Monsieur Emmanuel Macron, nous n’attendons rien de vous.

Par Patrice Aimé Césaire MIAKASSISSA
« Le malheur de l’Afrique c’est d’avoir rencontré la France » disait Aimé Césaire. Cette citation prémonitoire est plus que d’actualité.
Séjourner pendant 4 heures le 03 mars 2023 à Brazzaville, capitale de la France libre, pour une visite de mémoire et de culture, est une insulte à notre histoire commune, et montre le peu de considérations que vous avez vis-à-vis des Congolaises et des Congolais, monsieur Emmanuel Macron.
Le peuple congolais a une mémoire et une culture déjà bien ancrées. Ce n’est pas d’acculturation ni d’un devoir de mémoire coloniale dont il a besoin, mais d’une souveraineté réelle d’un État qui a le droit et le pouvoir de s’auto-gouverner sans interférence extérieure dans un système démocratique ; ceci implique une gestion rigoureuse de la chose publique, et le choix librement consenti de ses partenaires économiques.
C’est une visite touristique, la balade des gens heureux, afin de sécuriser les intérêts français en matière énergique, quand Eni, la société italienne d’hydrocarbures, commence à tailler des croupières à TotalEnergies dans le domaine de l’exploitation du gaz congolais.
Monsieur Emmanuel Macron, vous allez humer l’air vicié de Brazzaville, tandis que le général Jean-Marie Michel Mokoko et le ministre André Okombi Salissa respirent les miasmes de la maison d’arrêt et de correction de Brazzaville depuis plus de 7 ans. Il n’existe pas dans une démocratie des prisonniers politiques, et aucune démocrate ni aucun démocrate ne peut se permettre de fouler le sol d’une dictature comme l’est le Congo-Brazzaville d’aujourd’hui.
L’Homme ne peut se satisfaire de ses opinions, de ses actions que s’il pense agir pour le bien d’autres personnes, le bien de l’humanité. L’ensemble de nos actes soumis au jugement de la société constitue la morale ; l’ensemble de nos actes soumis au jugement de notre conscience constitue l’éthique. Avez-vous une morale et/ou une éthique monsieur Emmanuel Macron ?
C’est Stefan Zweig qui écrivait : « On peut tout fuir sauf sa conscience », cette petite lumière qui fait de nous des êtres humains.
Brazzaville capitale de la France libre est devenue une ville assiégée dans laquelle les droits humains sont violés quotidiennement avec la complicité et l’indifférence générale de la France, ancienne puissance coloniale, à travers la Françafrique.
Comme son aïeul feu Président Valéry Giscard d’Estaing avec les diamants de feu Président Jean-Bedel Bokassa de la Centrafrique, monsieur Emmanuel Macron se rend à Brazzaville au Congo pour les intérêts français en matières énergétiques. Repartira-t-il de là avec un baril de pétrole ou un bloc pétrolier et/ou gazier personnel ? Cette visite n’a que pour but de redorer au niveau national et international l’image ternie du dictateur congolais, monsieur Denis Sassou Nguesso.
« Les colonialistes se moquent bien de l’Afrique pour elle-même. Ils sont attirés par les richesses africaines et leurs actions sont guidées par le désir de préserver leurs intérêts en Afrique contre la volonté du peuple africain. Pour les colonialistes, tous les moyens sont bons si cela leur permet de mettre la main sur ces richesses » disait feu Patrice Lumumba, Premier ministre de la République démocratique du Congo (RDC).
Aucune démocrate ni aucun démocrate sérieux dans ce monde ne peut se permettre de fouler un pays qui détient dans ses geôles insalubres des prisonniers politiques. Fidèle à sa tradition politique étrangère ancestrale, la France n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts. Nous y sommes.
Brazzaville capitale de la France libre devient la capitale de la Françafrique.
Plus aucune Africaine ni aucun Africain ne croit aux donneurs de leçons occidentaux. Beaucoup d’entre nous-avions eu de l’espoir en matière des droits humains et de bonne gouvernance démocratique en Afrique avec l’élection en 2008 de monsieur Barack Obama à la présidences des États-Unis. C’était vite oublié que monsieur Barack Obama avait été élu par les Américains pour les intérêts américains dans le monde. Ce fut la douche froide après.
Monsieur Emmanuel Macron, comme avant lui monsieur François Hollande (le fossoyeur de la démocratie congolaise), avait beaucoup promis en termes de démocratie et de liberté aux intellectuels et à la jeunesse africaines. Il est tout à fait illogique de raisonner en pensant que le sort de toute l’Afrique noire puisse dépendre d’un monarque républicain français. C’est ce que nous appelons la Françafrique, cette pompe à fric des Français, le système de prédation des richesses de l’Afrique noire avec la corruption des Président africains au statut de valets locaux. C’est triste, et nous devons changer notre paradigme de réflexion vis-à-vis de la France.
