Selon un article publié par le journal les ECHOS du Congo-Brazzaville en date du 17 mai 2016, le ministre congolais de la Justice, monsieur Pierre Mabiala a lancé un mandat d’arrêt contre l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou pour délit de propagande de fausse information sur le Congo et ses Institutions et outrage à magistrat1.
Dans ce mandat d’arrêt, il est reproché de façon inique à l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou d’avoir commis deux délits en dénonçant le hold up électoral et les injustices du pouvoir tyrannique de Brazzaville : le délit de propagande de fausse information sur le Congo et ses institutions et le délit d’outrage à magistrat.
Ce mandat d’arrêt, lancé de façon cynique et inique, met à nu le système judiciaire congolais et permet de constater avec force que la République du Congo n’est autre qu’un Etat voyou autrement dit un Etat de non-droit.
En effet, ce mandat d’arrêt, émis avec intention expresse de nuire et d’étouffer la vérité dont le peuple congolais a droit, dénie à un intellectuel le droit de s’exprimer librement tout en étant de façon éhontée en marge de l’évolution du droit positif. Il constitue à ce titre un obstacle à deux réalités évidences : le pouvoir d’un intellectuel et l’importance primordiale de la liberté d’expression dans une discussion d’intérêt général.
Le pouvoir d’un intellectuel
Un l’intellectuel est tenu humainement d’éclairer les populations sur leurs droits et obligations afin qu’elles vivent en paix dans l’amour, la justice, la vérité et le respect de la dignité sacrée de chacun. Le pouvoir de l’intellectuel est de guider sa communauté dans la lutte contre toutes les anti-valeurs. Pour ce faire , il utilise des armes invincibles comme : la vérité, la justice, la liberté et le dialogue.
Le pouvoir de l’intellectuel est donc d’éclairer la société, de défendre les valeurs, de promouvoir le respect de l’Etat de droit…
Un Etat de droit est un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Il est fondé sur le principe essentiel du respect les norme juridiques (ou « primauté du droit »), chacun étant soumis au même droit, que ce soit l’individu ou bien la puissance publique. Il est donc possible pour un particulier de contester les actions de l’Etat ou d’un dirigeant politique s’il les considère comme illégales2.
Hans Kelsen définit l’Etat de droit3 comme un « Etat dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée »
L’Etat de droit est caractérisé par :
une hiérarchie des normes, où chaque règle tire sa légitimité de sa conformité aux règles supérieures;
une séparation des pouvoirs, organisée par une constitution, notamment l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport aux pouvoir exécutif et législatif;
l’égalité de tous, personnes physique ou morale, devant les règles de droit;
la soumission de l’Etat considéré comme une personne morale au respect des règles de droit;
la responsabilité des gouvernants, face à leurs actes ou décisions.
Si l’intellectuel a un pouvoir d’éclairer la société et de promouvoir les valeurs de justice, de vérité et du dialogue, alors qu’est-ce qu’un intellectuel ?
Le terme intellectuel aurait été créé par Saint-Simon, en 1821 et s’est répandu dans le contexte de l’Affaire Dreyfus4. En 1898, paraissait dans l’Aurore, un Manifeste des intellectuels en faveur du capitaine Dreyfus. Dreyfus, officier d’Etat-major juif, est accusé d’espionnage pour l’Allemagne, condamné à tort et embastillé à perpétuité à l’île du diable en Guyane française.
Mais quand la vérité éclate et que le commandant Esterhazy, le vrai responsable, est découvert, l’on se livre à une parodie de justice, on l’acquitte, sans pour autant libérer l’innocent. C’est là qu’Emile Zola, écrivain bien connu, écrit son fameux « J’accuse », deux jours après l’acquittement. Cet article paru dans l’Aurore du 13 janvier 1898, est une lettre ouverte au Président de la République, Félix Faure.
Ce courage de se dresser contre l’injustice commise au nom de la raison d’Etat, d’un nationalisme aveugle et antisémite, inspirait d’autres intellectuels comme Voltaire dans l’affaire Jean Calas. Celui-ci, accusé d’avoir tué son fils Marc-Antoine pour des raisons religieuses avait été torturé, étranglé et brûlé. Voltaire se battra jusqu’à faire destituer l’officier municipal de Toulouse qui avait fabriqué les fausses accusations contre Calas, à faire réviser le procès et réhabiliter sa mémoire en 1765.
