L’incompétence révoltante d’un Procureur de la République fabriqué de toute pièce par monsieur Denis Sassou Nguesso et son clan

Le Procureur de la République n’est pas le garant de l’ordre public ; il est au contraire le garant d’une application impartiale et équitable de la loi

Le 19 février 2016, dans une déclaration, lue sur la télévision nationale congolaise,     monsieur André Oko Ngakala, Procureur de la République près le Tribunal de Grande     Instance de Brazzaville déclarait ce qui suit : « Courant février 2016, des informations  parvenues à mon parquet font état de la circulation sur la place de Brazzaville et même au niveau national de déclarations largement relayées par la rue et les réseaux sociaux de Monsieur Jean-Marie Michel MOKOKO relative à la vie de la Nation. Ces informations, si elles étaient avérées mettront gravement en danger les institutions de l’Etat et les        fondements mêmes de la Nation ainsi que la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat. C’est  ainsi qu’en application des dispositions des articles 12 nouveau et 29 du code de procédure   pénale, j’ai prescrit en date du 17 février 2016 au directeur général de la     surveillance du territoire les missions ci-après :

a – procéder immédiatement à l’interpellation de monsieur Jean-Marie Michel MOKOKO

b – procéder sans délai à son interrogatoire… »

L’analyse objective et juridique de cette déclaration permet de constater de façon certaine  que monsieur André Oko Ngakala a brillamment violé les dispositions des articles 7, 12, 14,  29 , 40 et 157 du code de procédure pénale congolais et les articles11 de la déclaration universelle des droits de l’homme et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques

En effet, le code de procédure pénale ne donne pas au Procureur de la République en sa qualité d’autorité judiciaire le pouvoir de diligenter une arrestation forcée et musclée     mettant en danger les droits de la défense. ( article 11 de la déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques)

Et pourtant l’article 29 alinéa 1 du code de procédure pénale est clair lorsqu’il stipule que : « Le Procureur de la République procède ou fait procéder à tous actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale. »

Quelle est la quintessence de cet article ?

Pour l’article 29 du code de procédure pénale, le Procureur de la République entreprend ou fait entreprendre les actions tendant :

–   à la manifestation de la vérité sur l’infraction à la loi et

–   à la poursuite de l’auteur ou des auteurs de l’infraction à la loi

Il y a ici la recherche de l’infraction à la loi et la poursuite de l’auteur ou des auteurs de   l’infraction à la loi.

Pour procéder ou faire procéder à tous actes nécessaires à la recherches des infractions à la loi, il faut que l’infraction à la loi existe et qu’elle soit punissable. L’existence de          l’infraction à la loi exige dans le cas d’espèce son authenticité et sa véracité. Si l’authenticité et la véracité de l’infraction à la loi est avérée, le Procureur de la République peut chercher et poursuivre l’auteur ou les auteurs.

Dans le cas des déclarations du général Jean-Marie Michel MOKOKO contenues dans la vidéo qui circule sur les réseaux sociaux relative à la préparation d’un coup d’état au  Congo – Brazzaville dans les années 2000 ( entre 2002 et 2003 ),  la question de droit qui se pose est celle de savoir si cette vidéo est authentique c’est-à-dire qu’elle n’est pas un montage ?

Procéder ou faire procéder à tous actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale ne signifie pas diligenter une arrestation musclée et forcée qui viole de façon éhontée les droits de la défense. Le Procureur de la République est garant des libertés individuelles et des droits des partis,  il doit à cet effet veiller au respect des droits individuels, au rang desquels figurent les droits de la défense.

En effet, les droits de la défense font partie de ce que Henry ROUSSILLON appelle « Le noyau dur » des droits fondamentaux. Faire respecter les droits de la défense, c’est  poser les bases d’un état de droit solide où les droits des justiciables sont respectés.

Le respect des droits de la défense constitue dans le chef du Conseil d’Etat et donc de l’Etat une obligation de résultat. Dans un jugement rendu le 15 octobre 2009, le Tribunal de Première Instance de Bruxelles précisait que le droit du justiciable à être jugé dans un délai raisonnable constitue, dans le chef de l’État, une obligation de résultat.

