LA DEUXIÈME MI-TEMPS REFERENDO-PRESIDENTIELLE AU CONGO: une nouvelle arnaque politique?

cobra20sup201-4826592« Pascal Lissouba ne peut que redevenir un simple candidat et non plus un candidat président, comme cela les chances seront égales pour tous » ! (juin 1997, Sassou-Nguesso, infra)

« Les autorités congolaises brillent par l’organisation d’élections truquées dont les résultats sont quasiment connus d’avance. Il en a été ainsi en 2002 et 2009 pour les présidentielles… » ! (2011, Placide Moudoudou, député PCT et président de la Commission constitutionnelle de 2015, infra )

Nul n’est besoin d’un dessin : l’élection présidentielle anticipée du 20 mars prochain, discrétionnairement initiée par Sassou-Nguesso, est le prolongement, la conséquence du très personnalisé, très contesté et anticonstitutionnel référendum constitutionnel du 25 octobre 2015 qui en apparaît ainsi, indiscutablement et pour la forme, comme la matrice, la première phase, la première mi-temps.

Celle-ci, on le sait, a consacré, une fois de plus, à la face et au mépris du monde, sans préjudice d’une vingtaine de morts, autant la débâcle du droit[1] que l’humiliation de la majorité des Congolais et de la circonstancielle opposition réelle, à côté de celle, permanente, créée de toutes pièces par le pouvoir et qui, sans vergogne et logiquement, a demandé de voter pour l’homme en place aux affaires depuis trente-deux ans cumulés!

Humiliée, laminée, ballottée, séquestrée et sans recours dans un contexte de dictature assumée et décomplexée, l’opposition, assez curieusement, ne pouvait souffler et rebondir que selon le bon plaisir du dictateur, à l’occasion du rendez-vous politique suivant, l’élection présidentielle, strictement encadrée et ligotée par le pouvoir. Cette séquence-ci apparaît ainsi, de façon tout aussi indiscutable, comme la deuxième phase, l’ultime chance, la deuxième mi-temps politique verrouillée, et qui porte tous les stigmates de la première, avant la clôture pour longtemps du ‘jeu’.

On l’aura compris, moins que par esprit de légalité et de démocratie, c’est, essentiellement, parce qu’il s’y trouve néanmoins désormais contraint, pour la forme, par un contexte et une certaine morale internationale, que le pouvoir en place a concédé le desserrement des restrictions auxquelles il avait soumis ladite opposition depuis la séquence d’octobre.

Se pose alors, de façon logique, la question de l’intérêt, des motivations qu’il y a pour l’opposition d’accepter ce qui relève, selon toutes les apparences, d’une mise en scène, d’un ‘jeu de dupes’, de la légitimation du dernier coup d’État constitutionnel que même la communauté internationale, jusque-là tolérante à l’endroit du dictateur et de son système, n’a cette fois-ci toujours pas digéré. Tellement, l’illégalité du recours au référendum sur une matière formellement et absolument interdite, l’organisation de la consultation, l’opacité et la tricherie ont été grossières ! Et, loin d’une exception, depuis l’automne 97, Sassou-Nguesso et ses sbires ont conquis et géré le pouvoir, réussi à en tirer tout le profit, principalement matériel et financier, à la barbe et au grand dam du droit, de l’éthique et d’autres valeurs patriotiques, étatiques et internationales !

Non moins grave, aux critiques de toutes parts, tout à fait fondées, sur un corps électoral macroscopiquement biaisé, sur l’absence d’indépendance de l’organe d’organisation et de gestion des élections depuis le retour par effraction de Sassou-Nguesso aux affaires, le pouvoir, globalement, a répondu en se bornant à changer l’étiquette de l’organe et en conservant le contenu, essentiellement le personnel très majoritairement proche et acquis au pouvoir.

Curieux manège, dans un pays qui ne manque pourtant pas d’exemples d’élections globalement transparentes, ou reconnues et saluées comme telles par l’ensemble des acteurs nationaux et internationaux, en 1992, et qui avaient consacré une lourde sanction de Sassou-Nugesso et son parti alors au pouvoir, et la victoire, à toutes les échéances, de Pascal Lissouba et son parti, l’UPADS. L’organisation et la gestion des élections, on le soulignera, avaient alors été déconnectées de l’exécutif pour en assurer effectivement l’indépendance.

