INTERVIEW EXCLUSIVE de André OKOMBI SALISSA ''Tout Bouge''. (Intégralité)

«  Non, il n’a pas été élu. Il a proclamé les résultats tard dans la nuit, pendant que les populations dormaient. Le lendemain, toutes les rues fourmillaient d’agents le doigt sur la gâchette. Vous voyez il n’a pas été élu. […] Par tous les moyens, j’en appelle à l’alternance démocratique. » André Okombi Salissa.

Les choses vont très mal entre Sassou Nguesso et son ancien bras droit André Okombi Salissa. Ils ont combattu le régime de Lissouba ensemble et ont gouverné pendant quinze ans. Ambition personnelle ou respect de la démocratie, André Okombi Salissa s’est éloigné de son mentor et a été son plus farouche opposant dans la démarche de changement de la constitution pour se maintenir au pouvoir. Depuis l’annonce des résultats le 4 avril 2016, personne ne sait où le trouver. Les troupes de Sassou Nguesso le recherchent sur tout le territoire national. Coup de théâtre, le 21 novembre 2016, la justice aux ordres du pouvoir de Brazzaville a annoncé à la soviétique avoir trouvé des armes dans un domicile appartenant à son épouse.

Il n’est cependant un mystère pour personne que Sassou Nguesso veut en découdre avec ceux qui n’ont pas reconnu sa victoire auto-proclamé aux élections présidentielles du 20 mars 2016. Tous les opposants sont de fait assignés a résidence et surveillés. D’autres sont emprisonnés ou hospitalisés après des tortures féroces. André Okombi Salissa représente un véritable danger pour le régime parce qu’il est issu de la région le plus peuplée du Congo, qui fait le lien entre le nord et le sud du Congo. Il est âgé de 55 ans et croit en l’avenir. Sassou Nguesso, qui travaille pour frayer un passage à son fils veut mettre hors d’état de nuire tous ceux qui pourront contrer ses projets dynastiques. Nous avons joint André Okombi Salissa au téléphone, voici son propos.

AFRIQUE EDUCATION : Monsieur André Okombi Salissa, avant votre interview chez nos confrères de RFI, de nombreuses rumeurs circulaient et circulent encore à votre sujet depuis que vous avez décidé de ne plus donner des nouvelles. Certains vous situent à l’étranger, tandis que d’autres vous croient au Congo. Pouvez-vous nous dire où vous êtes en ce moment précisément ?

AOS : Le monde est devenu petit. Pour ceux qui vont et viennent, on les situe un peu partout. Cela me semble être le cas.

AFRIQUE EDUCATION : Comment expliquez-vous votre absence et surtout votre silence dans la situation politique actuelle ?

AOS : Une parodie d’élection présidentielle, dans le contexte d’un constitution imposée par les armes, a donné naissance à un régime brutal, qui invente chaque jour son itinéraire et sa destination. Les antagonismes ethniques sont attisés comme jamais auparavant, L’Etat est réduit à être l’instrument de la répression aveugle du peuple, entendu comme les autres ethnies. J’ai pris de la distance pour saisir l’ampleur et la gravité de la situation.

AFRIQUE EDUCATION : Votre résidence a été détruite pendant votre absence par les agents des forces de l’ordre qui la surveillaient et croyaient vous y tenir prisonnier. Avez-vous eu peur pour votre vie ?

AOS : Dès le 04 avril 2016, ma résidence avait été prise d’assaut par des agents en uniforme et en armes, qui ne m’ayant pas trouvé, ont tout détruit. Des heures avant, des amis au sein du pouvoir avaient cru bon de me sauver la vie et m’avaient signalé l’imminence d’une atteinte à mon intégrité physique. J’ai pris des précautions, je leur dois d’être en vie. De nombreux congolais sont morts en octobre 2015 dans le silence. Des centaines de dépouilles n’ont pas été remises aux familles pour dissimuler le crime. J’espère que cela intéressera un jour la justice de notre pays.

AFRIQUE EDUCATION : A ce propos, les autorités congolaises ont déclaré avoir trouvé des armes dans une maison appartenant à votre épouse. Elles ont lancé contre vous des accusations de détention illégales d’armes de guerre et atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat. Qu’en dites-vous ?

AOS : Cela n’est pas sérieux. On ne peut pas à ce point ridiculiser la justice de notre pays à la face du monde. Ce qui reste des magistrats professionnels et sérieux dans notre pays ne supportent plus cette infantilisation, cette instrumentalisation de la justice aux fins de règlements de comptes politiques. J’ai été parmi les onze membres du secrétariat permanent du parti et pendant quinze ans consécutifs, membre du gouvernement. Certains au sein du pouvoir me reprochent de n’avoir pas cautionné le complot et le coup d’état d’octobre 2015. Ils me reprochent de ne pas être avec eux sur le banc des accusés de l’histoire. Ma conscience est tranquille.

