Selon les principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, « les magistrats règlent les affaires dont ils sont saisis impartialement, d’après les faits et conformément à la loi, sans restrictions et sans être l’objet d’influences, incitations, pressions, menaces ou interventions indues, directes ou indirectes, de la part de qui que ce soit ou pour quelque raison que ce soit.[1] »
En faisant pression au Parquet du procureur de la République en déclarant lors d’une conférence presse que : « Monsieur le procureur de la République, il faut activer la procédure judiciaire qui avait déjà été ouverte contre le général Mokoko Jean-Marie Michel ! Parce que les procédures pénales ne doivent pas être rangées dans les tiroirs de la justice ! Donc je vous donne ces deux instructions, en tant que Garde des sceaux. Nous voulons vous annoncer, pour faire d’une pierre deux coups, que le pasteur Ntumi fera l’objet de poursuites pénales, qu’il soit là ou pas. Nous procèderons à l’ouverture d’une information jusqu’au niveau de la cour criminelle, quitte à le juger même par contumace, s’il est absent des assises[2] »
Pierre Mabiala a violé de façon éhontée et cynique non seulement le code de procédure pénale mais aussi les constitutions du 20/02/2002 ( articles 136 et 137 alinéa 2 ) et du 25/10/2015 ( articles 168 et 169 alinéa 2 ), les principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature (adoptés à Milan le 6/09/1985 confirmés par les résolutions 40/32 du 29/11/1985 et 40/146 du 13/12/1985 de l’assemblée générale des Nations Unies) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ( article 14 )
Au regard de cette violation inique, contre-productive et régressive, la question que l’on se pose est donc la suivante : peut-on combattre les anti-valeurs par les anti-valeurs ?
Le fait de faire pression à un magistrat dont les pouvoirs sont bien définis par la loi pour le contraindre à mettre aux arrêts un adversaire politique de taille qui conteste les résultats biaisés de l’élection présidentielle du 20/03/2016 est un anti-valeur et le fait de tricher dans une élection et de voler la victoire d’autrui en utilisant la force pour se maintenir au pouvoir est aussi un anti-valeur.
Par contre:
Le fait de savoir perdre dans la dignité une élection ou une autre compétition constitue une valeur et cette valeur est indispensable à tout responsable politique et le fait d’agir dans le respect de ses attributions légales est une valeur aussi.
Cet éclairage nous permet d’affirmer avec certitude qu’on ne peut combattre les anti-valeurs par les anti-valeurs par conséquent, la nouvelle République tant vantée n’est autre qu’un leurre utilisé par les vautours[3] du pouvoir pour se maintenir ad vitam aeternam au pouvoir. Demander dans une conférence de presse à un procureur de la République ( dont les pouvoirs sont bien limités par le code de procédure pénale ) d’accélérer une procédure pénale relève non seulement de l’abus de pouvoir mais aussi de l’excès de pouvoir.
– L’abus de pouvoir
Un abus de pouvoir est l’acte d’une personne qui dépasse les limites légales de sa fonction, qui en fait un usage déloyal. L’abus de pouvoir peut se traduire par des actes d’intimidation, de harcèlement, de menace, de chantage, de coercition, de pression,…
Pour un haut responsable, l’abus de pouvoir est le fait d’outrepasser le pouvoir qui lui est confié par la loi et d’accomplir des actes qui ne lui sont pas permis. Le ministre de la justice n’est pas un super procureur et par conséquent il n’est pas non plus une autorité judiciaire ; il est au contraire une autorité politique dont les missions sont bien définies :
Préparation des textes de lois et des règlements dans certains domaines, comme le droit de la famille, la nationalité congolaise , la Justice civile et la Justice pénale, etc. ;
Gestion des juridictions, services et moyens de la Justice : personnel , équipements, constructions…
Prise en charge des populations qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire : les mineurs délinquants ou en danger et les personnes placées sous main de justice;
Définition et mise en œuvre des politiques publiques en matière de Justice: aide aux victimes d’infraction, politique pénale , lutte contre la criminalité organisée, accès au droit et à la Justice…
Conseiller le gouvernement et ses ministères sur la légalité de leurs actions et dans la rédaction des lois et des règlements;
Conseiller les autorités sur les stratégies à adopter pour adapter et améliorer la justice par rapport aux jeunes, aux femmes, à la famille, aux victimes… ;
Établir et assurer les droits fonciers du gouvernement et de ses ministères;
Veiller au respect, à la protection et à la garantie les droits humains.
Ses actions reposent sur des valeurs suivantes : le respect, la confiance, l’équité et l’intégrité.