La France en Afrique dite Francophone ne peut pas être considéré comme le « bouc émissaire idéal » car l’incompréhension du présent nait fatalement de l’ignorance du passé. Il est évident qu’à travers ses actions en Afrique, la France n’a pas convaincu les Africaines et les Africains avec son système mafieux de prédation des richesses appelé la Françafrique.
Le Mali et le Burkina Faso ont commencé à prendre très au sérieux leur souveraineté nationale, et affirme leur indépendance devant la France. Cette attitude est irréversible pour l’ensemble des pays francophones car nul ne peut arrêter un peuple qui a soif de liberté.
Qualifier les dirigeants maliens et burkinabè soutenus par leurs peuples de « Junte militaire » serait faire une insulte à l’histoire. La Révolution française du 5 mai 1789, une période de bouleversements sociaux et politiques de grande envergure en France avec l’abolition des privilèges et des droits féodaux, ne s’est-elle pas terminée par la décapitation du Roi Louis XVI le 21 janvier 1793 ? Personne dans ce monde ne traite les Françaises et les Français de barbares.
La diplomatie française à géométrie variable est dure avec les récalcitrants et accommodante ou complaisante avec les laquais. Le troisième mandat anticonstitutionnel de monsieur Alassane Dramane Ouattara validé par la France avait fini par discréditer la politique africaine de la France en Afrique. Comment après avoir bombardé le palais présidentiel ivoirien sous le mandat de monsieur Laurent Gbagbo, tué des Ivoiriennes et de Ivoiriens, pour installer son protégé et soi-disant ancrer la démocratie en Côte d’Ivoire, peut-on se permettre de bafouer ces mêmes principes par la suite ? C’est le Cardinal de Retz qui disait : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens ».
Cette même France de monsieur Emmanuel Macron, donneuse de leçon de démocratie, a adoubé par un coup d’État de palais monsieur Mahamat Idriss Déby au Tchad à la suite de la mort du père de ce dernier. Mais ce dernier n’est pas considéré par la France et ses journalistes propagandistes comme le chef d’une junte militaire tchadienne, mais beaucoup plus comme le Président de transition de la République du Tchad. Monsieur Emmanuel Macron avait honoré par sa présence cette mascarade de succession monarchique non soutenue par le peuple tchadien. Monsieur Mahamat Idriss Déby tue en toute impunité au Tchad sous un silence assourdissant de la communauté occidentale.
Doit-on comprendre que le voyage de monsieur Emmanuel Macron au Cameroun consistait à donner un blanc-seing à la passation du pouvoir du père au fils Biya, comme il serait tenté de le faire à Brazzaville sous couvert d’une visite de mémoire et de culture avec monsieur Denis Sassou Nguesso et son fils en s’affichant avec ce dernier ?
La France a toujours été une assurance-vie du régime militaire du Congo-Brazzaville qu’elle considère comme faisant partie de son pré-carré. L’indignation sélective ne saurait être une politique étrangère crédible. Il faut croire que l’hypocrisie soit une valeur française dans sa politique africaine à géométrie variable.
S’agissant du Mali et du Burkina Faso, la presse française traite ces pays d’ingrats ou d’hypocrites à cause de la mort des soldats français dans la lutte contre des supposés terroristes dans le Sahel. La genèse de ce terrorisme ne découle-t-il pas de l’assassinat du leader libyen Mouammar Kadhafi ? En ayant déstabilisé la Libye, les rebelles musulmans avec des armes se sont retrouvés dans le Sahel en semant le chaos à tout vent pour des raisons mercantiles ; toute guerre a un but économique.
La France devrait se souvenir des tirailleurs sénégalais, ce corps de militaires appartenant aux troupes coloniales constitué au sein de l’Empire colonial français en 1857, morts lors de la première et de la deuxième guerre mondiale pour libérer la France des Allemands. Cette France rechigne même à accorder certains avantages sociaux aux tirailleurs sénégalais survivants. C’est une hypocrisie malsaine.
OUI, nous disons à la France avec laquelle nous avons en partage la langue française que l’Afrique noire a payé de son sang la libération de la France. Mais maintenant elle subit une exploitation à outrance qui se doit de cesser. Jusqu’à quand l’Afrique noire sera-t-elle saignée ?
La visite de monsieur Emmanuel Macron à Brazzaville pour rencontrer l’un des pires dictateurs du monde monsieur Denis Sassou Nguesso est une insulte, une gifle à toutes et à tous les démocrates congolais. Le moment venu, nous saurons nous souvenir de nos amis.
Il n’y a pas de sentiment antifrançais en Afrique noire, mais un éveil de conscience de la jeunesse africaine face à la roublardise de la France.
Le New Deal de la France avec l’Afrique mérite mieux qu’un discours programmatique mielleux ressemblant à un piège à mouches. La France et l’Afrique dorénavant doivent marcher côte-à-côte et non dans un tandem car dans ce dernier il y a un qui tient le guidon et l’autre qui pédale.
Pour paraphraser Aimé Césaire nous disons : « Un pays qui ruse avec ses principes est un pays moribond ».
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Patrice Aimé Césaire MIAKASSISSA
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