« Mais, au-delà de l’exemple spécifique et illustratif du colonel Marcel Ntsourou, de sa fin dramatique, est et restera toujours posée la question du comportement de l’élite congolaise, son manque de discernement, sa facilité à se faire mener par le bout du nez, à se faire corrompre, à cracher sur sa formation, à se contredire et se ridiculiser, à obtempérer et se prosterner auprès d’un individu dont l’éducation, la culture et le parcours sont pourtant manifestement ceux d’un truand déguisé en homme politique pour mieux assouvir ses lugubres fantasmes! » Félix BANKOUNDA MPÉLÉ
Le régime politique congolais illustré et résumé
Dans l’avalanche des morts insolites, individuelles et massives, qui jalonnent la très longue vie politique du despote congolais, le règne de sang du général Sassou, il faudra désormais additionner celle, attendue, du colonel Marcel Tsourou. Annoncée officiellement le 17 février – à la fois, par le médecin-général Pascal Ibata, chef de l’hôpital militaire de Brazzaville, et le sulfureux et peu scrupuleux procureur de la République, le colonel Ngakala-Oko, dit « petit procureur », de par sa passion et sa pugnacité à traquer les opposants tout en ménageant absolument la famille présidentielle et autres sbires du pouvoir[1]cités dans moult affaires, comme celle internationalement connue de Panama papers entre autres – , cette mort et ses suites, après d’autres, rappelle, illustre et résume, au grand jour, la sinistre nature du régime politique congolais.
Pour les profils, et pour la compréhension, si Sassou-Nguesso n’a plus besoin d’être présenté, que de notoriété publique et internationale, il est, au regard de la question du pouvoir, un éternel hors-la-loi décomplexé, une star du crime politique, un serial putschiste n’ayant jamais acquis le pouvoir que par la tricherie, le trucage, la force et le sang, collectionnant de ce fait autant les crimes que les dénominations ‘barbouzardes’ du genre « l’homme des actions discrètes » (Jeune Afrique), « le boucher » (LCI, chaîne de télé française, octobre 1997) ou « le tueur infatigable » selon le commun des Congolais, tel n’était apparemment pas le cas du colonel Marcel Ntsourou, jusqu’en été 1997.
Celui-ci, en effet, ne gagne sa ‘célébrité’, ses ‘grades et lettres de noblesse’ dans le genre qu’à l’occasion des terribles et apocalyptiques événements de juin à octobre 1997 liés à la conquête armée du pouvoir par Sassou-Nguesso, et qui firent, selon une opinion unanimement partagée, pas moins de dix mille morts !
L’homme, colonel de son État pourtant à cette occasion, fit preuve dès le départ, dès l’enclenchement des événements, d’un enthousiasme et d’un zèle très exceptionnel en faveur du mouvement barbare, d’un loyalisme et d’une fidélité indéfectibles auprès de l’incontestable putschiste soutenu, dans son entreprise criminelle et de démolition de l’État, par des forces armées étrangères les plus féroces de la sous-région (essentiellement les armées tchadiennes et angolaises qui avaient, chacune, plus de vingt-cinq ans d’expérience de guerre civile et sauvage).
Au point que, dans cette ‘saison des auto-proclamations au Congo’ inaugurée par Sassou-Nguesso en automne 1997 en se proclamant président de la République, accompagnée de celle de certains responsables des partis dits de l’opposition, principalement de Martin Mbéri et Michel Mampouya, qui s’autoproclamèrent respectivement président de l’UPADS et président du MCDDI au grand dam et à la révolte de leurs responsables réels en exil, Marcel Ntsourou, lui également, s’autoproclamait « gouverneur civil et militaire de la zone militaire de Pointe-Noire », pour bien asseoir le pouvoir de son mentor.
