Après l’élection du 20 mars 2016 et la nomination du nouveau gouvernement qu’adviendra-t-il des opposants qui refusent de reconnaître la victoire du président Sassou ?
Jean Marie Michel Mokoko : Votre question est pertinente parce que un pays comme le Congo, l’Etat de droit pose réellement problème et nous nous trouvons dans une situation de violation quasi permanente des lois et règlements de la République particulièrement de la Constitution qui est en fait un texte sacré. La situation d’un opposant dans ce contexte n’est pas facile surtout lorsqu’il conteste une élection présidentielle. Ainsi, depuis plus d’un mois, nous sommes deux candidats assignés à résidence surveillée sans une autre forme de procès. Le comble c’est que l’on va jusqu’à nous interdire l’approvisionnement en vivres y compris en médicaments, un comble ! Plusieurs opposants parmi lesquels beaucoup de nos collaborateurs, proches et des partisans des partis de l’Opposition sont arrêtés et détenus arbitrairement.
Tout cela s’apparente à un chantage éhonté pour espérer obtenir de nous, la reconnaissance des résultats d’un scrutin que j’ai personnellement publiquement contestés dès les 1ères annonces du Ministre de l’intérieur. Des Congolais se sont levés en dépit du climat de peur généralisée – savamment entretenu- qu’on leur impose pour barrer la route au coup d’Etat Constitutionnel que le pouvoir orchestre depuis le référendum illégal du 25/10/15 et le holdup up électoral du 20 mars2016. La nomination du Gouvernement est donc pour moi – conséquence logique – une forfaiture de plus, considérée comme telle y compris au-delà de nos frontières. Dans ce contexte et tenant compte des lois et règlements de la République qui garantissent la liberté de circulation, d’expression, de réunion, de manifestation, et d’association les opposants ont l’impérieux devoir de poursuivre leur combat pour :
– L’affirmation de la vérité des urnes, expression incontestable de la souveraineté de notre peuple;
– La restauration de la démocratie ;
– Le respect de l’ordre constitutionnel ;
– L’alternance démocratique ;
– La libération des détenus politiques qui croupissent du fait de la volonté de puissance d’un pouvoir en réalité aux abois, dans les geôles de la Direction Générale de la Surveillance du Territoire, les commissariats de Police et la Maison d’arrêt.
– La sensibilisation de la population congolaise et de la Communauté Internationale sur la situation du Congo.
– La proposition des solutions idoines et appropriées de sortie de crise.
En ce qui me concerne personnellement, j’entends agir et tout mettre en œuvre pour le changement et la rupture. Et dans ce cadre, je suis prêt à faire en concertation avec d’autres leaders politiques et de la Société civile des propositions de solutions de sortie de crise.
D’aucuns disent que Paris et Washington ne reconnaissent pas la victoire du président SASSOU qu’elle analyse faites-vous de ces allégations.
Jean Marie Michel Mokoko : A mon avis, ne pas reconnaître la victoire de Mr Denis Sassou Nguesso à l’élection du 20 Mars 2016 par Paris et Washington ne peut pas être assimilé à des simples allégations d’autant plus que leurs déclarations respectives l’explicitent. En effet, le refus des Etats-Unis est en cohérence avec leurs idéaux démocratiques exprimés dans le site Web du département d’Etat qui, indique clairement qu’il est fondamental pour leur propre intérêt de soutenir tous ceux qui embrassent les valeurs démocratiques de manière authentique et exclusive et de s’opposer à toutes tentatives de tout groupe politique de restreindre les droits humains et politiques des autres par la force. Les États-Unis qui ont appelé avec insistance, mais en vain, le gouvernement congolais à corriger les nombreux manquements relevés avant la tenue de l’élection du 20 Mars 2016 et à respecter le droit du peuple à la liberté d’expression, de mouvement et d’association avaient toutes les raisons nécessaires de mentionner le manque de crédibilité de ladite élection.
La France qui a une longue tradition dans la défense des droits de l’homme et de l’Etat de droit a, à la veille de l’élection, exigé du Gouvernement Congolais de reconnaitre l’obligation qui est la sienne de garantir à ses citoyens le droit à une élection libre, transparente, juste et équitable. C’est ainsi qu’après l’élection présidentielle du 20 Mars 2016, le porte-parole du Quai d’Orsay a exprimé les regrets de la France dans les termes suivants : « Les conditions d’organisation du scrutin présidentiel au Congo, notamment la coupure des communications pendant l’essentiel des opérations de vote et de dépouillement, ne permettent pas d’en apprécier les résultats officiels », et de poursuivre qu’en l’absence « d’une transparence suffisante pour certifier la crédibilité des résultats, la France encourage les autorités du Congo au respect, au dialogue et au rassemblement de l’ensemble des sensibilités politiques du pays ».
