des-billets-de-10000-f-cfa-4672628Par :  Noël Magloire NDOBA

Le 2 octobre 2015, à Paris, la réunion semestrielle des ministres des Finances de la zone franc pourrait ressembler à l’une des deux que l’année 2010 avait vu se tenir par rapport à un contexte qui était alors celui du 50e anniversaire des indépendances « formelles » de presque tous les pays membres de ladite zone.

On pourrait, fin 2015, retrouver l’ambiance de cette réunion de 2010 au cours de laquelle les argentiers africains avaient entendu s’exprimer un défi inattendu de la part de l’Etat français. Un défi, en effet, à travers le propos suivant qu’avait tenu l’actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), à l’époque ministre française de l’Economie et des Finances et, à ce titre, présidente de ladite réunion. « Si les Etats africains veulent mettre fin à la coopération monétaire avec la France, qu’ils le disent ! » Ainsi s’était donc exprimée la ministre Christine Lagarde.

Un tel propos, qui n’était jusqu’ici pas connu dans l’opinion publique, sera peut-être un jour repris par les historiens. Ceux-ci préciseront alors les trois faits suivants au moins. Premier fait: Christine Lagarde répondait ainsi, pour les pousser dans leurs derniers retranchements, à ses néanmoins collègues de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac), de l’Union économique et monétaire ouest- africaine (UEMOA), et des Comores, dont certains – Ivoiriens et Sénégalais au premier rang – demandaient la révision de la règle de gestion du compte des opérations de la zone franc. Une demande visant le but suivant : que chaque pays de la Cemac et de l’UEMOA, de même que l’Etat comorien, y dépose désormais au maximum 50% au lieu de 65% de ses réserves de change comme c’était le cas depuis les années 1980.

Les Etats de l’UEMOA gagneraient à préparer le passage du franc CFA à une monnaie unique au sein de la Cedeao.

Deuxième fait: la tactique de rupture de la ministre française avait atteint son but puisqu’aucun Etat n’avait décidé de mettre fin à son appartenance à la zone franc.

Le troisième fait était un compromis: par la suite et conformément à la règle alors révisée, l’obligation pour chaque Etat de la Cemac, de l’UEMOA et les Comores de déposer 50 % de ses réserves de change dans le compte d’opérations (contre 100 % avant 1972, 80 %, puis 65 %). Le problème de la rémunération des réserves déposées restant toujours posé.

En 2015, le 2 octobre précisément, à Paris, on pourrait entendre les ministres des Finances du Congo, de la Guinée équatoriale et du Tchad notamment, relancer le problème au niveau où, il y a cinq ans, les Ivoiriens et les Sénégalais l’avaient posé. L’« attaque » – le mot est juste –, qui viendrait alors des pays pétroliers de la Cemac et non des leaders de l’UEMOA, pourrait se baser sur un argument imparable et pourtant inefficace: la « souveraineté ». Derrière ce mot, le même besoin que les chefs de file de l’UEMOA avaient su mettre en avant, parfois avec la théâtralité inspirée par le président sénégalais Abdoulaye Wade des années 2007 et 2008, lequel jouait au « I want my money back! » dans le style Thatcher, réclamant, pour son pays, non seulement une baisse du pourcentage obligatoire des réserves de change déposées dans le compte des opérations, au Trésor français, mais aussi un retour dans les caisses de l’Etat, d’une part des capitaux sénégalais « dormant » au niveau de la Banque centrale de l’UEMOA. Ces capitaux, dont il trouvait le montant disproportionné par rapport aux besoins de financement de son pays. Au final, l’UEMOA et Abdoulaye Wade en tête, n’avaient pas réussi une « réforme » de la zone franc et ils ne pouvaient même pas imaginer une « révolution » dont ils seraient les acteurs, malgré les diatribes anti-zone franc que l’ex-ministre des Finances et président de l’Assemblée nationale ivoirienne, le libéral Mamadou Coulibaly, savait faire dire et écrire par des jeunes militants qualifiés de « patriotes ». De fait, l’UEMOA avait tout juste impulsé un élan pour obtenir quelques « retouches », loin d’une logique de « souveraineté » que les acteurs politiques véritablement patriotes et qui sont nécessairement des panafricanistes conséquents, savent mystificatrice si elle doit se traduire par une « révolte » aboutissant à la régression que constituerait la création d’une monnaie nationale dans chaque pays.

