Interview/Raphaël Goma: « Je suis contre cette élection législative… »

Il est le président du Conseil de la Diaspora Congolaise pour la Restauration de la Démocratie (CODICORD) basé en France

Pouvez-vous vous présentez pour nos lecteurs ?

Je suis Raphaël Goma, enseignant-chercheur à l’université de Paris 13 Villetaneuse, mais aussi à l’ESTP qui est l’Ecole Spéciale des Travaux Publics et du bâtiment à Arcueil-Cachan. Par ailleurs, je préside le Conseil de la Diaspora Congolaise pour la Restauration de la Démocratie (CODICORD), qui une association politiquement engagée et qui regroupe des individualités, des partis politiques et des associations de la société civile. Elle permet de faire l’interface entre la diaspora congolaise et l’opposition.

Le CODICORD existe depuis combien de temps ?

Depuis 2009, et précisément à la veille de l’élection présidentielle au Congo. Nous avions constaté qu’elle manquait de transparence et que la société civile n’était pas associée dans le but de mener un scrutin crédible. Nous avons donc pensé qu’on pouvait aussi peser de tout notre poids. Par conséquent on a créé le CODICORD afin d’assurer une certaine visibilité par rapport à la diaspora d’une part, et d’autres parts à l’opposition, qui était souvent muselée et n’avait pas les moyens de communication, d’autant plus qu’ils étaient tous entre les mains de l’Etat.

La campagne pour le premier des législatives a débuté le 29 juin dernier à Brazzaville et s’est achevée le 13 juillet dernier. Quelle lecture en faites-vous?

Le reflet que j’ai, c’est qu’il y a eu beaucoup de moyens mis en jeu, beaucoup d’argent engagé de part et d’autre. Quand j’entends dire qu’il y a des candidats qui voyagent en Jet Privé, prennent des hélicoptères, cela signifie qu’il a vraiment beaucoup de moyens. Même ici en France, je ne vois pas des candidats qui vont à une campagne législative et qui utilisent des Jets… La deuxième lecture que je fais de cette campagne est qu’il n’y a pas eu d’équité dans la communication. D’ailleurs, un ami à moi, candidat indépendant dans la circonscription de Nkayi dans la Bouenza, s’est plaint du fait que le préfet fasse campagne pour le candidat du PCT.

Sur ce point précis de la communication, on ne peut pas dire que le Conseil supérieur de la Liberté de Communication (CSLC), n’ait pas rappelé aux médias de respecter l’égalité du temps pour tous les candidats?

Effectivement. Mais c’est au niveau de la capitale à Brazzaville qu’ils essayent de respecter cette consigne, dans les villes comme Nkayi, le préfet n’en fait qu’à sa tête. Peut-être pour faire plaisir au chef de l’Etat en disant: «moi j’ai fait mon travail correctement»… J’ai moi même entendu dire que cette campagne devait être équitable du point de vue de la communication, mais les médias ne suivent pas. C’est un point qui joue énormément, d’autant plus que les gens se mobilisent en fonction de ce qu’on leur raconte. Cela va forcément influencer le déplacement des électeurs au niveau des bureaux de votes.

Le fait que vous soyez géographiquement éloigné des réalités locales ne décrédibilise t-il pas votre propos sur cette élection ?

Je ne pense pas que cela puisse entamer notre crédibilité, d’autant plus que nous avons d’autres moyens de nous exprimer. Une campagne électorale sert à faire passer un message. J’interviens sur Télé-Sud et sur d’autres medias où je fais passer notre message. Au contraire si j’étais sur le terrain, j’aurais peut-être été muselé que maintenant que je suis ici à Paris, où j’ai cette liberté de pouvoir dire ce que je pense.

N’empêche que les gens pourraient vous reprochez de parler des réalités dont vous êtes éloigné. Vous répondriez quoi?

