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L’inéluctable haïtisation du Congo de Sassou.

L’inéluctable haïtisation du Congo de Sassou.

DJESS DIA MOUNGOUANSI

Par  Djess dia Moungouansi

 

Sassou et son successeur de fils Christel

« Les classes dirigeantes se sont gangstérisées, les pauvres obéissent ». Antoine Volodine

Un débat prospère actuellement  dans le milieu intellectuel des patriotes et des démocrates  congolais de la diaspora autour d’une question fort pertinente : notre pays le Congo, n’était-il pas sur le chemin d’Haïti ? Pour mettre en évidence les similitudes entre d’une part, la République de Haïti longtemps vampirisée par  la dynastie des tontons Macoutes et des gangs locaux   et de l’autre,  la république du Congo, mise en charpie par  la dictature  Sassou ;  j’ai opté pour une démarche qui emprunte tout autant à l’analogie qu’à la réflexion pure.

Le règne des gangs, la revanche des médiocres et des véreux politiques.

L’histoire de Haïti est indélébilement marquée par le funeste  règne de papa Doc François Duvalier et par celui de son fils Jean-Claude Duvalier « Baby Doc »qui avaient littéralement détruit et pour longtemps, des pans entiers de  la société. Haïti  ne s’en est jamais remis. La milice créée par le dictateur haïtien perpétrait des centaines d’assassinats par mois. Aujourd’hui encore, à la nuit tombée, il n’est pas rare de croiser des portes-flingues qui promènent leur M16 américain, lâchant leurs rafales, tantôt vers les étoiles, tantôt à hauteur d’homme. L’héritage des tontons macoutes de l’ère Duvalier est un véritable frein pour  la lutte contre l’insécurité qui contribue  à exacerber la dysharmonie sociale.

Papa Doc et Baby Doc (Duvalier père et fils)

Dans son discours lors de la cérémonie de sa consécration comme président à vie de Haïti en 1971, le tyran Duvalier  déclara : « C’est parce que je veux  vous éviter les catastrophes, parce que je veux vous protéger vous, tous les duvalieristes (…) que j’ai l’intention de m’élever toujours plus haut à la rencontre de la pensée de Toussaint Louverture ( …) qu’il ne m’est pas possible de passer le pouvoir ».

Par la laideur morale de sa démarche, Sassou Dénis est allé plus loin que François Duvalier dans l’ignominie : il a non seulement assuré sa pérennité dictatoriale en jetant aux orties sa propre constitution de janvier 2002, il a en plus institutionnalisé l’impunité dans sa nouvelle constitution de novembre 2015 à travers son article 96.

Plus de trente ans après la fin de la dictature, les réalités haïtiennes d’aujourd’hui ressemblent  à s’y méprendre à celles des périodes sombres des Duvalier. Les attributs de la démocratie (paix, liberté, prospérité etc…) restent utopiques. Comme en Haïti l’insécurité n’a jamais été aussi grande au Congo : chaque jour, les ONG dénoncent des violences perpétrées par les « bébés noirs » qui écument les grandes villes (Brazzaville et Pointe-Noire) et les violences policières dont le point d’orgue a été atteint   récemment par des tortures infligées aux jeunes sous le viaduc de Talangaï. Deux en sont morts, fémurs brisés à coups de marteau.

Au Congo, le climat de suspicion généralisé, délibérément mis en place par ce pouvoir, condamne quiconque ne manifestant pas son soutien au régime  de façon ostensible. On voit éclore des étranges églises de réveil comme « l’église évangélique de Moungali » qui arbore sur son fronton, le soutien inconditionnel des adeptes à la politique désastreuse de Sassou et de son fils. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces loques humaines, privées du minimum vital par ce despote, souffrent  d’une forme rare de  syndrome de Stockholm. Ce phénomène psychique caractérisé par l’empathie qu’une victime   éprouverait  à l’égard de son  oppresseur. Pathétique !