AFRIQUE EDUCATION : Vous dites que les accusations des autorités congolaises ne sont pas fondées, le procureur de la République a-t-il présenté des preuves ?

AOS : On en a vu d’autres dans ce pays ! Avec les mêmes ! Voyez-vous, le procureur a invité la presse d’Etat dans ses bureaux pour lui présenter des pseudo-preuves. Personne n’a la preuve de la provenance des objets qu’il a présentés. Le domicile qui serait prétendument le lieu de cette trouvaille et qui est attribuée à mon épouse ne lui appartient aucunement. Toutes mes propriétés avaient été perquisitionnées répétitivement et avec acharnement depuis octobre 2015 et courant 2016, on n’y avait rien trouvé. La démonstration faite à la télévision ne convainc que ceux qui l’ont conçue. D’ailleurs, elle n’est faite que pour eux-mêmes, pour la bulle qui leur tient lieu de réalité.

AFRIQUE EDUCATION : Allez-vous répondre à la justice ?

AOS : J’ai entendu que le procureur avait l’intention de saisir un juge d’instruction. Le débat judiciaire, que je sache, obéit à des règles qui permettent l’éclosion de la vérité. J’apporterais mon concours à la manifestation de la vérité le cas échéant. Mais je dois tout de même signaler que s’il y a un peu de sérieux dans tout ceci, c’est à moi qu’on devrait commencer par rendre justice. Depuis le mois d’octobre 2015, j’ai été systématiquement pris en otage par les forces de l’ordre dans ma maison, avec la privation de tout contact humain et l’empêchement des approvisionnements. Tous mes biens meubles et immeubles ont été mis à sac. Personne n’a rien dit.

AFRIQUE EDUCATION : Comment répondrez-vous à la justice ? La guerre du 5 juin avait éclaté parce que Sassou Nguesso avait refusé de livrer deux suspects recherchés par la justice congolaise. Vous étiez son compagnon de lutte et certains redoutent la répétition de l’histoire.

AOS : A tort ! Je suis citoyen comme tous les autres. Ma vie est en danger, mais je n’ai pas de résistance à opposer ni à la justice, ni aux forces de l’ordre. Ceux qui veulent occulter le débat sur le chaos social, économique et politique qu’ils ont créé ne doivent pas compter avec des bassesses de notre part. Le Congo va très mal, ils en sont responsables. J’avais refusé de participer au coup de force préconisé contre la constitution parce que je voyais où cela nous conduirais. Par tous les moyens, j’en appelais à l’alternance démocratique. Un autre camarade aurait pu pendre la direction du parti et en cas de victoire électorale, diriger les affaires de l’Etat. D’aucuns ont préféré le coup d’état. Ils doivent l’assumer.

AFRIQUE EDUCATION : Pour être précis, vous ne reconnaissez pas la victoire proclamée de Sassou Nguesso aux élections présidentielles du 20 mars 2016 ?

AOS : Non, il n’a pas été élu. Il a proclamé les résultats tard dans la nuit, pendant que les populations dormaient. Le lendemain, toutes les rues fourmillaient d’agents le doigt sur la gâchette. Vous voyez il n’a pas été élu. Comment expliquer les exactions que ce pouvoir mène contre le peuple si ce n’est parce qu’il veut s’imposer au peuple ? Toutes sortes d’engins sont utilisés pour intimider et réprimer les populations partout dans le pays. Ce n’est pas le comportement d’un gouvernement légitime.

AFRIQUE EDUCATION : Que dites-vous de vos compagnons de l’opposition qui ont reconnu la victoire de Sassou Nguesso, alors que votre charte de l’opposition prévoyait le contraire ?

AOS : Nous avons fait le plus dur en octobre 2015 pour rendre le pouvoir illégitime à la face du monde. Le pouvoir a été sérieusement fragilisé et s’est réfugié dans la brutalité des armes. Il nous restait à continuer à lui imposer la force inébranlable des principes et des valeurs. Au lieu de cela, certains ont choisi de se désolidariser de notre cause pour épouser celle que nous combattions ensemble. Les congolais apprécieront.

« Nous avons ensemble combattu le régime du président Pascal Lissouba pour peu que ce que nous voyons aujourd’hui. Ne pas résister aujourd’hui. Ne pas résister aujourd’hui, c’est faire deux poids deux mesures. La démocratie c’est un bien commun transcendant. C’est ma vision. » AOS.