Je leur répondrais personnellement et au nom de l’association, le CODICORD qu’il s’agit de la situation politique du Congo. Nous pensons que dans des élections, il y a des partis politiques, il y a aussi des leaders d’opinions. Dans le cas de cette législative, qui dit Député dit quelqu’un qui va voter des lois, et contrôler le travail gouvernemental. Mais au regard de la constitution congolaise, et dans la configuration actuelle, le parlement ne contrôle pas l’activité gouvernementale et le président de la République ne peut pas non plus démettre l’assemblée. Nous sommes là, dans une situation que je trouve ambiguë! C’est pour cela que nous prenons la parole pour demander: à quoi bon aller à une telle élection? Il faut revoir les textes et essayer de faire en sorte que les élections se fassent d’une manière crédible et dans les règles de l’art, c’est-à-dire qu’il faut élire un parlement qui ne soit pas une assemblée de godillots ou de faire-valoir.

Est-ce que vous soutenez des candidats en particulier? Sinon quel est votre positionnement?

Nous n’avons pas de candidats. Notre positionnement est de demander aux populations de ne pas aller aux élections, de ne pas voter, d’autant plus que les dés sont pipés d’avance.

Qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer?

Plusieurs faits. Le premier est le découpage électoral, qui ne tient pas compte de la démographie. Je prends une fois encore l’exemple de Nkayi parce que j’ai un correspondant surplace qui suit l’élection de très près. La population de Nkayi est largement supérieure à celle d’autres circonscriptions, mais elle n’a qu’un seul député, alors que des circonscriptions moins dense démographiquement en ont 2 ou 3. C’est injuste parce que le découpage électoral fait par le ministère de l’intérieur n’est pas équitable. Deuxièmement il y a un déséquilibre du côté des médias et c’est un autre facteur que je dénonce d’autant qu’il est fondamental pour une élection.

Certains partis d’opposition ont crié aux fraudes et autres irrégularités avant même le début du scrutin. Quelle est votre appréciation?

Personnellement, j’ai ouïe dire, qu’il y avait un candidat du PCT qui faisait faire des fausses cartes électorales et qui a été arrêté par la police nationale – c’est une bonne chose si la police a mis la main dessus – mais ce n’est qu’un cas, peut-être qu’il y en a d’autres. L’autre aspect du problème est qu’il y a des candidats qui ont promis de l’argent à des personnes pour leur dire de voter pour eux. D’ailleurs je peux vous en donner la preuve. J’ai reçu quelqu’un dont je tairais le nom parce qu’il est à Brazzaville – Cette personne revenait de Singapour pour des activités sportives et m’a confié être candidat indépendant dans une certaine circonscription de Pointe-Noire et que sa candidature a été encouragée par le premier secrétaire du PCT, qui n’était pas d’accord avec le candidat officiellement investi par le PCT dans cette circonscription. Cette personne me dira également que le candidat du PCT a reçu 500 millions de Francs CFA; et, qu’au lieu de battre campagne avec cet argent, il en distribue aux gens pour qu’ils votent pour lui, en leur promettant que le jour du vote, s’ils apportent une preuve, ils en auront encore plus. Tout ça pour dire que, si les candidats disent qu’il y a tricherie, ils ont peut-être raison.

Peut-être serait-il utile de commencer par sensibiliser la population?

Effectivement. Il y a un éveil de conscience qu’il faut engager auprès de ces populations pour qu’elles comprennent qu’une fois la campagne terminée, elles se retrouveront dans les mêmes situations qu’avant.

Le CODICORD promeut-il ce type d’action auprès des congolais?

Oui, nous avons des actions au Congo à travers des associations. Nous travaillons en collaboration avec l’OCDH, les amis du M22, une association qui a pignon sur rue là-bas et la fondation Ebina. Nous leur disons qu’il faut sensibiliser ces populations en leur expliquant que ce n’est pas l’argent qui fera l’élection, parce que leur bonheur ne dépendra pas de ces gens-là. Une fois qu’ils se retrouveront à l’assemblée, ils vont complètement les oublier. Mais il faut plutôt leur demander de faire des choses pour rendre leur vie meilleure et par conséquent, s’ils viennent avec de l’argent, prendre l’argent mais ne pas aller les voter.

Quels sont à votre avis les réels enjeux de ces législatives?