Nul doute, ce précédent explique le refus catégorique et obstiné, par un parti et un homme revenus au pouvoir en dehors des urnes, de renouer avec l’organisation et la procédure connues, favorablement éprouvées et appréciées de tous en 1992, mais périlleuses pour eux. La présomption d’intentions pour le moins obscures se lit ainsi nettement, avec de graves risques connus que n’ont pas manqué de souligner autant l’opposition que la communauté internationale[2].

Comment donc, devant un pouvoir de cet acabit et désormais imperméable à la honte, aux valeurs précitées mais, surtout, n’hésitant pas à recourir froidement à une boucherie humaine comme l’ont clairement montré les derniers événements d’octobre, l’opposition peut s’autoriser ou s’exposer, une fois de plus, à cette vaste supercherie, à ce ‘jeu’ dangereux ! Surtout, après qu’elle ait elle-même, après de multiples conclaves, décidé, du fait de l’illégalité flagrante du référendum du 25 octobre et des particularités de la Constitution[3] qui en a résulté, de ne pas se présenter à ladite élection présidentielle anticipée !

De même, mais en sens inverse, l’on pourrait se demander si le pouvoir est, à ce point, convaincu de ‘l’imbécillité’ et de la naïveté de l’opposition, pour que celle-ci se cantonne exclusivement au seul rôle, à la voie déjà tracée par lui, et qui est sans équivoque du tout  ! Défauts qui, s’ils n’étaient pas avérés du côté présumé, révéleraient plutôt, au contraire, des failles de leur auteur, du pouvoir, sinon un machiavélisme diabolique !

Bref, en clair et en résumé, quels sont les enjeux réels et les perspectives du rendez-vous du 20 mars prochain qui, au regard des précédents du genre et des déclarations dignes de foi, ne devrait susciter aucun suspense ?

Car, en son temps et depuis, Sassou-Nguesso lui-même avait déjà théorisé les conditions d’une élection présidentielle crédible : « Pascal Lissouba ne peut que redevenir un simple candidat et non plus un candidat président, comme cela les chances seront égales pour tous», martelait et opposait-il en juin 1997 (La Croix, 16 juin 1997, p.6). De même, et notamment, l’ancien doyen de la faculté de droit de Brazzaville, membre du parti présidentiel et député, président de la Commission constitutionnelle de l’inique Constitution d’octobre 2015, lui, de son côté, écrit clairement que « Les autorités congolaises brillent par l’organisation d’élections truquées dont les résultats sont quasiment connus d’avance. Il en a été ainsi en 2002 et 2009 pour les présidentielles» !(in RJPEF, 2011, numéro 2, p. 186)

En réalité, et contrairement aux discours fourbes des uns et des autres, moins qu’une campagne présidentielle normale dans laquelle les prétendants déroulent leurs programmes – en l’occurrence d’ailleurs peu crédibles et originaux, et parfois même contradictoires, et auxquels d’ailleurs pas grand monde n’y croit, y compris eux-mêmes — , la vraie question, l’enjeu essentiel du moment est celui de la disqualification, ou du maintien, d’un système clairement mafieux dans son avènement comme dans son exercice.

Le pouvoir dictatorial, profondément enraciné, tout comme l’opposition, circonstanciellement réel puisqu’ayant, pour le grand nombre, appartenu et participé au système, jouent leur survie, ou peut-être même leur vie. De la même façon que, la société civile tout comme une très large partie de la population, larguées, paupérisées, humiliées et absolument dépourvues de moyens légaux et démocratiques de contrôle d’un pouvoir devenu ‘fou’ dans sa gestion, ou convaincues de leur stérilité, semblent déterminées à profiter du moment pour en finir. Ne dément pas cette tendance, l’irrationalité de la recherche d’une sorte d’homme providentiel que nombreux pensent trouver en la personne du général Mokoko – évidemment militaire mais pas tout à fait homme politique professionnel –, sans ou avant même que celui-ci ait déroulé son projet politique !

De ce point de vue, le rendez-vous de ce mois de mars, la prétendue élection présidentielle, en la forme sans suspense parce que déjà ficelée par les tenants du pouvoir comme ne le démentent pas la nature du régime, les précédentes consultations, les assertions sus citées, et quasiment toute la communauté internationale, n’est, pour les parties opposées, qu’un prétexte de ‘mise à mort’ de l’autre, et l’occasion de l’expression claire et ouverte d’un raz-le-bol. C’est, ainsi et évidemment, une autre et parfaite arnaque politique ! Mais, ce n’est là qu’un truisme.

