Enquête sur les Biens Mal Acquis : Quand Tracfin traque M. SASSOU et Cie

Depuis le 11 novembre 2011, plusieurs services en Occident enquêtent sur les mouvements financiers, les biens, les voyages de certaines personnalités, notamment congolaises, et de leur entourage immédiat, au point de mettre discrètement certaines conversations téléphoniques sur écoute.

Ces services travaillent en étroite collaboration avec les magistrats, les ONG, les banques, les détectives, les services de renseignements, les circuits financiers par lesquels transitent les fonds détournés et autres.

Parmi ces services se trouve Tracfin, la redoutable cellule anti-blanchiment d’argent du ministère français de l’économie, qui fait déjà trembler plusieurs systèmes dictatoriaux d’Afrique, avec la traque de plusieurs dignitaires.

Le Congo Brazzaville de M. Denis SASSOU, la Guinée Équatoriale de M. OBIANG NGUEMA MBASOGO, le Gabon de M. Ali BONGO, la République Démocratique du Congo (RDC) de M. Joseph KABILA, et bien d’autres sont donc aujourd’hui dans le viseur. A qui la faute ?

La réponse avec ce décryptage du système clanique et opaque du Congo Brazzaville

Le Congo Brazzaville, petit pays d’Afrique centrale, mais grand producteur de pétrole et de bois, ainsi que de nombreuses autres richesses naturelles comme l’or, le fer, le diamant, le cuivre, le gaz, le plomb… est limité au Nord par le Cameroun et la RCA, au Sud par le Cabinda, à l’Est par la RDC et à l’Ouest par le Gabon. Bénéficiant d’une pluviométrie abondante qui est présente dans ce pays sur presque toute l’année et qui est propice pour le développement de l’agriculture, le Congo Brazzaville est arrosé par de nombreux cours d’eau parmi lequel le fleuve Congo, premier fleuve d’Afrique et deuxième au monde de par son débit. Ajouté à cela, un soleil permanent 9 mois sur 12, susceptible de fournir son énergie à tous les ménages.

Malheureusement, la population congolaise est pauvre et croupit dans la misère en raison du fait qu’elle vit avec moins d’un dollar par jour. A cause essentiellement d’une mauvaise gestion de ressources naturelles, financières et humaines par une classe dirigeante plus soucieuse de ses propres intérêts et des dépenses de prestige au détriment des aspirations réelles du peuple.

Pendant ce temps, une croissance économique à deux chiffres et un budget national excédentaire sont vantés par les autorités, pour des résultats sans impact réel sur le vécu quotidien des Congolais qui, depuis des décennies, semblent pris en otage par une classe politique déconnectée des réalités.

Quel paradoxe pour un pays riche admis à l’initiative Pays pauvre très endettés ?

Voici comment son dirigeant, Denis SASSOU veut à la fois d’une chose et de son contraire.

C’est-à-dire vouloir faire du Congo Brazzaville, un pays développé ou émergent à l’horizon 2025, alors que ce pays est jusqu’à ce jour, géré par M. SASSOU et son entourage, de manière clanique et folklorique à l’instar d’une simple épicerie familiale. Xavier HARREL et Thomas OFNUNG dans leur récent ouvrage sur les biens mal acquis reviennent longuement sur les scandales financiers des familles régnantes en Afrique Centrale Tenez !…

Julienne JOHNSON, dite « Joujou », l’aînée des filles SASSOU, depuis la mort de sa sœur Edith, gère dans ce pays « une société de location d’avions dont l’unique client est … la présidence congolaise ». Ninelle, la troisième fille du président SASSOU, mariée au maire de Brazzaville, Hugues NGOUELONDELE, a, quant à elle, monté son entreprise d’installation de chapiteaux avec, comme principale client… le Palais présidentiel.

La Lettre du continent du mois d’avril 2011 enchaîne, concernant une autre fille SASSOU : « Cendrine, 38 ans, compagne de l’homme d’affaires italien Fabio OTTONELLO, demeure « Madame Tourisme et Restauration » de la famille. Directrice de sa propre société CSN, elle a noué en 2010 un partenariat avec le leader français du catering aérien, Servair, présent dans les aéroports de Brazzaville, Pointe-Noire et Ollombo. Propriétaire de deux restaurants haut de gamme, Le Terminalia à Brazzaville et Le Twiga à Pointe-Noire, Cendrine a repris, le 14 février 2011, sous le haut patronage de son père, la gestion du Grand Hôtel de Dolisie, ville natale de l’ex-président Pascal LISSOUBA.

