L'épisode Mokoko, une bien ordinaire et prévisible 'sassoulerie' politico-judiciaire

Prisonniers Personnels de sassou

Par:   Felix BANKOUNDA-MPELE

« Il n y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice » (Montesquieu)

« Le ridicule ne tue pas, …. Le ciel ne tombera pas » (dictons politiques congolais)

De façon expéditive, après d’autres bien connus et à l’issue sans équivoque, un procès s’achève, un autre commence, et d’autres sont progammés, selon la volonté et le calendrier clairement affirmés par Sassou-Nguesso et méticuleusement suivis par ses juges. Jusqu’à ce que plus tard, du haut de sa grande âme, du mahatma autoproclamé, il se résolve à la grâce ou à l’amnistie! Si, bien sûr, entre-temps, le condamné ne décède pas brutalement en prison. Une banalité au Congo. Et ça dure depuis quarante ans à peu-près! « L’ordre règne, … la démocratie est en marche au Congo», leitmotiv du général-président, sous le regard quasi imperturbable d’une opposition fabriquée et docile… et d’un peuple groggy, parce que séquentiellement criblé de balles, et qui ne rêve plus que d’un hypothétique libérateur  !

 « Vingt ans de détention criminelle », pour les chefs d’accusation d’« atteinte à la sécurité intérieure de l’État » et « détention illégale d’armes et de munitions de guerre », tel est le verdict de la Cour criminelle congolaise, rendu le 11 mai, à l’endroit du général Mokoko et consorts.

Si, quasiment dès le lendemain de la rocambolesque élection présidentielle du printemps 2016, à laquelle il s’est présenté, qui a évidemment consacré une fois de plus et dès le premier tour le dictateur plus que jamais radicalisé, et qui semble être son vrai mais officieux crime, Mokoko est incarcéré, aucun des sept autres prévenus et sanctionnés n’a cependant été présent au procès, et n’a en tout état de cause jamais été inquiété. Au delà de quelques démarches, purement symboliques, de transfert de l’un ou l’autre co-accusé.

La question, toute première et déterminante dès lors, et sur laquelle d’ailleurs le peu crédible procureur s’est prononcé et attardé longuement, avec ses arguments – démontrant ainsi qu’elle est loin d’être banale –,  est celle de savoir s’il s’agit ou pas d’une affaire politique. Autrement dit, le procès est-il ou pas politique, puisque le despote n’en collectionne déjà pas moins d’une dizaine, depuis son retour catastrophe au pouvoir en octobre 1997, dans les mallettes des forces financières et armées étrangères? L’affaire relevait-elle du droit commun, et plus précisément et en l’occurrence du pénal, comme officiellement retenue, en la soumettant à la compétence de la Cour criminelle?

La qualification, ou plutôt la démonstration de la nature réelle de l’affaire, est en vérité la seule question importante, puisque d’elle découle – et permet de comprendre –  tout le reste.

Sont utiles, pour cela, autant la qualification du régime que le profil de l’accusé, qui accusent, pour des raisons à la fois similaires et différentes, des caractéristiques  d’exception. Caractéristiques qui s’abreuvent et s’imprègnent largement de ‘sassoulerie‘, cette endémie, cette inconguité chronique, cet habitus dans lesquels sont gangrenés ceux qui, à un moment ou un autre de leur cursus politique, ont croisé et cédé aux avances du despote congolais.

DE L’ÉTAT D’EXCEPTION PERMANENT…

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de Constitution », rappelle le fameux article 16 de la Déclaration (Française) des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789.

Autrement dit, il existe une indéfectible connexion entre les droits que les citoyens sont susceptibles d’opposer au pouvoir (entendu au sens de l’Exécutif), l’indépendance des autres pouvoirs (principalement la justice) à l’endroit de ce dernier, et l’autorité de la Constitution qui les établit. Que dès lors, il est vain et illusoire de croire, d’espérer le respect des différents Droits, si la Constitution tout comme la justice sont sous l’emprise de l’Exécutif, du pouvoir ou, plus clairement, du Président. Il s’agit là, d’une vérité élémentaire de tous les temps, et qui permet de distinguer les régimes :

– aux systèmes politiques où la Constitution a et conserve son autorité, et donc l’indépendance de la justice, la garantie des droits du citoyen est formellement assurée et les décisions de justice indiscutables, selon les règles du jeu politique ou de l’État de droit tout simplement. Ce qui vaut aux régimes politiques nés et fonctionnant dans ces systèmes politiques l’appellation de Régime démocratique

– Au contraire, les systèmes politiques dans lesquels la Constitution manque d’autorité, est octroyée, instrumentalisée, manipulable à souhait, la dépendance de la justice toute entière est quasi certaine, et toute garantie des droits des citoyens est, à de rares exceptions, illusoire ou stratégique, surtout dans les relations de ceux-ci avec le pouvoir. L’autocratie ou la dictature est, naturellement, la qualification convenue et qui s’impose aux différents régimes politiques issus de ces systèmes. Il s’agit-là, une fois de plus, d’une vérité de tous temps et de tous lieux

On l’a compris, la figure du pouvoir congolais actuel, depuis 1997, remplit toutes les conditions, coche toutes les cases du deuxième schéma (cf. nos analyses, « Des chemises et des Constitutions kleenex au Congo », Mediapart, 2016 ;  « Une Constitution mort-née, la Constitution congolaise du 20 janvier 2002 », Politeia, numéro 3, 2003)

Si, depuis son indépendance en août 1960, l’histoire politique du Congo était, sans exception aucune, celle des Constitutions-président, c’est-à-dire, celle où chaque président de la République s’installait d’abord avant de faire adopter une Constitution qui lui convenait, la particularité du « Printemps africain » des années 90, avec l’inédite Conférence nationale de 1991, avait consisté à rompre avec cette pratique, en adoptant une Constitution qui précéderait et s’imposerait au prochain président à élire.

