L’étrange partenariat congolais d’AfricaFranc : Henri Djombo Alias « La Forêt » Épinglé

Ce lièvre de belle taille a été levé par Arnaud Labrousse, pseudonyme d’un chercheur indépendant, coauteur, avec le défunt François-Xavier Verschave, d’un réquisitoire contre les « Pillards de la forêt » paru en 2002 chez Agone.

L’affaire révélée ici ternit quelque peu le blason de la Fondation AfricaFrance « pour une croissance partagée », lancée avec éclat en février et que dirige le banquier d’affaires franco-béninois Lionel Zinsou, ami et sherpa africain de Laurent Fabius, le maître du Quai d’Orsay.

C’est que l’un des premiers partenariats scellés sous l’égide de ladite Fondation – la création, au sein de la zone économique spéciale de Maloukou, voisine de Brazzaville, d’une unité de préfabrication de maisons en bois – associe une entreprise vendéenne à deux des fils de Henri Djombo, inamovible titulaire du portefeuille de « l’Economie forestière et du Développement durable » de Denis Sassou-Nguesso. Ceinture noire d’aïkido, ancien patron de la Fédération congolaise de cet art martial, mais aussi de la « Fédé » de tennis de table, Djombo Senior n’est pas qu’un grand sportif, romancier à ses heures. Selon un télégramme de l’ambassade américaine à Brazza, daté du 21 avril 2005 et dévoilé par Wikileaks, il fut l’un des « chefs de guerre » des Cobras, miliciens au service de Sassou au temps de la guerre civile qui endeuilla le pays à la fin des années 1990, et passe pour « un des ministres les plus puissants de la République.

» Selon Labrousse, l’intéressé, qui bénéficie de la bienveillance des bailleurs de fonds internationaux, compte parmi ses protégés le forestier néerlandais Gus Kouwenhoven, jadis lié pour affaires à l’ex-chef de l’Etat libérien Charles Taylor, condamné en 2012 par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone à 50 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Commentaire de la directrice de la communication d’AfricaFrance, Marion Scappaticci, dûment sollicitée : « Côté congolais, nous considérons qu’il n’y a pas conflit d’intérêts. » Vraiment ?

Plusieurs bizarreries entachent ce dossier. Installée à La Chaize-le-Vicomte (Vendée), la société française Le Duramen a été placée en liquidation judiciaire le 6 mai. Soit six semaines après la signature à Brazzaville, à la faveur de la cérémonie de lancement de l’antenne congolaise d’AfricaFrance, d’un accord entre cette entreprise et le Groupe General Trading Company (GTC), également actif dans la production d’huile de palme, qui a pour associés-gérants les frères Arnaud et Michel Djombo.

Et un mois après que soit créée par ce dernier la société Le Duramen-Congo. L’adresse administrative du site web de GTC est au demeurant enregistrée à Bussy-Saint-Georges, ville de Seine-et-Marne où le père Djombo a longtemps possédé une résidence et où Michel dispose toujours d’une adresse. « Le dossier est en cours d’évolution, admet-on chez AfricaFrance. Les parties prenantes congolaise et française sont en train d’identifier un nouveau partenaire, du fait de la défaillance de la PME signataire. Notre tâche consiste simplement à rapprocher les acteurs. Ni prise de participation, ni intérêt financier. »

Il y a plus grave. La gestion du pactole forestier national obéit, tout comme celle du pétrole, autre ressource naturelle vitale, a un régime patrimonial et clanique. Et s’affranchit volontiers, au-delà du catéchisme officiel, de l’impératif écologique. Témoin, l’octroi, en mars 2011, à Kelly Christelle Sassou Nguesso, l’une des filles du « Boss », d’une concession de près de 237 000 hectares dans le département de la Cuvette-Ouest. Maints autres épisodes ont jalonné, au long des deux décennies écoulée, l’épopée contrastée d’une forêt parfois mise en coupe (dé)réglée.

Signe de l’embarras d’AfricaFrance : l’article intitulé « Bois Habitat Durable : Première visite des parties prenantes congolaise à Nantes » a disparu le 19 mai dans la matinée du site de la Fondation, et ce après qu’Alain Labrousse eut adressé par courriel diverses demandes d’éclaircissement. Les promoteurs de l’opération auraient-ils péché par naïveté ou par ignorance ?

Peu probable : Zinsou connaît fort bien les réalités du continent, donc les turpitudes de ses potentats. Peut-être son « réseau social » -ainsi désigne-t-il sa créature-, avide d’enraciner dans le concret son credo, a-t-il négligé d’examiner la filiation de certains de ses équipiers. Hâte pour le moins fâcheuse : le 6 février, dans un salon de l’Hôtel de Marigny, dépendance élyséenne, ce neveu d’un ancien président de l’ex-Dahomey avait promis de veiller à la « qualité » d’une croissance « attentive aux défis environnementaux ». Langue de bois ?

Par Vincent Hugeux

Source L’Express.fr