LE DISCOURS DU PRESIDENT SASSOU ANNONCANT LE REFERENDUM : ENTRE SUPERCHERIE CONSTITUTIONNELLE, HOLD-UP JURIDIQUE ET FAUTE POLITIQUE

Comme prévu, le président Sassou a annoncé ce mardi 22 septembre 2015, l’organisation d’un référendum pour dit-il «donner la parole directement au peuple afin qu’il se prononce sur le projet de loi énonçant les principes fondamentaux de la République, définissant les droits et devoirs des citoyens et fixant les nouvelles formes d’organisation et les nouvelles règles de fonctionnement de l’Etat».

Pour notre part, nous considérons que l’organisation d’un référendum est le signe par excellence de l’expression de la démocratie. Néanmoins, pour qu’une telle initiative soit légitime, démocratique et acceptée de tous, elle doit respecter strictement les règles de l’art et doit être dénuée de toute volonté plébiscitaire.

A la lecture du discours présidentiel, trois points méritent d’être soulignés: d’abord, le référendum est fondé sur une absence de consensus (I). Ensuite, il repose sur des arguties juridiques (II). Enfin, il s’agit d’une faute politique au regard de la situation politique nationale et internationale (III).

I- OU EST LE CONSENSUS ?

Le président soutient dans son discours que lors de ses consultations dites «républicaines» et du dialogue dit «national», «Une très large majorité a soutenu devant [moi] qu’il y a nécessité et urgence à faire évoluer les institutions de la République aux fins de les adapter au nouveau contexte socio-économique de notre pays. Selon les défenseurs de cette opinion, la poursuite harmonieuse du développement du Congo en dépend».

Cette affirmation est erronée, car la majorité dont parle le chef de l’Etat est sa propre majorité et non pas la majorité des congolais. En effet, ses deux réunions présidentielles ont brillé par l’absence de représentants de l’opposition. A la lumière des événements, il s’agissait d’une réunion de la majorité présidentielle appuyée par certaines personnalités dites de l’opposition républicaine – qui peut croire que Monsieur FYLLA, président de la Commission des finances du Sénat, qui avait appelé à voter Monsieur Kourissa à Poto-Poto est encore un opposant? De même, lors du dialogue de Sibiti, les soi-disant opposants présents ont tous été suspendus de leurs partis politiques respectifs. Et même, au sein des présents, le seul consensus trouvé était celui portant sur l’absence de transparence du processus électoral curieusement, le président n’en parle pas.

En réalité, les deux manifestations n’avaient pour objectif que de faire constater l’absence de consensus pour légitimer une démarche référendaire, ce qu’il vient de faire.

II- UN REFERENDUM FONDE SUR DES ARGUTIES JURIDIQUES

«Conscient de tout cela et dans la perspective d’apporter la réponse à la sollicitation des participants au Dialogue national de Sibiti, j’ai interrogé la Cour suprême, en sa qualité de conseil du gouvernement, et requis l’avis de la Cour constitutionnelle sur la possibilité d’organiser un référendum sur l’évolution des institutions de la République. Ces deux hautes juridictions m’ont répondu positivement.

Mes Chers Compatriotes, En me fondant sur le premier alinéa de l’article 3 de la Constitution qui stipule que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce au moyen du suffrage universel par ses représentants élus ou par voie de référendum », et sur le troisième alinéa de l’article 110 de la Constitution qui attribue l’initiative des référendums au Président de la République concurremment avec le Parlement,

J’ai décidé de donner la parole directement au peuple afin qu’il se prononce sur le projet de loi énonçant les principes fondamentaux de la République, définissant les droits et devoirs des citoyens et fixant les nouvelles formes d’organisation et les nouvelles règles de fonctionnement de l’Etat».

Les trois paragraphes constituent la substance juridique et constitutionnelle du message présidentiel qu’il convient d’analyser.

A. SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE ET DE LA COUR SUPRÊME

Pour organiser son référendum, le chef de l’Etat a demandé l’avis des deux juges suprêmes du pays, celui de l’ordre judiciaire (Cour suprême) et celui de la légalité constitutionnelle (Cour constitutionnelle). La démarche parait positive et semble répondre aux exigences du texte fondamental. Toutefois, à y voir de plus près, le président et ses juristes font souffrir le droit pour faire parler la politique.

La compétence d’attribution des juges;

Tous les juristes savent que la compétence d’une juridiction judiciaire ou constitutionnelle est toujours attributive, c’est-à-dire la compétence de la Cour constitutionnelle ou même celle de la Cour suprême est délimitée par la Constitution. En d’autres termes, elles (les Cours) ne peuvent exercer que les seules compétences qui leurs sont expressément attribuées par la Constitution.

Pour ce faire; il convient donc de voir si la Constitution autorise le président à recourir à l’avis de ses deux juridictions pour faire «évoluer les institutions» que dis-je, pour changer la Constitution par voie référendaire?

1. De la Cour constitutionnelle

Il ressort de l’article 147 de la Constitution que la Cour constitutionnelle «veille à la régularité des opérations de référendum et en proclame les résultats». Toutefois, l’article 86 alinéas 2 précise qu’«avant de soumettre le projet au référendum, le président de la République recueille l’avis de la Cour constitutionnelle sur sa conformité à la Constitution».

Dès lors, il est clair que la saisine de la Cour constitutionnelle n’intervient qu’à partir du moment où un projet référendaire existe. Pour qu’un projet existe, il doit avoir été adopté par le Conseil de Ministres – un projet de référendum bouclé, précisant la question à poser au peuple. Or, le compte-rendu du dernier Conseil de Ministres ne dit mot sur un quelconque projet de référendum. Sur quelle base le juge constitutionnel s’est-il prononcé pour donner son avis favorable?

Par ailleurs, il n’a pu être saisi sur le fondement de l’article 110, puisque ce dernier ne fait que préciser les auteurs de l’initiative du référendum. En revanche, saisi sur la base de l’article 86 al. 2, il se devait de vérifier l’objet du référendum que précise pourtant le premier alinéa du même article «tout projet portant sur l’organisation des pouvoirs publics, les garanties des droits et des libertés fondamentaux, l’action économique et sociale de l’Etat ou la ratification d’un traité». La vérification de l’objet du référendum aurait conduit à déclarer inconstitutionnel le projet présidentiel, puisque le changement de Constitution ne relève pas de l’article 86 al.1er du texte fondamental.

C’est pourquoi, au lieu de s’appuyer sur la disposition matricielle du référendum (art. 86), le chef de l’Etat a invoqué l’article 110, qui n’a rien avoir avec l’organisation d’un référendum. Il s’agit d’une SUPERCHERIE CONSTITUTIONNELLE ET UN HOLD-UP JURIDIQUE.

2. De la Cour Suprême

Le recours à l’avis de la Cour suprême, en tant que conseiller du Gouvernement semble poser moins de difficultés. Toutefois, au nom de la compétence d’attribution, les domaines dans lesquels ce conseil est requis semble aussi précisés par la Constitution. En effet, le caractère exceptionnel d’une telle procédure doit forcement entrainer une compétence déterminée par notre Charte fondamentale. Ainsi, en matière d’initiative des lois, l’article 118 pose expressément la compétence de la Cour suprême. Il est donc possible d’affirmer que dès lors qu’un projet de lois est adopté en Conseil de Ministres, l’avis de la Cour suprême est requis. C’est le cas notamment de la décision de guerre prévue par l’article 130 al.2, de l’état d’urgence, prévue par l’alinéa 3 et de l’état de siège prévu par l’alinéa 4.

Cette situation s’explique par deux faits : le premier est le fait de la compétence d’attribution déjà évoquée, qui implique que les projets de lois adoptés en Conseil de Ministres recueillent l’avis de la Cour suprême. Le second, se justifie par le fait que le caractère des décisions potentiellement attentatoires aux libertés fondamentales, implique de recevoir l’avis de la juridiction judiciaire, qui, à la lecture de l’article 138 alinéa 2 est «le gardien des droits et des libertés fondamentales».