AFRIQUE EDUCATION : Depuis octobre 2015, vos proches et vos collaborateurs sont persécutés avec virulence. Toute votre famille s’est réfugiée en France et certains collaborateurs se sont exilés. Comment vivez-vous cette situation ?

AOS : Je n’aurai jamais cru que la lutte que nous menions pour la démocratie en 1997 aboutirait à ce résultat indicible. Le pouvoir PCT a sapé les fondations de l’Etat de droit et de l’Etat tout court. Jamais un pouvoir ne s’était à ce point coupé du pays et des réalités. L’arbitraire règne partout, sans exception. Nous avons le record des prisonniers politiques en Afrique et des brutalités policières. Des amis du parti qui ont eu de mal à accepter mon choix commencent à comprendre ma de distance avec des pratiques contraires à la responsabilité politique. Nous avons ensemble combattu le régime du président Pascal Lissouba pour peu que ce que nous voyons aujourd’hui. Ne pas résister aujourd’hui. Ne pas résister aujourd’hui, c’est faire deux poids deux mesures. La démocratie c’est un bien commun transcendant. C’est ma vision.

« Si l’on n’y prenait garde, le total des victimes par cumul depuis 1998 placera de nombreux acteurs sous le coup d’une responsabilité pénale nationale et internationale imprescriptible. Les critères du génocide sont réunis. Je suis solidaire des populations et je pense que la communauté internationale devrait être plus vigilante. » AOS


AFRIQUE EDUCATION : Le département du Pool est de nouveau plongé dans la violence armée. Quelle est votre approche du conflit ?

AOS : C’est le déshonneur de notre famille politique. Là encore, nous avons battu de belligérance. Les hostilités ont commencé le lendemain des résultats proclamés dans la nuit du 04 avril. C’est clair que c’était une manœuvre pour détourner l’attention, et surtout pour empêcher le soulèvement populaire. Le gouvernement a déployé des engins de guerre dans le département contre les populations civiles. Cela donne lieu à des barbaries, au pillage et aux abus de tous genres. Si l’on n’y prenait garde, le total des victimes par cumul depuis 1998 placera de nombreux acteurs sous le coup d’une responsabilité pénale nationale et internationale imprescriptible. Les critères du génocide sont réunis. Je suis solidaire des populations et je pense que la communauté internationale devrait être plus vigilante.

AFRIQUE EDUCATION : Vous avez lancé un appel au dialogue sur RFI. Allez-vous prendre part au dialogue du  »vivre ensemble » promu par le gouvernement ?

AOS : Lorsqu’il n’est pas un slogan, le dialogue est toujours une bonne chose. Cela dépend de l’ordre du jour et des interlocuteurs en présence. Nous sommes un même peuple, nous pouvons nous parler.

« L’IDC, le FROCAD et la composante J3M se coordonnent parfaitement sous la direction de Charles Zacharie Bowao. » AOS

AFRIQUE EDUCATION : Pour mieux vous faire entendre, n’est-il pas mieux d’avoir un seul leader ?

AOS : Nous n’avons pas ce problème. L’IDC, le FROCAD et la composante J3M se coordonnent parfaitement sous la direction de Charles Zacharie Bowao. Nous mutualisons nos moyens et nos plans d’action pour une meilleure efficacité. Nous aviserons si d’autres besoins se faisaient jour.

AFRIQUE EDUCATION : Vous êtes le président en titre de l’IDC, l’Initiative pour le Démocratie au Congo. La présidente du FROCAD, Claudine Munari, a appelé à la libération du Congo. Est-ce que l’IDC répond favorablement à cet appel ?

AOS : Claudine Munari est une femme lucide, elle se bat avec courage et détermination pour la démocratie. Nous sommes partenaires dans le cadre de l’alliance de nos plateformes respectives. Je suis personnellement solidaire de son combat, qui est aussi le mien. Pour les modalités et les moyens de lutte, l’IDC avisera en temps utile.

AFRIQUE EDUCATION : Face au silence de la communauté internationale, quel est l’avenir du Congo ?

AOS : L’action internationale est lente, mais efficace. Le régime de Brazzaville est isolé partout dans le monde. Il ne pourra pas survivre dans l’autarcie actuelle. Sa survie intérieure repose sur les armes. On ne peut pas régner par la force indéfiniment, parce que nul n’est jamais assez fort pour être toujours plus fort.

AFRIQUE EDUCATION : Quelles sont vos prochaines actions d’opposition.

AOS : Nous aviserons.

Propos recueillis par Aristide Koné et Ghislain Omeng.

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