Il était une fois, l'histoire politique du Congo  

histoire-du-congo-300x117-1025769 Il y a 50 ANS….
Le 26 Juillet 1968, 4 cadres, Pascal Lissouba, Henri Lopès, Jean Sathoud et Jean Pierre Tchystère Tchicaya adressaient une lettre au Président Massamba Débat.

Par : HERVE MAHICKA 

Il y a 50 ANS….  Le 26 Juillet 1968, 4 cadres, Pascal Lissouba, Henri Lopès, Jean Sathoud et Jean Pierre Tchystère Tchicaya adressaient une lettre au Président Massamba Débat.

C’était une réponse à la décision de ce dernier, annoncée sur les ondes de la radio nationale le   22 juillet 1968, d’inviter quiconque voulant être candidat à la présidence de la République à déposer sa candidature, avec pour date limite de dépôt le samedi 27 juillet à 12h00.

Les 4 estimaient cette démarche lâche et tendant à céder à l’aile Noumazalaye qui revendiquait plus de places pour les nordistes au pouvoir en incitant et en excitant certains officiers de l’armée avec à leur tête Marien Ngouabi. Ces cadres voulurent apporter le soutien au président Massamba Débat en reposant les motivations ethniques et faussement idéologiques qui animaient la fronde.

Voici la teneur de la lettre.

[Plus bas, dans la section des réponses vous trouverez la lettre de démission du président Alphonse Massamba-Débat, le discours de Marien Ngouabi prenant acte de cette démission, la lettre du président Massamba Débat à Ange Diawara et enfin, la dernière analyse de cette situation en 1977 par Massamba Débat devant la Cour de justice révolutionnaire d’exception qui le condamnera à mort quelques heures plus tard.]

Sources: Archives du ministère des affaires étrangères français.

————————————————————-

Monsieur le Président de la République,

Chef de l’Etat et du Gouvernement,

Secrétaire Général du Parti.

Notre pays traverse en ce moment des jours et des nuits d’angoisse au cours desquels nous craignons de voir s’écrouler l’édifice qui reste encore le phare d’une Afrique désireuse d’indépendance réelle et l’exemple d’un petit pays qui a décidé de prendre le taureau du sous-développement par les cornes.
Les quatre signataires de cette lettre n’ont pas l’intention, par une telle démarche, de se porter candidats à quelque poste de ministre ou de membre du Bureau Politique. Nous voudrions simplement couper court aux spéculations de tous ceux qui cherchent à faire des intellectuels des apprentis sorciers assoiffés de pouvoir.

Par les responsabilités que nous occupons ou avons occupées, nous pensons que la solution de la crise actuelle ne réside pas dans le remplacement d’un HOMME par un autre, que le savant le plus génial, l’artiste le plus doué, n’est pas forcément le meilleur politique. Il y a une réalité économique, sociale, internationale et culturelle, complexe et en mouvement, non encore étudiée, et que les slogans les plus humanistes ne pourront refaçonner en un tour de main.

Lénine, si souvent cité, avait coutume de rappeler que le pouvoir se prend en un jour, quelquefois en quelques heures, mais que pour transformer l’économie, il faut des dizaines d’années et, pour transformer l’homme, il en faut bien plus encore.
La pratique de notre propre Révolution nous autorise à nous défier des recettes politiques tant il est vrai l’expérience de la vie fait refuser aux peuples, aujourd’hui, de recevoir le socialisme comme un dogme figé : comme une science, il progresse et ne naît que de la réalité objective. Pour tout citoyen conscient, l’alternative est claire : il s’agit de prendre position pour ou contre le désordre et l’anarchie qui remettraient en cause les acquis d’une économie encore fragile et emporteraient dans la tourmente les fils qu’elle a mis tant de temps à former, faisant du Congo un pays exsangue.