Que, par voie de conséquence, et substantiellement, le président de la République, par opposition à ce qui avait été vécu jusque-là, ne sortirait plus jamais que des urnes, selon la Constitution en vigueur avec les garanties formelles établies, pour espérer en finir avec les fameux démons du passé qu’étaient les coups d’État chroniques, la loi du plus fort ou « le pouvoir au bout du fusil » selon la formule alors officiellement consacrée, les élections-confirmation, les procès politiques, l’instabilité politique, l’inflation constitutionnelle, les crimes politiques massifs, les violations régulières et banalisées des droits et libertés fondamentaux… , pour espérer progressivement instaurer la ‘bonne gouvernance’, le dynamisme économique et enfin le grand idéal du développement.

Bien que difficile à inaugurer, et avec toutes les vicissitudes du monde, le schéma formel préconisé et démarré en juin 1991 fut  consolidé en 1992 avec, principalement, l’adoption massive par voie de référendum d’une Constitution (15 mars 1992) et l’élection du premier président de la République répondant de façon générale aux règles de l’art.

Comme tout le monde le sait, ce schéma sera violemment brisé en 1997, avec le retour sanglant de Sassou-Nguesso au pouvoir, soutenu à la fois par des forces militaires et financières étrangères, avec la complaisance d’une partie de l’élite congolaise qui se refusait à une lecture objective et historique de la situation qui comportait pourtant tous les ingrédients et démons du passé :conquête armée et auto-proclamation du pouvoir, dissolution de la Constitution en vigueur adoptée pourtant avant et indépendamment du président en place, recours à un illégal et nouveau régime transitoire de sinistre mémoire, retour immédiat des prisonniers et procès politiques, crimes massifs gratuits, députés nommés, juges constitutionnels nommés alors que précédemment ils étaient majoritairement élus par leurs pairs, instauration d’un présidentialisme forcené formel sans précédent et sans égal en Afrique, référendum et élections manifestement truqués,..

Telles sont les grandes caractéristiques et conséquences politiques du sans précédent putsch de Sassou-Nguesso de 1997 sur lequel Zacharie Bowao, universitaire et philosophe, ex- ministre de la Défense du dictateur, ne s’empêchait cependant pas d’écrire encore en juillet 2015, soit dix-huit ans après le grand et prolongé désastre, qu’  « Il est revenu au pouvoir par les armes en 1997 à son corps défendant » ! (in La Tragédie du pouvoir, Paris, Ed. Dianoia, 2015, p.63). Une visible ‘sassoulerie‘, et pas la seule, marque de fabrique de l’auteur (comme on le verra), au mépris de moult faits flagrants et aveux, dont celui de Jean-Marie Tassoua alias général Giap, conseiller militaire de circonstance du putschiste : « C’était il y a quatre ans [en 1993], au temps du Président Lissouba, Denis Sassou m’a confié la charge d’organiser clandestinement la résistance » (Figaro, 21 octobre 1997, p.4)

La Constitution congolaise du 15 mars 1992 , « la première qui dans l’histoire du pays avait précédé le président à élire, la première également à être adoptée dans un contexte  véritablement démocratique à un record de 96,32 pour cent, la première enfin à assurer plus de droits aux citoyens et à limiter les énormes prérogatives présidentielles d’antan, est sans scrupules liquidée par le général Sassou… au nom, selon lui, de la résistance contre un tyran et pour la libération du peuple congolais… », constations et écrivions-nous en 2002 (cf « Une Constitution mort-née, la Constitution congolaise du 20 janvier 2002, in Politeia, numéro 3, 2003). Opération assortie notamment, on l’a dit, de pas de moins de dix mille morts, de la soumission ou la prison pour les leaders politiques, de nouveaux procès politiques, de l’inauguration des opposants fabriqués, de la déconcentration des violences politiques (fait politique sans précédent) dans toutes les collectivités locales du sud du pays, …

Définitivement entérrée et donc jamais réhabilitée, elle sera remplacée, on l’a dit, d’abord par un nouveau régime constitutionnel et politique tranitoire ( du 24 octobre 1997) de sinistre mémoire, qui durera cinq ans, avant d’être remplacé lui-même par un nouveau régime, la Constitution du 20 janvier 2002, une nouvelle parmi les plus présidentialistes du monde, mais surtout « la plus rétrograde de l’histoire constitutionnelle et politique du Congo » (idem), puis encore étranglée par Sassou-Nguesso lui-même pour convenances personnelles le 25 octobre 2015, accompagnée par la suite, comme en 1997 et à de seules différences de degré, de tous les ingrédients habituels.

Si, pendant les cinq ans de la brève parenthèse démocratique, de 1992 à 1997, tout observateur peut noter l’absence de prisonniers et procès politiques, il constatera cependant la coincidence entre le retour et le maintien au pouvoir par la force, c’est-à-dire hors du régime constitutionnel établi –   donc UN RÉGIME D’ÉTAT D’EXCEPTION – , avec les mêmes et éternels ingrédients d’autrefois sous le monopartisme.

