Lettre ouverte de Charles Zacharie Bowao à Hugues Ngouélondélé : «Tu as raison, nous sommes condamnés à vivre ensemble!»

Bonjour mon bien cher Hugues!

Tu as dû te rendre compte de mon absence à la présentation officielle de ton opuscule. J’en suis désolé.

Ce jour-là en effet, j’attendais une interpellation des «Renseignements généraux», pour refus de répondre à une convocation jetée au portail de ma résidence par des inconnus en civil et dans un véhicule non immatriculé. J’ai dû dépêcher mon avocat sur les lieux pour l’authentification de ladite pièce.

Fait insolite, en retour, son interlocuteur des services «spécieux» évoque une erreur administrative, allusion faite à un dysfonctionnement dans les arcanes de la sureté de l’Etat.

Or, lorsque dans un pays, les services de sécurité ne font pas preuve de sûreté dans ce qu’ils entreprennent, le règne de l’arbitraire est assuré. Le temps fait son temps. C’est bien cela l’insalubrité publique, quand le dramatique et le cocasse se conjuguent allègrement. Il y a une telle propension pitoyable à la tragi-comédie, qu’il n’est pas aisé d’honorer des cérémonies consacrées ou non. Que diantre faire du vivre ensemble qui préoccupe tant les autorités établies dans une société où, dans les faits, le droit positif habilite le vice!

N’ai-je pas pu offrir la disponibilité à une fête annoncée de l’esprit? La liberté d’expression, chez nous, est un supplice moral. Au travers de la souffrance intellectuelle, elle manifeste une contrainte latente entre la volonté de satisfaire et l’incapacité de tenir promesse. Aux tribulations de l’altérité, cette tension devient scepticisme, notamment lorsqu’elle questionne les valeurs universelles, celles qui fondent toute société humaine. Au Congo comme ailleurs, la quête de l’universel est une remise en projet perpétuelle par la critique littéraire, scientifique ou philosophique. Certes, l’élan des lumières suscite des controverses. La critique s’actualise, même si pour les idéologues de l’exception culturaliste africaine la modernité est déficience ou conflit de temporalités, plutôt que tradition délibérative d’invention critique de l’avenir. Cette modernité-là est un oubli frelaté de soi. Ici, la conscience historique lève l’hypothèque

D’une cure de désintoxication mentale et de désaliénation historique dont la renaissance africaine célèbre l’horizon indépassable, surtout absolument incontestable. De la conscience historique à la démocratie à l’africaine, le pas est vite et bien franchi. Les africains ont leur propre histoire et/ou leur propre identité culturelle et politique à reconquérir ou à promouvoir dans le concert des Nations. Soit!

Puis, la contrainte latente se politise. Elle investit, par exemple, l’ornement de la banalité du vivre ensemble. Une Séraphine peut ne pas savoir que son prénom rappelle à la conscience chrétienne un esprit dans la hiérarchie supérieure des anges éparpillés dans les cieux. Une ignorance met en orbite autour de la terre un compatriote coupable de la nouvelle république, mais innocenté par cette dernière, parce qu’il refuse, par amour pour le bon sens, d’articuler l’alternance démocratique à la démystification du pluralisme politique. Ce refus machiavélique postule une stabilité gouvernementale à l’effet prolongé d’un despotisme hasardeux. La représentation symbolique plébiscite l’unanimisme de la tradition et la pratique autocratique postcoloniale. La République peut alors, par le fétichisme de l’élection, s’accommoder d’une dévolution monarchique du pouvoir, tandis que la royauté hante le souvenir impérissable d’une palabre vertueuse, laquelle autrefois consacrait pacifiquement la concentration du pouvoir dans les mains d’un Individu déifié. La légende des termites annonce la postérité du pouvoir perverti en Afrique par le mimétisme occidental. C’est la revanche de la préhistoire sur l’histoire.

Même sans invitation de ta part, je tenais à vivre la réception solennelle de ta publication qu’une chevalière de la plume m’a offerte. Bravo, tu as le mérite d’un écrit sur «le parti congolais du travail».

J’ai pris le temps de lire. Puis, tu as dit. Malgré, l’encombrement, j’ai pu t’écouter en pleine circulation, grâce aux prouesses des N.t.i.c. Nous sommes dans le soupçon de la mondialité. Je suis la querelle.

Tu mets en question l’expérience du P.c.t. A tort, pour les conservateurs de triste réminiscence. Ils s’empêtrent dans l’argument d’autorité. A raison, pour les rénovateurs de bon augure. Ils excellent dans l’autorité de l’argument. Ceux-là s’enlisent dans l’abus de l’autorité. Ceux-ci célèbrent la beauté de l’argument. Les passions se déchaînent. Le dialogue des sourds s’installe. L’intolérance prospère… J’en sais quelque chose, avec mes réflexions sur la thématique querellée. Je me souviens des protagonistes irascibles qui te traitent de traite, de bon ingrat. Hier, ils ont parlé d’un coup d’Etat des «Katangais» contre les «Mbochis». Cette finasserie ne semble plus à la mode. Je constate que les camarades n’indexent aucune ethnie dans ce procès nauséabond. Aucune allusion sur le «Frolibaba» dans leur invective. Tant mieux! Est-ce ta proximité subjective avec le boos qui les dissuade, je n’en sais rien. Je ne peux rien en dire. Toutefois, je lis chez nos camarades la propension ethnocentriste au pouvoir de la tragédie, notamment avec leur célébration du vrai «coup d’Etat anticonstitutionnel» du 25 octobre 2015 et du «holdup présidentiel» du 4 avril 2016. Ton livre retient plus leur attention critique que ce qui se passe dans le Département du Pool. Le P.c.t ne s’est pas dégagé du paradigme corrupteur de la répétition historique. Le pouvoir est, non pas au fond des urnes, mais au bout du fusil. La pierre d’achoppement des mentalités n’a été pas été dégrossie. Les aspérités demeurent.