Au regard de ces déclarations des officiels français Il est évident que la France récuse les résultats de cette élection qui, d’ailleurs, selon Radio France Internationale s’est déroulée à huis clos. L’Union Européenne note que les réformes introduites par la loi électorale du 23 janvier 2015 ne prennent pas suffisamment en compte ses recommandations, manquent de transparence, et ne rassurent pas sur le caractère démocratique, inclusif et transparent de l’élection présidentielle anticipée Du 20 mars 2016.
C’est dans ces conditions que l’Union Européenne fait état « de nombreux rapports d’irrégularités, qui constituent une source d’inquiétude quant à la crédibilité du processus, y compris l’embargo de communication pendant le déroulement du scrutin, l’environnement médiatique déséquilibré et restrictif, la disparité significative dans l’accès aux ressources de l’Etat, une période courte pour la préparation des élections, et les restrictions sur les libertés d’expression, de communication et d’association dans la période pré-électorale ». En conséquence, l’Union Européenne n’a pas jugé utile d’envoyer une équipe d’observateurs pour une élection biaisée d’avance.
Comme je viens de le mentionner plus haut, les Etats Unis, la France et l’Union Européenne et d’ailleurs toute la communauté internationale ont belle bien rejeté les résultats publiés par le gouvernement exprimant par là le refus de reconnaissance de la victoire électorale de Candidat Denis Sassou Nguesso.
Nous autres leaders politiques tirons notre force du peuple congolais, qui tout au long de ces derniers mois a fait montre de courage et a donné la preuve de son profond attachement au changement démocratique. Il est réconfortant de constater que malgré les intimidations il persévère en ces temps difficiles du lendemain du holdup électoral grossièrement orchestré, dans cette attitude.
On parle de massacre dans le pool et de résistants Ntsiloulou qui infligent des pertes à une armée qu’il qualifie de milice d’occupation qu’elle analyse faites-vous de la situation.
Jean Marie Michel Mokoko : La situation dans le pool est très préoccupante parce qu’elle devient récurrente et laisse un goût amère pour tout humaniste et pour tout congolais qui aime son pays. Pour bien l’analyser, il faut jeter un regard sur la période post-électorale. On peut relever entre autres ceci :
– Le 24 mars à 3 heures, le Ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation donne des résultats partiels de l’élection présidentielle.
– Le 04 avril, il y a une coïncidence curieuse entre les attaques perpétrées par des soit disant Ninjas Nsiloulou du Pasteur Ntoumi et la proclamation des résultats définitifs de la Présidentielle par la Cour Constitutionnelle.
Il s’en est suivi une situation très préoccupante faisant état d’affrontements avec engagements des hélicoptères de combat dont les dégâts sur les populations sont inévitables. Prétendre qu’il s’agit des objectifs ciblés et qu’il n y a pas de morts, de déplacés et des sans abri c’est faire injure à l’ensemble de nos populations qui n’aspire qu’a vivre en paix. D’aucuns ont parlé d’une guerre a huit clos, a l’ère du portable et des nombreux médias et des systèmes de captation satellitaire il est naïf de croire que de telles opérations puissent se dérouler à huit clos.
Selon la plainte introduite par les avocats qui se sont constitués partie civile, les bombardements qui font de nombreux dégâts matériels et humains se déroulent dans les villes de Mayama, Loumou, Missafou, Ngoma tsié-tsié, Kibouende, Soumouna, Kibossi, et Vinza. La gravité de cette situation dramatique du pool doit retenir l’attention de toute la communauté internationale qui doit exiger que les « institutions internationales en fassent la lumière en urgence. Contrairement à la version officielle qui semblait indiqué que ces bombardements étaient ciblés des voix se sont élevées pour accuser l’armée de s’attaquer aux civils dans la région du Pool.