Toutefois, pour ce qui est des décisions relevant des options irréversibles de l’Etat, des hautes décisions politiques, seule la Cour constitutionnelle et la représentation nationale sont saisies. Ainsi, dans le cas de la dictature romaine, prévue par l’article 84, seule la consultation de la Cour constitutionnelle et des présidents des chambres parlementaires est requise. Au demeurant, l’article 86 à raison, ignore complètement le juge judiciaire, la consultation présidentielle était donc superfétatoire.

B. SUR LE MANIEMENT DES FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS

Ce sont donc les articles 3 et 110 du texte fondamental qui constituent les bases constitutionnelles de la démarche présidentielle.

1. Quant à l’article 3

Par un tour de passe-passe, les juristes du président essaient de convaincre que l’article 3 qui dispose que : «souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce au moyen du suffrage universel par ses représentants élus ou par voie de référendum», peut constituer une base référendaire susceptible de permettre l’organisation d’un référendum portant sur le changement ou NON de la Constitution.

Une telle démarche est à la fois hasardeuse et dangereuse.

HASARDEUSE, parce que l’article 3 de la Constitution congolaise n’est pas sans histoire – il s’agit en réalité de la copie de l’article 3 de la Constitution française de 1958. Cet article tente de faire la synthèse entre deux tendances de la révolution française: la souveraineté populaire – celle exercée directement par le peuple et la souveraineté nationale – celle exercée par les représentants élus par le peuple. Les deux courants ont traversé les âges et suscitent encore aujourd’hui de nombreux débats. C’est pourquoi, l’article 3 de la Constitution française, copiée au Congo, tente cette synthétisation pour permettre une cohabitation entre la démocratie directe et la démocratie représentative – c’est la démocratie semi-directe.

Prétexter que cet article peut fonder un changement de Constitution est une grossière erreur d’amateurs constitutionnalistes ou une manœuvre dilatoire de juriste-prestidigitateurs. En réalité, contrairement aux alinéas 3 et 4 de l’article 3 de la Constitution du 27 octobre 1946 en France, qui distinguaient, en effet, l’exercice de la souveraineté nationale « en matière constitutionnelle » — c’est-à-dire en matière de révision de la Constitution — de son exercice « en toutes autres matières » — c’est-à-dire en matière législative. Notre article 3, comme celui de la Constitution de 1958 ne fait aucune distinction. Pour autant, ceci ne justifie pas d’y recourir pour attenter à la démocratie. Au contraire, cet article vient simplement souligner le fait que le régime admet deux modes opératoires dans la prise de décisions : le mode direct qui est l’expression du peuple, et le mode indirect – qui est l’expression de ses représentants. Où est donc le quitus constitutionnel recherché ?

DANGEREUSE parce que le chef de l’Etat fait une lecture incomplète de l’article 3 : il le cite et se limite au premier alinéa. Or, le deuxième alinéa est encore plus édifiant puisqu’il apporte des limites au premier. De cette manière, il pose que : « l’exercice de la souveraineté ne peut être l’œuvre d’un citoyen, ni d’une fraction du peuple ».

Devant quoi sommes-nous témoins aujourd’hui, sinon l’exercice de la souveraineté par une fraction du peuple ?

Le dialogue de la majorité présidentielle à Sibiti avait conclu à l’iniquité et l’absence de transparence du processus électoral, justifiant des reformes de la loi électorale – comment dès lors croire que la souveraineté est exercée par le peuple depuis 2002 si les élections sont viciées?

D’ailleurs, l’article 4 de notre Constitution qui est en réalité l’alinéa 4 de l’article 3 de la Constitution française de 1958 dispose que: «le suffrage est universel, direct, indirect, libre, égal et secret».

Sans tomber dans un débat de numérotation d’articles, il est clair que le constituant français, à l’origine des dispositions de l’article 3, avait entendu préciser que: pour considérer que la souveraineté s’exerçait réellement, les élections ou la consultation directe (référendum), devrait être: LIBRE, ÉGALE et SECRET. Nous savons tous que ni la liberté, ni l’égalité, ni moins encore le secret ne sont assurés dans le processus électoral dans notre pays. A titre d’exemple, je vous invite à relire les résultats du dernier recensement, qualifié de scandaleux par tous – mais aussi, le découpage électoral qui donne des villes comme OWANDO avec un peu moins de 50000 habitants deux députés et à l’arrondissement 3 Tie-Tie avec plus de 100000 électeurs, le même nombre de sièges.

