L’économiste Kitsoro Firmin kinzounza prévient : En février, au plus tard, l’économie congolaise sera dans le coma !

Dr Kitsoro

Par : Dr Kitsoro Firmin C. Kinzounza.

C’est depuis deux mois que la délégation du FMI, sur laquelle le Congo mise plus que jamais, est passée à Brazzaville. Mais loin de s’éclaircir, la situation ne cesse de s’obscurcir avec le cumul des arriérés des salaires, des pensions, des bourses, et maintenant le retard de paiement des salaires des fonctionnaires. Les Congolais s’inquiètent et s’interrogent sur l’aboutissement, heureux ou pas ?, des négociations avec le FMI.

Devant les interrogations qui sourdent, le Dr Kitsoro Firmin C. Kinzounza, économiste et consultant international en management, explique avec pédagogie, dans l’entretien ci-dessous, ce que le Congo peut faire dans l’urgence pour que ces négociations aboutissent et que soit évitée «la marche forcée non pas vers le développement, mais vers les émeutes de la faim».
*Après le passage du FMI, les Congolais continuent à s’interroger sur la suite des négociations avec cette institution financière. Où en est-on?
** Il est vrai que ces négociations ont suscité beaucoup d’espoir, surtout après la déclaration du président de la République le 14 août 2017 et l’interview du Premier ministre à Jeune Afrique toujours en août 2017. Au Gabon, en juin 2017, le Gouvernement avait déclaré un taux d’endettement de 61% du PIB. Ce taux ayant été validé par la mission du FMI, en fin juin le Conseil d’administration du FMI a décidé de décaisser 60 milliards à la signature du Programme. En octobre 2017, le Gabon a soumis à l’appréciation du FMI un plan de relance de l’économie, le PRE 2017-2019. Il a été validé par le Conseil d’administration du FMI en fin octobre, qui a autorisé le décaissement de 400 milliards pour son financement. Dans la foulée, la BAD et l’AFD ont manifesté leur intention de le financer. Il faut ajouter à cette performance du Gouvernement gabonais la tenue d’un séminaire gouvernemental du 14 au 15 août qui a permis à l’équipe gouvernementale de voir dans la même direction et de s’approprier les objectifs stratégiques du Plan de relance économique.

*Pourquoi parlez-vous du Gabon, alors que ma question porte sur le Congo? **C’est pour montrer qu’à force de jouer à cache-cache avec le FMI, l’économie de notre pays va passer de la dépression à la récession économique… En d’autres termes, elle va passer de la perfusion au coma, alors qu’au Gabon elle est passée de la crise à la relance. Le plan de relance du Gabon contient des programmes de relance et de stabilisation. Au total, il se décline en 5 programmes comme suit: – Programme 1: optimiser les recettes et le financement de l’économie; – Programme 2: maîtriser les dépenses; – Programme 3: renforcer la compétence des filières «moteurs» de croissance; – Programme 4: améliorer le cadre des affaires pour faciliter l’initiative privée; – Programme 5: améliorer la qualité des services aux citoyens.

Ainsi, les programmes 1 et 2 font partie du Plan de relance économique au sens strict. Il s’agit en effet, avec ces deux programmes, de permettre à l’Etat à la fois d’arrêter l’hémorragie financière et de se doter des moyens de financement de ses projets de reprise économique. Quant aux programmes 3, 4 et 5, ils font partie du plan de stabilisation dont le résultat attendu est de créer les conditions de reprise de la croissance, en renouant notamment avec l’équilibre budgétaire.

*Ça, c’est ce qui se fait au Gabon, mais chez nous, au Congo… ? ** Votre insistance me surprend, car en vous parlant du Gabon, je pensais que vous alliez vous-mêmes conclure que le Gouvernement congolais semble ne pas comprendre que la situation économique se dégrade au jour le jour. Le programme d’action du Gouvernement présenté devant l’Assemblée nationale le 16 novembre 2017 a surpris par son irréalisme. En effet, ce n’est pas le moment d’exposer les objectifs du PND. Le PND 2001-2016 avait été adopté et n’a jamais été exécuté. Pourquoi? Nul ne le sait, mais on a tourné la page en élaborant le PND 2017-2021 en lieu et place d’un plan de relance de l’économie (durée: 6 mois) et d’un Plan de stabilisation de l’économie (durée: 2 ans). C’est au terme de l’exécution de ces deux plans que l’on aurait pu élaborer le PND 2019-2024 ou 2020-2025.

Je le répète: l’économie est sous perfusion et en fin février, elle sera dans le coma. Il faut mettre en place un plan d’urgence pour arrêter la perfusion et éviter le coma. Voilà les défis à relever. Après, l’on pourra identifier la formation et la diversification de l’économie comme facteurs permettant d’aller de l’émergence économique au développement économique.