Zola devait également se souvenir de la résistance de Victor Hugo contre Louis- Napoléon Bonaparte qu’il appelait « Napoléon le petit ». Hugo, écrivain romantique a été en butte à la censure. Sa pièce Le roi s’amuse écrite en 1832 ayant été interdite, il sera amené à plaider, lors d’un procès, pour la liberté d’expression. Député à l’Assemblée, Hugo, fait scandale en prononçant un discours sur la misère.
Il n’hésite pas à s’opposer à Louis- Napoléon Bonaparte dont il dénonce la tyrannie. Le 15 janvier 1850, il prononce un discours à l’Assemblée sur la liberté de l’enseignement, le suffrage universel et la liberté de la presse. En butte à la tyrannie, il vivra en exil pendant quinze ans, continuant à écrire des satires contre « Napoléon le petit.»
C’est donc forts de cet exemple de courage et d’engagement, que les partisans de Dreyfus vont écrire ce manifeste. Il s’agissait d’une énergique prise de position, en faveur du capitaine Dreyfus, mieux, en faveur de la justice, par plusieurs écrivains et universitaires dont Marcel Proust, Anatole France, Gustave Lanson et Lucie Her.
Un intellectuel est une personne dont l’activité repose sur l’exercice de l’esprit, qui s’engage dans la sphère publique pour faire part de ses analyses, de ses points de vue sur les sujets les plus variés ou pour défendre des valeurs, qui n’assume généralement pas de responsabilité directe dans les affaires pratiques, et qui dispose d’une forme d’autorité5.
Pour Jean Paul Sartre, l’intellectuel « est quelqu’un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas »6 En effet, l’intellectuel, pour Sartre, est forcément « engagé » pour la cause de la justice, et donc en rupture avec toutes les institutions jugées oppressives.
Edward SAID pense pour sa part que : « L’intellectuel est précisément doté d’une faculté de représenter, d’incarner, d’exprimer un message, une vision, une position, une philosophie ou une opinion devant et pour un public. Or ce rôle à ses règles, il ne peut être exercé que par celui qui se sait « engagé » à poser publiquement les questions qui dérangent, à affronter l’orthodoxie et le dogme ( et non à les produire ), quelqu’un qui n’est pas enrôlable à volonté par le gouvernement ou telle grande entreprise dont la raison d’être est de représenter toutes les personnes et tous les problèmes systématiquement oubliés ou laissés pour compte. L’intellectuel se fonde pour ce faire sur des principes universels à savoir que tous les êtres humains sont en droit d’attendre à quelques Nations qu’ils appartiennent, l’application des mêmes normes de décence et de comportement en matière de liberté et de justice, et que toute violation délibérée ou pas de ces normes, doit être mise au jour et courageusement combattue.7 »
Au regard de ces définitions, force est de constater qu’un intellectuel dont la mission principale est de défendre les valeurs ( la vérité, la justice, la liberté, la tolérance, la fraternité…) entretient des rapports méfiants, tendus voire hostiles avec un pouvoir politique tyrannique. C’est dans ce sens que Socrate déclarait lors de son procès : « Moi, en effet, ce régime, en dépit de ses procédés si violents, ne m’a pas intimidé au point de me faire commettre un acte injuste »8
En déclarant ce qui suit : « J’ai trouvé que mon pays d’origine, le Congo-Brazzaville, était en danger puisque l’élection présidentielle qui s’est passée là-bas, comme vous le savez, a été frappée d’une petite vérole, par cette sorte de maquillage et la situation dans laquelle se trouvent beaucoup de membres de l’opposition. Et pour moi, le silence profite toujours à ceux qui font la fraude » Alain Mabanckou n’a pas commis un délit de propagande de fausse information sur le Congo et ses institutions. Il a au contraire usé du pouvoir que lui confère son statut d’intellectuel engagé pour dénoncer le hold up électoral, l’embastillement des opposants politiques, les liquidations sommaires, les bombardements dans le département du Pool, les violations graves des droits de l’homme et des libertés publiques et l’instauration d’un Etat de non-droit par le clan au pouvoir.
Il le confirme de façon précise lorsqu’il dit : « Je ne resterai pas silencieux. Si ça doit prendre cent ans, je continuerai à gueuler9» Ici on constate bien qu’en sa qualité d’intellectuel franco-congolais, il s’engage avec énergie à défendre le respect de la vérité des urnes, des droits de l’homme et des libertés publiques.