Le Tribunal rappelle qu’il suffit en effet au demandeur d’établir que la contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil n’a pas fait l’objet d’une décision définitive dans un délai raisonnable pour que la responsabilité de l’État soit engagée sur la base des   articles 1382 et 1383 du Code civil. Il n’est point besoin, au surplus, d’établir que cette  violation aurait été causée par un comportement fautif de l’état » (Civ. Bruxelles, 15 octobre 2009, J.T., 2010/12, p. 195)

L’article 14 alinéa 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule que « Toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

Le Procureur de la République n’est pas un instrument au service du pouvoir politique ; il est le garant de l’intérêt général, du bon fonctionnement de la société et des libertés individuelles. Selon Robert GELLI[1], « le procureur de la République est garant d’une     application impartiale et équitable de la loi »

Pour Jean-Louis Nadal, « … la spécificité du ministère public, à la fois organe de poursuite et gardien des libertés individuelles, remonte à ma connaissance à la grande ordonnance de Philippe le Bel du 23 mars 1303 énonçant la formule du serment des gens du roi et montrant que l’accusateur doit également avoir en charge la recherche de la vérité et la bonne application de la loi[2] »

Le Procureur de la République est aussi chargé de suivre les enquêtes. Lorsqu’il y a commission de crimes ou de délits, il est immédiatement avisé. Il dirige, contrôle et       supervise à cet effet l’action de la police judiciaire. L’article 12 du code de procédure     pénale stipule que «  La police judiciaire est exercée sous la direction du procureur de la    République, par les officiers, fonctionnaires et agents désignés au présent titre. »

Dans le cas d’espèce, le Général Jean Marie Michel MOKOKO devrait être entendu par les   officiers de police judiciaire et avant qu’il soit entendu, il devrait y avoir au préalable :

–   ouverture d’une information judiciaire par le Parquet du Procureur de la République  ou

–   constatation de crime d’atteinte à la sûreté de l’Etat qui permet à la police judiciaire de rassembler les preuves et d’en chercher d’autres.

Or le Procureur de la République, monsieur André Oko Ngakala a agi en violation du code de procédure pénale. Au lieu d’appliquer la loi, il a préféré obéir au pouvoir exécutif et    politique. Et pourtant l’article 14 du code de procédure pénale stipule à juste titre que « Elle ( la police judiciaire) est chargée, suivant les distinctions établies au présent titre de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les autres tant qu’une information n’est pas ouverte. Lorsqu’une information est ouverte, elle exécute les délégations des juridictions d’instruction et défère à leurs réquisitions. »

Concernant le manque d’indépendance du Procureur de la République à égard du pouvoir exécutif et politique, la Cour européenne des droits de l’homme exclut ce dernier de la   catégorie des « autorités judiciaires », seules compétentes, au sens de la Convention   européenne des droits de l’homme, pour décider et contrôler les privations de libertés.

Un Procureur de la République qui n’applique pas la loi de façon impartiale et équitable n’est pas une autorité judiciaire.

Dans un arrêt rendu le 10 juillet 2008, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le Procureur de la République ne pouvait être considéré comme une autorité judiciaire au sens de l’article 5 § 3 de la convention en disant que : « le Procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette  notion : comme le soulignent les requérants, il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié » (Cour EDH, 5e Sect. 10 juillet 2008, Medvedyev et autres c. France, requête n° 3394/03)

Dans sa déclaration du 19 février 2016, monsieur André Oko Ngakala nous parle des    informations qu’il a reçues faisant état des déclarations du Général Jean-Marie Michel    relatives à la vie de la Nation. Ensuite, il pose une condition en disant si ces informations étaient avérées, elles mettront gravement en danger les institutions de la République et les fondements de la Nation.

Alors s’il n’avait pas de certitude sur la véracité et l’authenticité des informations qu’il a  reçues, pourquoi a t-il prescrit au directeur général de la surveillance du territoire de procéder immédiatement à l’interpellation du Général Jean-Marie Michel MOKOKO et à son interrogatoire sans délai ?

En effet, étant en possession des déclarations du Général Jean-Marie Michel MOKOKO relatives à la vie de la Nation, le procureur de République devait d’abord chercher à savoir si ces informations étaient avérées ou fausses avant de chercher à bafouer les droits de la défense.