Plus importante est la question de savoir ce qui pourrait résulter de la séquence. Autrement dit, quelles en seront les suites, les perspectives.

Des signes, nombreux, ne manquent pas qui démontrent que ladite deuxième mi-temps , elle-même, n’est déjà, ou ne sera que la transition ou le point de départ d’autres séquences bien plus critiques, en vérité violentes, au regard de certaines évidences.

11059794_1600708106847734_4132734064659848070_o-3299509Primo- L’organisation de la consultation réunit, on l’a dit, toutes les conditions de la contestation légitime dont semble vouloir exploiter l’opposition par l’appel a posteriori à la Communauté internationale et à la désobéissance civile ou l’insurrection. On rappellera, pour l’essentiel : corps électoral, préparatifs et organisation demeurés à la seule discrétion du pouvoir, puisqu’ayant précédé la mise en œuvre de la nouvelle CENI qui n’y a rien changé ; composition de celle-ci très majoritairement par les membres proches du pouvoir ; non-prévention d’un deuxième tour, laissant ainsi comprendre clairement que tout est déjà scellé pour le premier et unique tour… .Ce à quoi l’opposition a répondu par l’aménagement d’un organe électoral de contrôle parallèle !

Dans cet esprit, si, localement, l’opposition semble obligée de faire le jeu, de jouer les naïfs d’une campagne présidentielle normale sur un scrutin déjà officieusement scellé comme par le passé, il reste quelque peu surprenant qu’au niveau de l’étranger, des diasporas principalement, au lieu de concentrer l’essentiel de la communication sur la mise en évidence des défauts et perversions du pseudo scrutin, on s’attelle également au jeu de la campagne présidentielle ! Ainsi, participent-ils, comme il en a été le cas pour le pseudo débat constitutionnel, à la manipulation et donnent-ils du crédit à une campagne présidentielle qui n’est que mise en scène !

Secundo- L’opposition, laminée et humiliée, n’a plus d’autre choix et aucune perspective et joue ses dernières cartes. En ayant sorti ses meilleures et dernières armes à l’occasion de ces « deux mi-temps », si elle perd, elle sera à l’avenir, et de façon évidente, réduite à sa portion congrue et contrainte de se vendre à bas coût auprès du pouvoir ; dans la même hypothèse, elle serait, par ailleurs, totalement discréditée au sein de leur formation politique respective, mais aussi à l’endroit de la population et d’une large partie de la diaspora qui l’aura soutenue et a hâte de prendre le relais. Elle joue ainsi, véritablement, son avenir politique, presque sa dernière bataille, dans sa majorité. D’où l’emballement ou l’aiguisement de la lutte.

Tertio- Le déroulement de cette drôle de campagne présidentielle révèle ou confirme, en plus, deux faits peu banals qui font la démonstration d’accords tacites entre l’opposition et le pouvoir.

1. Nous l’avons écrit ailleurs (cf. « Couvre-feu illimité sur la politique » (juillet 2012, en ligne), l’existence comme ‘opposants’ au Congo, après le retour par effraction de Sassou en 1997, était conditionnée par la reconnaissance immédiate de son pouvoir et de son statut de président tel quel malgré tout. Cinq longues années à la tête de l’État sans être élu mais accepté comme président, suivi de deux pseudo mandats de sept ans avec des élections manifestement truquées auxquels s’est ajouté le dernier coup d’État du 25 octobre dernier, démontrent le règne d’une règle non écrite de fond, d’un habitus : le coup d’État et le fait accompli répétitifs ont été, consciemment ou inconsciemment, intégrés par les différents acteurs politiques congolais comme mode normal de fonctionnement du système politique congolais sous Sassou, au-delà de quelques gesticulations dérisoires et toujours temporaires et sans suite, mais cependant rentables puisque ‘marchandables’ ou ‘monnayables’ par la suite !

2. Alors que l’un des grands cancers de la vie politique congolaise réside dans la grande corruption avec d’incroyables et choquants scandales financiers, quasiment chaque mois, dont le tout récent dévoilé par les médias portugais sans que les autorités congolaises n’en tirent aucune conséquence politique ou judiciaire, de façon surprenante aucun des candidats dits de l’opposition à la présidentielle ne semble se décider à mettre ces graves affaires en débats, et sur la place publique, pour mobiliser l’électorat ! Faisant ainsi, collectivement, le curieux aveu que tous y ont trempé et que aucun n’a intérêt au déballage !