Le ministre de la justice n’a pas le droit ni les prérogatives d’adresser aux magistrats du Parquet des instructions dans des affaires individuelles. Par contre il a la responsabilité de conduire la politique pénale déterminée par le gouvernement et d’en préciser, par instructions générales, les grandes orientations pour assurer sa cohérence et son efficacité. La pression exercée par monsieur Pierre Mabiala, ministre de la Justice d’un gouvernement illégal et illégitime sur le Parquet du procureur de la République n’a pas de base légale; elle est par conséquent illégale dans la mesure où elle porte atteinte au principe de l’indépendance de la magistrature.
– L’excès de pouvoir
Le procureur de la République excède ses pouvoirs lorsqu’il refuse d’exercer les compétences et prérogatives que la loi lui attribue. En cédant aux pressions et aux menaces de Pierre Mabiala, ministre de la justice, Monsieur Oko Ngakala a failli a sa mission celle protéger les libertés individuelles et d’assurer le respect de la loi pénale au sens stricto sensu.
Mettre en œuvre la politique pénale du gouvernement n’est pas synonyme de recevoir des pressions et injonctions du ministre de la Justice dans les affaires individuelles.
La mission politique du procureur de la République est simplement de mettre en œuvre la politique pénale du gouvernement en application notamment des dispositions de l’article 30 alinéa 1 du code de procédure pénale français : « Le ministre de la justice conduit la politique d’action publique déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales d’action publique. Il ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles… »
Pour que l’excès de pouvoir soit caractérisée, la contestation dont est saisi le juge doit être étrangère au pouvoir juridictionnel qu’il tient de la Loi (Cass, Chambre commerciale 28 juin 2011, pourvoi n°10-18432,). Pour justifier la violation inique et cynique de la loi pénale et du principe de l’indépendance de la magistrature, monsieur Pierre Mabiala disait de façon effrontée : « En ma qualité de ministre de la Justice, je détiens des prérogatives exorbitantes qui me permettent de donner, à tout moment, injonction au Parquet aux fins d’engager ou de faire engager des poursuites.[4] »
En effet contrairement à ces propos mensongers, le ministre de la justice n’a pas des prérogatives exorbitantes qui lui permettent de donner à tout moment injonction au Parquet aux fins d’engager ou de faire engager des poursuites individuelles. Si monsieur Pierre Mabiala disait la vérité, il devait en sa qualité de ministre de la justice, mentionner le texte de loi qui lui donne ces prérogatives. Il n’a pas été convaincant mais menaçant en sachant bien qu’il disait des contrevérités. Le code de procédure pénale congolais ne donne pas au garde des sceaux, ministre de la Justice, des prérogatives exorbitantes en matière d’injonction ou de pression dans les affaires individuelles. Le ministre de la Justice a la responsabilité de conduire la politique pénale déterminée par le Gouvernement et d’en préciser, par instructions générales, les grandes orientations pour assurer sa cohérence et son efficacité. Á cet effet, il donne au ministère public ( le Parquet ) des orientations générales en matière de politique pénale. Il n’a pas le droit de faire pression sur des affaires individuelles car les deux constitutions congolaises ( celle du 20/02/2002 et celle du 25/10/2015) interdissent aux pouvoir exécutif d’entraver le cours de la justice[5]
L’article 24 du code de procédure pénale congolais stipule : « Le ministre de la justice peut dénoncer au Procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance, lui enjoindre d’engager ou faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes. »
Dénoncer les infractions à la loi pénale dont il a connaissance auprès du Procureur général près la Cour d’Appel ne signifie pas faire pression ou injonction dans les affaires individuelles qui font l’objet d’une enquête préliminaire ou en cours d’instruction. Le ministre de la justice n’a pas le droit de faire pression dans une affaire individuelle qui fait l’objet d’une enquête préliminaire. Faire pression dans une affaire individuelle dont le Parquet est déjà saisi c’est entraver le cours de la justice.
Les infractions dont parle l’article 24 du code de procédure pénale sont des infractions dont le parquet n’a pas encore connaissance et n’a pas aussi procéder à une enquête préliminaire.
Lorsque l’article 24 du code de procédure pénale dit « : Le Ministre de la Justice peut dénoncer les infractions à la loi pénale dont il a connaissance… »
Cela ne signifie pas que le ministre a un pouvoir exorbitant de faire pression sur les affaires individuelles dont le parquet a connaissance.
Peut dénoncer ne signifie pas faire pression, immixtion et injonction dans des affaires individuelles qui font l’objet d’enquêtes préliminaires ou d’instruction.
