Interview de Mr Patrick KIBANGOU à Parole à l’Afrique et aux Africains

aaaakin23-8842693Parole à l’Afrique et aux Africains

Il y a quelques mois vous nous avez parlé de la situation du Congo, et vous aviez fini par déclarer un optimisme béat sur l’avenir de votre pays. C’était là vos propres termes. Que diriez-vous aujourd’hui après les événements qui se sont déroulés chez vous?

Patrick Kibangou

Optimiste, oui nous le sommes toujours, cependant nous devons savoir tirer les leçons de ces tribulations qui ont été causées du fait que nous avons mis la charrue avant les boeufs. Aux grands maux, les grands remèdes !

Rappelez-vous qu’à l’époque nous plaidions déjà pour la création d’un front unique de l’opposition avec à sa tête un seul leader, car il nous semblait raisonnable que nous nous inspirions de l’ordre pyramidal qui garantit l’équilibre, la solidité et la résistance. Nous ne comprenons pas jusque-là les raisons pour lesquelles cela ne s’est pas réalisé. D’où l’échec de cette première bataille. Heureusement que perdre une bataille n’est toujours pas synonyme de perdre la guerre. C’est plutôt le moment de prendre du recul pour mieux sauter.

PAA

Quand on regarde des images de foules enthousiasmées drainées par les leaders de l’opposition pour les meetings, on peut se demander où se trouve l’erreur?

PK

Drainer les foules c’est une chose; avoir une stratégie pour le combat et une vision pour l’après combat, dont la victoire est certaine nous n’en doutons pas un instant, en est une autre. Mais dans ce cas, nous pensons que les leaders de l’opposition, obnubilés par l’euphorie des meetings n’avaient pas une stratégie et une vision convergentes. Les résultats des événements confirment notre thèse.

PAA

Comment osez-vous dire que la stratégie n’était pas la bonne.

PK

Nous avions dit qu’ils n’avaient pas de stratégie et de vision convergentes.

Figurez-vous deux entités le FROCAD et l’IDC avec plusieurs leader à la tête, sans compter les organisations de la diaspora qui jouaient aussi leur partition de musique, avec chacun sa mélodie. L’on se croirait dans une véritable cour du roi pétaud. Une cacophonie, un tintamarre, un mode de fonctionnement propice à la trahison. Comment dans de telles circonstances peut-on espérer avoir des soutiens extérieurs? Dans de telles conditions, tout bon analyste politique sait que, nonobstant la détermination du peuple, la débâcle au combat ou un chaos après une victoire à l’arraché seront les deux issues d’une lutte dont les conséquences s’avèreront fatales pour le Congo.

PAA

La différence des idées ne peut pas être assimilée à une cacophonie, plutôt à un débat démocratique. Ne pensez-vous pas?aaaakin3-6962263

PK

Oui, nous accepterions volontiers votre remarque si et seulement si vous ajoutiez que cette différence d’idée est toujours sanctionnée par un vote ou un consensus.  Ceci permet d’aboutir à une majorité gagnante car la démocratie a pour règle la soumission de la minorité à la majorité.  C’est dommage s’il arrive que cette majorité soit formée de personnes au quotient intellectuel douteux, des personnes peu expérimentées ou de personnes corrompues. Dans ce cas, la raison et la vérité sont obligées de faire place au tord et au mensonge.  Rien n’est parfait dans ce monde, vous voyez…

Si nous devons répondre à votre question, nous dirons que la démocratie n’est pas synonyme de désordre. Or nous observons un manque d’organisation hiérarchique dans l’opposition, un manque de communication, donc par ricochet un manque de débat franc pour trouver des consensus. Tout ceci nous donne l’impression qu’il y a manque de stratégie et de vision commune dans l’opposition.

PAA

Avec de telles déclarations, vous ne pensez pas que vous faites aussi parti de ce tintamarre?

PK

Nous ne pensons pas. S’il en est ainsi, c’est à vous de juger. Mais posez-vous aussi la question, à qui la faute? Pour notre part, nous nous arrangeons à ne pas faire des déclarations ou d’écrire des articles qui vont à l’encontre des actions des leaders de l’opposition, parce qu’il y a certainement des éléments de la lutte que nous ne maîtrisons pas. Pourtant notre modeste expérience politique en Europe nous a appris que le succès vient aussi de l’organisation et de la communication. C’est pourquoi nous nous sommes mis en rang, discipliné derrière ces leaders qui incarnent notre noble lutte. Pourtant, cela ne nous empêche  pas de faire  partager nos inquiétudes et notre pragmatisme.