Autre fille de choc, poursuit La Lettre du continent, « Kelly Christelle, dirige la société Christelle, qui a investi dans le secteur forestier. En mars 2011, elle a obtenu du ministère du développement durable, de l’économie forestière et de l’environnement l’attribution d’une concession de 235. 000 hectares, située dans le département de la Cuvette-Ouest ».

Le train de vie hallucinant de la famille Sassou suscite l’indignation de nombreux Congolais et étrangers. En témoigne, par exemple, cette anecdote significative : début 2011, l’ambassade de France à Brazzaville a accordé une aide, fort modeste, de 9 millions de francs CFA, soit 13.720 euros au Congo pour acheter 340 tables-bancs pour trois écoles publiques. Cela, alors même que la Communauté internationale venait de passer la dette congolaise à l’ardoise magique et que les cours du pétrole étaient installés à plus de 100 dollars le baril depuis plusieurs mois.

Quand la gestion clanique et opaque suscite la curiosité des Occidentaux

Dans le cas du Congo Brazzaville, nos confrères, Xavier HAREL de Tv5 et Thomas HOFNUNG de Libération, dans leur livre, « Le scandale des biens mal acquis » révèlent que, « les cargaisons de pétrole qui quittent chaque semaine le port de Djeno, près de Pointe-Noire, constituaient évidemment d’excellentes cibles pour les cabinets FG Hemisphere et Kensington qui découvrent rapidement l’existence de nombreuses sociétés écrans – Sphynx Bermuda, SNPC UK, Crossoil, Africa Oil and Gas Corporation (AOGC)… – créées par le régime. L’architecte de cette petite constellation de sociétés est l’ancien président de la SNPC, Denis GOKANA ».

Les années passées à Elf ont permis à Denis GOKANA d’approcher quelques spécialistes de la carambouille financière comme Jack SIGOLET, le directeur financier d’Elf, qui lui présente l’avocat suisse Nicolas JUNOD. La société Sphynx Bermuda, domiciliée dans les Bermudes, a vu transiter, par ses comptes, des dizaines de cargaisons de pétrole, tout comme sa petite sœur, AOGC.

En juin 2005, par exemple, la SNPC cède à AOGC une cargaison de 950. 000 barils de pétrole pour 49,7 millions de dollars. AOGC revend la cargaison à la société suisse de négoce Vitol pour 54,6 millions de dollars, empochant ainsi au passage une marge de 3,3 millions de dollars. Pourquoi le patron de la SNPC n’a-t-il pas vendu la cargaison directement à Vitol, pour la simple et bonne raison qu’il contrôle également AOGC ?

Denis GOKANA, chargé de commercialiser le pétrole congolais au meilleur prix pour le compte du Trésor public, a vendu à lui-même du pétrole à bas prix. Il a ensuite revendu cette cargaison au prix du marché, en empochant la différence au passage.

Des centaines de millions de dollars de revenus pétroliers ont ainsi été détournées. Au moins quarante-cinq cargaisons de pétrole ont transité par les comptes d’AOGC, Sphynx Bermuda ou Sphynx UK. La SNPC verse également à ces sociétés de convenance des centaines de milliers de dollars d’intérêts dans le cadre des préfinancements inutiles.

Denis GOKANA aurait-il pris la liberté de mettre en place ces montages, très directement inspirés de ceux développés par Elf, sans la bénédiction de M. Denis SASSOU ?

Denis Christel, son fils, a d’ailleurs vendu plusieurs cargaisons de pétrole à ces sociétés de convenance lorsqu’il dirigeait la Cotrade, dissoute fin 2009.

Pourquoi, notamment, BNP Paribas a-t-elle participé à des montages permettant de vendre le pétrole congolais très en-dessous de sa valeur, à des sociétés contrôlées par des proches du président congolais ?

En juin 2003, par exemple, la SNPC a cédé une cargaison de Yombo, un pétrole lourd, à la société de négoce Trafigura pour seulement 23,77 dollars le baril, soit près de six dollars en-dessous du « prix fiscal ». Or, les documents relatifs à cette transaction indiquent que le destinataire des 560.000 barils de Yombo était BNP Paribas, alors que la banque ne fait pas de trading pétrolier. La seule explication est que la cargaison de Yombo a fait l’objet d’un préfinancement de BNP Paribas. Comment pouvait-elle ignorer les montages de la SNPC ?

De nombreux Congolais continuent de s’interroger sur le rôle de BNP Paribas dans le pillage des ressources du pays par le clan Sassou.

