Dos Santos reprend la main au Congo-Brazzaville, à la veille de la présidentielle

Les bonnes nouvelles étaient devenues plutôt rares ces derniers temps pour le président congolais Denis Sassou-Nguesso : l’Union européenne a décidé de ne pas envoyer d’observateurs à la présidentielle anticipée du 20 mars et le Parti socialiste français a appelé à la mise en place d’une transition pour préparer l’avènement d’une nouvelle équipe dirigeante à Brazzaville.

Dans ce contexte-là, le soutien que vient de recevoir le Congolais, qui cumule plus de trente et un ans au pouvoir, de son homologue angolais José Edouardo dos Santos a valeur de véritable aubaine. C’est d’ailleurs ce sentiment qui explique la jubilation qui a gagné le camp du pouvoir.

Mais comme rien n’est jamais simple dans la vie politique au Congo, le soutien de Dos Santos est diversement interprété. La majorité présidentielle, structurée autour du Parti congolais du travail (PCT), y voit le signe d’une préférence angolaise, voire un réel adoubement. Une victoire symbolique sur le camp d’en face.

En revanche, les opposants lisent dans la position de Dos Santos un signal de neutralité. L’homme fort de Luanda a simplement dit qu’il n’y aura pas d’intervention angolaise au Congo. Peu importe ce qu’il arrive après le dimanche 20 mars. Pourquoi une telle différence d’interprétation entre les camps rivaux ?

Elf Aquitaine, à la manœuvre dans la guerre civile

Au Congo-Brazzaville, l’Angola n’est pas seulement le voisin géographique, ni même le « grand frère militaire », auréolé de sa victoire sur le colonisateur portugais. Il n’y a pas si longtemps, Luanda était un acteur majeur de la vie politique congolaise. C’est l’implication militaire de l’Angola qui a fait basculer, en octobre 1997, le rapport de force pendant la guerre civile en faveur de Denis Sassou Nguesso.

Un témoin clé raconte ainsi cet épisode cocasse des relations angolo-congolo-françaises. Libreville. La scène se déroule début octobre 1997 : la médiation entre belligérants congolais, assurée par le Gabonais Omar Bongo Ondimba, peine à mettre en place un compromis acceptable pour tous. Le doyen Bongo Ondimba s’étrangle de colère. A Paris, Jacques Chirac est tout aussi impatient. Il subit d’intenses pressions de Loïk Le Floch-Prigent, PDG d’Elf Aquitaine (pompe à fric de la Françafrique, devenue Total) pour mettre fin à la guerre et permettre de poursuivre sereinement l’exploitation des réserves pétrolières congolaises. Un matin, Chirac, excédé, appelle le président Lissouba, rival de Sassou Nguesso, et lui ordonne de mettre le cap sur Libreville pour la rencontre de la dernière chance avec le médiateur. Pascal Lissouba s’y refuse : il vient de signer l’acte de décès de son régime.

Car, après la désobéissance du chef de l’Etat congolais, Paris actionne aussitôt Dos Santos qui envoie au Congo des milliers des soldats. Le 15 octobre 1997, s’ouvre l’ère Sassou II, grâce à la France de Jacques Chirac et à l’Angola de Dos Santos. Pascal Lissouba, qui prend alors le chemin de l’exil, pose ses valises à Londres d’où, fatigué de parler l’anglais tous les jours, il revient emménager dans un hôtel particulier de la rue Prony dans le XVIIe arrondissement de Paris.

Vingt ans plus tard, Sassou est toujours au pouvoir et se prépare à s’y maintenir, alors que Pascal Lissouba s’est installé à Clermont-Ferrand, dans le centre de la France.

Querelle de leadership

Même sous une forme implicite, le soutien de Dos Santos à la candidature de Sassou à la présidentielle ne paraissait pas acquis d’avance. Il est de notoriété publique que les rapports entre les deux alliés de Chirac pendant la guerre civile de 1997 au Congo s’étaient nettement dégradés. L’éloignement diplomatique entre le parrain et son filleul fut accompagné en octobre 2013 par une escalade militaire. Sans crier gare, Dos Santos a envoyé son armée occuper des villages congolais et faire prisonniers des militaires congolais. Il avait consenti à revenir au statu quo ante quelques jours plus tard.