Sous ce dernier système (avec notamment les procès politiques de Thystère Tchicaya, Ndalla Graille, et des dizaines d’autres jugés puis exécutés), au crépuscule de son régime l’été 1990, avec « le coup d’État téké » selon les termes de son ministère de l’Intérieur d’alors (Pierre Oba) accompagné de plusieurs arrestations (Célestin Gongarad, Clément Mierassa, …), comme au lendemain d’octobre 1997 (Lissouba, Kolélas, Moungounga,…) , et comme au lendemain des épisodes de 2015 et 2016, on y retrouve les mêmes ingrédients dramatiques constitués de plus d’une dizaine de morts, de centaines de blessés, d’opposants assimilés et ceux qui s’y refusent, et encore de prisonniers et procès politiques dont Mokoko, Okombi-Salissa, Makaya Paulin et autres,  que le pouvoir en place se refuse cependant à considérer comme tels, mais plutôt comme des prisonniers de droit commun.

Prisonniers et procès politiques constituent ainsi, manifestement et sans exception, au regard de l’histoire politique congolaise, les corollaires de la dictature et de l’état d’exception, ou, selon une formule triviale locale, le tabac d’une même pipe. Difficile il apparaît, objectivement,  de soutenir l’inverse.

 Le procès, avant d’autres programmés, qui a été ouvert le 7 mai et qui s’est achevé le vendredi 11 mai 2018, c’est celui du général Mokoko, chef d’État Major général de Sassou Nguesso dans les quatre dernières années du ‘mono’ et pendant la Conférence nationale de 1991, autoproclamé inamovible pendant la transition sous Milongo (alors tout puissant Premier ministre de juin 1991 à août 1992) qui en vain essaya de l’y relever, non sans susciter une grave crise politico-militaire, assortie, comme souvent au Congo, de victimes humaines.

Maintenu au même poste par le président élu fin août 1992, Pascal Lissouba, il le quittera  en juillet 1993 dans des conditions troubles : limogeage selon le pouvoir, démission selon l’intéressé.  Plus tard, il résumera lui-même, dans son ouvrage (Congo : le temps du devoir, L’harmattan, 1995), les rapports, plutôt compliqués, avec ces différentes personnalités.

De la  dernière, le président élu,  Pascal Lissouba, « confortablement élu avec le soutien et l’aide du PCT » (p.58), homme de pourrissement (p.59) des situations, aux actes non exempts de malice (p.68), mais surtout non respectueux des accords (p.63), dit-il. De Milongo, un « brave homme » manipulable (p.49) et « un Premier Ministre bien mal conseillé » (p.46).  De Sassou-Nguesso, qu’il n’a cessé, dès le début de l’ère démocratique, de le (Mokoko) soupçonner de « connivence et intelligence » (p.43) avec ses adversaires politiques, mais qu’il présente, suite à sa disqualification par le peuple, comme « habité par un souci extrême, celui de laisser le pays en de bonnes mains » (p.57). (Sur cet ouvrage, cf   notre analyse : « Un général pas comme les autres? À propos de ‘Congo. Le temps du devoir’ du général JMM Mokoko », in Politique africaine, numéro 63, 1996 ou au journal (congolais) Le temps, numéro 48 du 28 août 1996, en ligne )

Il se rapprochera encore de ce dernier (Sassou-Nguesso), après son retour sanglant au pouvoir en octobre 1997 avec l’aide des forces financières et militaires étrangères, dont le coût humain est évalué, de façon unanime, à pas moins de dix mille morts, noyant ou freinant ainsi, apparemment, autant son projet politique que son parti politque (Mouvement pour la Réconciliation Congolaise, MRC). Hypothèse peut être légitimement posée qu’au pays des ‘accords non-écrits’ et ‘affaires de famille’, le général Mokoko , ancien membre du fameux Comité central du parti unique (PCT) de juillet 1989 à décembre 1990, favorable, on l’a déjà dit, au moment de la fièvre démocratique des années 1990, à l’organisation de la Conférence nationale mais sous la houlette du parti unique (selon lui-même, op.cit), n’avait que mis entre-parenthèses ses ambitions, ou obtenu compromis avec Sassou-Nguesso, puisqu’il se remettra sous sa houlette comme conseiller, puis affecté par lui à différentes missions de paix en Afrique avec, en supplément, une élevation à la qualité de « dignitaire du régime », assorti d’un privilège de juridiction

La décision de Sassou-Nguessso en automne 2015, au mépris du droit communautaire africain, du droit constituionnel  propement congolais depuis 1991, mais surtout de sa propre Constitution de 2002, de passer outre la limitation des mandats avec la complicité de la juridiction constitutionnelle (cf. notre réflexion : « Quiproquo et euthanasie constitutionnels au Congo-Brazzaville », en ligne, Mediapart et Congo-liberty), confirme par là-même la nature réelle du régime issu de son retour violent au pouvoir. C’est-à-dire UN RÉGIME D’ÉTAT D’EXCEPTION.