Dans sa gestion des juridictions, services et moyens de la justice, et dans la prise en charge des populations qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire et dans ses relations avec les membres du gouvernement, le ministre de la Justice peut constater les infractions à la loi pénale et les dénoncer auprès du procureur général près la Cour d’Appel.
La dénonciation se fait dans le cas d’espèce soit auprès du procureur général près la Cour d’Appel comme l’indique l’article 24 du code de procédure pénale soit auprès du procureur de la République comme le stipule l’article 28 alinéa 2 du code susmentionné : «Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au Procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »
Sur instructions de monsieur Denis Sassou Nguesso, le ministre de la justice, monsieur Pierre Mabiala a interprété abusivement l’article 24 du code de procédure pénale pour s’arroger des prérogatives dont il ne tient pas de la loi afin d’instrumentaliser la justice pour nuire et réduire au silence un adversaire politique de taille et l’un des vainqueurs de l’élection présidentielle anticipée du 20 mars 2016, le Général Jean-Marie Michel MOKOKO. Monsieur Pierre Mabiala, en agissant ainsi, a donc commis un abus de pouvoir.
En 1986, au lendemain de la mort de Malik Oussekine[6], Jack Lang[7] disait à propos de l’abus du pouvoir que : « Lorsqu’un gouvernement commet un abus de pouvoir, c’est que ce pouvoir commence à lui échapper. »
Selon Mireille Imbert-Quaretta « les magistrats du parquet qui possèdent la redoutable prérogative de décider des poursuites pénales des citoyens devant les tribunaux pouvaient, et peuvent juridiquement encore, recevoir des instructions du ministre dans les affaires individuelles. Cette possibilité a été source de soupçon sur l’indépendance de la justice. Chacun pouvait croire que de telles instructions favorisaient les amis politiques ou prenaient pour cible les adversaires. Dès son arrivée au gouvernement en juin 1997, le premier ministre[8] s’est engagé à ce que plus aucune instruction ne soit donnée dans les affaires particulières et cet engagement a été tenu.[9] »
Dans l’affaire MOKOKO et celle de Ntumi, Denis Sassou Nguesso doit être entendu comme instigateur car il est partie prenant dans ces deux affaires. Si la justice est rendue au nom du peuple à qui appartient la souveraineté nationale, Denis Nguesso Nguesso doit être convoqué et entendu par le Parquet du procureur de la République sur la base de l’article 29 du code de procédure pénale congolais.
Concernant la prétendue affaire Ntumi, la question que l’on se pose est la suivante : sur quelle base d’éléments monsieur Pierre Mabiala justifie t-il la condamnation du Révérend Pasteur Ntumi avant une enquête sérieuse et le jugement d’un tribunal compétent et impartial s’il a lieu ?
Il y a dans le chef du ministre de la justice, monsieur Pierre Mabiala un amateurisme[10] dérangeant révoltant qui remet en cause ses qualités de juriste, morales et intellectuelles.
Jusqu’à preuve du contraire, le Révérend Pasteur Fréderic Bitsamou alias Ntumi bénéficie de la présomption d’innocence sur la base de l’article 14 alinéa 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politique du 16 décembre 1966. Ce qu’il a fait suite aux bombardements des populations dans le département du Pool dont il était victime c’est de la légitime défense[11]. En effet, le Pasteur Ntumi était et est en droit de se défendre face à la barbarie du clan Sassou et ses mercenaires. L’accuser sans preuve ni enquête sérieuse relève de la barbarie, la sauvagerie et du voyoutisme.
Malines, le 14 juin 2016
Maître Céleste Ngantsui
[3] Partisan d’une attitude intransigeante, des solutions de force, dans le règlement d’un conflit
[5] Article 137 alinéa 2 de la constitution du 20/02/2002 et l’article 169 alinéa 2 de la constitution du 25/10/2015 « Le pouvoir exécutif ne peut ni statuer sur les différends, ni entraver le cours de la justice ou s’opposer à l’exécution d’une décision de justice. »
[8] Il s’agit de Lionel Jospin nommé premier ministre le 2 juin 1997 par Jacques Chirac , cette nomination a marqué le début de la troisième cohabitation.
[9] Mireille Imbert-Quaretta , L’évolution du rôle du ministère de la Justice français, les Cahiers de droit, vol. 42, n° 3, 2001, p. 506-507
[10] Défaut de quelqu’un qui manque d’application et de sérieux dans ce qu’il fait
[11]La légitime défense est l’autorisation légale de faire cesser une agression contre soi-même ou autrui par des moyens en d’autres cas interdits. Cette notion s’applique aussi bien aux individus qu’aux États.