Permettez alors, Monsieur le Président, que nous vous apportions notre analyse, notre compréhension et notre soutien dans les termes et les limites que voici. Votre appel du 22 juillet dernier, Monsieur le Président, a suscité en nous une impression inconfortable. Connaissant votre riche personnalité, celle du combattant d’avant août 1963, connaissant votre courage pour avoir vécu à vos cotés les heures les plus douloureuses sinon de notre histoire, du moins de la Révolution, on ne peut qu’être surpris, voir ému. Qui n’a pas été séduit par les discours, les positions fermes et courageuses du premier Président de la première Assemblée Nationale, face à un Youlou au faîte de sa gloire, tout-puissant et tout despote ! Qui ne reconnaît en vous le défenseur zélé de ces étudiants honnis par le pouvoir en place, persécutés et pourchassés ? Vous avez, par votre action personnelle, contribué à faire admettre dans la masse d’abord, à imposer ensuite dans la vie publique, ces fils légitimes du pays. Ces fils ne peuvent et ne souhaitent être quittes d’une dette aussi lourde envers vous.

Le moins qu’ils puissent vous dire aujourd’hui est qu’ils ont grandi et qu’ils souhaitent lever les malentendus et les équivoques créés et entretenus par les seuls ennemis de la Révolution.

Monsieur le Président, aux heures les plus sombres, les plus douloureuses de la Révolution congolaise, certains d’entre nous furent à vos cotés. Il nous souvient comme d’hier le piteux spectacle qu’ils offraient, tremblant de tous leurs ressorts, dramatisant tout, craignant leur propre ombre. Comment ne pas, avec la rétrospective, admirer votre belle assurance !…plus que tout, cette phrase que nous rappelons en substance, qui nous a forgés et façonnés : « La peur n’est pas un remède contre le danger, elle en est parfois la cause… » Il est difficile, Monsieur le Président, avec tout le respect que nous vous devons, de reconnaître notre combattant à travers l’allocution du 22 juillet. Est assez dire ?

Chaque citoyen est volonté : il est vouloir et pouvoir. Ce pouvoir, vous le rappelez vous-même, vous a été confié, volontairement, sciemment. Comment concevoir qu’il fut mis aux enchères ?

Monsieur le Président, quoi de plus grave qu’une rupture avec les Etats-Unis d’Amérique, dont on connaît la puissante brutalité, quoi de plus inquiétant qu’une rupture deux fois presque consommée avec la France, dont nous sommes encore largement tributaire, quoi de plus dramatique qu’un déferlement militaire à votre domicile, qu’une flambée de tribalisme agressif, qu’une vague de terreur, emportant certains de nos meilleurs fils, quoi de plus préoccupant, de plus affreux, que ce déferlement de commandos de la mort pendant des semaines, que dire des colis, ces « oranges » d’un type spécial, don des yankees, que dire enfin de cette action perfide de l’impérialisme dont Dubreton et Laurent semblent être les sous-produits de la pire espèce ?

Rien que tout cela ne vous a fait départir de votre calme, de votre sourire légendaire, de votre propos incisif. Qu’est-ce dont tout ce qui vient d’être rappelé ? Une élection inspirée au niveau d’une région ? Une vague de contestation des jeunes, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’est pas l’exclusive du Congo ? Est-ce enfin la, maintenant légendaire, rumeur de complots d’une institution bien congolaise : « radiotrottoir » ?…
La région et la tribu constituent, à l’heure actuelle au Congo, deux réalités objectives qu’il serait souhaitable de prendre en considération. Nous citoyens de ce pays, nous sommes, malgré nous, prisonniers de nos origines ethniques et régionales. Dés lors, nous devons nous attendre à ce que cette appartenance à une région, à une tribu, s’exprime d’une façon ou d’une autre. Il dépend de l’organisation de la vie nationale et du fonctionnement des institutions publiques, pour que cette expression revête un caractère constructif. Quoi qu’il en soit, il ne convient pas de surestimer les manifestations de cette appartenance.

Ce n’est pas parce que cette appartenance est réalité qu’elle doit constituer un obstacle à l’édification rationnelle de la nation. En d’autre termes, notre attachement à notre patrie doit nous interdire de penser que, faute de pouvoir venir à bout du tribalisme et du régionalisme au niveau mental, il n’y a plus d’autre voie à l’édification du pays qu’un appui total et exclusif sur sa tribu ou sa région : le Congo de demain sera l’œuvre de tous ses enfants, ou ne sera pas.

L’année 1968 à cette particularité d’être marquée, dans bon nombre de pays du monde, par une énorme vague de fond que roule la jeunesse et qui tend à remettre en cause les structures établies.

