le général Sassou, ancien président de la République du Congo ‘marxiste’de 1979 à 1992, et revenu aux affaires les armes à la main en 1997, n’avait jamais connu l’honneur des urnes, il était toujours très loin de convaincre ses compatriotes par ce canal. La Constitution alors proposée, qui intervenait après cinq ans d’exercice du pouvoir sans mandat, et qui instituait un ‘présidentialisme forcené’ sans précédent dans l’histoire politique du pays, s’était tout de même parée de quelques garanties démocratiques, loin de sa culture politique et de ses convictions réelles, pour ainsi convaincre de son adhésion ou de sa conformité aux nouveaux standards démocratiques en vigueur dans le continent.

Ainsi,  la Constitution proposée et adoptée prévoyait-elle, entre autres : l’exercice présidentiel à un mandat présidentiel de sept ans renouvelable une fois et non modifiable (articles 57, 86 et 185), la limitation de l’âge pour briguer à soixante-dix ans (art. 58), l’obligation de déclarer son patrimoine avant et après l’exercice de toute haute fonction (art. 48) pour prévenir le cancer du détournement massif des biens et ressources publics, l’imprescriptibilité des crimes de sang (art. 11) et l’inaliénabilité des biens publics (art. 47)

Outre que les deux derniers dispositifs (déclaration des biens et imprescriptibilité) n’ont jamais connu d’aménagement législatif constitutionnellement prévu pour leur application, la corruption a extraordinairement gagné du terrain[5], s’est popularisée à la même vitesse que les fameux ‘biens mal acquis’ se sont multipliés pour  les dirigeants principalement[6]

Mais, c’est surtout sur le statut présidentiel que Sassou-Nguesso, soixante-douze ans (en novembre prochain), trente et un ans au pouvoir, et ayant épuisé ses deux mandats par ailleurs très controversés, se trouve confondu et handicapé par sa Constitution qu’il faut, pour cela,  impérativement et d’urgence modifier pour ‘survivre’, mais dévoiler ou confirmer par la même occasion son profil politique réel.

Une Constitution au secours du Président

L’initiation d’une nouvelle constitution d’urgence, et intempestive, à moins de dix mois de la fin de  son mandat, pour réussir son passage en force, met en lumière la vraie marque de fabrique de son Excellence. Car il n’en est pas à son premier exercice du genre.

Ministre de la Défense et homme fort du pays en mars 1977, suite à l’assassinat demeuré mystérieux du président Marien Ngouabi le 18 du même mois, il dissout, illégalement, au profit d’un régime provisoire,  la Constitution alors en vigueur du 24 juin 1973, qui prévoyait pourtant la vacance du président de la République « pour quelle que raison que ce soit ».

Doublé pour la présidence par le colonel Yhombi, pourtant alors exclu des instances politiques dirigeantes (le comité central du parti unique), mais parce que plus gradé apparemment, le véritable homme fort, Sassou-Nguesso, devenu colonel, réussira à renverser le nouveau général (Yhombi) à  peu près deux ans après, le 5 février 1979, et, avec lui, le régime provisoire en vigueur du 5 avril 1977, au profit d’un autre du  7  février 1979. Ce dernier ne survivra pas au-delà du 30 mars 1979, date d’adoption d’un insolite autre régime provisoire !

Enfin, il soumettra, le 08 juillet 1979, une Constitution au référendum, deux fois révisée par la suite, qui ne survivra pas elle-même au ‘vent de l’est’ et son corollaire, le sommet de La Baule du début des années 90.

Contraint cette fois à un autre régime provisoire du 4 juin 1991 réglant la transition pour l’instauration du multipartisme, il acceptera et demandera à voter pour la Constitution soumise au référendum du 15 mars 1992 ; la seule de l’histoire politique du pays élaborée dans un contexte démocratique (avec de multiples débats), la seule qui n’était pas liée ou déterminée par la volonté de l’homme en place, et surtout qui, pour une fois, précédait le président à élire et sera adoptée à 96, 32 pour cent.

Car, jusque-là, au Congo, Chaque président venait avec sa Constitution. Il s’installait et, plus ou moins concomitamment, abrogeait la précédente constitution et faisait adopter une autre qui lui convenait, quand bien même le socle restait grosso modo le même.