Ce qui nous intrigue c’est de savoir que certains leaders de l’actuelle opposition, connaissent bien Sassou Nguesso pour avoir été parmi ses proches collaborateurs. Ils savent que c’est un dictateur des plus costauds de sa génération. Un homme qui a connu autant de rivalités et qui peut voir venir d’autres batailles sans cligner des yeux, parce qu’il dispose de moyens financiers colossaux et un lobby partout dans le monde qui lui est acquis. C’est une personne qui sort du lot, un caïd; mais cependant pas invincible, à condition de respecter cette règle sacrée qui stipule; à tout homme qui sort de l’ordinaire, il faudra toujours opposer une organisation et une stratégie extraordinaires. Cela doit logiquement commencer par lui imposer l’alter ego du peuple, ce chef de l’opposition qui fera l’unanimité sur le plan tant national qu’international, celui qui servira de foyer qui sera le réceptacle ou seront déversés toutes les doléances du peuple, celui sur lequel tous ses espoirs seront dirigés, l’homme avec qui Sassou devra désormais négocier pour trouver des solutions liées à la volonté du peuple.

PAA

Vous êtes sévère avec les leaders de l’opposition, pourquoi et qu’attendiez-vous d’eux?

PK

Sévère? C’est vous qui le dites. Pourtant je ne fais qu’un constat.

Rendez-vous compte qu’il y a des personnes qui ont perdu la vie. Des jeunes qui ont accepté le sacrifice suprême parce qu’ils voulaient juste d’un Congo meilleur. Les leaders de l’opposition ont-ils une part de responsabilité dans ses massacres? L’avenir nous le dira.

Il est vrai que l’opposition est encore en voie de mûrissement, et qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire, car au moment où nous parlons, ils sont plusieurs leaders à l’opposition, et aucun d’eux n’a vraiment pu émerger devant tout le peuple et dans l’arène internationale. Pourtant l’opposition doit se rappeler que le temps autant que l’organisation, la modestie, l’altruisme, compte aussi parmi les facteurs importants dans un combat. Ils doivent sans cesse chercher des réponses ou des solutions à ce qui les empêche d’avancer. Cela ne fait aucun doute, que la question de leadership est à l’ordre du jour; oui le manque de leadership, c’est là un des problèmes majeurs de l’opposition qui doit trouver le fer de lance de sa lutte. Voilà là où l’opposition a probablement péché.

Le peuple commence à s’impatienter. L’opposition se doit de lui trouver par consensus ce leader qui les conduira à la victoire finale.

PAA

Que doit alors faire le peuple par rapport à l’irresponsabilité de certains de ces leaders? Rappelons que toute la classe politique confondue considère ce peuple comme à la limite lâche, peu intéressé à son sort et manipulable.

PK Le peuple Congolais a toujours été considéré par le pouvoir ou mieux, par la majeure partie de la classe politique congolaise comme un peuple lâche, poltron, véritable troupeau de moutons de panurge que l’on peut manipuler à sa guise. Mais non! Cette classe politique semble avoir la mémoire courte car elle oublie que tous les mouvements qui ont créé des profonds bouleversements au Congo avaient toujours été initiés par ce même vaillant peuple. Malheureusement, tous ces événements avaient été au final récupérés par des hommes politiques véreux, véritables imposteurs qui par pur égoïsme et avidité de pouvoir finissaient par confisquer les acquis de ces mouvements, brisant ainsi sans gêne ni remords les espoirs du peuple souverain.

PAA

Si ces mouvements étaient à chaque fois récupérés par des politiciens véreux, c’est peut-être parce qu’il n’y avait pas de suivi de ces acquis ?

PK L’exemple peut être illustré par ceux qui avaient trahi hier les acquis de la conférence nationale souveraine, en prenant les armes pour écarter un président démocratiquement élu et ensuite installer par des élections frauduleuses un homme qui avait pourtant été désavoué par le peuple. Ils ont ensuite fait voter une constitution que même ce dernier et ses partisans reconnaissent aujourd’hui comme étant médiocre. Car voyez-vous en dépit des pouvoirs exhorbitants qui lui y étaient attribués, il y avait  des verrous prévus qui empêchaient toute possibilité de confiscation au bout de deux mandats. Cela réjouissaient sans doute ceux qui espéraient lui succéder le moment venu. Mais hélas ils ont tous déchanté. Et nous revoilà ainsi à la case départ avec ces mêmes personnes en train de condamner la persistance de ce système qu’ils ont hier ramené et soutenu. Ils étaient pourtant bien  conscients du fait que ce système incarne le crime, la tyrannie, la gestion calamiteuse et clanique de la chose publique, l’esprit de division et de tribalisme vernissé, bref un système d’antivaleurs qui ne sauraient permettre  aux populations de se projeter face aux défis du futur. Se confirme par là le proverbe: “un diable mal chassé lors d’un exorcisme revient sept fois plus mauvais qu’il ne l’était”. Les croyants saisiront peut être mieux la profondeur de ce proverbe.

