L’UNITE NATIONALE AU CONGO-BRAZZAVILLE : VŒU PIEUX OU IDÉAL ÉPINEUX ?

Les évènements que le Congo a connus, au cours du mois d’octobre 2015, ont mis en relief, non seulement, des entorses à certains principes démocratiques, mais aussi et surtout, des violences incompréhensibles, ayant suscité des replis identitaires. De cette situation dramatique, se sont élevées des voix, qui s’interrogent, de plus en plus, sur la portée réelle de l’unité nationale, tant encensée à l’envi. Que vaut-elle encore, cette unité ?… Que peut-on pour sa sauvegarde ?…

Tant d’autres questions, gravitant autour du vivre-ensemble, se posent avec acuité. Tenter d’y répondre aiderait certainement à la transcendance, pour les protagonistes, afin d’envisager un meilleur avenir pour le Congo et les Congolais.

L’UNITE NATIONALE SERAIT-ELLE UN VŒU PIEUX ?

Cette question, qui résume le questionnement sur l’unité nationale, n’aurait pas de sens sous d’autres cieux. Dès lors que le respect des règles, en général, et de la Loi fondamentale, en particulier, s’applique à tous citoyens, sans exception aucune, la conscience collective s’imprime alors en chacun, comme une seconde nature. Par conséquent, les ressortissants des quatre points cardinaux, demeurent, d’abord et avant tout, des compatriotes, avec lesquels la Nation doit être bâtie, pour la hisser au firmament des pays de bonnes cotes.

Sans tremper dans les méandres statistiques, quelle cote peut être attribuée au Congo, dans les domaines sociopolitique, économique, sanitaire, éducatif, etc. ?… La réalité du vécu de chaque congolais, prise dans sa globalité, serait plus plausible que tout autre indicateur, aussi scientifique soit-il. Au lieu d’un progrès, qui impliquerait une alternance politique pacifique, on assiste à une régression, qui conduit à la résurgence des considérations ethniques. En effet, la perception de la notion d’ethnie, s’impose pour saisir ce qui peut, en l’espèce, altérer l’unité du Congo, laquelle unité est constituée par une grande diversité d’ethnies. Ces ethnies peuvent être réparties en trois groupes, à savoir les Kongos, Tékés et Mbochis.

En se fondant sur la réalité objective, par des critères comme la langue, les coutumes et le lien d’ascendance, Paul Mercier considère l’ethnie ou le groupe ethnique, comme l’ensemble d’individus se reconnaissant par ces critères. Cependant, Max Weber, qui fait partie des auteurs, qui ont adjoint à la notion d’ethnie, la dimension subjective, laquelle intègre l’identité comme un construit social, dans lequel se reconnaît l’individu. En faisant évoluer le concept d’Ethnie en « Ethnicité », cet auteur, prend en compte l’interaction, qui induit au sentiment d’appartenance à un groupe ethnique. Pour ce dernier, cette notion intervient, « non seulement comme une construction sociale, mais aussi comme un moyen d’instrumentaliser les luttes sociales et politiques ». Partant, les évènements survenus pendant et après la campagne référendaire, pour le changement de constitution, peuvent être ainsi mieux appréhendés.

D’emblée, il importe de rappeler que l’opposition congolaise, qui a tant dénoncé, par des arguments juridiques, la tenue de ce référendum, n’a pas participé à cette campagne. Mais, elle a opté, plutôt, pour des manifestations pacifiques dans les grandes villes, en lançant un ultimatum, soumis à l’annulation du référendum, par le Chef de l’État. Au lendemain de l’expiration de cet ultimatum, la grande manifestation, qui devait préluder à la destitution du Chef de l’État, selon l’opposition, pour avoir maintenu son projet référendaire, n’avait pu se tenir, d’autant que la force publique avait investi les artères menant au lieu de rassemblement. Va alors s’ensuivre une répression, focalisée, curieusement, dans les quartiers Sud de Brazzaville, se soldant par plusieurs morts et blessés, dont les enfants. Pendant ce temps, dans les quartiers Nord, la vie semblait suivre son cours, y compris la campagne référendaire.

Ce contraste imagé a provoqué de nombreuses réactions. Les unes, pour s’insurger contre le pouvoir, qui aurait pourchassé, par les armes, les jeunes pacifistes venus des quartiers Sud ; les autres, pour reprocher aux habitants des quartiers Nord de s’être désolidarisés d’eux, au pire, de s’être moqués du malheur de leurs semblables ; d’autres encore, pour accuser le pouvoir d’avoir voulu diviser les Congolais, du Sud et du Nord, afin d’assoir son autorité.