2. Concernant l’article 110

Quel constitutionnaliste sérieux peut justifier un référendum sur une base constitutionnelle aussi évasive que celle qui désigne simplement les auteurs de l’initiative référendaire. Nous avons déjà évoqués ce tour de passe-passe constitutionnel.

Pour autant, il faut dire au président de la République, que le recours au référendum n’est pas le nec plus ultra démocratique. En réalité, bien que le peuple soit titulaire de la souveraineté en vertu de la Constitution elle-même, il n’est pas souverain par nature, «mais seulement en conséquence d’une habilitation reçue de la Constitution». Qu’ainsi, la loi référendaire n’exprime cette souveraineté «que dans le respect de la Constitution», comme le soulignait le Conseil constitutionnel en France (Décision n° 85-197 DC du 23 août 1985). Dès lors, l’absence de respect de la Constitution rompt le pacte qui lie le peuple aux gouvernants.

C. ET LE PARLEMENT?

Dans le discours présidentiel, aucun mot pour la représentation parlementaire. Dans ses approximations interprétatives, le chef de l’Etat considère que l’article 3 institue un face à face entre le président de la République et le peuple, c’est complètement faux. En effet, bien que l’article 86 ne mentionne pas l’intervention du pouvoir délibératif. Néanmoins, il faut relire l’article 111 pour constater que le régime des consultations référendaires relève du domaine de la loi et qu’ainsi, aucun REFERENDUM NE PEUT ÊTRE ORGANISE SANS LE VOTE D’UNE LOI DÉFINISSANT LE RÉGIME DE LA CONSULTATION RÉFÉRENDAIRE.

Avant de consulter les Cours constitutionnelle et suprême, le président devrait projeter une loi organisant le régime des consultations référendaires. En l’absence, comment va-t-il s’y prendre?

III. UNE FAUTE POLITIQUE

Le chef de l’Etat menace les congolais opposés à cette démarche. Au nom de la paix et de la stabilité tout le monde doit se ranger derrière la supercherie constitutionnelle à l’œuvre. Il oublie que la meilleure garantie de la paix et de la démocratie c’est simplement le respect des règles. Est-ce un hasard si depuis de nombreuses années, le Sénégal, le Bénin ou encore le Ghana vivent en paix et dans la stabilité? Peut-on expliquer par une simple coïncidence le fait que la République du Congo, la RDC, le Burundi, la Côte D’ivoire et bien d’autres vivent le cycle des violences électorales?

Non Monsieur le président, vous commettez une faute politique en faisant SOUFFRIR LE DROIT POUR FAIRE PARLER LA POLITIQUE.

Sur le plan national ;

C’est toujours lorsque le pouvoir tend vers la dérive dictatoriale que les forces de la Nation se lève pour s’y opposer avec virulence. Pensez à la révolte contre Youlou qui voulait secrètement introniser le parti unique, à Massamba-débat avec sa JMNR à Ngouabi que certains ont qualifié de «fossoyeurs de la révolution», à vous-même en 1991, pour la dérive du système PCT, mais aussi au président Lissouba dont la pratique du pouvoir était à bien des égards contestable.

Sur le plan international ,

Malgré les nombreux avertissements des partenaires du Congo: France, USA, Francophonie, Union africaine, vous persistez, au banc de la légalité constitutionnelle, à organiser un référendum dont l’objectif à peine voilé est le maintien au pouvoir de votre caste et de la cohorte des courtisans qui vous entoure.

Votre attitude relève de l’HUBRIS.

Face à cette démesure que reste – t-il aux congolais, sinon LE STRICT RESPECT DE L’ARTICLE 10 DE LA CONSTITUTION.

Vivien Romain MANANGOU

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