Le colonel, pour satisfaire et garder la confiance de Sassou-Nguesso, dans un contexte de jungle macroscopique, de paranoïa généralisée, de gâchette facile, de consolidation d’un pouvoir illégitime et contesté, « est à l’origine et a semé plusieurs familles d’orphelins et de veuves, principalement dans la ville de Pointe-Noire », martèle un éditorialiste congolais (Ziana TV)! Il menace, ordonne emprisonnements et autres châtiments ! Dans un article à son endroit, où l’auteur fait état d’éloges le concernant, et où il est présenté comme le « seul et …vrai colonel au Congo », avec des allures ‘gaulliennes‘ (!), celui-ci ne manque cependant pas de noter que « Tout le monde est d’avis que le problème de l’officier Marcel Ntsourou vient de la frustration d’avoir été bloqué au grade de colonel depuis des lustres sans plus jamais monter en grade en dépit de ses compétences et malgré les services rendus au clan mbochi (ethnie de Sassou). Lui qui mit ses mains dans le cambouis, lui qui alla au charbon pour aider Sassou dans son coup d’état du point de vue sécurité, renseignement et répression, lui l’homme des coups tordus, n’en finissait pas d’être sous les ordres de Jean-Dominique Okemba (autre proche parent du général)…»[2] ! Un comportement expéditif, une froideur et une intransigeance hors-normes que certains sur place interprètent et assimilent à « un Sassou en gestation et en miniature » ! Une vérité plutôt banale auprès de nombreux Congolais.
Nul, mieux que lui-même, n’a décrit son rôle dans ces événements, dans la consolidation du pouvoir personnel, clanique et autocratique de Sassou-Nguesso, jusqu’au même prétexte, à la même rengaine de ‘paix’ : « Il fallait agir avec dextérité, pour éviter que les crimes crapuleux soient commis et pour assurer la paix (!)… J’ai pris la mesure de la tâche qui m’avait été confiée. J’ai pris les mesures, toutes les mesures pour éviter que la situation ne dégénère. Il y avait là les troupes angolaises, les militaires venus de Brazzaville, les militaires locaux et tous les bandits qui pouvaient provoquer des problèmes…J’ai fait tout ce qui était nécessaire…J’ai fait partir (?) les milices de Pointe-Noire »[3] ! Mais, évidemment, pas les troupes angolaises d’occupation !
Chacun peut ainsi constater le choix résolu, déterminé et décomplexé du colonel Ntsourou en faveur d’un pouvoir sauvage, de Sassou-Nguesso dont les ambitions sont sans équivoque, dont le passé putschiste et criminel avait déjà été suffisamment et solennellement décrit à la Conférence nationale congolaise de 1991 ! De même, le militaire qu’il est reste imperturbable, et n’est nullement gêné par la présence des troupes armées étrangères et d’occupation dont personne ne peut oser prétendre un instant qu’ils étaient là pour distribuer des cadeaux auprès de ses compatriotes ! Bien au contraire ! Mais, plus grave et renversant est la méprise de ce militaire, de cet officier supérieur dit-on « académique » en raison de son cursus de formation, sur la nature de l’ordre politique dont il a vigoureusement contribué à installer ! Si tout le monde peut constater que, de par sa nature, ce pouvoir n’est ni légal, ni d’intérêt général (et donc ni d’État), ni éthique, ni républicain, Marcel Ntsourou, répondant à la question de sa promotion impossible au grade de général présentée comme la pomme de discorde entre lui et son chef, sidère fondamentalement : « Moi, je ne m’explique pas, pour les services que j’ai rendus à ce pays, pour le travail que j’ai abattu !…Il n’a jamais voulu le faire [nomination au grade de général]. J’ai constaté que même ceux qui ont fait moins sont récompensés sauf moi ! Je constate que ça se passe comme cela ! Je suis de très loin méritant ! Les missions qui m’ont été confiées ont été accomplies ! On ne peut pas faire mieux que ça ! Nous n’avons pas la même façon d’apprécier les choses ! Peut-être que les meilleurs sont mauvais et que les piètres sont bons ! Nous avons des valeurs qui ne sont pas les mêmes ! » (Interview, à l’émission «L’invité du mois », juillet 2013)
Chacun se fera son idée sur le ‘travail abattu‘ par Marcel Ntsourou, sur les ‘services rendus‘ dont il se targue, qui ne sont objectivement rien d’autre que les basses besognes, en faveur d’un individu, général soit-il mais viré auparavant de façon transparente par les urnes, pour un pouvoir conquis et s’exerçant contre le droit, contre l’État et la démocratie naissante, un pouvoir manifestement inhumain, « un pouvoir sans foi ni loi », face à un peuple qui, quoiqu’on en dise, n’est, pour une fois, pas resté tout à fait inerte pendant ces événements ; une activité en faveur d’ un individu et ses acolytes dont il connaissait déjà longuement aussi bien la rapacité que la cruauté au pouvoir ! Bref, Il s’agit là des aveux implicites mais clairs du colonel, que nombreux reconnaissent comme « pas du tout un ange », et qui ne peuvent manquer de donner des frissons, pour qui a entendu les nombreuses et effroyables anecdotes et plaintes des populations, des victimes à Brazzaville comme à Pointe-Noire !