*A vous entendre, le Gouvernement congolais, comparé à celui du Gabon, fait fausse route. Comment expliquez-vous cela? 
** Si vous avez des retraités et des étudiants avec des arriérés de 11 mois, l’université Marien Ngouabi avec des arriérés de 5 mois, le CHU-B avec des arriérés de 4 mois, etc…Il faut trouver des solutions urgentes. Celles-ci passent par la reprise en main de la Direction générale des impôts et de la Direction générale des Douanes. Il faut que le premier ministre signe un contrat de performance avec le ministre des Finances, et ce dernier avec  les Directeurs généraux des impôts et des Douanes. A charge pour chacun de ces DG de faire de même avec ses différents directeurs centraux. Il s’agit donc de généraliser la Gestion axée sur les résultats (GAR) dans les régies financières. Supposons que la DG des impôts ait réalisé 760 milliards en 2016; si l’objectif en 2017 est de 600 milliards, cela représente 150 milliards par trimestre. A chaque responsable des structures d’assiette sera assigné un objectif chiffré de manière à ce que le total soit égal à 150 milliards. Chaque responsable de structure d’assiette qui n’aura pas atteint son objectif sera purement et simplement remercié: c’est cela l’essence même de la GAR. Faire autrement, c’est désorganiser le système de la Gestion axée sur les résultats et donc priver l’Etat des recettes qui lui auraient permis de couvrir les charges courantes de tout Etat digne de ce nom. Ma question est simple: pourquoi ne le fait-on pas? Et si on ne le fait pas, qui doit sanctionner ceux qui ne le font pas? A moins qu’en ne faisant rien, l’on veuille inciter les populations à sortir dans la rue pour revendiquer leurs droits !

*Mais, dans son Programme d’action gouvernementale, le Premier ministre a annoncé des mesures d’ajustement interne à court terme, par exemple l’élargissement de l’assiette fiscale, la lutte contre la fraude fiscalo-douanière, la suppression des exonérations exceptionnelles, la réduction du train de vie de l’Etat à tous les niveaux… ** Je pense que le Gouvernement gagnerait beaucoup à communiquer. Vous avez cité des mesures d’ajustement interne. Très bien. Questions: depuis quand a-t-on commencé à appliquer ces mesures? Quels sont les résultats obtenus? Qu’est ce qui reste à faire?

J’aurais bien voulu entendre des messages forts. Ainsi sous la rubrique réduction du train de vie de l’Etat, par exemple ; la transformation des salaires politiques en salaires fonctionnels imposables; la limitation des dotations en communications téléphoniques, carburant et électricité; la suppression des doubles voire triples salaires. Exemple: le ministre ou le député qui enseigne à l’université Marien Ngouabi perçoit son salaire d’enseignant  et sa rémunération de député ou de ministre; la réduction du nombre des ministères, etc. Sous la rubrique «lutte contre la fraude fiscalo-douanière», la généralisation des contrats de performance assortis d’une politique d’intéressement aux résultats. Sous la rubrique «lutte contre la corruption» (Cf. le Programme d’action gouvernementale de juin 2016) mettre en avant la déclaration de patrimoine qui est une disposition constitutionnelle. Nul ne fait obligation à un citoyen d’occuper une fonction politique. S’il accepte, il doit se soumettre à l’obligation de déclarer ses biens au début et à la fin de son mandat. En dehors de ces mesures, que sont devenues celles du Programme de réformes économiques et financières de la CEMAC, le PRE-CEMAC?

*Qu’est-ce que le PRE-CEMAC?
** Les Chefs d’Etat de la CEMAC, en décembre 2016, avaient dit non à la dévaluation du F. CFA et oui aux mesures d’ajustement interne. Un comité d’experts avait été mis en place; il avait identifié 11 objectifs et 26 mesures. L’exécution de ces mesures  s’étalait sur une période soit de 6 mois à 1 an, soit de 1 à 2 ans. Quelques-unes s’étalaient au-delà de deux ans. Il serait bon de savoir entre janvier et septembre 2017 lesquelles de ces mesures ont été exécutées à 100%; lesquelles sont en cours d’exécution; lesquelles ont connu un début d’exécution; lesquelles n’ont pas encore connu un début d’exécution. Parmi ces mesures, l’on peut citer: le renforcement de la mobilisation des recettes non pétrolières; le renforcement des capacités de l’administration fiscale; la conduite des politiques budgétaires ciblées en matière des dépenses publiques; l’application rigoureuse de la réglementation de change et des mesures conservatoires prévues par les statuts de la BEAC; l’accélération du rapatriement des avoirs tant par l’Etat que par les autres entreprises  multinationales; la conception et l’application d’une stratégie intégrée de diversification de l’économie; la promotion et le développement des partenariats publics-privés; la transformation de la BDEAC en organe d’accompagnement du secteur privé et de financement de l’économie; le recours aux partenaires bilatéraux et multilatéraux, en vue d’obtenir un large accès aux financements concessionnels et non conventionnels.

*En conclusion?
**Il faut agir vite en donnant 10 jours à un comité d’experts pour élaborer un Plan de relance économique (durée: 6 mois) et un Plan de stabilisation de l’économie (durée: 2 ans). Que le Gouvernement, le Parlement et la société civile et l’opposition se  mobilisent pour mettre fin  à cette marche forcée non pas vers le développement, mais vers les émeutes de la faim. De l’expérience du Gabon, nous pouvons retenir la démarche suivante: dialogue politique, séminaire gouvernemental, élaboration du Plan de relance de l’économie et négociations avec le FMI.

Propos recueillis par  Viclaire MALONGA 

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