Enquête sur les fraudes massives et à l’annulation du BAC 2015

L’annulation de l’épreuve du baccalauréat a fait couler beaucoup de salive, et même un peu de sang. Trois semaines après, nous avons pu boucler notre enquête afin d’apporter les réponses nécessaires aux questions que se posent légitimement les congolais : Pourquoi tant de fuites ? D’où venaient les fuites ? Qui a décidé de l’annulation de l’examen avant la fin de la session ? Quels sont les responsables ?

D’où sont sorties les fuites ?

En principe, c’est le directeur des examens et concours qui fait seul le choix des sujets. Aidé de deux collaborateurs, il imprime les épreuves et les emballent dans un huis clos total. Même le ministre n’est pas au courant des sujets sélectionnés. Il apparait à ce stade que le processus est resté aussi étanche qu’une boite de conserve. Là où le système a révélé des faiblesses selon notre enquête, c’est dans le transport et le stockage des épreuves.

En effet, ces malles sont remises avec les clés, aux directeurs départementaux de l’enseignement général qui les emmènent avec eux dans leurs localités pour faire la distribution auprès des 140 chefs de centres d’examens répartis sur tout le territoire.

A chacune de ces étapes, un responsable indélicat peut aisément ouvrir les malles et distiller le secret des épreuves. Il nous a également aussi été rapporté le cas de certains chefs dans les districts qui imposent aux agents de l’enseignement d’ouvrir les malles afin de favoriser des personnes sous leur tutelle, bien souvent des Brazzavillois qui vont y passer le bac en candidats libres. Le lieu ou les fuites ont été le plus flagrant c’est Ollombo.

Le peu de moyens alloués à l’organisation des examens est également mis en cause.

Pour l’ensemble du processus, le budget a prévu 9 milliards de FCFA. À notre stupéfaction, nous avons appris que moins de la moitié de cette somme a été virée à ce jour selon les indiscrétions au MEPSA, et la tranche la plus importante n’a été perçue qu’à moins d’une semaine des épreuves. Conséquences, pas moyens d’acheter de nouvelles malles plus sures, d’acquérir des véhicules de ventilations des épreuves, de financer la sécurité maximale du processus, d’informatiser le processus au moins en partie.

Les années antérieures, la première tranche du budget des examens était versée au début du premier trimestre scolaire. Pour cette année, même le budget nécessaire à la réfection des écoles dès la rentrée, n’a jamais été versé. Ce qui signifie que les mêmes sommes prévues pour les examens, réduites et payées au compte-goutte, tardivement (vers mars pour les premiers versements) ont servi aussi à retaper à la va-vite des portes et des fenêtres, des salles d’examens, refaire des plafonds où se planquent certains aides- fraudeurs etc…

Pourquoi une telle ampleur ?

En remontant le fil, il apparait que les fuites aux examens d’Etat sont courantes au Congo depuis la fin de la guerre. Chaque année, des privilégiés bénéficient des épreuves avant l’heure. Ce qui a été exceptionnel cette fois-ci, c’est l’ampleur, démultiplié par l’usage répandu des smartphones avec un accès à internet de plus en plus facile.

En milieu jeune, deux applications sont particulièrement prisés : facebook et surtout le système de messagerie WhatsApp.

Pour les non-initiés, WhatsApp est une application des téléphones dit smatsphone, un terme anglais signifiant « téléphone intelligent » ; ce sont ces téléphones qui permettent de faire des photos et d’accéder à internet notamment. WhatsApp est proche du sms, à la différence qu’il permet d’envoyer des textos, des images et du son. Ainsi, un élève qui détient une épreuve sur papier, n’a plus qu’à la photographier avec son téléphone pour l’envoyer à ses amis qui ont la même application et qui eux-mêmes en feront de même. Il ne reste plus qu’à photocopier et à préparer l’épreuve.

WhatsApp qui existe depuis 5 ans environ, a connu un boom particulier au début de l’année 2014 après son rachat par Facebook. Ses inconvénients commencent donc à peine se faire ressentir, et le bac 2015 a été son premier grand impact. D’abord au Congo, puis en Belgique où les épreuves d’histoire et de français ont dû être annulés à cause d’une fuite sur WhatsApp. Ce fut ensuite au Maroc, dès le lendemain la Belgique a décidé d’annuler tout le bac car il était présent sur internet. D’autres pays comme l’Inde ou la Bolivie ont également été touché.

Qui a décidé de l’annulation des épreuves ?

Le Président de la République, après concertation avec le ministère de l’intérieur, le conseil national de sécurité et le ministère de tutelle. Selon les cadres du ministère en charge de l’enseignement générale, le faire durant les épreuves se justifiait parce que le règlement intérieur des examens impose qu’une fraude soit constatée en flagrant délit, et non après la remise des copies.

Quelles sont les responsabilités ?

La première est celle de l’État ou plutôt du non-État. Pendant longtemps l’État s’est accoutumé à la fraude tant qu’elle était circonscrite. L’enquête menée par la Direction de la surveillance du territoire qui a fini par déférer à la maison d’arrêt le directeur des examens et concours, le président du jury du Bac et leurs collaborateurs peine à donner la moindre explication officielle, quand l’ensemble des cadres du ministère sont persuadé de l’innocence des incarcérés. Il faut aussi noter qu’il est facile de remonter à la personne qui a envoyé la première photo sur internet. Cela s’appelle une recherche de source. A partir de cela, les origines de la fuite peuvent être décelées. Il est curieux que la DGST qui est excellent par ailleurs pour pister les opposants politiques n’y a pas procédé puisqu’il n’y a pas d’autres interpellation.