L’enjeu pour le pouvoir c’est la modification de la constitution. C’est une façon de se légitimer et réfuter les accusations de dictature portées contre lui. C’est de la poudre aux yeux. N’oubliez pas que le mandat du président Denis Sassou Nguesso expire en 2016 et que, selon sa propre constitution taillée à sa mesure, il n’a pas le droit de se représenter. Mais il y une rumeur qui court déjà et le PCT pousse pour qu’on puisse modifier cette constitution – non seulement pour monsieur Sassou Nguesso, mais pour certains autres qui sont frappés par la limite d’âge et ils sont nombreux. L’enjeu ici est un problème générationnel. Il y a une génération qui arrive pratiquement à la limite d’âge. Certains souhaitent qu’on modifie la constitution pour qu’ils puissent se représenter et d’autres qui souhaitent que cette constitution reste pour que ces gens-là soient mis à l’écart.

Et s’agissant de l’opposition?

Je pense qu’un arrêté sur les partis politiques, dispose que pour avoir des subventions, il faut une certaine représentativité nationale au niveau du parlement. Ces gens-là qui sont complètement démunis parce qu’aucun parti politique ne vit de ses cotisations – nous savons qu’elle est la réalité congolaise – ces partis sont en quelque sorte asphyxiés et veulent une bouffée d’oxygène financière qui viendrait de l’Etat. Par conséquent ils se disent: si nous allons aux élections et si nous avons un certain nombre de députés, nous aurons une quote-part pour pouvoir fonctionner correctement. Voilà l’enjeu pour l’opposition interne.

Le PCT est donné favori, mais selon vous à quelle configuration peut-on s’attendre à l’issue de ces législatives, s’agissant notamment des alliances qui ont proliféré avant la campagne?

Je pense que ces alliances ne seront pas maintenues parce que ce sont des alliances de circonstances. Pour l’instant c’est des gens qui veulent avoir une certaine visibilité au niveau du parlement, sachant que le PCT est quand même le parti qui est mieux implanté et financièrement capable d’avoir des candidats dans toutes les circonscriptions. Le moment venu, et selon les résultats des uns et des autres, positifs ou négatifs, les masques tomberont inévitablement.

Quel est votre message au-delà du fait que vous appeliez la population à ne pas aller voter? Le Congo est en crise et traverse des moments difficiles. C’est comme une cocote qui bout. Les populations ne le font pas sentir, mais quand on va sur le terrain, on sent la misère et j’ai peur qu’on puisse se retrouver dans la situation de certains Etats du Maghreb. C’est pour cela que nous disons NON! Nous pensons qu’il est temps qu’on s’asseye ensemble pour discuter des moyens d’une transition apaisée et qu’il y ait une nouvelle force qui arrive au pouvoir. Les partis politiques comme l’Etat congolais sont en déliquescence. Pensez-vous qu’il y ait des partis politiques crédibles au Congo? Pensez-vous que les populations vont voter parce qu’elles croient à ces partis-là? Combien de personnes vont voter? La solution du Congo, c’est de s’asseoir, entre la société civile et les partis politiques pour essayer de reconstruire le pays à travers des élections apaisées, libres et transparentes et nous mettrons le Congo sur les rails. C’est notre vision au CODICORD

Vous pensez que votre message sera entendu?

Je suis persuadé qu’il le sera. Aujourd’hui il n’y a pas mal de compatriotes en prison suite aux explosions de Mpila. La commission d’enquête a déposé ses conclusions et les gens attendent un procès. J’ai l’impression que le Congo n’est pas encore stable. En physique on dit : tout système tend vers la stabilité, mais il faut des régulateurs qui puissent contrôler le système. Ceux-ci ne sont pas encore mis en place. Il serait temps de les consolider pour que Congo soit stable. Les congolais ont tant souffert, les hommes politiques doivent être lucides et faire une bonne analyse de la situation congolaise. La course à l’argent et au pouvoir ne résout pas le problème qui est assez profond.

Votre ambition est donc simplement l’intérêt supérieur du Congo et rien d’autre…?

Tout à fait. Ma seule ambition est l’intérêt suprême du Congo. Je n’ai pas d’ambitions souterraines. Je pense que le Congo est Un et indivisible. Tous les Congolais doivent se serrer les coudes. Je lance un appel à la réconciliation de tous les fils et filles du Congo pour bâtir un pays fort qui va toujours vers l’avant.

Par Rachel Kesseng – 16/07/2012

Source : journaldebrazza.com