En prenant la parole publiquement, l’intellectuel Alain Mabanckou s’est donné pour mission d’éclairer la société congolaise qui depuis 1997 vit dans une espèce de prison à ciel ouvert où les valeurs de vivre ensemble sont remplacées par les anti-valeurs.
L’importance primordiale de la liberté d’expression dans une discussion d’intérêt général
Le jeudi 12 mai 2016, en répondant à la question de la journaliste de RFI madame Carine Frenk posée en ces termes «Vous parlez dans votre lettre d’hypocrisie. C’est le mot qui résume tout ? »,
L’intellectuel Alain Mabanckou a déclaré à juste titre que : «Je pense que l’hypocrisie c’est ce qui résume tout. Je ne suis pas naïf, je sais que si la France hésite c’est qu’elle a des intérêts économiques au Congo-Brazzaville. Mais comme je l’ai affirmé, les intérêts économiques ne doivent pas occulter le fait que des populations sont en train de souffrir, de croupir dans la misère. Des arrestations arbitraires se font dans le Pool, quand ce ne sont pas des liquidations sommaires, des petits procureurs se mettent à la télévision pour venir dicter qui va être condamné ou pas. Ce n’est pas une République ! Nous sommes quand même le pays de Tchicaya U Tam’si, le pays de Sony Labou Tansi, les grands intellectuels ! Comment en est-on arrivé du sommet pour aller jusque dans les caves de l’obscurantisme politique ? »10
Les informations sur le Congo et ses institutions contenues dans cette déclaration sont -elles fausses au point de constituer un délit ?
La diffusion ou la propagande de fausse information
La diffusion de fausse nouvelle, est le fait de présenter comme vraie une information que l’on sait ou que l’on suppose fausse. Elle constitue une faute morale condamnée dans tous les systèmes judiciaires.
En droit pénal français, la diffusion de fausses informations est une infraction prévue et punie à l’article 27 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse .
Cet article stipule que : « La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros. »
Les déclarations faites par l’intellectuel Alain Mabanckou sur les antennes de RFI , de France 2 et France Inter à propos de la situation du Congo ne constituent pas une propagande de fausse information au regard de l’article 27 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
En dénonçant le hold up électoral, les violations graves des droits de l’homme, les liquidations sommaires, les excès de pouvoir d’un procureur11 fabriqué de toute pièce et des arrestations arbitraires des opposants et des citoyens, l’intellectuel Alain Mabanckou est dans son droit ; celui d’éclairer et de guider la société en utilisant les valeurs proprement intellectuelles : la vérité et la justice.
Le devoir d’un intellectuel étant de dénoncer l’injuste partout, l’intellectuel Alain Mabanckou a fait son devoir en disant la vérité à propos la situation politique du Congo – Brazzaville, car ce qui se passe au Congo depuis la victoire volée et contestée de monsieur Denis Sassou Nguesso est un secret de polichinelle. Toutes les accusations tendant à dire que l’intellectuel Alain Mabanckou fait de la propagande de fausse information sur le Congo et ses institutions relèvent de la mauvaise foi et constituent une violation grave des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme12.
Ces accusations mensongères ont pour but d’étouffer la vérité, de porter atteinte à la réputation de l’intellectuelle d’Alain Mabanckou et de violer son droit à la liberté d’expression garantit par la constitution congolaise et la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948.
L’intellectuel Alain Mabanckou dénonce l’Etat de non-droit au Congo-Brazzaville avec une certaine neutralité axiologique. Ses interventions publiques sont salutaires pour le peuple congolais, car elles permettent à ce dernier d’avoir une voix à l’extérieur qui défend ses intérêts de vivre en paix, en démocratie et dans un Etat de droit.
En défendant les intérêts du peuple à travers ses déclarations publiques, l’intellectuel Alain Mabanckou, n’a pas commis le délit de propagande de fausse information sur le Congo et ses institutions. Il a au contraire dit la vérité pour que la cause du peuple congolais, pris en otage depuis 1997, soit connue afin que le monde civilisé, épris de liberté et de démocratie le soutienne et l’aide à vivre en paix, en liberté et en démocratie.
Dans un débat d’intérêt général, l’expression « petit procureur » peut elle justifier l’existence d’un délit d’outrage à magistrat ?
