LETTRE OUVERTE AU PRÉSIDENT EMMANUEL MACRON
Excellence Monsieur le Président,
L’aspiration profonde des peuples à la liberté et au progrès est universelle. Le mot liberté, dans sa polyphonie, renferme des émotions collectives, liées à la douleur et aux espoirs des peuples qui se déclinent principalement en termes politiques. C’est ainsi que durant les temps sombres de l’occupation allemande, le 27 octobre 1940, le général de Gaulle créé à Brazzaville, en Afrique-Équatoriale Française, un Conseil de Défense de l’Empire qui tient lieu de gouvernement ; il publie le Journal Officiel de la France Libre ; et proclame que « La France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. ». Lorsque le général de Gaulle lance à la radio son appel du 18 juin 1940, il sait que le territoire français de l’époque est loin de se résumer à la métropole, conquise par les Allemands. Autrement dit, c’est de Brazzaville, capitale de la République du Congo actuelle, qu’est parti le vent de la reconquête, pour la France, de sa liberté et sa souveraineté.
Monsieur le Président,
Le 23 janvier 2020 dans l’avion vous ramenant d’Israël, vous avez dénoncé « les discours politiques extraordinairement coupables » qui affirment que la France est devenue une dictature, et justifient de ce fait la violence politique et sociale. Et de lancer : << Mais allez en dictature ! Une dictature, c’est un régime ou une personne ou un clan décident des lois. Une dictature, c’est un régime où on ne change pas les dirigeants, jamais. Si la France c’est cela, essayez la dictature et vous verrez ! >>. Vous poursuivez : << La dictature, elle justifie la haine « La dictature, elle justifie la violence pour en sortir >>.
Dans une tribune publiée le 26 janvier 2023 dans le quotidien le Monde, le général Bruno Clément-Bollée met en garde la France, et plus généralement l’Occident de prendre conscience que la situation a changé, et que l’époque où leurs méthodes et projets prévalaient est déjà révolue.
Vous voilà, le 04 mars 2023, invitez de rendre visite à l’une des dictatures et kleptocraties les plus féroces de la planète : Le Congo-B de Denis Sassou Nguesso.
Monsieur le Président,
63 ans après son indépendance, le Congo-Brazzaville ne cesse d’accomplir sa longue marche vers la liberté, la concorde nationale, le progrès et la prospérité pour tous. Trois à quatre générations post-indépendance sont victimes d’une mal-gouvernance politique, socio-économique et financière qui a méthodiquement et progressivement dissous quasiment toutes les fonctions régaliennes d’un État-nation, hérité de la tutelle coloniale française. La République française, partenaire bilatéral principal, historique et séculaire de la République du Congo, porte manifestement une réelle responsabilité dans l’échec présent du processus de construction d’un État-nation congolais de liberté, de justice et engagé sur la voie du progrès.
Monsieur le Président,
Si Brazzaville fût la rampe de lancement pour la conquête de la liberté et de la souveraineté, pour la France métropolitaine d’alors, qui s’exerce par ailleurs à y préserver ses intérêts stratégiques majeurs, aujourd’hui la capitale du Congo porte plutôt les oripeaux d’une injustice systémique qu’incarnent les 44 ans de règne de monsieur Denis SASSOU NGUESSO. Cet entrepreneur politique congolais symbolise actuellement l’une des dernières figures de la Françafrique, telle que l’a définie François-Xavier VERSCHAVE, comme << une nébuleuse d’acteurs économiques, politiques et militaires, en France et en Afrique, organisée en réseaux et lobbies, et polarisé sur l’accaparement de deux rentes : les matières premières et l’Aide publique au développement. La logique de cette ponction est d’interdire l’initiative hors du cercle des initiés. Le système auto dégradant se recycle dans la criminalisation. Il est naturellement hostile à la démocratie >> (Françafrique : Le plus long scandale de la République Broché – 15 octobre 2003).
Monsieur le Président,
Pourtant, dans le contexte géopolitique du GLASNOST et de la PERESTROÏKA, prenant conscience des aspirations à la liberté, à la démocratie et au progrès social des peuples africains, le président François MITTERRAND n’avait pas manqué, au nom de la France et de ses idéaux universels de liberté, de prendre une série de mesures politiques favorables afin de rendre ces rêves concrètement réalisables. Le Discours de la Baule apparut ainsi aux yeux des peuples africains, malgré son caractère un peu trop vertical et exclusif, comme une bouée de sauvetage, un important appel d’air et un déclic de respiration démocratique essentiel.
Monsieur le Président,
L’invitation que vous adresse Monsieur Denis SASSOU NGUESSO, le chef de l’Etat congolais, à vous rendre à Brazzaville, en marge du « One Forest Summit », sur la préservation des forêts tropicales, que vous co-présiderez au Gabon aux côtés du Président Ali BONGO, est perçue et vécue par une majorité de la jeunesse africaine, le peuple congolais et sa jeunesse comme un soutien à ce régime illégitime qui les oppresse continûment. Votre visite dans ce pays ne peut que revêtir un caractère particulier, quatorze ans après celle d’un autre Chef d’État français, Nicolas SARKOZY. Elle semble s’inscrire en rupture avec l’âme du Discours de la Baule.
