Interdiction des sacs en plastique: cache-misère travesti en panacée

Notre pays, le Congo-Brazzaville, vient d’interdire l’importation, l’utilisation et la commercialisation des sacs en plastique. Au premier abord, une telle initiative semble partir d’un « bon sentiment », ce qui en fait, a priori, une décision justifiée et justifiable.

A l’appui de ce « bon sentiment », un constat pour le moins édifiant, si ce n’est terrifiant, par certains aspects observables et vérifiables sur le terrain. Exemple concret: dispersés par-ci par-là, les sacs en plastique incriminés contribuent à l’agression visuelle qui ne cesse de défigurer Brazzaville. Pourtant…

Toutefois, réserve de taille, on ne fonde pas des analyses pertinentes ou des réflexions percutantes, et encore moins des décisions importantes, sur des « sentiments », si « bons » soient-ils. En lieu et place des « bons sentiments », il s’agit surtout de privilégier les… faits. Alors, et seulement alors, les initiatives prises peuvent constituer des alternatives crédibles, susceptibles en cela de s’inscrire dans une perspective de développement durable et de progrès social.
Comme le paludisme (1) et les « médicaments de la rue » (2), les sacs en plastique sont un « faux problème en mal de vraies solutions ». Tout au plus doit-on y voir, non pas un problème en tant que tel, mais plutôt un révélateur et amplificateur des problèmes actuellement latents et sous-jacents, donc en attente de… solutions. En l’occurrence, les sacs en plastique ne sont que des révélateurs et amplificateurs des défaillances et incohérences de notre « politique d’assainissement » (3).

Résumons-nous: les défaillances et incohérences se situent au niveau de toutes les composantes-clés que sont la collecte des déchets, leur tri sélectif, leur évacuation et leur traitement (destruction par incinération, récupération et recyclage). Petit rappel : autant la collecte et le tri sélectif engagent la responsabilité individuelle et personnelle (esprit d’initiative), autant l’évacuation et le traitement sollicitent la responsabilité communautaire et collective (esprit d’entreprise). Fermons la parenthèse…Dans le prolongement de ce qui précède, les défaillances et incohérences à l’œuvre affectent aussi les exigences auxquelles toute politique d’assainissement, digne de ce nom, est censée satisfaire, c’est-à-dire, non seulement les exigences de sécurité et de responsabilité environnementales, mais également celles, indissociables et interdépendantes, de santé publique, de cohésion sociale et de développement durable.

En somme, qu’il s’agisse des composantes-clés ou des exigences évoquées à l’instant, toutes les anomalies épinglées renvoient, en blocs homogènes et cohérents, à une problématique de gouvernance (fiabilité et viabilité de la gestion des capacités) et de leadership (fiabilité et viabilité des capacités de gestion). D’où mon inquiétude, chaque jour un peu plus résumée par une crainte, ainsi formulée: s’en prendre aux sacs en plastique, simples reflets amplifiés d’une réalité ensevelie sous le voile du non-dit, c’est un peu comme s’acharner à combattre telle poussée de fièvre en… cassant le thermomètre. Pas très glorieux, et d’autant moins glorieux que cela revient à casser un miroir qui ne fait que renvoyer l’image, peu reluisante, d’une réalité, peu séduisante, car traumatisante, donc choquante…

Tout ceci pour dire, concrètement, que les sacs en plastique (4) ne sont qu’un baromètre des pressions environnementales et sociales que nous, Congolais, ne maîtrisons pas. Ce qui en fait aussi, cela va de soi, un modèle de tensions, actuellement incontrôlées et incontrôlables, entre environnement global et développement local (5). D’où la nécessité, aujourd’hui pressante, si ce n’est urgente, d’intégrer les choses et leurs causes profondes dans une perspective globale, ainsi que dans la cohérence d’une vision d’ensemble.
Voici donc ce que j’avais à dire, à propos d’un sujet sensible, car des plus délicats. Cela étant: tâchons à présent d’engager, sinon un combat décisif, du moins un débat qui n’aura d’objectif que ce qu’il pourra avoir de constructif et d’instructif. Le reste, notamment la polémique dans ce qu’elle a de futile et de stérile, ne m’intéresse pas, et ne m’intéressera jamais.

Docteur Michel ODIKA
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1.   Paludisme: enjeu d’assainissement et d’aménagement du territoire .

2.   Faux médicaments: faux problème en mal de vraies solutions .

3.   Assainissement: vers une nouvelle donne .
4.  Soit dit en passant: lorsqu’on raisonne en termes de « sacs en plastique utilisés par habitant », il apparaît que les Congolais n’utilisent virtuellement pas de sacs en plastique. Contrairement aux ressortissants des pays industrialisés, pays où, rappelons-le, les sacs en plastique posent moins de problèmes environnementaux qu’au Congo. Pourquoi? Tout simplement parce que ces pays – en dépit de leur statut de producteurs de sacs en plastique – ont aussi moins de problèmes d’assainissement que le Congo. Tout simplement, oui, en précisant au passage, et à toute fin utile, qu’il s’agit d’un fait: pas d’un jugement de valeur…

5.   Bassin du Congo: enjeu écologique et géostratégique du 21 e siècle .

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