Le temps n’a pas fait son temps, hélas! Pour le pays, persiste l’intrigante question du faire autrement la politique, avec ou sans le P.c.t. Le P.c.t a atteint le seuil de son incompétence historique. Il ne peut pas faire la politique autrement que comme vecteur privilégié de la tragi-comédie nationale en cours. Je ne suis pas pessimiste. Loin s’en faudrait!

Curieusement, tu ne déclines pas l’hypocentre de la décision politique dans le système décrié et dont le P.c.t n’est que l’épicentre. Quelle intelligence entre l’hypocentre et l’épicentre? Pourtant, tes questionnements font signe à un plaidoyer historique à la bonté d’un Prince incompris et à l’abri de toute suspicion de faillibilité. Le Prince est infaillible. Le peuple est faillible. Le système est faillible. Le Prince a absolument raison. IL est Irréprochable. Il est Inattaquable. Critiquer le Chef est un crime de lèse-majesté. Le Chef est irresponsable des dévastations du système et de l’inconscience du peuple.

L’Institution est comptable de l’irresponsabilité mythique du Chef. Le Chef tire sa suprématie du culte organisé de sa personnalité. Le culte de la personnalité du Chef est son refuge de complaisance. C’est le tiraillement de la nouvelle république entre une révolution prolétarienne inaccomplie et une monarchie traditionnelle balbutiante. Un tiraillement improductif, qui a pour nom la démocratie à l’africaine. C’est le point de jonction entre l’existant (la république tropicalisée) et l’inexistant (le royaume réifié). Ainsi la représentation symbolique néantise la République et actualise le Royaume. Le passé est insaisissable. L’avenir est illisible. De la sorte s’exprime la subjectivité paradoxale d’une modernité introuvable. La conscience historique se dévoile en se dévoyant. Notre pays a du mal à entrer dans l’avenir, alors que, à l’instar du reste du continent noir, il est suffisamment entré dans l’histoire. Aucun analyste sérieux ne le conteste. Notre problème, ce n’est pas l’histoire, car nous savons d’où nous venons. Notre problème, c’est l’avenir, car nous ne savons pas où nous allons. L’avenir est notre inquiétude.

Oui mon bien cher Hugues!

Tu le vois bien, tous ceux qui te chahutent, ne s’en prennent pas à la chefferie. Leur mécréance historique subjugue. Tu n’as pas ciblé la clé de voûte des Institutions. Ils taisent royalement ce silence. Pour eux, cette absence de trace est un mérite militant, et pas des moindres. Tu es encore récupérable. La manie du politiquement correct se configure. Une psychanalyse du (ou de la) geste présidentialiste s’impose. Devient intelligible la difficulté de donner sens à la prescience «faire la politique autrement».

Je comprends le silence sur ton silence partagé par le salut relevé de ta militance audacieuse. Un philosophe l’a dit. J’entrevois tes convictions, tes hésitations et tes réserves. Je réalise la désaffection disciplinaire au cœur de tes initiatives décentrées d’un parti fossilisé et sclérosé. Autrefois, tu serais déjà exclu des rangs. «Po na ékolo ou pona ékolo»? Tu es sujet de caution pour la commission pré-disciplinaire: tu as des comptes à rendre aux instances supérieures du parti sur ton parti-pris-sans-parti-pris au profit de la déraison partisane. Mais, il sera difficile de te sanctionner. Tout sera mis au bon compte à faire de la critique et de l’autocritique entre camarades de lutte. De toutes les façons, le dernier mot partira de l’hypocentre. Mais, l’épicentre assumera en se voilant la face. Finie la mise en scène!

La liberté du préfacier n’a pas mis en péril les dissymétries du champ politique congolais. Gageons le flambeau de la prospective à la prudence et à la retenue dans les intempéries passées, présentes ou futures. Le temps fera son temps. Si le débat contradictoire pouvait engager la cause éthique de dédramatisation du jeu politique, la vie en société gagnerait en limpidité. Fort heureusement, l’avenir d’un pays ne se négocie pas volets clos. Tu as raison, nous sommes condamnés à vivre ensemble.

Apprenons à savoir vivre ensemble, en positivant avec le préfacier. Habitons l’avenir. Le temps a fait son temps. Le temps n’a pas fait son temps. Le temps fait son temps. Le temps ne fait pas son temps.

Le temps fera son temps. Le temps ne fera pas son temps. Laissons donc le temps au temps. Que le jour saint de la renaissance cosmique du Christ éclaire l’an 2017 d’une lumière qui n’aliène ni l’amour, ni la vérité, ni la justice! Bien à toi et famille mon cher Hugues!

Ton grand frère Charles Zacharie Bowao