Autoritaire, Duvalier utilisait le culte de personnalité pour être vu comme un Dieu vivant. Avant sa mort, il avait mis en place une loi de succession pour que sa famille se maintienne au pouvoir. Au pays de « l’immortel » Marien NGouabi, on voit avec quel cynisme, tout espoir d’alternance est anéanti par le système Sassou, notamment lors des mascarades électorales aux dés pipés, consacrant la pérennité dictatoriale. Bruno Itoua, un des grands fossoyeurs de ce pays, n’est pas passé récemment  par quatre chemins pour narguer le peuple congolais en réaffirmant leur volonté de continuer à… détruire ce pays.

Si un Haïtien regardait la Télévision nationale congolaise, il ne risquerait pas d’être dépaysé ! Il y verrait le même culte de la personnalité avec un président omniprésent qu’au temps des Duvalier. Des reportages sur les grandes réalisations du «Grand bâtisseur» passent à longueur de journée et débordent même sur les  autres télévisions privées à coup de millions de francs CFA. On peut  rappeler opportunément que ces télévisions privées appartiennent,  soit à un autre faucon du régime impliqué dans l’affaire qui hante leurs nuits : «  l’affaire des disparus du Beach », le Général Dabira, soit  au « grand frère du Président », Maurice Nguesso, devenu homme d’affaires redoutable. La preuve tangible d’une véritable main basse sur les pans entiers de l’économie congolaise par ce clan mafieux.

A l’Haïtien habitué à l’univers issu du « duvalierisme », on ne dira que ceci : « Il a tout compris ». D’abord, il dirait que le « sassouisme », doctrine « visionnaire »  du Grand Maître mènera le pays à la prospérité, vers  un Congo émergent en …2025(sic). Comme à l’époque de Papa Doc,  il comprendra que le successeur du Grand Maître, ne pourra être que  son fils  Christel Dénis Sassou NGuesso, promu au Comité Central du PCT, à qui son père a taillé un ministère sur mesure : le ministère de la coopération internationale et de la promotion du partenariat public-privé, une espèce de doublure du ministère des affaires étrangères, dans le seul but de le mettre en jambes pour l’exercice futur du pouvoir. Tout le monde reconnaît aujourd’hui le seul exploit (sic) du successeur désigné : il a réussi à siphonner les recettes pétrolières du Congo à travers la défunte COTRADE, ce qui lui a valu d’être épinglé par les experts des institutions de Bretton Woods qui avaient exigé la dissolution sur- le- champs de cette odieuse structure. Après avoir mis à mal la SNPC la caisse de l’épicerie familiale du pouvoir, il va une fois de plus étaler son incompétence et son impudence dans la promotion et la signature des contrats léonins avec le Rwanda. Comme le « Baby Doc » de la période Duvalier en Haïti, il  a naturellement hérité des qualités de son géniteur pour conduire à bon port le destin du peuple (sic). La vérité est tout autre : un destin fait de misère, de grandes famines, de recrudescence des maladies moyenâgeuses, de géants pillages des recettes pétrolières, bref un destin mis en péril ad vitam aeternam.

Au Congo comme  en Haïti, on a fait fuir tous les dégoûtés, il ne reste plus que les dégoûtants.

Le postulat selon lequel les intellectuels seraient un rempart contre l’abjection et l’avilissement, est tout bonnement battu en brèche par les réalités haïtiennes et congolaises. Osons la comparaison, relevons les similitudes. En dépit de toute vraisemblance, la République de Haïti regorge d’intellectuels de grande valeur et sa diaspora a toujours été parmi les plus fécondes du monde francophone dans bien de domaines. L’Académicien Dany Laferrière, écrivain et réalisateur est d’origine haïtienne. Michaëlle Jean, diplomate et ancienne Secrétaire Générale de la Francophonie de 2010-2019 est également originaire de ce pays. Le talentueux humoriste Anthony Kavanagha a également ses origines en Haïti. On peut multiplier des exemples à foison.