En l’absence de toute explication officielle de part et d’autre, l’hypothèse la plus envisagée est celle d’une querelle du leadership sous-régional. En effet, profitant du vide laissé par la mort d’Omar Bongo Ondimba en 2009, Denis Sassou-Nguesso a endossé le costume de médiateur des conflits en Afrique centrale, en même temps qu’il s’affiche dans les habits de sage de la sous-région. Il a ainsi pris en main la gestion de la crise centrafricaine, envoyant son armée à Bangui, puis mettant la main à la poche pour assurer les salaires et le fonctionnement de l’Etat. C’était exactement le rôle de Dos Santos au début des années 2000. Après avoir réinstallé Sassou au pouvoir à Brazzaville, le président angolais avait joué un rôle clé dans « la première guerre mondiale africaine » qui se déroulait alors dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).

Au sommet de sa gloire, Dos Santos avait dépêché, au tout début de la rébellion ivoirienne de 2002, son armée pour tenter de sauver « le camarade Laurent Gbagbo ». C’est finalement Chirac, l’allié de 1997 au Congo, qui l’en avait dissuadé fortement. Avec l’embellie de l’économie nationale, portée par un prix du baril très favorable, le président angolais s’était, toutefois, progressivement replié sur son pays. Le levier économique lui a permis d’être aussi bien courtisé que pendant la période où l’Angola n’hésitait pas apporter la preuve de sa toute puissance militaire. Nicolas Sarkozy a ainsi posé son Airbus présidentiel en 2008 à Luanda pour arracher de contrats juteux et solder le contentieux né de l’emprisonnement en France de l’homme d’affaires Pierre Falcone, protégé de l’Angola. François Hollande a fait de même en juillet 2015, accompagné d’une cinquantaine de chefs d’entreprises françaises.

Anticipant l’affaiblissement de la puissance économique de son pays, en raison de la chute du cours du pétrole, Dos Santos entend revenir au bon vieux temps de l’Angola puissance diplomatique et militaire incontestée d’Afrique centrale. Le test retour effectué avec la présidentielle au Congo-Brazzaville pourrait être suivi demain par une prise de position dans le jeu politique en République démocratique du Congo (RDC), pays dans l’attente d’élections générales incertaines.

Lendemains incertains après le 20 mars

Mais à la différence de 1997, le soutien angolais n’est pas une assurance vie pour le pouvoir de Denis Sassou-Nguesso. Et nul ne peut dire de quoi l’après 20 mars sera fait. Le président sortant promet sa réélection dès le premier tour, une sorte de « coup K.O. » qui a assuré le bonheur de ses homologues guinéen Alpha Condé, ivoirien Alassane Ouattara et burkinabé Roch Marc Christian Kaboré. Il mise pour cela sur la dispersion de l’opposition qui n’a pas réussi à présenter une candidature unique, malgré la Convention, organisée en janvier 2016 à Brazzaville, entre le Front républicain pour le respect de l’ordre constitutionnel et la démocratie (Frocad) et l’Initiative pour la démocratie au Congo (IDC).

S’y ajoutent les moyens humains et financiers de la campagne électorale du candidat Denis Sassou-Nguesso (DSN) (siège de campagne avec vue imprenable sur le fleuve Congo, jet privé avec le signe DSN et son slogan de campagne…). En face, les opposants soutiennent que, pour la première fois dans l’histoire politique récente du Congo, une alternance pacifique est à portée de leurs mains. Ils justifient leur optimisme, entre autres, par la mise en place d’un dispositif anti-fraudes, censé assurer une collecte et une centralisation fiables des « vrais résultats » sortis des urnes.

Tout porte donc à croire que le pouvoir et l’opposition n’auront pas, au soir du 20 mars, les mêmes chiffres du scrutin présidentiel. Le plus emblématique des adversaires du président Sassou, le général Jean-Marie Michel Mokoko, ancien chef d’état-major de l’armée, a prévenu mercredi qu’il appellera le peuple à défendre son suffrage.

Le contentieux électoral ne faisant plus aucun doute, reste désormais à savoir si le parrain angolais acceptera, comme en 1997, de jouer le rôle d’arbitre. Et cette fois, au profit de Sassou ou de ses adversaires ?

Par Seidik Abba, journaliste écrivain, auteur de Niger. La junte militaire et ses dix affaires secrètes (2010-2011), L’Harmattan, 2013.

Source : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/03/17/dos-santos-reprend-la-main-au-congo-brazzaville-a-la-veille-de-la-presidentielle_4885053_3212.html#xtor=AL-32280515