Il faut le souligner: au regard des faits de la crise économique internationale qui se poursuit, et quand on observe lucidement comment les pays de la zone euro ont tout fait pour éviter jusqu’à présent la sortie de la Grèce de ladite zone monétaire le fameux Grexit, même à titre temporaire comme l’envisageait, en juillet 2015, le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble –, l’appartenance à une union monétaire ayant une monnaie commune ou une monnaie unique restera un avantage comparatif redoutable tant que la « mondialisation » se traduira par une plus grande ouverture de tous les pays dans l’espace des relations économiques internationales. De ce point de vue, les Etats de l’UEMOA gagneraient à préparer un passage du franc CFA à un possible « afro », monnaie commune ou unique de l’ensemble des pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), dont la locomotive est la première puissance économique du Continent, le Nigeria.

Il n’y a pourtant rien de rassurant quand les Ivoiriens entretiennent chaque année la rumeur selon laquelle la dévaluation du franc CFA arrive, alors que ce pays lui-même ne donne pas le tempo pour une perspective monétaire panafricaniste. Il n’y a rien de réconfortant quand le FMI demande à Abuja une deuxième dévaluation du naira en cette même année 2015, alors qu’aucun leadership monétaire panafricaniste ne s’observe dans ce pays qui devrait être la locomotive ouest-africaine en ce qui concerne le combat pour une monnaie commune ou unique sous-régionale d’abord puis, à long terme, à l’échelle du Continent pour le plus grand nombre possible d’Etats politiquement engagés dans le projet « Etats-Unis d’Afrique ».

Si en Afrique de l’Ouest tout se passe comme s’il convenait de temps à autre d’agiter le spectre d’une « guerre du franc CFA » ou d’une « sortie de la zone franc », tout en renvoyant chaque fois aux calendes grecques le projet de monnaie sous- régionale, malgré le fait que la faisabilité d’un tel projet soit depuis longtemps établie, il se trouve qu’en Afrique centrale, du côté de la Cemac, les chefs d’Etat des pays pétroliers veulent prendre le relais.

L’« attaque » relèvera du mimétisme et restera verbale avec le président tchadien Idriss Déby Itno demandant, dans son dis- cours du mois d’août 2015, à l’occasion de la fête de l’indépendance, d’en finir avec le franc CFA. Avec le taux de croissance le plus élevé de la Cemac en 2014, soit 6,3 %, le Tchad peut « parler ». Mais, jusqu’où ?

La Guinée équatoriale n’est plus à l’époque où sa diplomatie des pétrodollars lui permettait d’atteindre divers objectifs, y compris par l’humiliation. Par exemple, lorsque le numéro un équatoguinéen avait réussi à imposer son compatriote à la tête de la Banque des Etats d’Afrique Centrale (BEAC), en 2010. Avec un taux de croissance négatif (– 10,1 %) en 2014 (selon les statistiques officielles de la zone franc), ce pays ne peut plus « parler ». Sauf à imiter Abdoulaye Wade.

Une nouvelle forme d’« attaque » pourrait venir du président congolais Denis Sassou Nguesso. Celui-ci utiliserait – à ce qu’il semble – une arme qu’il a bien su manier lors de son séjour de travail à l’Elysée, le 7 juillet 2015 : le chantage. Et cette fois-ci, selon nos sources, il voudrait aller plus loin, au nom de la « souveraineté », en défendant le curieux projet de déposer auprès de la Banque centrale de la république populaire de Chine une partie des réserves de change, tout particulièrement les réserves provenant des transactions entre Brazzaville et Pékin. Il est vrai que la Chine est actuellement le premier créancier du Congo. Il est également vrai que le Congo a l’obligation d’avoir un solde créditeur, au minimum à hauteur de 20 % de l’encours de ses emprunts, et ceci dans un compte de la Banque d’import-export, la China Exim Bank.