D’autres voix ont dénoncé une diversion et une opération à huis clos avec des difficultés d’assistance humanitaire et sanitaire. Je m’associe à toutes les voix qui se sont élevées et qui s’élèvent pour demander l’arrêt immédiat des violences dans le Pool. J’espère que l’Union Africaine, l’Union Européenne, l’ONU, La France et les États-Unis (en tant que membres permanents du conseil de sécurité) se coaliseront et œuvreront pour obtenir l’ouverture d’une enquête internationale. L’absence d’une telle enquête et surtout le silence dans une telle affaire constituerait un précédent fâcheux et renforcerait le sentiment d’impunité qui mine déjà notre communauté nationale. Ce qui dans la mémoire collective de notre peuple serait en contradiction flagrante avec l’engagement moral qu’au plus profond de nous-mêmes nous avions tous pris au sortir du drame national de la guerre civile de 1997 à savoir : “ plus jamais Ça ”
L’agence de notation Moody’s vient d’abaisser la note du Congo. Pensez-vous que dans un contexte politique aussi difficile le gouvernement congolais aura les coudées franches pour appliquer la politique du président Sassou ?
Jean Marie Michel Mokoko : A ce propos, l’on ne peut que déplorer le grand silence du Gouvernement sur la situation financière préoccupante du Congo et le fait que les médias d’Etat n’aient pas daigné évoquer la question est en lui-même assez illustratif de l’état d’esprit dudit gouvernement.
En effet, l’agence Moody’s vient en l’espace de deux mois (mars et avril) d’abaisser la note du Congo. Elle est d’abord passée de « Ba3 » à « B1 » pour descendre ensuite à « B2 » et est désormais à deux crans à peine au-dessus de la catégorie « C » qui rassemble les obligations comportant des « risques substantiels ».
Moody’s prédit que les ressources fiscales du Congo risquent d’être épuisées à la fin 2017. Comme vous pouvez vous en douter, cette situation est à la fois grave et préoccupante.
En cause on note particulièrement :
– La mauvaise gouvernance politique, économique, budgétaire et sociale pratiquée par le Gouvernement qui a rendu le contexte politique difficile en imposant un changement anticonstitutionnel de la Constitution et en bouleversant le calendrier électoral dans le simple dessein de demeurer au pouvoir ;
– La détérioration des comptes publics dans un contexte de forte baisse des prix pétroliers, laquelle a entrainé la chute des revenus pétroliers. Lesquels représentent 70% de son budget et environ 80% de ses recettes d’exportation.
– Une pression sur la liquidité d’Etat qui se caractérise par une hausse des besoins de financements du Gouvernement, laquelle s’est traduite par une hausse du déficit public ;
– L’explosion de la dette du pays qui était de l’ordre de 21% du Produit intérieur brut en 2013 et est attendue à près de 54% en 2016.
Cette question requiert une attention particulière, surtout lorsque l’on sait que le Congo a atteint le point d’achèvement de l’initiative pays pauvres très endettés (IPPTE) du FMI en 2010 et que l’on aurait dû avoir depuis une politique prudente d’endettement. Or à quoi avons-nous assisté ?
A :
– Des choix économiques peu judicieux ;
– Aucune considération sur la qualité de la dépense ;
– L’incapacité de réaliser la diversification économique en 32 ans de pouvoir ;
– Le manque de volonté politique réelle de lutter contre les antivaleurs comme la corruption, l’enrichissement illicite, les biens mal acquis, la concussion, la fraude, les détournements des deniers publics et autres. Finie la période des vaches grasses. Le pays doit trouver une alternative crédible à des ressources en baisse. La preuve a été faite qu’il ne suffit pas d’avoir des budgets gigantesques ; faudrait-il encore avoir les idées et la volonté politique de leur mise en œuvre. C’est certainement le moment d’indiquer qu’il est plus qu’urgent de faire le point sur les excédents budgétaires dus à l’embellie pétrolière, surtout qu’en 2006, le Gouvernement avait pris l’engagement de les placer dans un compte de stabilisation à la Banque des Etats de l’Afrique Centrale. Un audit de ce compte devait être fait chaque année et devait être rendu public. Depuis, les Congolais attendent toujours.