Aujourd’hui, c’est au peuple encore qu’on appelle à l’esprit de patriotisme et d’abnégation.

Devant la versatilité de certains politiques congolais, nous sommes en droit de nous demander: – quel sera le prix à payer pour réparer cette grosse bêtise qui était de permettre au dictateur de revenir au pouvoir? – qui réglera la facture du temps perdu et des générations sacrifiées? – qui assumera historiquement cette bévue? Qu’à cela ne tienne, puisque seul les « incorrigibles » ne changent jamais, car pour changer, il faut jouir d’une intelligence capable de déceler ses erreurs et une maturité d’esprit qui permet de les corriger. Mieux vaut tard que jamais.

PAA

Reconnaissez que pendant toute cette période le peuple est resté calme, passif malgré toutes les injustices sociales, la mal gouvernance et même des élections présidentielles frauduleuses. C’est incroyable quand même!


PK
La vérité réside dans le fait que pour avoir souvent été trompé, le peuple avait fini par ne plus avoir confiance aux hommes politiques congolais. Il ne savait plus à quel saint se vouer. Voilà pourquoi devant tant de trahisons orchestrées par ses leaders, ce peuple est resté pendant tout ce temps, non pas passif comme vous l’insinuez, mais disons plutôt dans l’expectative, c’est à dire dans l’attente d’une nouvelle classe politique formée de jeunes leaders à l’esprit cartésien et républicain. Ce vieux système composé de dinosaures non réformables accrochés au pouvoir ou parfois à une pseudo opposition, selon la volonté du tyran, ne s’effondrera pas facilement d’autant plus que ces personnages, pour des raisons purement égoïstes et opportunistes, entendent continuer leurs carrières médiocres politiques, jusqu’à leur dernier souffle.

PAA

Vous insinuez que c’est par la faute des leaders de l’opposition que monsieur Sassou se maintient encore au pouvoir?

PK Très bonne question, difficile à répondre en une phrase… C’est vrai qu’il était temps que certains politiques dont messieurs Okombi Salissa, Parfait Kolelas, le professeur Bowao, Blanchard Oba, Claudine Munari et bien d’autres politiciens courageux quittent cette fameuse mouvance présidentielle pour aider la vraie opposition et le peuple à sortir de la servitude. Les résultats ne se sont pas fait attendre. Aujourd’hui la grogne du peuple avant et après la mascarade du référendum est suivie dans toutes les grandes chancelleries du monde. Dorénavant, ceux qui protègent Sassou hésitent, car ils savent que c’est probablement la tricherie de trop. Ils ne pourront pas indéfiniment soutenir un homme désavoué par son peuple qui ne demande tout simplement que la justice et la démocratie, des mots sacrés, auxquels Sassou n’a plus d’autres arguments que de répondre cyniquement par des balles réelles et des bombes lacrymogènes. Voyez-vous qu’il ne s’agit plus de bavures de policiers ou militaires à la solde du pouvoir, mais plutôt d’actes prémédités condamnables et condamnés par les lois universelles. Objectivement, Sassou n’a jamais été autant affaibli et désapprouvé par ceux qui le soutiennent. La question est de savoir: – que doit-on encore faire subir au peuple congolais pour que les dirigeants  politiques français comprennent que les dividendes liées à la vente du pétrole congolais que Sassou Nguesso leur verse à sa guise, ne sauraient être une raison pour le laisser régner indéfiniment  et continuer à fermer les yeux sur les exactions dont est victime un peuple qui n’aspire qu’à la justice, à la démocratie et à des meilleures conditions de vie. – que doit encore faire le peuple pour que les occidentaux condamnent fermement les actes anti démocratiques et barbares du pouvoir et qu’il arrête ce spectacle macabre?