Cette décision est ainsi significative et déterminante dans la résurgence au grand jour de la crise alors dormante et qui perdure aujourd’hui. Puisqu’elle a ouvert et multiplié les hostilités au sein de nombreux de ses alliés et soutiens d’hier, dont Mokoko et Dabira, qui ne s’estiment plus liés par le ‘compromis’ post-putsch de 1997. Et, pour les contraindre à l’ordre dont il est le seul déterminant, le seul maître, le général Sassou a ressuscité les mêmes méthodes, chroniques et depuis éprouvées sous le parti unique, et à son retour illégal au pouvoir en 1997, qui sont celles de « détention d’armes de guerre » et « d’atteinte à la sécurité intérieure de l’État», véritables serpents de mer sous le règne de la dictature congolaise, comme n’avait pas manqué de le rappeler, en 2016, au cours d’une interview, une ex-femme politique congolaise, écrivain, Madame Mambou Gnali Gomès, ministre de la Culture sous la transition autocratique de Sassou-Nguesso, de 1997 à 2002 : « C’est catastrophique, c’est une dictature. Jécrivais des articles qui déplaisaient au pouvoir et un jour ils ont débarqué chez moi et ils m’ont dit Madame Gnali vous avez des armes chez vous…quand on dit cela ça veut dire que méfiez-vous, vous risquez d’être arrêté. J’étais obligée d’aller vivre chez des amis, au Niger » (JM TV).

La technique est ainsi rodée et classique, et est en l’occurrence utilisée à l’endroit de Mokoko et de tous les autres anciens compagnons d’hier, c’est-à-dire des personnalités qui, d’une façon ou d’une autre, se sont abreuvées et sont donc imprégnées de ‘sassoulerie’, avec les inévitables incongruités qui l’accompagnent, et qui resurgissent ici dans les déclarations et positions du général Mokoko, dans l’épisode que le despote lui consacre.

SASSOU Fossoyeur de la république

… À LA ‘SASSOULERIE’ CHRONIQUE’ : LE RÈGNE DES INCONSÉQUENCES ET INCONGRUITÉS POLITIQUES

Sassoulerie‘ !

C’est, grosso modo, un engrenage, la toile d’araignée dans laquelle se trouvent embourbés ceux qui n’ont pas voulu faire ledit jeu démocratique. Si les racines sont institutionnellement à rechercher plus loin sous le monopartisme, c’est principalement à l’issue des différentes consultations démocratiques, fin août 1992, que se dessine le socle, se noue la sassoulerie, par le refus délibéré d’une lecture objective des faits et crises politiques qui très tôt naissent dans la mise en place des institutions issues du processus démocratique.

Le nœud focal et déterminant de la suite du nouveau régime politique est la crise politique de l’automne 92 (septembre, octobre et novembre), qui constituera ce qu’on appelle la première guerre civile, et sera encore la cause de la deuxième, l’été suivant, en 1993.

Cet automne donc, le premier gouvernement de l’ère démocratique est renversé par une motion de censure avant d’avoir gouverné, tout juste au lendemain de la déclaration de politique générale du Premier ministre, le 31 octobre 1992.

Si, au nom du jeu politique et des intérêts strictement politiques, l’on ne peut discuter (et empêcher) de l’opportunité d’une telle initiative, ce qui l’est cependant, et illégale de surcroît,  c’est la non-reconnaissance, par les députés constitués en majorité, du droit et du pouvoir (constitutionnellement consacrés) de dissolution de l’assemblée du président nouvellement élu ; c’est-à-dire en début de mandat et en régime semi-présidentiel, au nom selon eux de la cohabitation ! Ce qui relève, manifestement, soit de la méconnaissance de la nature du régime et donc de sa confusion avec un régime parlementaire, soit d’une mauvaise foi délibérée. Puisque, par essence, la cohabitation, choix exclusif du peuple et non des députés en régime semi-présidentiel, à la suite d’une consultation claire, est le moyen par lequel celui-ci retire sa confiance au président en exercice qu’il avait au préalable élu, en lui opposant pour l’avenir une autre majorité législative, freinant par là-même l’essentiel de ses prérogatives.

Le processus démocratique s’étant terminé par l’élection du président de la République au suffrage universel, celui-ci, constitutionnellement élu pour gouverner et agir, ne peut être freiné dans la foulée par le parlement élu bien avant qui, en recourant à la motion de censure et obtenant le renversement du gouvernement, justifiait et légitimait en cela sa dissolution. Surtout, et parce que l’élection du président de la République était postérieure à celle des députés, ceux-ci ne disposaient constitutionnellement d’aucun fondement à se justifier et opposer la cohabitation au président nouvellement élu, puisque le choix de la cohabitation est, on l’a dit,  une compétence exclusive du peuple seul, qui l’exprime par le biais d’un vote, pour désapprouver et sanctionner le président à qui il avait auparavant exprimé la confiance en le choisissant majoritairement.

C’est cette lecture, cette logique, cette pratique qui sont constantes dans la Constitution et la vie politique françaises (1986, 1993, 1997), largement reprises et copiées par la Constitution congolaise du 15 mars 1992 à son article 75 : « Le président de la République nomme le premier ministre issu de la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement.

Il nomme les autres membres du Gouvernement sur proposition du premier ministre . Il met fin à leurs fonctions après avis de ce dernier »

Cette première crise majeure du régime démocratique congolais, consécutive aux mésententes, aux postes ministériels, tout juste au lendemain de l’élection définitive du président fin août 1992, à la nomination de son Premier ministre dès le lendemain 1er septembre,  et de sa lecture (ou interprétation) par la classe politique déterminera, scellera le fonctionnement du régime, ainsi que le classement, leur alignement ou pas à la sassoulerie et ses contradictions à rebondissement, hier et aujourd’hui encore.

