Le drame du Pool a déjà fait, depuis le 3 avril 2016, plus d’une centaine de morts, non compris les inconnus, plus de 80 mille déplacés, des destructions matérielles importantes, dont deux ponts sur le C.f.c.o (Chemin de fer Congo-Océan), des véhicules incendiés, des dizaines de blessés, la paralysie de la vie socio-économique, l’arrêt des projets de développement dans ce département, etc.
Ce désastre est parti de l’attaque armée des quartiers Sud de Brazzaville par un groupe des partisans du pasteur Ntumi. Mais, de plus en plus, l’on est convaincu que cette affaire a des ramifications à Brazzaville. Le Pool paie-t-il la rançon d’une conspiration fomentée contre le régime du Président Denis Sassou-Nguesso?
Ancien délégué général chargé de la promotion de la paix et de la réparation des séquelles de guerre, structure dépendant de la Présidence de la République (avril 2007-avril 2016), Frédéric Bintsamou, alias pasteur Ntumi, présumé auteur de l’attaque armée des quartiers Sud de Brazzaville, est visé par un mandat d’arrêt lancé le 28 avril 2016, contre lui et deux de ses partisans, par le procureur de la République du Tribunal de grande instance de Brazzaville, André Gakala-Oko.
Elu conseiller départemental du Pool, à Mayama, en septembre 2014, président du parti C.n.r (Conseil national des républicains), dissout depuis par le Ministère de l’intérieur, Frédéric Bintsamou, qui est aussi leader du mouvement religieux «Mbunda ni ha bundu dia kongo», également interdit, trouve refuge dans les forêts du Pool, où ses partisans, les ninjas-nsiloulous, reprennent les armes, pour s’attaquer aux symboles de l’Etat et aux populations, par des actes terroristes d’une barbarie inouïe, comme le mitraillage et l’incendie d’une ambulance, avec des blessés à l’intérieur, sur la route de Kinkala. Depuis, un climat d’insécurité règne dans l’arrière-pays du Pool. Prises en étau entre deux feux, les populations civiles payent un lourd tribut à cette situation devenue une véritable nébuleuse qui suscite de nombreuses interrogations.
Aujourd’hui, un officier général évoluant à la Présidence de la République, le général de brigade Nianga Mbouala Ngatsé, conseiller spécial du Président de la République, commandant la Garde républicaine, est cité dans l’enquête judiciaire ouverte par le procureur André Gakala-Oko, sur l’attaque armée des quartiers Sud de Brazzaville, le 4 avril 2016. Son directeur de cabinet, Elie Claver Okandzé, détenu à la Maison d’arrêt, et son frère, Jean-Stéphane Okandzé-Okourou, un proche du pasteur Ntumi depuis les années 2000, qui y serait également transféré, auraient livré des témoignages mettant en cause le commandant de la Garde républicaine. Ainsi, le procureur de la République veut l’entendre en qualité de témoin. Mais, celui-ci a choisi d’opposer une fin de non-recevoir à la convocation du magistrat. Ses proches pensent qu’il s’agit d’un guet-apens destiné à l’arrêter, pour le placer à la Maison d’arrêt, flairant un conflit entre lui et le général Jean-Dominique Okemba. Mais, en fuyant la justice, croit-il se mettre à l’abri? Les révélations du journal «Le Troubadour», dans son édition de la semaine dernière, dévoilent une situation très grave.
Seulement, le problème au Congo, c’est que tout est politisé. Des déclarations politiques ont fusé contre Ntumi, après l’attaque des quartiers Sud de Brazzaville, le 4 avril 2016. Mais, les responsables politiques ne se sont pas posé la question de savoir si Ntumi est le seul présumé responsable des violences armées dans les quartiers Sud de Brazzaville. Où a-t-il trouvé les armes qui ont servi au groupe ayant attaqué la capitale? Qu’ont fait les différents services de renseignements et corps de la Force publique, pour empêcher cette attaque armée et même anéantir ou repousser les assaillants? N’y a-t-il pas eu des complicités internes de nature à laisser se produire une déstabilisation des institutions nationales? A qui aurait profité le crime? Ntumi n’est-il pas que la partie visible de l’iceberg?
Autant de questions et bien d’autres qu’on peut se poser, mais qui, en réalité, ont fait l’objet d’analyse dans certains milieux professionnels. En effet, une enquête avait été ouverte, aussitôt après l’attaque du 4 avril 2016, avec la mise en place d’une commission mixte d’enquête. Cette commission avait déjà révélé des indices d’une ramification à Brazzaville de cette affaire.
Convoqué, en qualité de témoin, par le procureur de la République, le général Nianga Mbouala Ngatsé aurait pu jouer à l’officier général républicain, acceptant de se présenter devant la justice, pour dire sa part de vérité. Mais, en adoptant une attitude rebelle, en transformant sa convocation par la justice en un conflit personnel avec le général Jean-Dominique Okemba, secrétaire général du C.n.s (Conseil national de sécurité), non seulement il fait fausse route, mais encore, il marche sur l’autorité de celui qui l’a élevé au grade de général. Il fait ainsi comme le pasteur Ntumi, qui fut nommé délégué général, avec rang de ministre délégué, mais qui a pris le parti d’affronter l’autorité de l’Etat, par les armes.
Or, si le général Nianga Mbouala Ngatsé n’a rien à se reprocher, que sa visite à Soumouna chez Ntumi, en 2014, n’avait rien de subversif, c’est bien auprès de la justice qu’il peut se défendre et montrer patte blanche. En fuyant, il donne l’impression qu’il a quelque chose à se reprocher et cela renforce les soupçons que l’affaire du Pool trouve ses ramifications à Brazzaville. L’Etat, qui a déployé des moyens importants pour conduire en justice le général Mokoko et récemment l’ancien ministre André Okombi-Salissa, deux leaders politiques qui ont des milliers de partisans, se montrera-t-il compréhensif dans le cas du commandant de la Garde républicaine? La justice congolaise fonctionne-t-elle sur le principe de deux poids deux mesures?
Ayant déjà fait de nombreuses victimes, le drame du Pool est un feuilleton avec beaucoup de zones d’ombre qui intriguent nombre de Congolais. Seule la justice peut tirer au clair cette affaire, pour comprendre ses tenants et ses aboutissants. Encore faut-il que cette justice jouisse de suffisamment d’autorité, pour ne pas que «les gros poissons» lui échappent. Ntumi semble avoir bénéficié de complicités, non seulement pour commettre le forfait d’avril 2016, destiné, semble-t-il, à empêcher la publication officielle des résultats de l’élection présidentielle anticipée de 2016, mais encore pour échapper à la justice, aggravant ainsi les séquelles de guerre dans le Pool, avec leur cohorte de victimes innocentes et de destructions matérielles.
Joël NSONI
Source : La Semaine Africaine