Pourtant le peuple a fait sa part d’effort, sa part de devoir qui est de créer les conditions favorables à la chute du dictateur. Seulement il reste que les leaders de l’opposition doivent transcender leur ego pour se mettre au service de ce peuple. De toutes les façons, au point où nous en sommes, ils n’ont aucune sortie. Les jeux sont faits. Chaque volte-face ou rétropédalage aura pour but de les affaiblir, de les isoler et de les exposer au rouleau compresseur sadique et infernal du pouvoir. Nous répétons qu’ils se doivent de trouver ce fameux chef de l’opposition qui sera le porte étendard de la lutte, celui qui se chargera d’entretenir la flamme de la révolte qui brûle dans les cœurs des populations, par une communication hardie , des déclarations et informations dans les médias et le net, nous en avons parlé dans notre dernier article publié à www.dac-presse.

La réalité est que c’est le peuple qui par la voix de son leader aura le dernier mot, car au vu de la situation actuelle, Sassou est sur une chaise éjectable, et ce futur leader de l’opposition sera celui qui détiendra la clé pour l’actionner.


PAA

Comment le peuple peut t’il avoir le dernier mot.

PK
Ecoutez, Sassou Nguesso sait pertinemment qu’il est un homme politique impopulaire et fini. Un homme du passé qui n’a plus rien à proposer à la nation congolaise, sinon la misère et l’injustice mêlées de sang et des larmes. Les récentes démonstrations des populations en sont une illustration. Néanmoins pour avoir régné pendant 32 ans sans partage, il en a pris goût. Il se croit irremplaçable oubliant que le peuple espérait qu’il partirait dans la paix comme il l’avait promis dans ses différents discours sur le respect de sa fameuse constitution de 2002 et qu’ensuite un leader digne allait prendre les rênes du pouvoir pour créer les fondements d’une nouvelle république démocratique dont l’égalité, la justice et la paix en seraient le socle. Or il s’est avéré que le président est resté fidèle et scotché à son esprit belliciste et d’escroc politique. D’où la nécessité pour ce peuple de chercher et de se doter d’un leader charismatique  capable de canaliser son mouvement pour le chasser du pouvoir par tous les moyens, car mobilisé et déterminé, le peuple l’est déjà.

PAA

Mais…

PK

Malheureusement il nous semble que ce peuple devient l’otage d’une lutte silencieuse de leadership qui a lieu au sommet de sa hiérarchie. Certains leaders de l’opposition se voient déjà dans la peau du futur président de la république avant les élections, alors que d’autres profitent de la situation pour se faire “nguiriser” et améliorer leur niveau de vie au détriment de celui du peuple qu’ils prétendent pourtant représenter. Beaucoup se voient des ministres; bref, ils se partagent déjà la peau du loup avant de l’avoir tué. Entre temps le peuple attend leur mot d’ordre dans la misère et le danger permanent. Nous osons espérer qu’ils comprennent qu’au jour d’aujourd’hui, les choses ont changé et que c’est le peuple qui décidera au moment opportun du sort de chacun d’eux. Les populations sont mûres et prêtes à verser plus de sang et de larmes si telle est la volonté du dictateur. Elles sont convaincues que la misère et l’injustice font partie de l’épopée du dictateur, dont la fin sera marquée par son départ de gré ou de force. Pour se faire, ce peuple est à la recherche d’un leader qui parlera en son nom et qui sera capable de le mener à la victoire finale.
PAA
Un départ de gré ou de force? La nouvelle constitution a déjà été promulguée, à voir les choses, il ne reste probablement plus que la force pour faire partir votre fameux dictateur?

PK Vous avez raison de dire que le pouvoir essaie de s’imposer par l’intimidation et la force. Il reste dans sa logique de la confiscation de la démocratie et de la création d’une dynastie «Sassouiste » autour d’une famille et d’un clan. Les congolais ne sont pas dupes. Ils ont compris leurs idées machiavéliques qui sont de faire de leur tribu les intellectuels d’une classe dominante; quant aux autres populations, celles du centre et de la partie sud du pays, les gens de deuxième catégorie à la limite des esclaves. C’est une politique ignoble dont les résultats seront très bientôt désastreux pour le dictateur et son clan. Cependant le pouvoir a probablement oublié, non seulement où se trouve toute l’activité économique du Congo, mais mieux semble ne pas se rendre compte que les congolais face à l’humiliation et la souffrance sont depuis vaccinés de la peur du sacrifice suprême. Si c’est dans ses conditions que ce pouvoir compte continuer à diriger le Congo, nous pensons qu’il se trompe d’époque, car le monde est en perpétuel mouvement, en constant changement et les populations font partie de cette dialectique.

PAA

Vous n’avez pas répondu à la question de savoir si la force est l’ultime option pour le changement.

PK.

(à lire dans la deuxième partie…)

Patrick KIBANGOU