En voici le socle : «  jamais, je ne pourrais accepter que la Constitution soit violée…J’insiste pour dire que lorsque la Constitution est violée, les démocrates ne doivent pas l’accepter. Jamais, jamais, jamais nous n’accepterons qu’un gouvernement censuré organise les élections dans un pays et nous prenons l’opinion internationale à témoin.

Jamais, jamais nous n’accepterons que soient organisées des élections hors la loi. Là aussi, nous prenons l’opinion internationale à témoin » (Sassou-Nguesso, meeting du 23 novembre 1992)

Et Zacharie Bowao de lui faire écho, vingt-trois ans après : « Nul ne peut oublier qu’à l’époque, le Président Pascal LISSOUBA n’avait pas respecté l’article 75 de la Constitution du 15 mars 1992. Le pays avait basculé dans l’instabilité politique avant de sombrer dans le déplaisir tragique du pouvoir en 1997 » !

Plus radical sur l’interprétation de l’épisode, le général Mokoko, lui, écrit que « la désobéissance civile était… en l’espèce l’unique recours permettant de résister à un pouvoir dont la tendance autocratique se dessinait clairement » ! (Temps du devoir, p.60). C’est-à-dire une désobéissance par prévention ! Alors que la Constitution en vigueur, dans son préambule et au dernier alinéa, la prévoit au contraire comme ultime recours. Bien plus, alors que la même Constitution interdit formellement le recours aux armes comme moyen de résistance, et permet alors au pouvoir établi de recourir aux pouvoirs spéciaux (art. 109), le général soutient au contraire, sur la crise politique suivante de juin 1993 relative aux élections législatives anticipées, et aux violences politiques qui en ont résulté, qu’ « il ne restait à l’opposition qu’une solution : prendre des armes pour résister »(in Le temps du devoir, p.67), avec, en filigrane, cette grave question de savoir où est-ce que l’opposition trouverait ces armes !

Tel est, décrit, illustré et démontré, le socle de la coalition politique post97, ouvertement justifiée par ses membres par le non-respect de la Constitution, la dictature du victorieux des premières consulatations démocratiques du pays, pour ne pas avouer leur hypocrisie, leurs inconséquences, leurs incongruités entre la défense apparente de la démocratie et la lecture biaisée, ou plutôt manifestement illégale de la première crise politique de l’ère démocratique, avec les graves conséquences humaines qui s’en étaient suivies.

Car, et on ne le dira jamais assez, soutenir que le peuple peut élire un président pour gouverner, pour agir, pour pédaler en quelque sorte, et élire ou soutenir dans la foulée une majorité législative contraire, c’est un peu comme dire que le conducteur d’un vélo peut pédaler tout en  freinant en même temps : une absurdité totale ! La pratique française, constante, dans les mêmes circonstances, ne le dément pas puisque aussi bien en 1981 et 1988 avec François Mitterrand, en 2012 avec François Hollande, et en 2017 avec Emmanuel Macron, quand les électeurs ont élu un président de la République, ils lui ont automatiquement assuré une majorité législative, sans laquelle on ne comprendrait pas à quoi la première servirait. De même, quand il est arrivé qu’il y’ait cohabitation ici, en 1986, en 1993 et en 1997, c’était après exercice pour quelques années du président précédemment élu, et après un vote exprès du peuple qui, par ce biais, avait décidé de lui retirer sa confiance et donc de le sanctionner. Prétendre le contraire, c’est, objectivement, insulter les électeurs d’imbécilité, d’incohérence précisément.

Tout ce qui précède, toutes ces incohérences hantent les crises politiques postérieures et successives, éclairent et permettent de mieux comprendre la séquence Mokoko, les hypocrisies, les stratagèmes et nombreuses incongruités des acteurs.

Officiellement, et selon le pouvoir, « l’atteinte à la sécurité intérieure de l’État » par le général Mokoko résulte d’une vidéo dans laquelle celui-ci annonce clairement, sans équivoque le renouvellement du « serment de 1991 » (c’est-à-dire le retour à la démocratie) et la stratégie armée d’y parvenir, que l’accusé ne nie guère, mais sans que ne soit formellement démontré un début d’exécution de son projet, que l’on a bien voulu construire par le grief habituel et classique de « détention illégales d’armes et munitions de guerre » contrastant aussi bien sur la forme (conditions du procès verbal contestées et contestables) que sur le fond (quantité très dérisoire dans l’objectif d’un coup d’État).

Bien plus, la vidéo est vieille d’à peu-près neuf ans ! Se pose alors, logiquement, la question de savoir pourquoi cette coîncidence entre le retournement de veste de Mokoko contre son ex-supérieur hiérarchique ou allié et la résurgence de l’affaire de la vidéo du coup d’État, que par ailleurs l’accusé prétend avoir « réglé en famille », et renoué par la suite de bons et loyaux services, connus, avec Sassou-Nguesso ! Ce qui donne alors l’impression d’une correction, d’une sanction politique déguisée comme Sassou-Nguesso en a bien l’habitude, contre ceux de ses alliés qui osent prendre leur distance à son égard.