En janvier 2011, deux associations congolaises enregistrées en France, le Cercle la rupture et la Plate-forme congolaise contre la corruption et l’impunité (PCCI), ont déposé une plainte avec constitution de partie civile devant le Tribunal de grande instance de Paris pour « blanchiment en bande organisée ».

La plainte visait BNP Paribas, l’ancien président de la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), Denis GOKANA, ainsi que Denis Christel SASSOU-N’GUESSO, le fils du président.

Selon cette plainte, rédigée par l’avocat Brice NZAMBA, « il apparaît des indices graves et concordants de blanchiment d’argent en bande organisée, constitué par les montages financiers et juridiques accomplis par la BNP Paribas concourant à dissimuler et à convertir les détournements des revenus du pétrole congolais par l’entremise des sociétés écrans gérées par Denis GOKANA et Denis Christel SASSOU-N’GUESSO« .

Question taboue : le népotisme du clan Sassou

Parler de la famille SASSOU-N’GUESSO qui est aux avant-postes de tout le pays est considéré comme un péché capital. Le Directeur Général du journal Talassa et bien d’autres personnes qui ont osé s’engager dans ce débat au Congo Brazzaville se sont attirés les foudres du Pouvoir et de ceux qui le soutiennent. Pourtant, sur le terrain, tout le monde peut constater clairement que les postes clés du pays dans tous les domaines sont détenus en général par les membres d’une tribu minoritaire du Congo Brazzaville, « Les Mbochis », tandis que la famille présidentielle contrôle pratiquement des pans entiers de l’économie congolaise, de l’armée et de la police.

Emporté par la dissolution de la Cotrade, comme l’exigeaient les institutions financières de Bretton Woods et les bailleurs de fonds pour que le Congo Brazzaville accède à l’IPPTE, Denis Christel SASSOU-N’GUESSO, pointé du doigt dans le détournement de la manne pétrolière, n’a pas pour autant été jeté en prison comme ces délinquants qui croupissent à la Maison d’arrêt de Brazzaville ou de Pointe-Noire, coupables de détournement des très modiques sommes.

Au contraire, il a été bombardé directeur général-adjoint de la SNPC, chargé de « l’aval pétrolier », à l’issue du Conseil des ministres du 29 décembre 2010. En clair, il est chargé de la commercialisation du brut congolais au sein de la SNPC comme il le faisait autrefois à la Cotrade. Cela s’appelle déshabiller Saint Pierre pour habiller Saint Paul.

Les commandes du président congolais sont à l’image de ses moyens financiers : colossales !

Une note de Tracfin, la cellule anti-blanchiment du ministère français de l’économie, indique qu’en avril 2010, M. Denis SASSOU N’GUESSO a commandé quatre-vingt-onze costumes haut de gamme chez son couturier, pour la colossale somme de 276.000 euros. Un mois plus tôt, en mars 2010, il avait acheté quarante-huit chemises pour 24. 000 euros. En un an, de novembre 2009 à novembre 2010, Denis SASSOU N’GUESSO a dépensé plus de 652.000 euros, soit l’équivalent de plus de quarante années de Salaire minimum d’un Congolais, pour s’habiller chez Pape !

L’origine des fonds ayant permis de financer ces extravagances vestimentaires suscite également des questions.

Un peu plus de 302.000 euros ont été virés par le Credito Sammarinese SpA, une banque de Saint-Marin. Ce pays timbre-poste enclavé à l’intérieur de l’Italie doit l’essentiel de sa prospérité à un solide secret bancaire. Mais, ce n’est pas tout. Les comptes bancaires à l’origine des virements sont contrôlés par une société off-shore domiciliée à Maurice, une île située dans l’Océan Indien, prisée pour ses plages et son système financier.

Pourquoi le président du Congo Brazzaville a-t-il besoin d’une société off-shore avec des comptes bancaires situés dans un paradis fiscal ? Par souci de simplicité ? Ou d’opacité ?

Autre cas intéressant, les quatre-vingt-onze costumes (276.000 euros) mentionnés plus haut ont été réglés par la SCI Etoile. Pourquoi une société civile immobilière règle-t-elle les costumes de Denis SASSOU-N’GUESSO ?

En attendant d’y revenir longuement, il sied d’annoncer haut et fort que face à tous ces comportements déviants de la famille présidentielle et de certains dignitaires du pouvoir inique de Mpila, et d’autres caciques africains, les services d’enquêtes des pays occidentaux procèdent par des saisies des comptes, des avoirs et des biens et immeubles appartenant à ces dignitaires africains accusés de mégestion.

Le président Equato–guinéen, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, vient d’en être victime.

Par Ghys Fortuné DOMBE BEMBA (Talassa)

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