Naïveté, mauvaise foi, manque du sens de discernement, bêtise, ruse (insaisissable) ou tout cela à la fois peut-on vraiment se demander, en écoutant les propos librement débités par l’officier Marcel Ntsourou à l’émission « L’invité du mois » de FM Radio! Autant d’interrogations que l’on peut se poser dans d’autres et collatérales séquences délictueuses et politico-criminelles, toutes inséparables de la conquête armée et criminelle du pouvoir en 1997, toutes ayant entraîné de dizaines voire de centaines de morts, et où les deux nombrilistes se sont, directement ou indirectement, affrontés. Sans économie du sang !
Fort probablement, les deux acteurs partagent, sous réserve de degré, le même profil politique, les mêmes ambitions, le même dédain du droit et de l’État, l’insuffisance voire l’absence du sens éthique et humain, qui se vérifient ainsi, outre la séquence de conquête et de consolidation du pouvoir, aussi à propos de la fameuse affaire des « disparus du beach », celle des « faux billets et fausse monnaie », celle des « explosions du 4 mars 2012 » et ses suites, notamment « la boucherie » de l’attaque du domicile de Ntsourou le 16 décembre 2013 (22 morts officiellement, plus de 40 morts selon d’autres sources), qui a ouvertement mis au jour le Far-West, la grande truanderie qui s’est jouée et se joue au sein d’ « un pouvoir pillé et criminel »[4].
Rapprochés, et se jaugeant en réalité comme des fauves dans la jungle que constitue le système politique congolais post97, leur ego surdimensionné ne pouvait que dégénérer en haine, qu’engendrer le feu dont « le grade de général » convoité, caressé et revendiqué par Marcel Ntsourou n’aura été que le prétexte, le piège ou la provocation bien pensée!
« J’ai la rancune tenace et nous sommes dans une haine mortelle.. Sassou sait que le prochain coup appartient à Ntsourou et qu’il lui sera fatal » [5]!
Telle est la résolution prêtée au colonel Ntsourou par François Soudan – journaliste à Jeune Afrique très proche du despote congolais – et naturellement rapportée auprès de celui-ci par ses multiples antennes. Un ressentiment consécutif au recouvrement de sa liberté, suite à sa condamnation à cinq ans de travaux forcés avec sursis liée auxdites « explosions de Mpila » du 4 mars 2012[6] qui firent , elles, officiellement, pas moins de 300 morts et de milliers de blessés !
En clair, c’est un défi ouvert que l’ex-gouverneur civil et militaire de Pointe Noire, l’ex-directeur central du renseignement militaire à Brazzaville, l’ex-commandant des Écoles militaires des Forces armées congolaises, l’ex numéro 2 du Conseil national de sécurité, qui s’estime en cela bien imprégné et outillé, aurait lancé à l’auteur et l’initiateur estimés de ses malheurs, Sassou-Nguesso et son clan ! Et, il y va à visage découvert, de façon virulente, par le verbe, mais pas seulement, en se saisissant (et surtout médiatisant) de plus sonnantes casseroles de l’illustre despote[7] (enrichissement illicite, disparus du beach, explosions du 4 mars 2012 principalement) qui, fidèle à sa réputation, à chaque fois répliqué de manière appropriée, au mépris du droit, sans économie de ‘boucherie’ ni d’actions discrètes dont le couronnement a été certainement la mort brutale, insolite et à jamais mystérieuse de l’ex-fidèle devenu insoumis, perroquet et incontrôlable ! Une habitude au pays de « la démocratie en marche », selon l’expression favorite de Sassou-Nguesso, chaque fois qu’il commet un macro-forfait !
Au total, dans la complicité et dans les épisodes de conquête et de consolidation du pouvoir, les deux acteurs, le général-modèle et le colonel-artificier – selon l’appellation attribuée au dernier par les partisans du régime renversé en 1997 qui l’accusaient déjà d’avoir fait flamber le dépôt de munitions de Pointe-Noire à la veille (et pour favoriser) de la pénétration peu risquée des troupes étrangères – accompagnés d’autres et en voie de disparition toujours insolite selon de nombreux observateurs, auront, en raison de leurs ambitions et intérêts strictement personnels ou claniques, entraîné de milliers de morts dont ceux des « disparus du beach » ! Pacte criminel et bouche cousue convenue jusqu’au pseudo procès local sur cette dernière affaire !