Ainsi, et à titre indicatif, Bernard Kolélas, son allié de novembre 1992 jusqu’à septembre 1997, qui avait accepté auprès de Pascal Lissouba le poste de Premier ministre pour « organiser des élections » suite à une décision de la juridiction constitutionnelle qui avait jugé qu’« il incombe au Gouvernement, en accord avec l’ensemble de la classe politique, de fixer la période de l’élection présidentielle », basculera en ennemi politique suite au retour militaire de Sasssou-Nguesso au pouvoir en 1997, exilé puis jugé en contumace, avec comme avocat solennel et de circonstance de l’État-Sassou, l’extravagant Jacques Vergès, auparavant avocat du régime renversé dans le contentieux relatif aux législatives anticipées de juin 93. Le tonitruant avocat, sur le procès politique déguisé en procès de droit commun, en pondra, avec Dior Diagne, un ouvrage : « Procès en barbarie à Brazzaville» (Ed. Picollec, 2000). Le retour de Bernard Kolélas au Congo, suite au décès de son épouse, et le renouement de l’alliance politique, sera assorti de l’effacement de la sanction d’autrefois.

De même, Thystère Tchicaya et Ndalla Graille, jugés en 1986 pour les affaires dites des « explosions du Cinéma star », sont passés par les mêmes retournements politico-judiciaires, alliés, accusés, jugés et prisonniers politiques, puis de nouveau alliés politiques….

Si ces quelques exemples suffisent à démontrer une méthode bien rodée du pouvoir autocratique dans la disqualification ou sanction des concurrents politiques, et surtout des anciens alliés devenus réfractaires, c’est surtout les comportements de ces derniers, leurs incongruités qui laissent perplexes. Le général Mokoko, ancien allié devenu réfractaire, comme on l’a déjà esquissé, ne s’en démarque pas, dans la stratégie de sa défense :

De l’immunité juridictionnelle évoquée, qu’il affirme tenir d’un décret de 2001 faisant de lui un « dignitaire de la République »,  en réalité un dignitaire de l’autocratie, on s’y étonnera à plusieurs égards : d’abord, parce que de nature réglementaire, datant de 2001, c’est-à-dire signée de Sassou-Nguesso après son retour militaire au pouvoir, et sous la transition autocratique de 1997 à 2002, sans assemblée élue, elle est donc pour le général Mokoko une reconnaisance implicite du régime dont il  n’a cependant, contradictoirement,  cessé de taxer, à juste titre, de « totalitaire » ! Peut-on donc pertinemment, sauf inconséquence, s’étonner ou reprocher au régime totalitaire, dont le critère principal et universel est de toujours subordonner tous les droits et libertés individuelles à sa sauvegarde, de laminer un ordinaire acte réglementaire relatif aux décorations des personnalités?

Le contexte même d’adoption dudit texte – qui est foncièrement politique et non juridique, puisque Sassou-Nguesso, arrivé dans des conditions connues et qui avait bonnement coopté et nommé ses députés après la dissolution de l’assemblée élue, ne peut, même à titre postiche, invoquer aucune légitimité ni légalité pendant cette période – lui confère objectivement le statut de pacte politique d’adhésion au régime autocratique. Un Pacte avec la double facette de reconnaissance et de fidélité au régime autocratique rétabli, indiscutablement antinomique à la République, contrairement à sa présentation formelle.

L’acceptation par Mokoko de cette décoration, c’est-à-dire l’adhésion,  relative à la Reconnaissance à double sens (reconnaissance du pouvoir alors strictement individuel qui, réciproquement, lui garantit sa reconnaissance) et à la Fidélité au régime personnel rend automatiquement tout acte réfractaire posterieur indélicat et donc reprochable. De surcroît, son invocation à l’occasion du procès apparaît comme une parfaite incongruité, après avoir accepté ou scellé sa fidélité au pouvoir autocratique, avec les conséquences que cela comporte…

Que, par ailleurs, sur un plan strictement juridique, sur les questions relatives à l’ordre public, comme prétend le lui reprocher le pouvoir établi, il est presque toujours d’usage pour tous les pouvoirs et les juges de n’accorder qu’une reconnaissance assouplie, à minima, des droits individuels ! Qu’ainsi, dès le départ, l’argument avancé de l’immunité juridictionnelle était politiquement et juridiquement condamné à l’infécondité, ainsi que son corollaire en l’occurrence, la  stratégie du silence, au nom de l’honneur

« Il ne me reste que mon honneur dont je n’ai pas l’intention de faire offrande à ce régime visiblement d’un autre âge », écrit expressément le général Mokoko au deuxième jour de son procès, dans un courrier manuscrit, qui fera le tour de différents médias, et qui sera le point de départ de son silence tout le reste du procès !

Sauf simple effet purement médiatique, la prétention  offusquera tout observateur relativement informé et averti de la nature du régime et du fonctionnement du système politique congolais depuis 1997, ouvertement installé par des forces financières et militaires étrangères, dénoncées y compris par le Conseil de sécurité des Nations Unies en sa résolution 867 du 30 octobre 1997, qui, depuis lors et cinq ans durant, multiplieront crimes et humiliations diverses auprès de ses compatriotes. Sans compter les autres crimes massifs attribués aux forces militaires nationales pendant la même période, dont les fameux ‘disparus du beach’ !