Avec le retour par effraction au pouvoir en octobre 1997 du général Sassou-Nguesso, la première Constitution démocratiquement adoptée en 1992 connaîtra le même sort que les précédentes, au profit d’un nouveau régime provisoire (Acte fondamental) du 24 octobre 1997 octroyé, remplacé depuis le 20 janvier 2002 par  la Constitution actuelle dans laquelle, une fois de plus, le ‘guide’ ne trouve plus son compte !

Soit, au total, huit textes constitutionnels sous sa houlette ! Huit textes changés,  pour des motifs ou intérêts essentiellement personnels, à l’exception des épisodes de 1991 et 1992 !

Officiellement, et sans réussir à convaincre, « l’évolution des institutions de la République » formellement engagée le 14 septembre par le président, grossièrement anticonstitutionnelle, mais que la juridiction constitutionnelle, plus que jamais guidée par le ‘devoir de gratitude‘[7]au président de la République,  a cependant curieusement validé le 17 septembre, n’a rien à voir l’intérêt personnel du ‘guide’. La réalité, on s’en doute, est tout autre, et cela de façon macroscopique.

Le compte rendu du Conseil des ministres congolais du lundi 5 octobre, lu peu avant minuit, fait état des innovations dites historiques du projet constitutionnel, qui résident dans le statut de l’opposition, la constitutionnalisation de la décentralisation, du statut des anciens dirigeants, de la femme, de la jeunesse, des sages et notabilités traditionnelles, des ONG et de la société civile

Il  inaugure ainsi, par certains égards,  des ‘cavaliers constitutionnels’ au Congo car, l’on se demandera en vain que vient ou quel intérêt peut avoir la constitutionnalisation du statut des anciens chefs d’État, de la jeunesse, des personnes handicapées, de la société civile ou de la femme, surtout, pour ce dernier cas, quand on estime qu’il existe depuis 1984 un code de la famille !

Le retour au parlementarisme de la Constitution pro-conférence de 1992, avec l’institution des moyens d’action réciproques, souhaitable soit-il, étonnera les observateurs de la vie politique congolaise, par la virulence antérieure des critiques des thuriféraires du régime de 2002, y compris le chef lui-même, qui ne loupaient aucune occasion pour dire que celui-ci était inadapté au contexte africain, auquel répondait seul le régime présidentiel ou le présidentialisme[8].

Mais, par dessus tout, et contrairement aux prétentions de la non personnalisation du texte projeté, on notera, en faveur de Sassou, aussi bien le déverrouillage de la limitation des mandats[9] , que l’institutionnalisation d’un authentique permis de piller et de tuer car, selon l’article 96 du projet, « aucune poursuite pour des faits qualifiés de crime ou délit ou pour manquement grave à ses devoirs commis à l’occasion de l’exercice de sa fonction ne peut être exercée contre le président après la cessation de ses fonctions » ! ; que par ailleurs, l’interdiction d’extradition de l’article 10 du projet, surtout dans un environnement judiciaire qui a magistralement montré ses faiblesses et sa partialité, relève plutôt  d’un souverainisme insolite, quand on sait que la famille présidentielle et nombreux membres du clan sont régulièrement cités dans de nombreuses affaires de ‘disparus’ et de ‘biens mal acquis’

Bref, si, historiquement, il est établi que les premières constitutions ailleurs ont été inspirées principalement par l’idée d’un contrepoids à l’omnipotence politique, à l’absolutisme royal, pour assurer et préserver les libertés publiques, la frénésie constitutionnelle au Congo, sous Sassou-Nguesso principalement, démontre que celles-ci sont et restent, et ce n’est pas un scoop, saisies par lui. Que la Constitution – selon le dernier épisode par lequel la juridiction constitutionnelle, qui y trouve son essence et qui est  chargée pourtant d’assurer son respect, autorise son abrogation –  est en réalité privée d’autorité et rend par là-même son contrôle et l’institution qui en est chargée  quasiment inutiles.

Ce qui constitue un scoop cependant, et contrairement à l’opinion doctrinale citée au départ qui attribue à la constitution en Afrique l’expression des aspirations sociales d’un peuple, c’est que la philosophie constitutionnelle du pouvoir congolais, traduit plutôt, et de façon constante, un mode familial, déviant  et pervers, de réception et de consommation du libéralisme, au plan civil et politique. Cela peut s’illustrer, apparemment, et parallèlement, dans cette enquête fort édifiante d’une journaliste d’un quotidien français :

« le Président …[Sassou]… a dépensé pour des chemises et costumes sur-mesure 1,18 million d’euros…  Sur la même période, le fils du président, Denis Christel Sassou-Nguesso, a investi 473 796 euros dans son accoutrement. «Il change de chemises trois ou quatre fois par jour, et se vante de ne jamais les laver et de les utiliser comme des Kleenex», juge même bon d’ajouter un ancien proche du clan Sassou »[10] !