Dans l’adversité, ou plutôt le choc des intérêts et des ambitions, ce seront encore de centaines de morts, notamment lors des fameuses « explosions de Mpila » du 4 mars 2012 (où ils se jettent les responsabilités) et de l’attaque au domicile le 16 décembre 2013 où le colonel aurait voulu ré-éditer, à en croire plusieurs similitudes, l’exploit du modèle (Sassou) le 5 juin 1997 ! Sans succès, car si les deux se ressemblent à bien des égards dans les méthodes de truanderie, de dédain du droit, de l’État et de la démocratie, il reste que le général reste un expert, un orfèvre en la matière, avec le flair y afférent, ne s’exposant jamais à aucun risque personnel, ne ménageant aucun moyen, aucune méthode, et surtout ne s’embarrassant d’aucun scrupule dans la réplique! Jusqu’au bout, comme le valide la séquence de la mort insolite de Ntsourou à ses obsèques, rigidement contrôlée par le pouvoir !
Peut-on, dans un État digne de ce nom, dans un prétendu État de droit, dans des conditions de décès aussi suspectes et lourdes de conséquence, et pour une personnalité aussi particulière parce que au cœur d’affaires gravissimes et internationalement répertoriées, faire échec à l’enquête et autres analyses, qui sont impérativement d’ordre public dans le monde entier, le monde civilisé au motif de la volonté familiale, curieusement d’abord énoncée et initiée par le pouvoir, puis formalisée et médiatiquement matérialisée ! À qui profite l’imbroglio, l’opacité officiellement entretenus? Jusqu’au bout, le despote congolais et ses besogneux auront fait la démonstration de leur dédain du droit, de l’État, de l’éthique, de l’humanité et de la modernité ! Avec, on s’en doute, d’immenses risques et incertitudes pour la sérénité et l’avenir collectifs dont ces comportements et choix constituent autant de compromissions et d’abdications…
Mais, au-delà de l’exemple spécifique et illustratif du colonel Marcel Ntsourou, de sa fin dramatique, est et restera toujours posée la question du comportement de l’élite congolaise, son manque de discernement, sa facilité à se faire mener par le bout du nez, à se faire corrompre, à cracher sur sa formation, à se contredire et se ridiculiser, à obtempérer et se prosterner auprès d’un individu dont l’éducation, la culture et le parcours sont pourtant manifestement ceux d’un truand déguisé en homme politique pour mieux assouvir ses lugubres fantasmes! Le réflexe ethnique ou la pauvreté seuls ne sauraient expliquer cette infamie quasi permanente et généralisée ! S’il en est ainsi, c’est certainement parce que la vertu, la hauteur, le sens du droit et de l’État, le sens de l’humanité tout court, restent les valeurs les moins partagées auprès de cette élite qui a ainsi, et pour longtemps encore, volontairement hypothéqué ses droits et obligations réels et son honneur pour quelques broutilles ! À ses dépens, Marcel Ntsourou l’a compris et ouvertement regretté dans les derniers moments de sa vie, dans ses interviews ! Trop tard évidemment comme souvent….
Félix BANKOUNDA MPÉLÉ
Juriste et politologue
[1] Cf notre réflexion : « Plus que jamais un petit procureur : Oko-Ngakala, le procureur du ridicule et de la honte», in Dac-Presse, 10 avril 2016, en ligne). [2]Thierry OKO, « Marcel Ntsourou, mort d’un opposant politique de Sassou », in Congopage, 18 février 2017 [3]Interview, « L’invité du mois », juillet 2013 [4]Cf notre réflexion, « Congo. La rançon d’un pouvoir pillé et criminel », in Congo-liberty.com, 18 mars 2012 [5]François Soudan, Marcel Ntsourou, le desperado de Brazza, in Jeuneafrique.com, 26 décembre 2013, [6]Notre réflexion citée, « Congo. La rançon… [7]Précisément sur la gravissime affaire des « disparus du beach » voici ce qu’il répond à RFI, dans une interview publiée le 20 septembre 2013 : « Accepteriez-vous de témoigner devant la justice française ?J’étais soldat à l’époque. Ce que je sais, je le dirais. Même devant la justice française. Je n’ai pas à me cacher de cela. J’ai été au renseignement militaire. Si on me demande ce qui s’est passé, je n’ai pas commis un crime, et je dirais ce que j’ai constaté ».