En démocratie, le rôle de contre-pouvoir du parlement est d’une importance capitale

«le régime présidentiel, fondé sur la séparation des pouvoirs exécutif et législatif et dans lequel le président, chef de l’Etat et chef du gouvernement, élu au suffrage direct ou indirect, jouit de prérogatives importantes», notre pays obéit bien à un régime présidentiel.

Dans son compte-rendu de la séance des questions orales avec débat à l’assemblée nationale du samedi 28 avril 2012, Cyr Armel Yabbat-Ngo, dans «La Semaine Africaine»  du mercredi 2 mai 2012, (Page 3), s’indigne du peu de cas que font  les ministres de ces séances. «A croire  qu’en régime présidentiel, le parlement n’a pas tellement de poids politique», écrit-il, en précisant que sur onze ministres interpellés, seuls 4 étaient présents, 4 absents de Brazzaville, «tandis que 4 autres ont pris la liberté de ne pas se présenter devant les députés», par crainte, sans doute, d’avoir à s’expliquer sur la tragédie de Mpila du 4 mars 2012 qui, du reste, ne figurait pas à l’ordre du jour de cette séance. «Du coup, l’enjeu de cette séance n’était plus emballant. Le public était déçu».

Est-ce à cette déception du public que fait écho Yabbat-Ngo? Ce n’est pas, en effet, la première fois que les ministres boudent ces séances. Et personne, jusqu’ici, ne s’en est offusqué outre mesure. Pourquoi, donc, cette réaction cette fois-ci? Ce sentiment d’être lésé par un système qui fonctionne pourtant depuis dix ans? En quoi le régime présidentiel serait-il, aujourd’hui, responsable de ces dérobades courantes?

Si l’on souscrit à la définition du petit Larousse, «le régime présidentiel, fondé sur la séparation des pouvoirs exécutif et législatif et dans lequel le président, chef de l’Etat et chef du gouvernement, élu au suffrage direct ou indirect, jouit de prérogatives importantes», notre pays obéit bien à un régime présidentiel. Outre les pouvoirs considérables du président, chef de l’Etat et chef du gouvernement, «le président de la République ne peut dissoudre l’assemblée nationale». «L’assemblée nationale ne peut démettre le président de la République».

Mais, la séparation nette des pouvoirs signifie-t-elle que le parlement n’a pas de poids politique? N’est-elle pas, au contraire, un gage d’indépendance? Non seulement le parlement a l’initiative des lois, mais lui incombe aussi la responsabilité de contrôler l’action de l’exécutif par: l’interpellation, la question écrite, la question orale, la question d’actualité, l’audition en commission, l’enquête parlementaire (Constitution, article 89).

Si, sur une question importante ou vitale pour le peuple, les parlementaires ne s’estiment pas satisfaits des réponses ou du comportement des ministres, ils ont le droit et même le devoir d’investiguer, par eux-mêmes, sur telle ou telle situation qui les préoccupe, en procédant à une enquête parlementaire. C’est, entre autres, en quoi le législatif constitue un contre-pouvoir susceptible de contre-balancer le pouvoir de l’exécutif. Combien de fois nos parlementaires y ont-ils recouru? Avec quels résultats? Ces résultats ont-ils été portés à la connaissance du peuple qui les élit?

La vérité est qu’aux pouvoirs déjà énormes, reconnus par la constitution, au président de la République, les parlementaires, eux-mêmes, ont, par leur lâcheté, concédé au chef du gouvernement le droit de choisir ceux d’entre eux qui doivent siéger à l’assemblée nationale et, en acceptant ses véhicules 4×4 et autres largesses, se sont, eux-mêmes, condamnés à se taire sur l’action de l’exécutif, perdant ainsi une partie importante de leur pouvoir de contre-poids, en même temps que toute crédibilité aux yeux du peuple qu’ils sont censés représenter. Qu’est ce qui, dès lors, les différencie des ministres nommés par le gouvernement? Et pourquoi ces derniers devraient-ils leur manifester de la considération, alors qu’ils ont failli à leur mission? Le peuple lui-même leur témoigne-t-il encore quelque confiance?

Outre le contrôle de l’action de l’exécutif, «le parlement a l’initiative législative et vote, seul, la loi. Il consent l’impôt, vote le budget de l’Etat et en contrôle l’exécution. Il  est saisi du projet de loi de finances dès l’ouverture de la session d’octobre. Il a l’initiative des référendums concurremment avec le président de la République» (Constitution article 110).