Sans doute le général Mokoko n’y est à titre personnel pour rien, mais son mutisme, la non-dénonciation et le maintien de sa cohabitation avec un régime de cette nature entachent déjà suffisamment l’honneur invoqué à l’occasion du procès qui, pour cela, aurait peut-être nécessité, justement et au contraire,  pour être crédible, la parole et des explications et non la stratégie du silence

Car, par sa stratégie du silence au procès, à l’occasion de ce qui lui est reproché, et qui a été entendu par tout le monde à travers la vidéo, principalement le rappel que « Nous renouvelons le sermon de 1991 au cours duquel nous avions décidé de faire que désormais dans ce pays le pouvoir se prenneau travers des urnes… », et autres, principes repris par la Constitution de 1992 qui s’en est suivie (et celles successives propres à Sassou-Nguesso de 2002 et 2015), le général Mokoko a tout autant brouillé lui-même son message, sa pensée, son initiative politique  que son image et, partant, validé encore ses incongruités.

Tout le monde, tout Congolais sait et est conscient que Sassou-Nguesso est revenu et se maintient au pouvoir par les armes en violant la Constitution et les principes démocratiques les plus élémentaires. Que dès lors, le dire, le dénoncer ouvertement comme il l’a fait dans la vidéo, et comme le fait l’écrasante majorité des Congolais ouvertement ou tout bas, sans avoir réuni ou commencé à réunir les conditions du coup d’État qui lui est reproché, n’est pas juridiquement constitutif de celui-ci. Au contraire, assumer ses termes de la vidéo, la dénonciation des graves, multiformes et sans précédents crimes du régime, et autres méfaits du despote dont il a forcément le secret, aurait été plus cohérent avec lui-même, avec les représentations collectives dominantes dans le pays, mais aussi avec l’honneur revendiqué.

Car, outre que tout le monde l’aurait mieux compris, cela aurait également suffi à  comprendre et effacer sa collaboration post97, en l’interprétant non comme complicité au régime autocratique post97, mais plutôt comme stratégie de restauration démocratique, plaçant ainsi l’AFFAIRE MOKOKO NON PLUS SUR LE PLAN DU DROIT MAIS SUR LE PLAN POLITIQUE, COMME ELLE L’EST RÉELLEMENT DEPUIS LE DÉPART. D’autant que personne n’a jamais douté un instant de l’issue finale du procès programmé, selon cette vérité de toujours que les procès politiques sont presque toujours décidés avant d’être instruits.

Manifestement, constatera-t-on, le général Mokoko n’a pas pu trancher, se délier, se rattraper des contradictions du passé, pour opérer une lecture objective de l’histoire politique congolaise, en vue d’une perspective rationnelle de la politique.

L’histoire politique congolaise reste ainsi, fatalement, cruellement et tristement, hormis la courte parenthèse de rodage démocratique 1992-1997, un éternel enchaînement de procès politiques, d’inconséquences et incongruités de son élite et de sa classe politique. Une situation révélatrice, on s’en doute et au contraire des proclamations officielles, de la persistance de nombreux féodalismes, d’incurables pathologies politiques dont la traduction concrète se résume dans les difficultés d’émergence et d’instauration d’une société démocratique : des générations se suivent, des Constitutions se multiplient, les différents droits et leurs garanties sont en permanence constitutionnalisés, mais les pratiques politiques dominantes, elles, restent ancrées dans le cafouillage chronique, dérivant souvent en barbarie.  Au point que, en cinquante sept ans d’indépendance, le Congo n’aura connu, de façon transparente, incontestée et selon les principes démocratiques universellement établis, qu’une seule élection présidentielle (en 1992).

Le maintien et l’organisation séquentielle, pour la forme et les besoins de communication et donc de manipulation politique, de l’élection présidentielle font que l’arène politique offre de façon permanente une frénésie de séquences irrationnelles et barbares. Séquences que les Africains, les Congolais ont du mal tant à sérieusement instruire, ausculter et exorciser, préférant toujours s’en remettre aux boucs émissaires, et donc à l’éternel recommencement. En l’occurrence, et incroyablement, la croyance, l’obsession dans l’attente d’un sauveur, d’un homme providentiel, d’un ‘Moïse‘ dont la courte histoire politique ne manque pourtant pas d’exemples maintes fois déçus, pour  justifier et appeler à la maturité et à la raison, sous forme de la remise en cause de l’institution présidentielle telle qu’elle a existé jusqu’ici, à la fois piège et poison de la vie politique ( cf. notre article, « Repenser le président africain, Revue politique et parlementaire, numéro 1058, 2011)

De façon générale, pourtant, le développement de la carrière politique d’un prétendu révolutionnaire ou d’un homme providentiel, en Afrique essentiellement et à quelques rares exceptions, se confond presque toujours avec le dévoiement ou la perte progressive de ses repères et proclamations de départ. Dans la durée, et au final, il perd ses semblants de vertu de départ et n’a plus ni patrie, ni région, ni tribu et très peu d’amis, en dehors de courtisans bien sûr,  qui, au fond, ne lui servent que comme moyens d’assouvissement de son addiction pour le pouvoir. Ce que semble confirmer Jean-Michel Guenassia, dans l’étude de la vie du Ché : « Quand un révolutionnaire n’a pas la chance de mourir jeune, il finit obligatoirement dictateur ou bourreau… À un moment le courage consiste à s’arrêter et à passer à autre chose » ( in La vie revée d’Ernesto).