C’est clair, il est de l’usage ou du recours presque compulsif et léger, sans grand égard, à la constitution,   comme il en est le cas du kleenex, aussi bien pour le père que pour le fils, à propos du mode vestimentaire !

L’avenir, très proche, dira ce qu’il en sera de cette peu ordinaire séquence qui ne manque pas de parfum printanier et qui frise, par ailleurs, l’overdose constitutionnelle. Car, ce projet constitutionnel, comme la Constitution en vigueur de 2002 à changer désormais, très personnalisé une fois de plus et on l’a démontré, naît d’un bain de sang et dans un contexte de contestation généralisée. Cela,  au contraire de celle consensuellement et démocratiquement adoptée le 15 mars 1992. Bien plus spécial et plus grave, le référendum prévu pour dimanche 25 octobre devra se dérouler, s’il se réalise, sous forte escorte d’armes lourdes et des blindés, comme le sont depuis près d’une semaine les principales grandes villes congolaises ; mais aussi avec les principaux membres de l’opposition en résidence surveillée. C’est-à-dire, un contexte de contrainte et de pression qui, à lui seul, est justificatif, en droit, d’une procédure viciée et donc de la nullité de la consultation. Sous cet angle, on rappellera, l’histoire, y compris en France, ne manque pas d’exemple de Constitution qui, bien qu’adoptée, ne sera pas mise en œuvre.

Ainsi, non viable naîtra le texte projeté, comme l’est le texte de 2002, mais c’est là la dernière des préoccupations du général Sassou car, on ne le dira jamais assez, pour lui, la conquête et l’exercice du pouvoir n’ont rien à voir avec la Constitution, celle-ci étant réduite à la simple apparence, à un effet marketing et, naturellement et en définitivement, au kleenex

(Réflexion à paraître)

Félix BANKOUNDA MPELE

Juriste et politiste

Membre de l’Association Française de Droit Constitutionnel

[1]Pierre-François Gonidec, « A quoi servent les Constitutions africaines? Réflexions sur le constitutionnalisme africain », in RJPIC, oct-déc 1988, pp.849-866

[2]Notre étude : « Présidentielles africaines : perpétuelle illusion constitutionnelle », in Revue Politique et Parlementaire, 116ème année, 2014, numéro 1071-1072, pp.257-269

[3]Cf. notamment Albert Bourgi, L’évolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme à l’effectivité, in Revue Française Droit Cconstitutionnel, 2002, numéro 52, pp.721-748

[4]« Une septième Constitution pourquoi faire? » in revue Politique Africaine, 2001, numéro 81

[5]Cf. Le rapport d’une Commission spécialisée, depuis tombée en désuétude, le 15 octobre 2011, faisait état d’une massive ‘corruption à tous les étages’ : « Cela va des structures administratives de base jusqu’aux institutions. Des entreprises privées, quelle que soit leur forme, aux partis politiques… Même des structures comme l’Eglise et les chefferies traditionnelles ne sont pas exemptes de corruption » !

[6]Xavier Harel, Thomas Hofnung, Le scandale des biens mal acquis, Paris, La Découverte, 2011

[7]C . Félix Bankounda Mpélé, « Africaneries politiques : au Congo-Brazzaville, le juge constitutionnel assume le ‘devoir de gratitude’ au président de la République », à paraître. Ou, « Quiproquo et euthanasie constitutionnels au Congo-Brazzaville », en ligne.

[8]« En Afrique, il faut que le chef  [ait]… de grands pouvoirs. Sinon les citoyens sont désemparés » souligne Sassou dans une interview au Figaro du 10 mai 2000

[9]Désormais cinq ans renouvelables deux fois ( au lieu de sept ans renouvelables une fois), et modifiables, alors que le caractère républicain et laïc du régime demeurent non modifiable, formellement du moins. Puisque par le changement opéré, et pourtant auparavant interdit, le pouvoir a démontré en réalité que plus rien n’est à l’abri de la modification et du changement.

[10]Cf. l’enquête de Violette Lazard, Libération, 15 décembre 2013 : « Biens mal acquis, au tour du Congo »