Le Docteur Etienne Mokondjimobé, pharmacien biologiste, Directeur de la biologie médicale au Laboratoire national de santé publique, est enseignant chercheur à l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville. Il est également membre de la Commission nationale des droits de l’homme.
Libre penseur et observateur averti, dans l’interview ci-après, qu’il a bien voulu nous accorder, sur le dialogue national, le Docteur Etienne Mokondjimobé a une réflexion de politologue. Pour mieux comprendre le fond et la forme de ce dialogue, il ramène les Congolais dans les repères de l’histoire politique nationale, dont il tire de riches enseignements. Et, par conséquent, il perçoit dans ce dialogue une espèce de gadget politique ! Ecoutons-le.
Comment voyez-vous le fond et la forme du Dialogue national 2015 ?
Vous me permettrez, avant de répondre à cette question de faire une nécessaire introduction. Les dialogues nationaux qui se sont déroulés dans ce pays sous le monopartisme et qui prirent différentes dénominations, j’en citerai trois ; la conférence d’information du 15 au 18 avril 1972, la conférence nationale du 31 juillet au 7 août 1972 et la conférence nationale du parti du 20 au 27 novembre 1976, ont été organisés à la suite des crises qui ébranlèrent les fondements vitaux du régime du parti unique. Puis vint 1989.
Cette année charnière de la fin du XXème siècle scelle au niveau mondial la fin des régimes du parti unique dans les pays de l’Est en liquidant concomitamment les séquelles de la seconde guerre mondiale. En 1991 les Congolais réalisèrent ainsi la connexion avec les idéaux de la liberté de la parole, de la démocratie, des droits de l’homme, de la dignité humaine, en organisant la Conférence nationale souveraine qui liquida le régime du parti unique. Vous avez sûrement compris que je voulais simplement indiquer que dans la plupart du temps, les crises sont génératrices de grandes rencontres nationales et internationales. Pour répondre précisément à votre question, sur le fond, ma réponse est interrogative. Avez-vous décelé depuis 2002, une crise majeure qui menace la nation congolaise ? Avez-vous vu les Congolais et les Congolaises vaquant tranquillement à leurs occupations quotidiennes menacés la sécurité et l’intégrité de I’ Etat ?
Avez-vous perçu dans le fonctionnement de nos instruments de navigation se profiler une crise institutionnelle ?
Je crois que chacun des hommes libres de ce pays peut apporter sa réponse sans démagogie. Je constate seulement avec amertume que les examens du baccalauréat dans notre pays, se déroulent non pas dans les salles des examens mais dans la rue !!! Un dialogue national à ce sujet est tout indiqué. Lorsque la formation de la jeunesse d’un pays s’organise dans la rue, cela signe fatalement une crise majeure de la déliquescence de l’Etat. Sur la forme, je dirai que c’est un dialogue national de circonstance qui est orienté sur 2016 ! Un gadget politique en quelque sorte !
Qu’est-ce qu’il fallait faire à la place du dialogue national ? Quelle est l’utilité d’un dialogue national ?
Un dialogue national est un moment décisif pour parvenir à une exigence fondamentale qui consiste à faire ensemble la politique. Cela suppose d’abord le respect des codes qui structurent notre « vivre-ensemble», c’est-à-dire le respect de la constitution de 2002. N’oublions pas que nous sommes en démocratie.
Notre ambition commune est de faire jaillir de cette terre congolaise un Etat de droit. Celui-ci n’est nullement providentiel, il est la résultante de durs combats qui se déroulent sur de nombreux fronts englobant l’éthique, la culture, l’économie, l’éducation, le social et même parfois la guerre, bref, c’est toujours un combat renouvelé entre les démocrates et les contre-démocrates, entre les modernistes et les archaïques, les progressistes et les conservateurs, entre les fanatiques du repli identitaire et les universalistes.
Ce dialogue pouvait avoir comme fonction essentielle de résoudre d’abord l’épineuse question de la gouvernance électorale et de recueillir les suggestions issues la lecture critique de la constitution de 2002.
Ainsi, à l’issue de l’élection du nouveau Président de la République en 2016, l’actuel Président de la République aura la noble mission de transmettre au nouvel élu les conclusions du dialogue de Sibiti qui permettront de moderniser la constitution de 2002.
Qu’attendez-vous du Président de la République ?
Qu’il respecte et défende d’abord la constitution du 20 janvier 2002. Qu’il se méfie de ces « nouveaux penseurs du désordre institutionnel ». Qu’il se hisse à la hauteur de l’histoire pour que le « vivre-ensemble » qui se construit depuis la tragique épopée de la démocratie de l’intimidation soit le legs qui nourrit la République.
Votre dernier mot ?
Les Congolais doivent retrouver la marche du temps et l’esprit des lumières. Dans cette quête, la République doit toujours être perçue comme l’horizon indépassable de notre temps. Ainsi, la République est toujours une construction citoyenne et non un héritage ethniciste.
Chaque fois, lorsque les circonstances permettent aux Congolais de se retrouver dans des forums, des dialogues, des conférences ; ils doivent toujours se placer dans des postures de construction d’avenir, donc de l’édification du sens. On ne construit pas l’avenir avec des improvisations hasardeuses.
Propos recueillis par Cortodin NZELANGANI, Journal Droit de Cité