Quarto- L’irruption du général Mokoko dans la course est un authentique coup de pied dans la stratégie manipulatrice classique de Sassou-Nguesso, dans la fourmilière tribalo-régionaliste. En même temps elle nuance ou bousille les lectures ou analyses légères classiques, essentiellement pétries du seul déterminant ‘tribal’, au détriment d’une approche plus objective, réelle et universelle de ‘l’intérêt’ et du ‘pouvoir’.

Déterminante et mobilisatrice dans les débuts d’un pouvoir en Afrique, la stratégie globalement tribaliste et régionaliste, flanquée du clanisme, dans laquelle Sassou-Nguesso s’est illustré comme orfèvre hors-pair, en même temps qu’elle comporte en elle les germes de son usure par l’impossibilité de satisfaction de la demande de la clientèle inévitablement croissante, ou la compétition des intérêts et acquisitions, ne peut absorber ou empêcher les ambitions d’autres membres du groupe ou même du clan, bien au contraire.

En cela, les exemples abondent en Afrique (notamment Guinée Équatoriale,1979 ; Centrafrique, 2003 ; Cote d’Ivoire 2000 ) et, le Congo-Brazzaville qui l’avait déjà vécu principalement en 1963, 1977, 1979, renoue avec cette réalité objective et universelle du pouvoir par le biais du général Mokoko qui, en mettant ou esquissant ouvertement un terme à cette combine et cette fourberie, fissure évidemment et délibérément le système ‘féodal’, avec une portée dont on ne peut encore clairement mesurer les bénéfices nationaux, les ingrédients et risques de repli tribalo-régionalistes (que sont notamment l’entourage, le cliché et la paranoïa sur l’autre, le fonctionnement demeuré non-démocratique du système, l’organisation inadaptée des pouvoirs et de l’exécutif principalement, le ‘patrimonialisme’, le militarisme, l’omerta sur certains vieux ‘démons’…) étant toujours dominants malgré tout. La donnée internationale, principalement françafricaine, elle, reste tout entière et latente, bien que moins visible.

Ainsi, même dans l’hypothèse du triomphe de l’opposition, les discours sont encore loin d’être convaincants dans la stratégie d’exorcisation desdits ‘vieux démons’. Ce qui impose, de façon impérative, un grand débat et des retrouvailles nationaux dont, heureusement, nombreux des acteurs au sein de l’opposition principalement, ont pris la mesure et projettent l’organisation, quelle que soit l’issue du prochain rendez-vous.

En conclusion, formellement et institutionnellement, les résultats de l’élection présidentielle ont été scellés depuis l’avis du 17 septembre 2015 de la juridiction constitutionnelle par lequel, en autorisant le déverrouillage de la limitation des mandats, celle-ci a violé de manière flagrante la Constitution en vigueur et l’objet essentiel de son érection et de sa mission. Tout le reste, et notamment le faux suspense sur la décision de validation des candidatures présidentielles – pour un certain crédit de la Cour constitutionnelle spécialisée dans une jurisprudence à la carte – tout comme la campagne électorale de l’heure, dans le système initié depuis 1997, ne sont plus que détails, mise en scène et ‘poudre aux yeux’, puisque ce n’est pas à ces étapes que se passe l’essentiel.

Incongrue serait, dès lors, la décision de l’organe majeur et arbitre que constitue la Cour constitutionnelle de ne pas valider l’objet et la logique de sa forfaiture de septembre 2015, c’est-à-dire la reconduction de Sassou-Nguesso à tout prix. Certes, il arrive parfois que, suite aux critiques et remords, l’arbitre, dans un jeu, essaie de ré-équilibrer, de se rattraper, pour retrouver une certaine respectabilité et sa noblesse. Mais, cette question, objectivement, ne relèverait plus que de la lecture de l’évolution des choix et rapports de force politiques (et socioculturels) qui, en Afrique et au Congo-Brazzaville particulièrement, constituent une parfaite équation magique.

Mais, si la deuxième mi-temps, sur laquelle a porté cette réflexion, se focalise et a pour prétexte l’élection présidentielle formelle, stricte et datée, elle a en fait une réalité plus large, plus étalée et élastique et peut réserver, en amont ou en aval, en raison des obscurités de la consultation, des rebondissements dramatiques, que ne démentent, notamment et récemment, pas le Niger de 2009-2010, la Cote d’Ivoire de 2010-2011…et le Burundi conjoncturellement !