Une frange de la diaspora congolaise en France, qui soutient depuis longtemps des thèses sécessionnistes, a saisi cette occasion pour monter au créneau. Pour les ténors de cette frange, le Sud, désignant le groupe ethnique Kongo, subit le martyr depuis une éternité ; le Nord, fort d’un contrôle d’au moins 90% du haut commandement militaire et civil, cherche toujours à dominer le Sud, y compris par la force armée ; et le vivre-ensemble est donc une façade. Pour épargner le Sud des injustices sociales et d’un génocide éventuel, pour ces derniers, la solution serait la scission du Congo-Brazzaville en deux. Subséquemment, ceux-ci opposent au référendum pour le changement de Constitution, un référendum supranational d’auto-détermination pour la création de l’État du Sud Congo. D’après eux, la délimitation territoriale, les armoiries, et tout ce dont dispose un État, auraient été déjà soumis à l’appréciation de l’ONU.

Manifestement, ceux qui usent de la puissance militaire, pour mener une répression sélective, d’un côté, et ces sécessionnistes, de l’autre, fonctionnent selon la même logique, laquelle consiste à instrumentaliser les luttes sociales et politiques, par le fait ethnique. Heureusement, l’écrasante majorité des Congolais, enclins au bon sens, n’adhèrent point à cette logique. Aussi, les Congolais, devraient-ils, s’investir réellement pour l’unité nationale, au risque de donner raison aux partisans de cette logique extrême, lesquels continuent à faire des émules.

Toujours est-il que la tenue de ce référendum a été marquée par des arrestations arbitraires, des réseaux de communication et d’information altérés, des libertés en privation, et le suivi de la désobéissance civile dans un certain nombre de départements. Curieusement, les résultats officiels ont affiché un taux de participation de 72,44 %, pour une adhésion au référendum à 92,26%. Ce taux de participation, surréaliste et suspect, pourrait corroborer les doutes qu’avait exprimés l’opposition, quant à l’indépendance, la transparence et à la fiabilité d’un tel scrutin.

Au vu de ces résultats, il est possible que les tenants du pouvoir poursuivent leur démarche coercitive, pour adopter la nouvelle Constitution. Ils opteraient définitivement pour une instabilité politique chronique, dont les méfaits s’avèrent multiples, pour ne citer que le désengagement des investisseurs lié au risque-pays. Au demeurant, l’opposition, après les cérémonies pour honorer les jeunes manifestants tombés sous les balles à Pointe-Noire et à Brazzaville, reprendra, à nouveau, sa lutte de mobilisation citoyenne. Par ailleurs, la raison, voire, l’intérêt général, recommanderait, comme l’a suggéré la communauté internationale, de s’accorder sur la gouvernance électorale, qui s’avère être l’unique point consensuel entre les protagonistes. Sur cette base, les résultats du fameux référendum devraient être annulés. La République renaîtra de ses cendres, pour un nouvel élan démocratique. De cette manière, pour faire évoluer les institutions de la République, ne serait-il pas possible, de procéder à une révision constitutionnelle, qui conjuguerait les Constitutions de 2002 et de 2015, en gardant les articles intangibles pour la première, et en remplaçant tout le reste, par la seconde, sans les articles incongrus ? Autrement, d’autres points d’accord doivent être décelés, pour se sortir, enfin, de ce dédale constitutionnel.

L’UNITÉ NATIONALE : UN IDÉAL ÉPINEUX

L’unité nationale, perçue sous l’angle d’une construction sociale, dans laquelle s’est greffée une diversité d’ethnies sur le territoire congolais, peut se définir comme un idéal, comportant naturellement des épreuves non-insurmontables.

A l’intérieur de chacun des trois groupes ethniques susmentionnés, il ressort que certaines ethnies revendiquent leurs particularités, qui peuvent affecter l’unité ethnique, sans pour autant la disloquer. Ces situations, qui englobent des épreuves, de toute nature, peuvent être causées par un individu, quelques individus ou par une seule ethnie. Mais l’ensemble du groupe finit par se transcender, parfois au moyen de sanctions exemplaires, en vue des solutions meilleures pour l’intérêt collectif. Au gré des épreuves, les interactions sociales ayant été créées, les individus deviennent si liés que leurs différences intrinsèques s’évanouissent, ou sont occultées par des règles établies, de manière tacite ou formelle. Sans utopisme aucun, le même schéma est observé dans le cas de la Nation congolaise, où les populations, abstraction faite de leurs origines ethniques, sont liées, solidaires, conciliantes et bienveillantes. Ce sont davantage des luttes politiques que sociales, qui viennent compromettre le vivre-ensemble, pour satisfaire des aspirations égoïstes de quelques-uns.

Au Congo, les faits historiques attestent que l’accaparement du pouvoir, lorsqu’il atteint un certain seuil, les masses se lèvent, dans l’unité, pour clamer leur mécontentement. Cependant, les maniements politiques sont parfois parvenus à muter cet entrain en clivages ethniques. Ce qui était vrai par le passé, ne l’est plus aujourd’hui. Car le monde évolue, et avec lui, les mentalités. Certes, la plupart des partis politiques, sinon tous, par leurs leaders, étalent un pouvoir à dominance ethnique. En revanche, les groupements politiques, en l’occurrence, les partis actuellement au pouvoir et ceux de l’opposition, réunissent, en leur sein, à des taux variables, tous les groupes ethniques. En conséquence, les luttes politiques entre le pouvoir et l’opposition, ne saurait être assimilé à un antagonisme entre groupes ethniques. De surcroît, le jeu des alliances politiques favoriserait la cohésion entre ces groupes ethniques, et par ricochet l’unité nationale. Dans ces conditions, l’accession à la magistrature suprême, sous-entendrait un rassemblement au-delà d’un groupe ethnique, aussi peuplé soit-il, par une large coalition politique. Quand bien même, l’électeur congolais, jusque-là, a tendance à adhérer à un parti politique ou à voter sur des bases ethniques, il faut le comprendre et lui laisser le temps de s’adapter aux vraies valeurs républicaines, grâce aux réalisations d’hommes politiques d’envergure, qui privilégieraient l’intérêt collectif et l’unité nationale. Comme ce qui se passe, de mieux en mieux, dans certains pays anglophones d’Afrique, le militant ou l’électeur congolais agiraient, naturellement, au fil du temps, en fonction de ses convictions profondes et des intérêts de la Nation.

Il sied aussi de relever l’importance que revêt le brassage ethnique dans l’idéal, qui est suscité par l’unité nationale. Des générations, de plus en plus nombreuses, mettent en évidence leur appartenance aux trois groupes ethniques. Les exemples, qui attestent ce fait social, sont légion. Et la femme congolaise, qui est au cœur du tissu social, œuvre, avec les moyens du bord, pour le consolider. Cette grande tâche qu’elle se déploie, tout le temps, à accomplir, notamment auprès de la jeunesse, contribue inexorablement à renforcer le sentiment d’appartenir à la Nation congolaise, pour son unité. Cette jeunesse, en proie à de sempiternelles difficultés, expriment, sans cesse, son besoin d’éducation, de travail, de démocratie, de liberté, etc. Loin d’eux l’idée de demander la lune, les jeunes congolais, disposés à participer à l’édification de leur pays, réclament des emplois, afin de ne plus être une lourde et éternelle charge pour leurs parents, et d’envisager leur avenir sous d’heureux auspices. Répondre efficacement à leurs préoccupations, sans interférences ethniques, ce qui n’est pas toujours le cas, aurait des effets bénéfiques, non seulement, sur l’unité nationale, mais également sur la concorde et la sécurité nationales.

Dans la même optique, la majorité des Congolais, qui côtoient la misère au quotidien, ne peuvent que s’insurger contre les abus, dont font impunément étalage ceux-là, qui les paupérisent en continu. Le Congo n’est-il pas un bien commun, pour cette majorité qui croupit dans l’indigence ? La fracture sociale est patente, elle semble empirer, et son remède ne saurait être un musellement par la force, mais plutôt une gestion saine des ressources publiques, qui profiterait à tous les Congolais, pour ainsi dire cristalliser en chacun des espérances, et du même coup, accentuer le sentiment d’appartenance à la Nation congolaise, avivant aussi le bien-fondé du vivre-ensemble.

C’est bien beau de se focaliser sur l’émergence, mais cette orientation plutôt économique, expérimentée ailleurs, a montré ses limites, quant à ses incidences sociales, en particulier. En effet, l’émergence, comme telle, s’appuie sur des agrégats économiques, pour atteindre des objectifs fantastiques, en dédaignant les priorités sociales. C’est une évidence, à telle enseigne que cette option économique obéit à des logiques capitalistes, qui contribuent à accroître les gains capitalistiques de quelques-uns. Dans un pays si riche en dotations naturelles, il est aberrant que plus de la moitié de la population vive en-dessous du seuil de pauvreté. Il est donc nécessaire d’intégrer, de façon significative, en toutes politiques publiques, l’approche de la satisfaction des besoins essentiels de la population, qui passe par l’eau, l’électricité, la santé, etc. De cette manière, en se basant sur les atouts d’un développement économique et social intégral, prenant en compte toutes les composantes ethniques, en toute impartialité, le Congo-Brazzaville confortera son unité nationale, pour demeurer un et indivisible.

En définitive, comme ils l’exaltent dans leur devise nationale, les Congolais aspirent à l’unité, au travail et au progrès. Dans la bonne intelligence, ils continueront de mettre en pratique le refrain de leur hymne, en l’entonnant en chœur : « Congolais debout fièrement partout !… Proclamons l’union de notre Nation !… Oublions ce qui nous divise !… Soyons plus unis que jamais !..».

Par Gisèle Patricia GOULOU