TRIBUNE LIBRE DE Vivien Romain MANANGOU
Les assises nationales pour l’alternance démocratique se sont tenues à Paris du 7 au 10 juin 2014 avec pour principal objectif un « changement structurel, systémique et politique au Congo ». Sur la forme, cette ‘’grande’’ réunion, malgré quelques insuffisances, mérite d’être saluée comme une participation à la recherche de solutions pouvant sortir le pays de la crise multidimensionnelle qui le mine depuis des années.
Cependant, sur le plan matériel, beaucoup de choses sont à redire, à commencer par l’orientation que le communiqué final présente comme le fruit d’un consensus entre tous les participants. Le problème c’est qu’à la lecture de ce communiqué, nous ne savons toujours pas quelle sera l’orientation des tenants des assises : l’unité nationale est- elle une idéologie ? Il en est de même pour le changement systémique et structurel qui ne veut pas dire grand-chose. En réalité, en guise de changement systémique et structurel, les Assises avancent une série de positions plus politicienne que systémique ou même structurelle, insusceptible de permettre l’émergence d’un véritable Etat de droit au Congo. Or, en présence d’une situation exceptionnelle, il fallait des réponses exceptionnelles engageant un vrai débat sur le fonctionnement démocratique et pluraliste de notre pays.
En effet, devant le désastre politique qui dure depuis l’indépendance, il faut que les décisions soient à la hauteur des enjeux. On ne peut pas se limiter simplement et rapidement aux critiques à l’égard du régime actuel.
Pour faire simple, je vais procéder par « le j’aime » ou le « j’aime pas » tout en justifiant ma position.
Pour ce qui est des « j’aime » :
J’aime l’idée d’un rejet total des résultats du recensement administratif spécial de 2013 et l’exigence d’un fichier électoral répondant aux normes internationales de transparence tout en soutenant la création d’une commission électorale nationale indépendante. Mais ce que ne dis pas le communiqué c’est que l’utilisation du recensement comme arme électorale ne date pas du régime Sassou, déjà en 1959 le président Youlou faisait usage de cette technique anti-démocratique. D’ailleurs, parmi les responsables des assises certains ont participé dans des gouvernements qui avaient usé des mêmes pratiques. La question doit donc être abordée non pas en indexant le pouvoir actuel mais en recherchant les causes originelles ce que ne font pas les assises
J’aime l’idée d’une réhabilitation de l’école publique. Comment en effet s’opposer à une restructuration en profondeur de notre école aujourd’hui à la traîne ?
J’aime également l’idée d’une reconstruction des structures sanitaires de base. Mais, dans les deux derniers cas cités, outre l’absence de véritables mesures proposées pour résorber définitivement ces questions, il existe une interrogation sur la crédibilité des organisateurs, certains ayant dans le passé occupés de hautes fonctions publiques, pourquoi feraient-ils aujourd’hui ce qu’ils n’ont pas fait hier ?
Quant aux « j’aime pas » :
Je n’aime pas l’idée d’un non radical à la modification ou au changement de la Constitution. Je me demande d’ailleurs comment prétendent-ils changer le système politique sans modifier ou changer la Constitution ?
Je n’aime pas l’idée d’un refus au projet de referendum sur la question de la révision ou de la modification de la Constitution. Peut-on se dire démocrate, prôner une légitimité historique et refuser de donner la parole au peuple afin qu’il décide de son avenir ? La démocratie c’est d’abord le pouvoir du peuple et aucun démocrate ne peut s’opposer à ce que le peuple intervienne. La vraie question est celle de la transparence des moyens électoraux ou référendaires et non celle de la participation du peuple au processus décisionnel. Il est assez paradoxal que l’opposition, se disant proche du peuple, veuille le priver de parole. Devons-nous penser que les assises veulent construire une démocratie sans le peuple ?
Je n’aime pas tout aussi l’idée d’une réhabilitation des acquis de la Conférence nationale, comme s’ils constituaient le nec plus ultra politique au Congo. Il y a eu des avancées lors de la Conférence nationale, il faut les retenir. En revanche, l’idée que les acquis de la Conférence nationale peuvent être prêt-à-porter aujourd’hui est dangereuse. Cette conférence s’était rapidement transformée en tribunal contre Sassou alors que beaucoup des Co-coupables de la gestion calamiteuse du pays se pavanaient dans les forces de changements ou encore dans l’AND. Dans le même sens, la Constitution de mars 1992, résultante des acquis de la Conférence nationale, mais surtout fruit d’un mimétisme assez honteux vis-à-vis de la Constitution française de 1958, s’est avérée une catastrophe à l’épreuve de la pratique.
Pour finir, peut-on expliquer à un jeune de 25 ans au chômage et sans perspective que le retour vers la Conférence nationale permettrait d’améliorer sa situation ? Contrairement au Bénin où la Conférence nationale avait permis l’instauration d’une véritable pratique démocratique, la notre a été un moment d’une cristallisation de conflits personnels et ethniques et non pas un rendez-vous démocratique – les temps changent, les hommes aussi, il faut un nouveau pacte entre les congolais et leur pays et non un retour vers une Conférence aux résultats contestables.
Je n’aime pas l’idée qu’avec « les assises serait née une légitimité historique ». Comment postuler à la légitimité historique en l’absence d’une véritable adhésion populaire ? Là réside en effet le principal handicap des assises – aucune résolution ne peut se faire sans adhésion populaire – ainsi organiser des assises à des milliers de kilomètres des principaux concernés – c’est d’une certaine manière prêcher dans le désert. On le sait, la parole publique est devenue une langue morte chez les congolais et particulièrement chez ceux qui sont au Congo-croyez-vous que les assises peuvent contribuer à les renouer avec la politique ?
Finalement, même s’il faut saluer l’organisation des assises, néanmoins, elles laissent le pays exactement dans la même situation qu’il se trouvait avant leur organisation – l’opposition reste à construire, le Congo du XXIe siècle à inventer. Il fallait traiter tous les enjeux, tous les thèmes en affirmant des valeurs et non faire comme lors de la Conférence nationale où la vindicte était devenue une norme de gouvernance. A y voir de près, ce qui m’inquiète terriblement dans les assises c’est parce que demain, c’est comme hier. Demain, c’est la même politique sans véritable changement.
A l’heure où le conservatisme semble être le credo du pouvoir et de certains opposants, il appartient à la nouvelle génération de politiques (vieux ou jeunes n’ayant jamais exercés des responsabilités politiques) de se mobiliser pour porter un message dans tout le pays : celui d’une démocratie apaisée qui se construira avec tous les congolais à l’exception d’aucun.
Les prochains jours seront déterminants pour construire ce Congo du XXIe siècle.
Vivien Romain MANANGOU