Le Congo pourrait-il être le premier Etat de la zone franc à faire du yuan une monnaie convertible ?

Mais, le fait est que Denis Sassou Nguesso et les experts qui sont à son service suivent de très près le phénomène nouveau que la Chine vient de créer en signant, en cette année 2015, des accords avec certains pays africains – l’Afrique du Sud, le Ghana, le Nigeria, et tout récemment avec l’Angola afin que le yuan chinois ait cours dans ces pays, la contrepartie étant la convertibilité, en Chine, des monnaies nationales de ces pays. L’actuel chef de l’Etat congolais, qui arrivera le 14 août 2016 à la fin de son second et dernier mandat en tant que président de la République constitutionnellement en poste, voudrait-il faire du Congo le premier pays de la zone franc où le yuan serait convertible comme l’euro? Cette question n’est pas celle que poseraient seuls des économistes provocateurs.

La Realpolitik pourrait réserver plusieurs surprises dans la zone franc, pour le meilleur et pour le pire. Car voici les temps difficiles. Après quatre années de niveau élevé des cours du pétrole, la chute est forte depuis le milieu de l’année 2014. Le prix du baril de Brent – comme on en produit au Congo a été divisé par plus de deux entre juin 2014 et janvier 2015, le mois où il a atteint son plus bas niveau depuis avril 2009 (48,40 dollars). Pour 2016, la Banque mondiale prévoit une légère hausse de 4 dollars par rapport au prix moyen qui va se situer à 53 dollars le baril en 2015. Et dire que ce prix signifie une baisse de 45 % par rapport à la moyenne de 2014.

Rien ne dit qu’un chef d’Etat désireux de rester « président à vie » ne peut pas prendre comme bouc émissaire l’appartenance à la zone franc et comme voie de « salut » l’exemple pourtant impossible des pays dits « souverains » qui se soumettent à la logique d’internationalisation de la monnaie chinoise. Le krach boursier du 25 août 2015 et les trois dévaluations successives du yuan dans le même mois montrent les limites chinoises dans une « guerre de monnaies » et l’impossibilité d’un « coup d’Etat » anti-zone franc qui élargirait une « zone yuan » encore hypothétique.

Un colloque de la Fondation Gabriel Péri abordera, le 17 septembre 2015, à Paris, la question du devenir du franc CFA. En traitant de cette même question en quelques minutes sur la chaîne de télévision TV5 monde, le 5 mars 2015, j’avais conclu avec l’idée suivante : certes, des scénarios existent pour avancer vers la création et l’utilisation des monnaies communes ou uniques au sein des communautés économiques régionales d’abord, puis à plus grande échelle ensuite, au niveau continental, mais la question est d’abord, ici et maintenant, celle de la « bonne gouvernance ». Précisons que l’illusion monétaire ne permettra pas de résoudre le plus grand problème actuel à l’intérieur des pays africains: les inégalités sociales croissantes qui font le jeu de ces oligarchies que l’on entend clamer très fort le mot « souveraineté ».

Et pourtant, peut-on oublier qu’au cours du Sommet de la Francophonie, qui s’est tenu en novembre 2014, le président français François Hollande, avait interpellé les chefs d’Etat de la zone franc presque dans les mêmes termes que la ministre des Finances Christine Lagarde, en 2010? Kako Nabukpo, ancien ministre togolais, l’a rappelé à l’élite des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence (3-5 juillet 2015). Reste ce que l’on ne saurait voir – par hypocrisie – : le franc CFA mourra avant 2025 non pas à cause d’un « choc dollar », lié à l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), mais d’un « choc euro ».

Résultat de la confrontation entre la stratégie paneuropéiste de la France et celle paneuropéenne de l’Allemagne autour de l’euro. Quitte aux panafricanistes et aux panafricains d’anticiper, à la faveur de l’alternance démocratique.

La mondialisation et « nous »

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Noël Magloire Ndoba (bantuonline2009@gmail.com)