Une analyse même sommaire de cette réalité montre que cette protestation s’explique, dans une large mesure, par le fait que la jeunesse est tenue à l’écart des problèmes brûlants de son pays et que, de ce fait, elle n’en saisit pas les dimensions et les multiples aspects ; faut-il alors s’étonner qu’elle conteste les solutions parfois laborieuses que les responsables tentes d’apporter à ces difficiles problèmes.

Il nous semble nécessaire de commencer par définir les conditions d’installation du socialisme en partant d’une analyse objective des réalités de notre pays. Il faudrait, pour cela, résoudre un certain nombre de préalables : la notion de démocratie ne saurait être la même dans notre pays qui accuse des différences énormes dans leur développement économique. La nation congolaise doit être édifiée à partir du matériel humain et du fond traditionnel « in situ ».

La définition d’une certaine éthique de l’individu dans la société congolaise mérite toute notre attention.

Toutes ces notions élucidées ou définies, au cours de discussions franches et loyales, devraient concourir à l’élaboration de notre propre démocratie, préalable et tremplin vers le socialisme scientifique.

En dernière analyse, nous voulons considérer votre déclaration du 22 juillet, non comme un défi, mais comme un appel à la raison, à la sagesse, à la franchise et à la coopération. C’est pourquoi nous nous permettons de dire que les conditions d’édification du socialisme ne sont pas réunies. Il faut donc, sous peine de dévaloriser ce terme, le mettre pour un temps entre parenthèse car quand bien même vous souhaiteriez l’appliquer, une analyse de notre société montrerait que vous n’auriez pas suffisamment de collaborateurs du haut au bas de l’échelle pour empêcher que ce rêve ne se transforme en un cauchemar pour un peuple qui ne peut encore saisir totalement les subtilités que Marx a conçues au terme d’une longue quête philosophique et scientifique.

Commençons simplement à ne parler plus que de « DEMOCRATIE NATIONALE ».

Cette doctrine méritera une mise au point plus élaborée. Nous vous proposons d’en faire le thème de cette nouvelle étape de la Révolution que vous avez fixée à partir de la semaine qui suivra le cinquième anniversaire des « Trois Glorieuses ».
Dans cette optique, il est certain que des nécessaires réformes doivent être aménagées. Qu’il nous soit permis de suggérer à cet effet la désignation d’un comité de personnalités de votre choix, chargé de dégager les lignes directrices des actions futures dans le but d’assainir l’atmosphère et de ressouder l’unité nationale.

Monsieur le Président, les cadres intellectuels ne sont pas à l’affût des postes de postes mais souhaitent que l’on considère qu’ils sont, à leur manière, susceptibles d’apporter leur contribution à la construction nationale.

On leur reproche de contester. Mais c’est leur manière d’être. Tout intellectuel est habitué à contester. Les connaissances n’avancent que par la remise en cause des principes établis et des travaux antérieurs, ce qui ne veut pas dire qu’ils veuillent par là sa présenter en candidats légitimes au pouvoir.

Monsieur le Président, voilà ce que nous voulions vous dire, dans ces moments difficiles. Si notre phrase est franche, elle n’a pas pour but cependant de vous accabler, mais de vous aider à faire le point et de vous assurer de notre confiance. Le découragement qui semble vous habiter est la rançon d’un long travail sans repos au service du peuple. Il ne doit pas vous conduire aux solutions de désespoir. Si notre lettre ne réussissait qu’à vous faire sortir de l’isolement ou vous avez l’impression d’être, nous aurions atteint notre but.

Encore un mot, c’est pour expliquer pourquoi nous ne sommes que quatre : c’est que l’urgence de la situation ne nous permettait pas de toucher tout ceux qui pourraient s’associer à ce document. Nous serions heureux que d’autres personnalités – intellectuelles ou non – s’ y associent, car nous tenons moins à la paternité de notre opinion qu’à ce qu’elle reflète le point de vue du plus grand nombre.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre soutien révolutionnaire, et l’assurance de notre considération la plus respectueuse.

– Pascal LISSOUBA, Professeur au Centre d’Etudes Supérieur de Brazzaville ;
– Henri LOPES, Directeur Général de l’Enseignement ;
– Jean-Pierre THYSTERE-TCHICAYA, Directeur de l’Ecole Normale Supérieur d’Afrique Centrale ;
– Jean Edouard SATHOUD, Directeur Adjoint de la Banque Centrale