– L’outrage à magistrat
L’expression « outrage à magistrat » désigne une offense adressée par parole, geste, menace, écrit ou image attentatoire à la dignité d’un magistrat.
L’outrage à magistrat est une infraction prévue et punie par le code pénal français.
L’article 434-24 alinéa 1 du code pénal stipule que : « l’outrage par paroles, gestes ou menaces, par écrits ou images de toute nature non rendus publics […] adressé à un magistrat […] dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de cet exercice et tendant à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont il est investi est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende »
Au Congo, c’est l’article 222 alinéa 1 du code pénal de l’Afrique équatoriale Française (A.E.F)13 qui prévoit et punit cette infraction. « Lorsqu’un ou plusieurs magistrats de l’ordre administratif ou judiciaire, lorsqu’un ou plusieurs jurés auront reçu dans l’exercice de leurs fonctions ou à l’occasion de cet exercice, quelques outrages , par parole , par écrit ou dessin non rendus publics , tendant dans ces divers cas à inculper leur honneur ou leur délicatesse, celui qui leur aura adressé cet outrage sera puni d’un emprisonnement de quinze jours à deux ans. »
En sortant du cadre légal de ses attributions et en se mettant à la solde du pouvoir politique, le procureur de la république monsieur Oko Ngakala ne s’est-il pas fait « petit procureur » lui même ?
Alain Mabanckou est un intellectuel écrivain qui s’est exprimé sur un sujet d’intérêt général relatif à la vie publique et aux aspects politiques. Il n’a pas un problème particulier avec monsieur Oko Ngakala, procureur de la république près le tribunal de grande instance de Brazzaville. Ce que l’écrivain franco-congolais lui reproche, c’est son excès de pouvoir qui fait de lui un simple marionnette du pouvoir tyrannique de Brazzaville.
En critiquant l’excès de pouvoir du procureur de la république, monsieur Oko Ngakala, l’intellectuel Alain Mabanckou n’a pas dépassé les limites admissibles à la liberté d’expression.
Dans l’affaire Henri Guaino, le tribunal correctionnel de Paris a estimé que : « Compte tenu de ces éléments, ainsi que du contexte, et en dépit de la violence de ses propos qui a pu légitimement choquer, il serait disproportionné de prononcer une sanction pénale à l’encontre d’Henri Guaino14, qui, s’exprimant en qualité d’élu dans le cadre d’un débat d’intérêt général, n’a pas dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression concernant la critique de la décision d’un magistrat » ( Tribunal correctionnel de Paris, 17e Chambre, 27 novembre 2014, n°2240023019, p. 10 )
Dans l’affaire susmentionnée, le tribunal correctionnel de Paris a relaxé Henri Guaino et débouté Jean-Michel Gentil, constitué partie civile, du chef du délit d’outrage à magistrat.
En rendant un tel jugement, le tribunal correctionnel de Paris reconnaît en l’espèce, et de façon salutaire, la primauté de la liberté d’expression. En effet, cette reconnaissance rentre bien dans la ligne jurisprudentielle de la Cour européenne des droits de l’homme qui reconnait l’importance primordiale de la liberté d’expression dans une société démocratique.
La liberté d’expression est garantie au niveau régionale et mondiale par des instruments juridiques de protection des droits de l’homme.
L’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 stipule :
« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 stipule pour sa part que :
«1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
L’article 9 alinéa 1 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin 1981 dit :
« Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements. »
La liberté d’expression recouvre le droit d’émettre les idées accueillies avec faveur ou indifférence mais aussi celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Toute restriction à cette liberté doit respecter le principe de proportionnalité et faire l’objet d’un contrôle des plus stricts.
En effet, la reconnaissance de la liberté d’expression comme valeur essentielle d’une société démocratique s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme.
Dans l’affaire Eon c. France, la Cour européenne des droits de l’homme a reproché à la France d’avoir prononcé la condamnation pénale, à 30 euros d’amende avec sursis, pour offense au Président de la République, d’un homme qui arborait un panneau portant la citation «Casse-toi pov’con», popularisée par le N. Sarkozy lui-même précédemment, en estimant que : « la citation ne constituait pas une attaque personnelle et gratuite contre la personne de Nicolas Sarkozy car le requérant avait un but politique, en lien avec son engagement politique. » ( Cour EDH, 5ème Sect. 14 mars 2013, Eon c. France, Req. n° 26118/10 )
Elle a ensuite rappelé que « l’article 10 laissait peu de place aux restrictions à la liberté d’expression en matière politique car l’homme politique s’expose par définition à la critique. »
Les juges de Strasbourg ont donc tranché, en mettant en balance d’un côté la restriction à la liberté d’expression et de l’autre le principe de libre discussion des questions d’intérêt général. Pour ceux, la condamnation pénale du requérant était disproportionné et non nécessaire dans une société démocratique.