Notre pays est connu sur la scène internationale avec des intellectuels de l’acabit de Théophile Obenga, le chantre de l’Egyptologie. Il écume inlassablement les amphithéâtres et autres salles de conférence d’Afrique de l’Ouest pour vulgariser le courant de pensée Afrocentriste  « antériorité des civilisations nègres ». Cependant, plombé par un tribalisme dont il a du mal à se départir, il ne s’est jamais gêné de proclamer, superbe de ridicule,  à l’égard  de Sassou le distributeur attitré de la rente pétrolière:« Un nouvel épithalame pour le Congo ».Un véritable délit conceptuel et intellectuel. Un affreux rapt éthique ! N’est pas Cheikh Antha Diop qui veut.

Avec la décadence actuelle du système éducatif dans notre pays, on a du mal à imaginer que les grands écrivains comme Sony LabouTansi, Tchikaya U Tam’si ou  Henri Lopez par la qualité de leur plume, seraient des natifs du Congo. Surtout, personne ne croirait que le prolifique écrivain Alain Mabanckou dont tout le monde nous envie le succès, est natif de Pointe-Noire, la capitale économique congolaise qui est, du reste, l’une de ses sources d’inspiration ! Pas davantage qu’on le croirait pour le grand chimiste et écrivain Emmanuel Dongala dont «  Johnny chien méchant » a été porté à l’écran par Hollywood.

Par ailleurs, tous les grands noms d’origine haïtienne ont acquis des nationalités étrangères, probablement pour l’épanouissement de leur talent. De même, la plupart des compétences formées dans les grandes écoles occidentales ne rêvent plus faire leur vie au Congo.

Le système Sassou s’applique à exacerber l’antipatriotisme en faisant la promotion éhontée du tribalisme. Pire, il met un point d’honneur à ne  pas pourvoir des postes dans les institutions internationales au cas où le meilleur profil demandé n’est pas issu de son ethnie. Résultat des courses : les Congolais déjà si peu nombreux  au temps du PCT Parti quasi unique dans ces institutions, sont encore rares à l’heure actuelle.

Lors d’un échange fortuit que j’avais eu en 2010 avec l’ancien savant de la NASA, Cheik Modibo Diarra à Roissy, alors au sommet de son art, et en escale pour Bamako, fier d’avoir conservé sa nationalité malienne, il m’avait dit ceci en substance et avec aplomb : «  Petit frère, je vais en vacances dans mon pays, je travaille aux Etats Unis. Personne d’autre que les intellectuels de mon acabit ne feraient la fierté du Mali et de l’Afrique. Je ne suis pas Américain, j’ai gardé la nationalité malienne, par fierté…)

Les étudiants congolais négocient les bourses non pas pour aller acquérir des connaissances et revenir pour reconstruire le pays. Ils fuient la misère endémique et le manque de perspectives cultivés par le pouvoir en place pour éloigner tous ceux qui ne soutiennent pas aveuglement leur politique désastreuse.  On ne peut pas développer un pays avec les médiocres. Cela se saurait. La preuve, en 25 ans de pouvoir sans partage depuis le retour de Sassou au pouvoir de manière illégale et illégitime, en dépit des recettes pétrolières exorbitantes, le Congolais lambda ploie sous les affres des déprivations.

Beaucoup de dictatures  ont été expédiées aux mille diables ces dernières années, on ne peut que s’en féliciter. Cependant, cette pointe d’optimisme est diluée dans des perspectives sombres, tant en Afrique de l’Ouest, les juntes aux ambitions floues ont repris du service et en Haïti, la première République noire indépendante n’arrête pas de tomber de Charybde en Scylla. Quant à la dictature du Congo, le futur immédiat est bien tracé. A moins que…

Djess dia Moungouansi

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