En effet, c’est une visite au cœur du Bassin du Congo, centralité géostratégique par excellence au regard des matières premières stratégiques qu’il regorge, un bassin forestier et fluvial cruciaux pour la résolution de la déréglementation climatique; une visite qui se réalise dans un contexte de guerre hybride Russie / Ukraine dont l’une des conséquences est la revendication urbi et orbi des jeunesses africaines pour que soit mis fin à la FrançAfrique, ce qui signifie, en principe, la perte définitive de l’influence françaises en Afrique centrale.
Une visite dans un pays dirigé par le général Denis SASSOU NGUESSO depuis plus de 40 ans, un autocrate revenu au pouvoir, en 1997, avec l’aide de son “ami’’ Jacques CHIRAC, Président de la République française de l’époque, et dont la gouvernance défraie régulièrement la chronique à propos des violations des droits de l’homme, des crimes contre l’humanité, de la kleptocratie, et de la corruption transnationale, comme viennent de l’établir les dernières investigations du quotidien français « Libération » (Éditions des 12/13 et 23/01/2023 ), etc. Bref une espèce d’État voyou », selon un néologisme américain en vigueur.
Monsieur le Président,
Cette »escale » que vous comptez effectuer constitue vraisemblablement, aux yeux de tous, un voyage politique qui se fonde sur une posture géopolitique anachronique, puisqu’elle sera vécue par le peuple congolais et sa jeunesse comme un adoubement, par la FrançAfrique agonisante, d’un Président sénescent, Denis Sassou Nguesso, dépassé par les luttes fratricides des différents clans au pouvoir qui s’activent pour la succession.
Votre visite semble s’inscrire en rupture des principes énoncés par l’OIF et l’âme du discours de la Baule. Selon Roland DUMAS, ce discours se résume ainsi : << Le vent de liberté qui a soufflé à l’Est devra inévitablement souffler un jour en direction du Sud (…) Il n’y a pas de développement sans démocratie et il n’y a pas de démocratie sans développement >>.
Il reste qu’une telle visite, Monsieur le Président, dans l’esprit français qui inspira le Discours de La Baule, peut ne pas être une offense supplémentaire aux aspirations de liberté et de démocratie du peuple congolais si, conformément à la « jurisprudence Maurice KAMTO » au Cameroun en 2019, vous pesez de tout votre poids pour obtenir la libération des prisonniers politiques et d’opinion, principalement le Cyrard Jean Marie Michel MOKOKO, Général de son État, et OKOMBI SALISSA André, anciens candidats au scrutin présidentiel en mars 2016, ainsi favorisez l’inauguration d’une aire de décrispation politique utile pour une rencontre et un dialogue nécessaires entre les forces politiques et sociales congolaises.
Monsieur le Président,
Votre visite dans ce Bassin du fleuve Congo, centralité géostratégique par excellence, dans lequel se jouent entre autres le leadership mondial, l’émergence de l’Afrique sur la scène économique mondiale, l’affirmation du panafricanisme politique, il apparaît clairement que les relations France /Afrique sont à la croisée des chemins. Autant, les nouvelles générations africaines expriment leur rejet de la Françafrique et un changement radical de paradigme politique, autant la France institutionnelle refuse l’arrimage à cette nouvelle donne, celle de la »géopolitique des peuples » qui inspira les entreprises politiques du Président François MITTERRAND , au nom de la France, dans le contexte géopolitique de la PERESTROÏKA et du GLASNOST soviétiques, puis de la chute du mur de Berlin, en conditionnant le soutien de la France aux régimes francophones de société ouverte, plus favorables à la liberté et au pluralisme politique. C’est à cette seule condition que la France activera sa résilience pour un nouvel horizon des relations avec l’Afrique.
Paris le 15/02/2023
Pour les forces vives de la diaspora du Congo-Brazzaville
Premiers signataires
*** Guy MAFIMBA MOTOKI
Représentant de la fédération de l’opposition Frocad-Idc-Cj3m
*** Grâce LOEMBA
Activiste panafricain
*** Jean Pierre MOUMELE
Coordonnateur CADD
*** Maître Maurice MASSENGO-TIASSE
Ancien Vice-Président de la Commission
Nationale des droits de l’Homme au Congo
*** Crist Desiras PANGOU MBOUITI
*** Paulin MAKAYA
Président de l’UPC
*** Elvis Karel KAKOU
Ancien Journaliste à la Télévision
Nationale du Congo
*** Maître Brice NZAMBA
Avocat à la Cour
*** Théo MBEMBA
Educateur spécialisé
*** Andréa NGOMBET
*** Marcuss KISSA
Collectif Sassoufit
Commentaires récents