Par ailleurs, les personnes qui ont favorisées ces fuites, même si elles ne sont pas les initiatrices, sont aussi coupables que les premiers, et la loi est claire à ce sujet. Il s’agit des cybercafés, des propriétaires de photocopieuses publiques, de certains activistes qui ont vu là une occasion de mettre le pays par terre, en diffusant sur leurs pages Facebook et même sans se cacher, les différentes fuites. Ce sont des infractions graves à la loi.

La responsabilité personnelle du directeur des examens et concours, Monsieur Batantou, du président du jury du baccalauréat, Monsieur Evayoulou et même du ministre de l’enseignement primaire, secondaire et de l’alphabétisation que certains évoquent est difficile à établir, tant qu’ils n’ont pas commis de fautes personnelles ni fait preuve d’insuffisances directement liées à leurs fonctions. On n’arrête pas un policier de la circulation parce qu’un accident a été perpétré dans la rue qu’il anime à cause d’un trou sur la chaussée, de l’incompétence d’un conducteur, de la mauvaise foi ou de la fraude. Il ne peut être tenu pour responsable que s’il n’a pas donné les bonnes instructions, par rapport à ses compétences.

Y’a-t-il des implications politiques ?

Le MEPSA est le plus grand réseau de l’Etat à travers le pays. Outre un budget conséquent (le premier du pays), il permet aussi de contenter les gens en les recrutant ou en les nommant ici et là. Le ministère gère plus de 5000 établissements scolaires, ce qui en fait celui qui a le plus de postes de nomination. Beaucoup plus que le chef de l’Etat. Et quand on sait que chaque école gère son propre budget, c’est un instrument politique et social important. Sans oublier qu’il est le ministère qui impacte dans toutes les familles congolaises.

Si nous n’avons trouvé aucune preuve que cette situation a été provoquée, il y’a une indéniable récupération. La position ambiguë du ministre Hellot Matson Mampouya sur la question de la constitution lui crée des ennemis de part et d’autre. Depuis son arrivée au ministère, il n’a jamais nommé un seul directeur général de sa couleur politique, se contentant de fonctionner avec les cadres légués par la ministre précédente, croyant sans doute qu’en remerciement ils lui seraient redevables. Mais cela ne semble pas être le cas pour ces cadres quasiment tous encartés au PCT. Des rumeurs au ministère n’hésitent pas à parler des « réseaux Kama », entretenus notamment par le député Ambeto, ancien directeur de l’enseignement primaire relevé par l’actuel ministre et qui ne l’a jamais digérer.

Des réunions secrètes des cadres du ministère opposés au ministre actuel se tiendraient même dit-on vers Moukondo, au domicile d’une très haute personnalité du PCT, où assiste régulièrement l’honorable Ambeto.

Les réunions d’un gang anti-Hellot Mampouya se tiennent régulièrement chez Jeanne Dambenzet.

D’ailleurs, la nomination de Christophe Batantou comme DEC en remplacement de Mbenga Jean Pierre appelé à faire valoir ses droits à la retraite, a fait des mécontents. Le fait que Batantou soit un des inspecteurs de lycées les plus expérimentés du ministère n’a pas occulté pour eux le fait surtout qu’il soit membre de la DRD. Son maintien en détention sans raison, et le retour de Mbenga ressuscité de sa retraite sur instructions venues de très haut, conforte pour certains cette animosité.

Et pour la suite ?

Des dispositions ont été prises nous a-t-on dit sans nous les révéler pour que la session de remplacement du BAC ainsi que le BEPC à venir soient irréprochables. Mais, parait-il que là aussi, les moyens tardent à venir. Les cadres passent leur temps dans les couloirs du ministère des finances à obtenir des subsides pour fonctionner au lieu de s’atteler à leurs tâches. Le Congo a besoin de moderniser tous ses systèmes. Le fait que l’ampleur de la fuite soit due à un phénomène mondial n’excuse pas tout. Le système d’enseignement a besoin d’une modernisation de fond en comble. Faut-il aussi attendre de changer la constitution pour ça ?

L’annulation du BAC n’est rien à côté des innombrables scandales de fraudes et de tricheries qui sont couverts par l’État. Ainsi on peut citer les fonctionnaires qui rectifient leurs âges pour ne pas aller à la retraite. Les agents de la fonction publique qui touchent leur salaire sans jamais se présenter à leur poste de travail. Les militaires et certains fonctionnaires qui touchent plusieurs salaires par mois. Les personnes qui sont embauchés avec des faux papiers. Les enseignants qui ont de faux diplômes. Les députés qui trichent aux élections. Les étudiants qui sont inscrits à l’université avec des faux bacs. Les yaka noki-noki sans aucune compétence particulière qui occupent des postes à responsabilité comme par exemple la fratrie de Jean Jacques Bouya. Enfin nous voyons tous les jours des intellectuels, des hauts cadres et des ministres supposés intelligents à la télévision demander au Président de la République de ne pas respecter la loi fondamentale, de changer la Constitution pour rester au pouvoir, alors que cette constitution est claire sur la question de son dernier mandat.

Notre enquête nous a emmené aux portes de l’OAC l’office anti-corruption. Nous avons appris que plusieurs dossiers de crime économique y sont stockés ; fraudes, délit d’initier, tricheries et autres crimes innommables sur chaque ministre, chaque cadre sans jamais que cette agence n’ose porter plainte ou les rendre publics. Savez-vous par exemple qu’il y a 2 fichiers distincts de fonctionnaires au Congo avec chacun ses doublons ? Le premier fichier est celui du ministère de la fonction publique, le second est le fichier du ministère des finances. Les deux ministres qui ne peuvent pas se blairer gardent chacun jalousement leur fichier sans jamais les croiser. Ça sera l’objet de nos prochaines enquêtes…

Patrick Éric Mampouya