Dans la situation particulière du Congo de Sassou-Nguesso, cet État indécent comme nous avons pu le décrire il y a un peu plus de cinq ans (cf. « L’indécence d’État ou ‘l’État honteux’ validé », in Médiapart, en ligne), les observateurs ne peuvent que rester crucifiés par cette sorte de convergence constante d’une large partie de la classe politique dans la bêtise, l’incongruité, sans jamais anticiper, jusqu’au désarroi final :

            – Zacharie Bowao[1], universitaire et philosophe de son État, ex-Ministre à la Défense du dictateur, bien que limogé en septembre 2012 suite à la grave et délicate affaire des « Explosions du 4 mars 2012 », pouvait se permettre encore d’écrire et d’infliger en 2015 qu’outre que Sassou-Nguesso «est revenu au pouvoir par les armes à son corps défendant », que son coup d’État de 1979 était justifié par « un retour à la légalité constitutionnelle monopartite » (in « La Tragédie du Pouvoir », page 63), absolument indémontrable puisque l’intéressé, qui n’est jamais revenu à l’ordre constitutionnel antérieur, est bel et bien celui qui a inauguré la ‘diarrhée’ constitutionnelle au Congo en battant le record mondial du nombre de Constitutions sous sa houlette (pas moins de neuf) ; pour en définitive reconnaître ce que presque tous les Congolais savent depuis la Conférence nationale, soit un quart de siècle : « « M. Denis Sassou Nguesso est le principal artisan de la tragédie que vit notre pays. C’est le comble de l’irresponsabilité…M. Sassou n’est pas dans la psychologie d’homme d’Etat. Il est dans le faux en se maintenant au pouvoir par les armes, contre toute possibilité d’alternance démocratique…C’est un drame pour moi d’avoir accompagné le président dans les conditions que l’on sait, d’avoir contribué à faire qu’il soit ce qu’il a été reconnu comme homme d’État et qu’aujourd’hui il trahit sa qualité d’homme d’État en étant rattrapé par les démons du passé. » ( À l’émission ‘Le Grand Débat’, Africa numéro 1, octobre 2015).

Le colonel Marcel Ntsourou[2], peu avant sa mort, et dans l’une de ses interview se repent en disant que  « je me rends compte que ceux à qui j’avais fait le plus de mal [Milongo et Lissouba], ont réagi de cette façon [proposition de promotion de grade], mais celui à qui j’avais fait le plus grand bien me remerciait en monnaie de singe » !

Le général Dabira, « grand guerrier… et cobra » autoproclamé et assumé dans la guerre de 1997 (cf. « Brazzaville à feu et à sang », L’harmattan) prétendument  préoccupé par « l’avenir des Mbochis » selon un de ses collègues témoignant au procès le concernant, aura cependant, au moment de son arrestation, signé tardivement cette cruelle dialectique : « Hier c’était eux, aujourd’hui c’est nous, demain ça sera peut-être vous »

Maître Martin Mbemba[3], également jugé aujourd’hui, ministre de la Justice sous la transition démocratique (1991-1992) et, sous cette étiquette,  principal maître d’oeuvre de la sans précédente (en la forme) Constitution du 15 mars 1992 , n’hésitera pas à rejoindre, en 1997, la transition autocratique, puis le ministère de la Justice encore sous le même régime en 1999, en assumant et justifiant la liquidation de son œuvre en ces termes : «Au sortir de la guerre, il fallait refondre la Constitution. Nous avons procédé à un acte fondamental, dès lors que la Constitution que nous avons adoptée en 1992 a montré ses faiblesses» ! Après quelques cinq ans ! Sans autre forme de procès ! Avant de reconnaître, tardivement, à l’occasion de ses mésaventures politiques en mai 2013, en jugement justement,  « la pagaille … et le banditisme » du régime… (cf. notre réflexion citée à ce propos)

            -Le général Mokoko, lui, en crucifiera plus d’un par sa facilité et son audace à soutenir et écrire, du régime issu du processus démocratique de 1992, qu’ « il ne restait à l’opposition qu’une solution : prendre des armes pour résister » (Le Temps du Devoir, p.67) en raison, selon lui, du non-respect de la parole du président d’alors, des violations répétées de la Constitution et des « escadrons de la mort » ; tout en perdant, au contraire et pour des raisons peu lisibles et rationnelles, du verbe, de sa superbe, de la conséquence à l’occasion du procès face au régime le plus rétrograde, le plus indigne et le plus criminel de l’histoire politique du pays…

Puisse, enfin, que les Congolais, son élite, comprennent qu’un Pouvoir, surtout autocratique, au Congo comme ailleurs, n’a point de tribu, de région … et que l’issue, la seule pour tous, reste LA DÉMOCRATIE qui, patiemment et sereinement pensée et appliquée, offre la solution à tous les problèmes de cohabitation dans la société, y compris ceux qui gangrènent en permanence la politique, et récemment mis en selle comme le tribalisme et « l’avenir des bochis »…

Par   Felix BANKOUNDA-MPELE

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[1]Cf. notre analyse, « La résurrection de l’éthique de circonstance : à propos de la ‘Lettre ouverte au Président de la République’ de Charles Zacharie Bowao », en ligne

[2]Cf. notre réflexion : « L’affaire Ntsourou, une parfaite et authentique affaire des truands au coeur de l’État », en ligne.

[3]Cf. notre réflexion : « Une élite politique congolaise : du sempiternel tango politique à l’imbroglio et la disgrâce », en ligne