Au regard de cet arrêt, les propos tenus par l’intellectuel Alain Mabanckou sur les antennes de RFI ne constituent pas une attaque personnelle et gratuite contre la personne de Oko Ngakala car l’écrivain franco-congolais avait un but politique, en lien avec son engagement politique.
Il a fait exactement ce que dit Jean Paul Sartre à propos de l’intellectuel : « quelqu’un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas »
En sortant du cadre légal de ses attributions, le procureur de la république monsieur Oko Ngakala s’est comporté comme un marionnette à la solde du pouvoir tyrannique de Brazzaville . Dans ces conditions, il est critiquable, car un homme politique s’expose par définition à la critique. En effet, selon la Cour européenne des droits de l’homme, « l’article 1015 laissait peu de place aux restrictions à la liberté d’expression en matière politique, car l’homme politique s ‘expose par définition à la critique » (Cour EDH, 5ème Sect. 14 mars 2013, Eon c. France, Req. n° 26118/10 )
La critique d’un magistrat qui prend des positions politiques, ne peut constituer un délit d’outrage à magistrat. En effet lorsqu’un magistrat prend des positions politiques ou se met à la solde du pouvoir politique, il devient critiquable comme tout homme politique par conséquent s’il est qualifié de « petit magistrat », il ne peut plus se constituer partie civile , du chef du délit d’outrage à magistrat.
Concernant le manque d’indépendance du procureur de la république à égard du pouvoir exécutif et politique, la Cour européenne des droits de l’homme exclut ce dernier de la catégorie des « autorités judiciaires », seules compétentes, au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, pour décider et contrôler les privations de libertés.
Dans un arrêt rendu le 10 juillet 2008, elle a estimé que le procureur de la république ne pouvait être considéré comme une autorité judiciaire au sens de l’article 5 § 3 de la convention. Pour les juges de Strasbourg : « le Procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion. il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié » (Cour EDH, 5e Sect. 10 juillet 2008, Medvedyev et autres c. France, requête n° 3394/03)
Au regard de ce qui précède , il convient de souligner avec force la neutralisation, voire la suppression en l’espèce du délit d’outrage à magistrat en vertu du droit à la liberté d’expression.
Avec le principe de libre discussion des questions d’intérêt général, la primauté de la liberté d’expression, sans laquelle il n’y a pas de démocratie, se donne clairement à voir. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a mis en exergue de façon pertinente, le caractère primordial de cette liberté dans une société démocratique.
Le mandat d’arrêt lancé par monsieur Pierre Mabiala n’est pas proportionné aux buts légitimes, car il n’est pas nécessaire dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sureté publique, à la défense de l’ordre et à la protection des droits d’autrui et de la morale. Ce mandat est juridiquement infondé, politiquement inique et socialement cynique.
En lançant un tel mandat contre l’intellectuel Alain Mabanckou pour délit de propagande de fausse information sur le Congo et ses institutions et d’outrage à magistrat, monsieur Pierre Mabiala, en sa qualité d’avocat et de ministre de la justice, s’est mis en marge de l’évolution du droit positif. En effet, dans un débat d’intérêt général, le droit à la liberté d’expression occupe toujours une place essentielle dans une société démocratique. Ce droit prime par rapport au délit d’outrage à magistrat.
Dans une discussion d’intérêt général, parler du délit d’outrage à magistrat relève de la mauvaise foi. Quand un magistrat ne fait pas bien son travail, il est normal de le critiquer.
À titre de rappel.
En février 2003, en marge du sommet France-Afrique, monsieur Denis Sassou Nguesso avait qualifié le magistrat instructeur français de « petit juge » lorsque ce dernier a tenté d’obtenir sa déposition écrite sur la base d’indices le mettant directement en cause dans l’affaire des disparus du Beach de Brazzaville16.
——————————————————-
————————————————–
Maître Céleste Ngantsui