En demandant au directeur général de la surveillance du territoire de procéder immédiatement à l’interpellation du Général Jean-Marie Michel MOKOKO et à son interrogatoire sans délai, monsieur André Oko Ngakala en sa qualité de Procureur de la République a violé les dispositions des articles  29 alinéa 1 et 40 du code de procédure pénale. Il y a par conséquent irrégularité de procédure.

En effet les actes de procédure irrégulière accompli par le Procureur de la République monsieur André Oko Ngakala sont tous frappés de nullité. L’ article 157 du code de procédure  pénale stipule à cet effet que : « Les dispositions prescrites aux articles 40, 41, 43-1, 80, 81, doivent être observées à peine de nullité.

2° En outre, s’il est établi que l’inobservation des formalités non prescrites à peine de nullité porte directement et manifestement atteinte aux droits de la défense ou à ceux de la partie qui en fait état, l’acte vicié est déclaré nul, ainsi que, s’il y a lieu, tout ou partie de la procédure ultérieure.

3° La partie envers laquelle ces prescriptions ont été méconnues peut renoncer à s’en prévaloir et régulariser ainsi la procédure. Cette renonciation doit être expresse »

Si les faits reprochés à tort ou à raison au Général Jean-Marie Michel MOKOKO dataient des années 2000 ( entre 2002 et 2003 ), il y a donc prescription. La prescription est un principe général de droit qui désigne la durée au-delà de laquelle une action en justice, civile ou pénale, n’est plus recevable.

Le prescription dans le cas d’espèce est prévue à l’article 7 du code de procédure pénale congolais. En effet cet article stipule que : « En matière de crime, l’action publique se   prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis, si dans cet intervalle, il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite. S’il en a été effectué, dans cet intervalle, elle ne se prescrit qu’après dix années révolues à compter du dernier acte. Il en est ainsi de même à l’égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d’instruction ou de poursuit »

Monsieur André Oko Ngakala est un pseudo-procureur de la République, fabriqué de toute pièce par le clan Sassou afin mettre à exécution son plan morbide de conservation du pouvoir à tout prix. Lorsqu’il usurpe le pouvoir du ministre de l’intérieur en disant à la   télévision publique qu’il est le garant de l’ordre public, cela confirme bien que ce procureur de la République est un magistrat fabriqué pour les besoins de conservation du pouvoir.

Les congolais en général et les brazzavillois en particulier ne peuvent rien n’attendre de ce pseudo-magistrat, car ce monsieur n’est autre qu’un figurant qui empêche le pouvoir judiciaire de bien remplir sa mission : celle de contrôler l’application de la loi, de             l’interpréter en examinant la concordance entre une situation concrète et la loi en elle-même, de sanctionner son non respect…

Le système judiciaire congolais nécessite un recyclage en profondeur et un arrimage à l’évolution de la pratique du droit car le Congo ne peut se déconnecter du reste du monde. L’arrêt Medvedyev et autres c. France rendu par la Cour européenne des droits de  l’homme en date du 10 juillet 2008 a permis de comprendre qu’un Procureur de la        République qui reste aux ordres du pouvoir exécutif ne peut être considéré comme une autorité judiciaire au sens de l’article 5 § 3[3] de la convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950. Pour être considéré comme une autorité judiciaire, le    Procureur de la République doit garder son indépendance vis à vis du pouvoir exécutif et politique en restant garant des libertés individuelles et d’une application impartiale et équitable de la loi.

L’affaire de la vidéo du Général Jean-Marie Michel MOKOKO est une affaire montée de toute pièce. Elle montre bien l’instrumentalisé du pouvoir judiciaire à des fins politiques; ce qui nous permet de constater que celui-ci n’a pas d’existence réelle au Congo. Ce que l’on   considère à tort comme pouvoir judiciaire n’est autre que le prolongement du pouvoir  exécutif et politique.

Par :  Maître Céleste Ngantsui

membre de l’opposition et

Représentant M.C.R.O.C auprès de l’Union européenne et du Royaume de Belgique

[1] Robert GALLI, procureur de la République à NANTERRE, 18 ème congrès de l’IAP, Moscou le 11 septembre 2013

[2] Cycle de conférences de procédure pénale, Cour de cassation, Paris, 19 janvier 2006 , allocution  d’ouverture Jean-Louis NADAL, Procureur Général près la Cour de cassation, P 10

[3] L’article 5 § 3 « toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »