Mgr E. NKOMBO
Par : Alphonsine MIKOUIZA DIA BONGA.
2ème partie
Mademoiselle, mademoiselle, mademoiselle ! Réveilles-toi, réveilles-toi ! Nous risquons d’être en retard !
C’était la voix de mon Père, c’est comme ça qu’il m’a toujours appelée: mademoiselle.
Oh mon Dieu ! Sapristi c’est le jour J, j’ai complètement oublié ! Je suis encore une gamine étourdie qui ne réalise pas encore ce qui l’attend.
Je me souviens encore de mon père qui n’arrêtait pas de nous dire ce qu’il a vécu jeune et ce que les adultes lui disaient tout le temps « aah ngué ! ku matu miini mié ko ! » en langue Kongo. Cela signifie que « devant il y a la canicule », c’est-à-dire qu’on doit prendre garde car le futur ne sera pas facile.
La veille, la maison était remplie de monde et il y avait de l’animation suite à l’arrivée des membres de la famille venus de Pointe-Noire et de Brazzaville. Alors le réveil était très difficile pour une toute jeune fille de mon âge à l’époque parce que nous nous sommes couchés tous tard à cause de l’animation et les vas et vient. Malgré tout j’ai commencé à émerger de mon sommeil.
Toute la maison était sur le pied de guerre, il faut s’apprêter pour la grande cérémonie. Ma mère qui nous demande de mettre nos plus beaux vêtements car c’est un grand évènement. Nous nous dépêchons mes frères, mes cousins et moi de mettre nos vêtements de sorties les garçons leurs beaux costumes avec Noeux papillons taillés sur mesure et les souliers achetés à Brazzaville et Moi la seule grande fille de la maison, une très belle robe fleurie vert-rose avec une ceinture et des petites sandales à talons rose. Oui je portais déjà les talons par la volonté de mon père qui m’en avait acheté d’ailleurs contre la volonté de ma mère qui avait peur que je me casse la jambe. Mon père voulait que j’apprenne à marcher avec les talons. La deuxième fille de la famille n’avait que 5 ans, après moi il y avait 4 garçons et mes trois cousins.
Toute la ville était en effervescence, il y avait des animations, des prières partout et la joie d’avoir un premier Évêque dans cette ville. C’est un événement historique à l’époque pour une petite ville où les populations étaient plus animistes que chrétiens. Ce jour-là tout le monde se sentait chrétien par l’ambiance qu’il y avait partout. Même ceux des autres religions comme les kimbanguistes, l’armée du salut, les pentecôtistes étaient conviés au grand événement jamais vu dans cette ville.
Nous sommes le 25 mars 1984 à Nkayi l’ex-Jacob, la quatrième ville du Congo Brazzaville dans la région de la Bouenza, le soleil s’est déjà levé. c’est l’intronisation de Monseigneur Ernest KOMBO nommé premier Évêque du diocèse de Nkayi le 6 décembre 1983 qui a reçu son ordination des mains du Pape Jean Paul II le 6 janvier 1984.
Bref, l’intronisation ou installation, ou « cérémonie d’inauguration », ou prise de fonctions, est un événement qui permet au nouvel évêque d’acquérir l’exercice effectif de son pouvoir sacerdotal et pastoral sur l’Eglise pour laquelle il a été élu. Par la prise de fonctions est concédée ce qu’on appelle la juridiction. L’évêque reçoit ce jour-là une juridiction immédiate sur une portion bien délimitée du peuple de Dieu. C’est à ce moment que commence son « règne » effectif. Le pasteur est enfin assigné aux brebis et les brebis sont assignées à leur pasteur.
Nous voilà en route vers le lieu de la cérémonie ; l’Église catholique. Mon Père ,Monsieur Ambassa très connu à l’époque dans cette ville ne pouvait pas sortir sans attirer l’attention. Nous étions tous contents et impatients de voir comment se passent ce genre de cérémonies. Il fallait marcher au moins une demi-heure à pied pour arriver à la cathédrale de Nkayi bien décorée à l’occasion. A notre passage, nous drainons les foules, tous les voisins nous suivaient derrière, ils s’étaient tous apprêtés, jeunes, vieux, femmes, enfants pour assister à la cérémonie.
Nous étions des invités d’honneur, c’est la famille de l’Évêque, je retrouve la mère de Monseigneur, une grande dame très imposante qui me prend sous son aile pour me prodiguer quelques conseils et me dire comment me tenir pendant la cérémonie car en dehors de mes cousins qui vivaient avec nous, je suis l’ainée de la famille.
Enfin nous voila dans l’église installés juste après les officiels qui sont venus de Brazzaville, de la France et du Vatican, des Évêques, des prêtres, des sœurs religieuses, des officiels du Pouvoir etc.
Le ton était donné, il y avait la foule partout, dans l’église il n’y avait pas assez de place pour contenir tout le monde, la foule occupait toute l’avenue de l’ancien Hôpital de Nkayi en face de la cathédrale, la grande avenue et la cour de l’école primaire derrière le Diocèse de Nkayi. Je pense que c’est l’école Mouana Nto ou j’ai oublié le nom. Les chants religieux fusaient de partout, les tambours, les nsakala et autres instruments de musique congolais étaient de la partie. Il y avait également des fleurs de toutes sortes partout.
A l’intérieur de l’église le ton était donné. L’ouverture de la cérémonie commence par un chant que vous connaissez tous.tes « Jérusalem toma yangalala, Jerusalemn lolo weka mu ngué, yangalala toma yangalala aaah !… ».
C’était la première fois que j’assistais à un aussi grand événement avec un très grand nombre de personne réuni à part la levée de drapeau à l’école primaire et au collège.
Plusieurs Évêques et prêtres sont dans la procession.
Entrent en procession : l’encens, la grande croix, accompagnée de deux cierges, les ministres qui interviennent dans la liturgie, le Représentant du Pape Jean-Paul II, Monseigneur Ernest KOMBO entouré par d’autres Évêques et les prêtres qui concélèbrent, les servants de l’autel, les diacres d’office , les servants préposés au livre, à la mitre et à la crosse.
Une fois la procession entrée, le représentant du Pape salut l’assemblée. Puis est venue la Monition d’ouverture, le nouvel Évêque est présenté à l’assemblée s’en est suivi des houra ! de la foule jusqu’à l’extérieur, on avait installé des haut-parleurs à l’extérieur également pour que tout le monde puisse suivre la cérémonie et la messe. A l’époque il n’y avait pas des écrans géants ni des smartphones comme aujourdhui pour la projection à l’extérieur et filmer. Je me rappelle tout simplement que mon père avait fait filmer la cérémonie par un cameramen à l’époque. Malheureusement avec les guerres et les déplacements de la famille, tous ses enregistrements audio, les bandes, les photos et autres ont été perdus
Donc la foule entendait la prière à l’extérieur et ne voyait rien mais était à l’unissons avec ceux qui étaient dans la grande Église.
La parole fut donnée à Monseigneur Ernest KOMBO pour la lecture de sa lettre de nomination et acceptation de la nomination. Après la monition d’ouverture, le représentant du Pape Jean Paul II présente le nouveau prélat à l’assemblée. Ensuite il introduit la lecture de la lettre de nomination et lui demande ensuite s’il accepte la nomination.
Je me souviens encore de cette cérémonie comme si c’était hier et j’entends :
Le représentant du Pape : « Qui donne cet enfant à l’Église de Dieu ?
Et là, c’est la surprise car je ne savais rien, j’entends mon père répondre : « c’est Moi Monseigneur, Le Père, le Papa qui donne cet enfant à l’Église »
Puis il demande à mon père d’aller signer un acte de consentement destiné au Pape Jean Paul II au Vatican.
Je n’en revenais pas de voir mon Père monter sur l’estrade et aller signer un document destiné au Pape. J’étais émue et fière de mon père et du nouveau Monseigneur Ernest KOMBO.
Après le représentant du Pape continue :
« Acceptez-vous d’être pasteur de cette Église pour proclamer la Parole de Dieu, célébrer les sacrements, prendre soin des petits, des pauvres et des malades en collaboration avec les autres personnes qui exercent divers ministères en Église ?
Monseigneur Ernest KOMBO : « Oui, j’accepte. »
L’évêque délégué représentant du Pape Jean-Paul II s’adresse à l’assemblée :
« Et vous, membres de l’assemblée ici présente, accueillez-vous Monseigneur Ernest KOMBO comme votre nouveau pasteur…? »
L’assemblée et nous tous.tes répondons :
« Oui nous l’accueillons. » S’en est suivi des applaudissements, des cris, des youyous.
Puis le représentant du Pape remet un trousseau de clefs à Monseigneur Ernest KOMBO
Toute l’assemblée se met à chanter le « Gloire à Dieu ». « Menga ma christ ma tsamoukini menga héé minga ! ma kuriri ntsié éhé manga ! Alleluia ! allélluia ! c’était la grande ambiance dans l’église et à l’extérieur, des tambours des tsakala et la poussière qui montait à l’extérieur. Et oui nous sommes à Nkayi, ceux qui connaissent cette histoire de poussière savent de quoi je parle. Heureusement entretemps il y avait eu la pluie. Donc ce n’était pas la poussière de la grande saison sèche.
Le représentant du Pape Jean Paul II remercie Monseigneur KOMBO d’ avoir accepté d’être pasteur du diocèse de Nkayi et lui souhaite de former une belle et grande famille avec les paroissiens et les paroissiennes de cette ville et de l’église catholique congolaise. Puis il invite le nouvel Évêque à prendre place au siège présidentiel pour présider l’eucharistie.
La messe normale commence vers 11 heures par la liturgie de la parole puis la liturgie de l’Eucharistie ou action de grâces. C’est la première messe officielle présidée par le nouveau Monseigneur Ernest KOMBO.
Quand nous sommes sorti.e.s de l’église, le soleil brillait et la chaleur de Nkayi commençait à nous bruler la peau. Il était presque 13 heures, la faim commençait à nous tenailler.
Il y avait une commission cuisine, ma mère faisait partie de cette commission, il y avait à manger et à boire à gogo, des tonnes de nourriture préparées partout. Je me suis retrouvée un moment dans les cuisines pour voir les dames et les sœurs religieuses qui s’activaient pour partager la nourriture à tout le monde.
L’assemblée a mangé et bu ce jour-là : il y avait je ne sais pas combien de moutons, de la viande de bœuf, du poisson de mer et d’eau douce, du poulet, du riz, des ngouri yaka, des longs maniocs de sibiti vendus par lot de 10, du pain de la MAB(minoterie d’aliments de bétail), des bananes plantins, du poisson salé venu de Pointe Noire, du saka- saka, des haricots au poisson fumé, de l’eau, de la limonade, du jus de gingembre à la cola , des fruits de toutes sortes, des morceaux de canne à sucre etc.
Nous nous sommes dirigé.es vers les appartements de Monseigneur Ernest KOMBO qui étaient dans l’enceinte du diocèse pour aller manger et partager en famille.
Nous nous sommes goinfré.es ce jour-là tellement il y avait à manger. La fête s’est poursuivie jusqu’au soir et tout le monde a regagné sa maison et nous également.
Le lendemain il y avait tellement des restes qu’il fallait s’en occuper et mettre de l’ordre dans l’Église et dans les appartements de Monseigneur KOMBO.
Nous sommes reparti.es au diocèse de Nkayi pour récupérer les restes de nourriture. Il y en avait tellement que mon Père avait loué deux pousse-pousseurs pour tout amener à la maison.
Pour ne pas gâcher la nourriture, mon père a convié tout le quartier pour venir manger. Nous nous sommes retrouvés avec plein de monde à la maison et dans notre cour pour partager les restes de la de la cérémonie d’intronisation. Tout le quartier était content, après tout mon père était le chef de quartier.
A part la maman de notre Monseigneur qui était restée avec son fils, toute la famille est repartie sur Brazzaville et Pointe-Noire.
Finalement Monseigneur Ernest KOMBO est resté dans le Diocèse de NKAYI de 1983 à 1990 puis il fut nommé Évêque d’OWANDO.
Je vous raconterai sa vie en dehors de l’église à Nkayi, son apprentissage du MUNUKUTUBA avec ma mère qui s’était transformée en professeure de cette langue que Monseigneur KOMBO ne maîtrisait pas à son arrivée dans cette ville où on échangeait avec cette langue officielle. Je vous raconterai sa vie avec nous, mon père, ma mère, mes frères et sœurs en dehors de l’Église.
Après vous connaissez la suite, sa nomination comme Président de la conférence nationale souveraine en 1991 et sa mort en 2008.
C’est en hommage de ces deux hommes de ma vie que j’écris ces quelques lignes et surtout du dixième anniversaire de la mort de Monseigneur Ernest KOMBO***
Donc à suivre !!!
Alphonsine MIKOUIZA DIA BONGA.
Alphonsine MIKOUIZA DIA BONGA.