A considérer tout ce qui est du domaine de la loi, article 111, il est difficile d’admettre que les pouvoirs du parlement soient négligeables. Le seul fait de voter le budget et d’en contrôler l’exécution confère aux parlementaires des pouvoirs inouïs qui  contribuent à renforcer le contre-pouvoir qu’ils constituent. Ils ne semblent, malheureusement, pas en avoir conscience.

«On leur a dit, ils répondent qu’il n’y a pas d’argent», ont coutume de répondre nos élus, aux citoyens qui les interpellent sur le manque d’eau ou les perpétuels délestages. N’est-ce pas la preuve de leur inconscience de la force qu’ils représentent et de leur ignorance de ce qu’est un budget, malgré les formations  organisées à leur intention par le système des Nations unies sur le chapitre?

Un budget digne de ce nom doit refléter les priorités d’un pays. Si le budget alloué à l’eau et à l’électricité est insuffisant, ce n’est pas seulement la faute de ceux qui confectionnent le budget, mais surtout de ceux qui le votent et qui ont le pouvoir de redistribuer les allocations prévues en fonction des priorités des populations qu’ils représentent. Nos parlementaires se sont-ils jamais fixé des priorités correspondant aux besoins des populations? A quelle occasion? Le manque d’argent les a-t-il empêchés d’augmenter leurs indemnités pour les rapprocher des émoluments des ministres, qu’ils ont la prétention d’égaler? Comme pour les lois, ils se contentent d’avaliser les propositions émanant du gouvernement et ne proposent rien, de peur de lui déplaire.

A qui donc la faute, s’ils sont, aujourd’hui, traités comme quantité négligeable par l’exécutif? Ne doivent-ils pas ne s’en prendre qu’à eux mêmes? Alors que le régime présidentiel leur garantit une sphère d’influence importante, bien précise, le pouvoir législatif, nos représentants se sont, eux-mêmes, livrés pieds et poings liés à l’exécutif. Par incompétence, lâcheté ou soif des privilèges? Les trois vraisemblablement. Et ce n’est pas par hasard que le drame de Mpila qui nous préoccupe, tous, sert, ici, de révélateur.

L’enquête diligentée par l’exécutif ne convainc personne. Que fait le parlement qui a le pouvoir de procéder à sa propre enquête? Rien. Il joue les Ponce Pilate et attend, comme nous tous, les résultats de l’enquête initiée par le gouvernement, espérant  ainsi tirer son épingle du jeu, alors que, par l’incapacité où il s’est mis, de contrôler l’action de l’exécutif, il est également responsable du drame.

Au moment où se prépare la campagne des prochaines législatives, il est plus que jamais urgent de lever les malentendus sur la force que représente le parlement et de préciser, à l’intention de tous les citoyens, en quoi consiste son rôle de contre- pouvoir, lequel, il faut le marteler, est d’une importance capitale en démocratie. Le nombre impressionnant de partis, associations, individualités et autres émissaires du roi qui, ces temps-ci, font allégeance au parti présidentiel, le Parti congolais du travail (P.c.t) ne trompe personne.

Plus de la moitié des Congolais vivent en dessous du seuil de pauvreté et la politique offre, à peu de frais, la possibilité de percevoir de 20 à 100 fois au moins plus que le salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig).

Il suffit, pour y accéder, d’être bien vu des pourvoyeurs de prébendes et pour ce faire, d’avoir l’échine souple et de se taire. A la manière de la plupart de nos élus du peuple venus s’asseoir au parlement, non pas pour défendre les intérêts du peuple, mais pour arrondir leurs fins de mois et soigner leur prostatite ou leur diabète en France. C’est pourquoi, à l’avant-veille des élections législatives, il serait irresponsable d’accréditer l’idée que «en régime présidentiel, le parlement n’a pas tellement de poids». Toutes les questions qui tracassent notre société: éducation, santé, agriculture, aménagement du territoire, sécurité sociale, plan de développement économique et social, environnement et conservation des ressources naturelles, régime de la propriété, etc, etc, sont du domaine de la loi, domaine par excellence du pouvoir législatif. Plus les pouvoirs du président sont importants, plus le pouvoir législatif et de contrôle de l’action de l’exécutif dévolu au parlement pour faire équilibre au pouvoir exécutif, est impératif. C’est pourquoi il est tout aussi impératif d’élire nos futurs représentants, non pas sur la base de la tribu ou de la quantité de tee-shirts qu’ils distribuent, mais sur le courage politique, la probité, la compétence et l’attachement au Congo dont ils auront fait preuve. Ce qui suppose que, dès leur investiture, des débats soient organisés avec et sur les candidats, afin que tout un chacun ait le loisir de les connaître, de les juger et de les apprécier, avant le vote.

Mambou Aimée GNALI, Secrétaire générale du Parti pour l’Alternance Démocratique (PAD)