Mais ce qui est plus préoccupant et il faut le dire avec force c’est que le Congo traverse depuis plusieurs années une grave crise multidimensionnelle qui s’illustre particulièrement aujourd’hui par une crise post-électorale, une crise politique et institutionnelle et une crise financière. Pour en sortir, je pense modestement et avec beaucoup d’humilité, qu’il faut un dialogue national avec l’assistance de la Communauté Internationale, qui permettrait entre autres de rétablir la confiance entre les acteurs politiques, ensuite entre ceux-ci et le peuple congolais. Il faut sortir le pays de la situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui ; laquelle se caractérise par un climat de peur entretenu par le déploiement des éléments de la Force publique dans les quartiers, des arrestations et détentions arbitraires des opposants, l’encerclement et l’assignation à résidence de certains candidats de l’opposition et autres. Tout cela n’est pas de nature a favoriser l’attraction de l’investissement étranger indispensable pour le développement de notre pays. En ce qui me concerne, et je l’ai dit tout au long de ma campagne: il faut une politique de changement et de rupture.
Bref, ma conviction est que l’analyse du bilan des 32 ans du pouvoir, le passage en force opéré présentement pour demeurer coute que coute au pouvoir, le contexte de contestation des résultats de l’élection présidentielle, les difficultés financières prévisibles, l’isolement du pays dont les prémisses semblent se dessiner me conduisent à dire que le Gouvernement n’a pas et n’aura pas les coudées franches pour appliquer la politique du Président. Et même s’il l’avait, cette politique ne permettra pas de relever dans un tel contexte les grands défis qui se posent au Congo aujourd’hui. Honnêtement, notre pays a besoin en profondeur d’une politique de changement et de rupture. Il faut agir pour apaiser, rassurer et rassembler, afin de garantir une paix véritable et durable sans laquelle aucune politique de développement viable n’est possible.
A l’hôpital de Loandjili de Pointe-Noire, le personnel n’a pas été payé depuis un certain temps. Pensez-vous que c’est un cas isolé ou cela risque de se généraliser dans les prochains mois ?
Jean Marie Michel Mokoko : Avec la situation de sorties massives d’argent pour les besoins du pouvoir en place, nous apprenons que certains agents de l’Etat et les retraités n’ont pas encore perçus les salaires et pensions du mois de mars 2016 alors que les fonctionnaires de Brazzaville ont déjà perçu celui du mois d’avril. L’Etat congolais commence à tourner à plusieurs vitesses. Cette situation ne présage rien de bon et ne fait que confirmer le fait que le pays connait une sérieuse crise financière.
Enfin, un dernier mot à l’endroit des congolais et congolaises qui vous liront prochainement.
Jean Marie Michel Mokoko : Le Congo fait face à de nombreuses crises: politique économique et financière, sociale, culturelle et éthique. Toutes ces crises se résument en quelques mots: le déni de la démocratie, l’absence d’Etat de droit, la corruption et l’impunité, la pauvreté généralisée, la gestion opaque des ressources nationales, la fragilisation orchestrée des forces sociales ainsi que des forces armées républicaines, le clanisme, etc…. Le tableau n’est pas réjouissant. Face à ce tableau sombre la question du : « Que faire ? » s’impose.
Je dis à mes compatriotes : plus que jamais c’est le temps du devoir. Et je profite de cette occasion qui s’offre à moi pour remercier le peuple congolais qui s’est exprimé clairement le 20 mars 2016 pour l’alternance démocratique en portant majoritairement leurs votes au candidat que j’étais.
C’est fort de l’analyse de la situation de notre pays et de type de gouvernance dont les grands traits ont été esquissés plus haut que je me suis porté candidat à l’élection de mars pour proposer des pistes de solutions. Si vous avez suivi ma campagne, j’avais préconisé comme première action de mon mandat la tenue des Etats généraux de la Nation pour mettre à plats toutes les problématiques qui minent notre pays.
J’ai été heureux de constater que dans les nombreux contacts avec mes compatriotes que nous étions sur la même longueur d’onde. La preuve : leur vote massif m’ayant placé en très bonne place au 1er tour. Ce dont je leur suis infiniment reconnaissant. En ce qui me concerne, fort de cette confiance, plus que jamais, je ne me détournerai des idéaux que j’ai partagés avec eux pendant la campagne électorale. Mon engagement reste ferme parce que, nourri par ma conviction de la justesse de la cause que je défends, cause que le peuple, dans sa majorité, a reconnu conforme à ses attentes. On a volé sa victoire le 30 mars 2016. Le Congo qui est devant un tournant majeur de son histoire doit connaître un véritable processus de réconciliation nationale si l’on veut, comme moi, l’amener à des lendemains meilleurs. Je reste fermement convaincu que le Peuple Congolais et le Congo ont besoin de changement et de rupture. J’affirme que ce changement est indispensable et possible.
Merci Monsieur.
Par Elie Smith